“Sur le point de quitter l’Europe, Dimitri Gallois et Luna Yamada sont victimes d’un règlement de compte sanglant. Mafia serbe, armée privée américaine, groupe bancaire basé au Luxembourg : la véritable cible de cette collusion toxique est Santo Serra, à la tête d’une branche stratégique de la ‘Ndrangheta, et c’est avec lui que Dimitri et Luna vont tenter de briser l’engrenage mortel qui les happe.
Lorsque l’horizon semble s’éclaircir, Luna disparaît au cours d’une embuscade. Pour la retrouver, Dimitri va fouler les terres les plus noires de la sauvagerie et de la folie contemporaines.”
Terres Noires est le troisième volet de la trilogie Dimitri Gallois, son final. Dans sa postface Sébastien Raizer préfère le terme de triptyque:
“Les nuits rouges” traite de crise, “Mécanique mort” de crime, “Terres noires” de guerre. C’est davantage un triptyque qu’une trilogie: trois portraits selon trois thèmes. Ces thèmes sont indissociables et forment le cœur noir de l’Occident”.
Si ce volume est salement empreint de la violence et de l’aveuglement de la guerre, avec en arrière-plan l’Ukraine, il est néanmoins totalement dépendant des deux premiers. Il serait vain et regrettable de rentrer dans l’histoire sans avoir lu les deux premiers et cela malgré les apports didactiques éclairés de l’auteur. Commencez par Les nuits rouges parce qu’il est sûrement le plus touchant, le plus personnel de Sébastien Raizer, originaire de cette région des trois frontières de la Moselle et enchaînez par Mécanique mort parce qu’on y découvre l’internationale nébuleuse du crime mafias, banques et officines paramilitaires qui engendrent le cauchemar que nous allons vivre.
Les trois romans semblent obéir à un crescendo dans la violence comme dans la dénonciation du libéralisme et cet épisode est certainement le plus dur, le plus létal. On ne meurt pas d’une simple balle dans le buffet chez Sébastien, il sait y faire pour jouer avec nos nerfs… et là, son théâtre de l’horreur est particulièrement réussi dans sa démence et outrageusement vicieux dans sa répétition.
Si Sébastien Raizer cite souvent Joy Division dans ses propos, ici on n’est plus dans la furie de Rammstein (cité également). L’écrit est scandé, hurlé, semé de citations assassines souvent pertinentes mais aussi parfois nettement moins efficientes car sorties de leur contexte ou totalement déplacées (une leçon de démocratie donnée par le représentant permanent de la Chine aux Nations Unies à propos de la guerre en Ukraine… pffff). Mais même si pour une fois on n’est pas du tout en phase avec le discours politique qui accompagne l’histoire, on ne peut que reconnaître qu’il enrichit le récit, le rend plus sauvage, plus furieux, une sorte de mantra logique dans la progression d’un roman contre le symbole du libéralisme : les USA tout en offrant un argumentaire recevable, développé à un époque par Le Monde Diplomatique en France.
Le roman, redoutable, n’est pas à mettre entre toutes les mains d’une part par l’explosion meurtrière particulièrement vicelarde qu’il mûrit et d’autre part par la complexité des forces, des fractions qui l’animent. Mais Sébastien Raizer reste droit dans ses bottes, se moque du consensuel, se concentre sur sa diatribe, montre une autre vision du monde et offre une histoire éprouvante et très prenante, un cauchemar halluciné et hallucinant.
Chris Pavone, auteur et éditeur américain, fait son entrée à la Série noire avec ce roman. On l’avait découvert en France avec “Les expats” sorti au début des années 2010. On entre dans la saison des gros romans des beaux jours ou de plage, ceci dit sans connotation négative ou élitiste, et la SN n’est pas en reste. Vous n’ignorez pas non plus que les thrillers ne sont pas le principal carburant de Nyctalopes et vous serez pertinents en prenant encore plus que d’habitude mon modeste avis avec des pincettes.
“Ariel et John, récemment mariés, sont à Lisbonne pour le week-end. Dès le premier matin, John disparaît. Ariel le cherche sans relâche, à l’hôtel, à l’hôpital, elle se rend au commissariat et à l’ambassade des États-Unis. Partout, on l’accueille avec réticence et suspicion. Il faut dire qu’Ariel n’a rien d’une fille fiable ; son récit est fluctuant et lacunaire. Et elle ne semble pas connaître si bien que ça ce mari beaucoup plus jeune qu’elle.Or John a été kidnappé et, à la veille de la fête nationale américaine, les ravisseurs réclament une rançon de trois millions de dollars dont Ariel n’a pas le premier cent. À moins de solliciter celui qui…”
Alors que dire ? Il est situé à Lisbonne mais vous pouvez aussi imaginer à la place Berlin, Prague ou n’importe quelle capitale d’ Europe occidentale avec les barrières de la langue, de culture et de lois pour les Américains et son antenne de la CIA. Bien que ce ne soit pas le sujet, il est très difficile de se rendre compte qu’on est dans la capitale portugaise et vous n’apprendrez pas grand chose sur la cité et les Lisboètes à part qu’on peut s’y camer en toute légalité et qu’on y mange une sorte de ragoût…
Par ailleurs, “Deux nuits” semble indiquer un temps assez court, synonyme de roman speedé et ce n’est vraiment pas le cas avec tous les flashbacks new-yorkais sur la vie d’Ariel. Si le début est très réussi, ensuite, ça se traîne et parfois, on a l’impression que c’est plutôt “deux ans à Lisbonne”, enfin… soyons juste, uniquement dans la première partie du roman. La seconde moitié s’avère beaucoup plus passionnante aussi il est bon de persévérer, d’ailleurs l’ennui ne nous accompagne jamais.
La multitude de personnages, certains accentués alors qu’ils sont très accessoires, permet de multiplier les sources de danger mais ralentit un peu l’intrigue et tous ces retours sur la vie d’avant de l’héroïne finissent par lasser. Sinon, Chris Pavone maîtrise très bien les codes du thriller et la fin s’avère très surprenante même si certains twists seront peut-être des flops pour les plus habitués du genre. Ariel a eu beaucoup de malheurs avec la gente masculine dans sa vie et a appris à se défendre, cela ne garantit pas forcément une empathie débordante de la part du lecteur, à voir…Néanmoins, avec des thèmes comme les « fake news », un virage très prononcé vers le politique, les violences faites aux femmes, Deux nuits à Lisbonne est un bon témoin d’une certaine Amérique d’aujourd’hui.
Bref, un très honnête thriller mais qui aura peut-être un tout petit peu de mal à pleinement convaincre les plus exigeants.
“Septembre 1941. Aux États-Unis, le mouvement isolationniste et antisémite America First gagne du terrain et le président Roosevelt n’arrive pas à faire basculer son pays dans la guerre. À Hollywood, on prépare la contre-attaque avec un film engagé en faveur de l’intervention, mais sa vedette, la star Lala, est victime d’un chantage qui pourrait tout compromettre.
Vicky Mallone, détective privée, légèrement portée sur les cocktails et les femmes, va voler à son secours avec l’aide d’un vieux fédéral bougon et, lorsqu’il est sobre, d’Errol Flynn en personne. Le tournage du film va bientôt concentrer toutes les menaces et tous les enjeux de l’époque. Mais qui manipule qui à l’ombre des plateaux ?”
Depuis plus de quinze ans, Olivier Barde Cabuçon, d’abord chez Actes sud et maintenant à la SN de Gallimard écrit des polars dont les intrigues se situent dans le passé. Féru d’Histoire, il a voulu ici tordre le cou à une rumeur déclarant que pendant que les pauvres G.I. se faisaient tuer en Europe, à Hollywood, la fête battait son plein. Son intrigue, basée à l’époque du débat sur l’entrée en guerre des USA, montre que la communauté du cinéma s’est engagée et a œuvré pour l’entrée en guerre. Certes, tourner un film de propagande, s’impliquer publiquement ne peut s’apparenter à la course désespérée d’un soldat sur une plage de Normandie et certainement que les rations de guerre n’offraient pas le même plaisir gustatif que les buffets des soirées dans le L.A. qui compte et qui festoie mais certains acteurs, réalisateurs, producteurs se sont “battus” et Olivier Barde Cabuçon nous le montre.
Dès l’entame du roman, on sent que l’auteur connaît parfaitement son sujet, est dans son élément. Sa passion pour Hollywood et son amour du cinéma en noir et blanc des années 40, se voit dans sa faculté à apporter des informations nécessaires, des connaissances fines et des anecdotes sympathiques tout en restant parfaitement dans une intrigue qui sonne “hard boiled” avec ses flics, ses privés, ses informateurs, ses méchants camouflés, belle adaptation des polars ricains de l’époque.
Mais ces connaissances historiques comme cinéphiles adroitement réinvesties auraient été bien vaines sans une belle intrigue, et des personnages bien incarnés. Le suspense va crescendo et le roman s’avère prenant grâce à cette variante magique du Sam Spade de Hammett qu’est l’héroïne Vicky Mallone, détective privée et sacrée nana qui tombe aussi vite et régulièrement les filles que les cocktails.
La plume est adroite, souvent moqueuse, gentiment railleuse… très élégante.
Quand Une deux trois de Dror Mishani était paru à la Série Noire, on avait apprécié de le trouver au catalogue de la SN. Il nous semblait alors qu’il avait trouvé sa juste place, même si on regrettait la disparition de son enquêteur Avraham Avraham qui nous avait tant plu dans ses trois enquêtes parues au Seuil. Surprise et joie, il est de retour et je vous envie vraiment si vous vous apprêtez à faire la connaissance de ce mec bien.
“Bientôt quarante-quatre ans, récemment marié et promu commissaire à Holon, Avraham est las d’enquêter sur des crimes domestiques dont la résolution ne rend service à personne. Il rêve de missions plus importantes. Aussi le jour où deux affaires se présentent simultanément délègue-t-il la plus banale — un nouveau-né découvert dans un sac plastique à proximité de l’hôpital — à une collaboratrice. C’est la disparition d’un touriste signalée par le directeur d’un hôtel du front de mer qui retient son attention…”
En attendant une éventuelle mutation plus proche des affaires concernant la sécurité d’Israël, Avraham doit retourner à l’ordinaire. Battre le pavé, frapper aux portes, un ordinaire qui ne lui plait plus vraiment mais Avraham est un type humain qui va s’acquitter de sa tâche du mieux qu’il pourra. L’homme, grand admirateur du commissaire Maigret, agit d’ailleurs comme son modèle fictif, en développant une réelle empathie pour les victimes, et par voie de conséquence, la moindre affaire le touche toujours profondément, le mine.
Avraham prend son temps, fouille, furète, interroge et comme à chaque fois, ses affaires qui paraissent tristement banales s’avèrent en définitive tragiques, cruelles. Petit à petit, on descend vers des abîmes. L’histoire de la disparition de ce touriste qui n’en est pas un va lui poser un sacré cas de conscience et lui permettre d’entrevoir les hautes sphères de la sécurité du pays qu’il convoite. La deuxième affaire du bébé abandonné verra Mishani et Avraham revenir vers des drames familiaux souvent traités et mettra en évidence des plaies non cicatrisées et cachées du peuple israélien.
Le hasard des deux investigations le mènera à Paris, seul point commun aux deux histoires. Une pointe d’exotisme pour son lectorat local mais qui nous prive un peu de son regard acerbe sur la société israélienne. Outre Maigret dont il apparaît comme un beau successeur, on peut aussi comparer Avraham à Erlendur d’Indridasson, même rythme, même empathie pour les victimes, même bonheur de noir.
Dror Mishani, certainement une des plus belles trouvailles de la SN de ces dernières années.
Quand DOA parle, c’est toujours clair, sans filtre et documenté. Et cette sixième rencontre chez Nyctalopes le confirme amplement:
Rétiaire(s), le trafic de came en France, les flics, les nouveaux dangers de l’écriture, le trafic d’armes, Samuel Paty, les privations de liberté en temps de pandémie, le COVID, le jackpot des labos pharmaceutiques et la suite de Rétiaire(s). Aucun sujet n’est évité, c’est très fort une fois de plus.
C’est toujours un plaisir de vous rencontrer, c’est en l’occurrence la sixième fois que vous nous faites l’honneur d’écrire chez nous. Cet entretien n’aura pour but que de tenter de convaincre les indécis. Celles et ceux qui ont acheté « Rétiaire(s) » auront lu votre postface particulièrement intéressante où vous expliquez votre démarche, les origines du projet. Pour vos lecteurs, il y aura certainement peut-être parfois une impression de redite que je tenterai de limiter au maximum.
1 – La première interrogation qui est évidente pour tous ceux qui vous suivent : dites donc, ce n’est pas le roman que l’on attendait. Il y a beaucoup de sinistres personnages dans votre roman mais il n’y a pas l’ombre d’un nazi ?
Alors, tout d’abord, merci de m’accueillir une nouvelle fois dans vos colonnes, c’est toujours un plaisir. Par ailleurs, la fidélité, c’est précieux.
Il y a dans « Rétiaire(s) » un clin d’œil, et même plusieurs, à ce qui doit advenir mais a, pour le moment, été contrarié par la crise traversée en 2020 et 2021. Ou plutôt par la panique provoquée par cette crise et par les mesures délirantes que cette peur – jamais une bonne conseillère la peur, parlez-en à des psys – a justifiées. Fermeture des archives, fermetures des frontières, passeports vaccinaux, aller fouiller dans les fonds historiques s’est révélé, pendant un temps, assez difficile, voire impossible, et m’a fait prendre du retard. D’où ma décision de changer de projet temporairement et de m’attaquer à un texte plus « simple » dont la phase de documentation serait moins empêchée. Ainsi, bizarrement, hanter les couloirs du centre pénitentiaire de Paris-La Santé ou trouver, au-delà du périphérique, des pros du gros bizness s’est révélé moins ardu que se rendre au siège de la Bundesarchiv à Berlin.
2 – Quand vous avez été obligé de changer votre fusil d’épaule, si j’ose dire, n’avez-vous pas été tenté de franchir la porte que vous aviez laissée entrouverte à la fin de « Pukhtu » ?
Non. Avant de franchir cette porte particulière, il aurait fallu me livrer à une profonde méditation. Et ça ne cadrait pas avec les circonstances de ma décision. Quand je l’ai prise, j’ai hésité entre deux propositions : la non-fiction littéraire, avec une enquête sur l’affaire de pédocriminalité qui a secoué le groupe scolaire Paul Dubois, à Paris, début 2019 (), scandaleusement ignorée par presque tout le monde à l’exception de Mediapart, et la fiction, avec ce qui est devenu aujourd’hui « Rétiaire(s) « .
3 – Le projet « Rétiaire(s) » date de 2006, vous l’avez actualisé pour nous amener à la situation en 2021. Avez-vous constaté des évolutions notables dans l’histoire du trafic de drogue en France ?
Tout dépend ce que l’on entend par notables. Le trafic irrigue tout à présent et tend à supplanter les autres grandes entreprises criminelles, parce qu’il est bien plus rentable et reste, toutes proportions gardées, moins risqué. Il s’est structuré, professionnalisé et est dominé par des groupes français d’origine étrangère, binationaux ou non, ou des groupes étrangers, principalement originaires du Maghreb et, dans une moindre mesure, de l’Afrique subsaharienne et des Balkans, qui ont remplacé les Corses et les voyous d’origine italienne d’antan. Il grossit d’année en année et je pense ne pas fantasmer en déclarant qu’il corrompt de plus en plus tous les secteurs d’activité dont il a besoin pour exister (le transport maritime et routier, par exemple, c’est-à-dire la logistique, mais aussi la comptabilité, le droit, certains types de commerce de détail et de services), et quelques administrations / institutions, au moins à l’échelon local ou régional, mais sans doute aussi plus haut. Le Canard Enchaîné a, par exemple, sorti il y a quelques temps une affaire impliquant deux hauts fonctionnaires et un trafiquant, pacsé avec l’un et amant de l’autre. Précisons que l’un des deux fonctionnaires en question émargeait au ministère de l’Intérieur à l’époque, en qualité de secrétaire général de la DGSI, après un passage par la Défense et la DGSE.
Nous avons affaire à l’accélération d’un double phénomène de société : ultra-valorisation du Dieu-fric d’un côté, et affaiblissement de la morale individuelle et républicaine de l’autre. Arrive forcément un moment où ces évolutions se rencontrent et se combinent. Pour le romancier que je suis, c’est pain bénit.
4 – Quelles sont les difficultés rencontrées par le passage d’un scénario à un roman ?
Il n’y en a pas vraiment eu, sauf une peut-être, qui a été de devoir travailler sans Michaël Souhaité, mon coauteur sur le projet de 2006/7. Au départ, nous envisagions une collaboration calquée sur celle, très fructueuse et intéressante, que j’avais eue avec Dominique Manotti pour écrire « L’honorable société ». Ça n’a pas pu se faire pour des questions d’emploi du temps et de calendrier.
Fondamentalement, le cœur du problème est identique dans les deux cas : trouver une bonne histoire à raconter, par le biais de personnages forts. Difficile quel que soit le support de destination. Ensuite, il faut construire, et on le fait en fonction du medium, on ne raconte pas les choses de la même façon en mots ou en images. Ici, j’avais une matière de base, mais ancienne et parfois bancale, quelques figures. Il fallait en éliminer une partie, en garder une autre, et apporter en plus des éléments nouveaux cohérents avec ce qui allait rester. Cet arbitrage sur un travail qui était en partie le mien, le vital inventaire destiné à purger tout ce qui n’allait pas (et dieu sait que c’était nécessaire), fut l’étape la plus compliquée, ne serait-ce que pour respecter l’héritage de Michaël. Et puis on prend ses propres limites en pleine poire, le doux souvenir d’une création que l’on fantasmait encore exceptionnelle se dissipe d’un coup. Le projet initial n’a pas vu le jour pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles figurent sans doute quelques-uns ses défauts. Donc le véritable écueil à franchir était de piger ceux-ci, puis de les admettre, puis de les corriger si possible. Pas de changer de support.
5 – Je suppose que vous aimez tous vos personnages. Dans tous les cas, vous les avez brossés soigneusement avec leur part d’ombre, mais lesquels vous ont le plus entraîné ? Quels sont ceux qui pourraient aller plus loin, qui sont pour vous les moteurs du roman ?
Difficile à dire, mais s’il faut choisir, je dirais Amélie Vasseur, qui est une des anciennes – en ce sens qu’elle était déjà présente dans notre projet de série, mais plus en retrait – parce qu’elle constitue une sorte de fanal, un point de repère, elle figure la ligne bien / mal, et Lola Cerda, absente dans la proposition de départ, parce qu’elle est l’avenir, une enfant du monde qui vient.
6 – J’ai trouvé que « Rétiaire(s) » était un bel hommage aux forces de police et de gendarmerie qui œuvrent dans l’ombre pour endiguer le trafic de la drogue jusqu’à ce que je lise dans la postface “ les flics et les voyous de maintenant sont moins grands et moins beaux”. Qu’est-ce qui a changé pour vous chez les flics ?
Je ne suis pas certain que « Rétiaire(s) » sera ainsi perçu par les membres des forces de l’ordre qui éventuellement le liront. Ce qu’il donne à voir, et qui est encore très en-dessous de la réalité, des rapports entre fonctionnaires et militaires, d’une part, et de ceux-ci avec leur hiérarchie, d’autre part, et enfin de la praxis de l’investigation, ne peut être qualifié d’hommage. Ou alors avec beaucoup d’ironie. Il est vrai cependant que les enquêteurs de base triment comme des bêtes, même dans ce qui pourrait être considéré comme le fer de lance de la lutte antidrogue nationale, corsetés par des procédures lourdes et complexes, une absence assez effarante de formation initiale ou de formation continue ou de moyens humains, techniques, logistiques. Face à un adversaire riche, réactif et de plus en plus malin, obsédé par une seule chose, se faire toujours plus de thunes, de toutes les façons possibles. Si l’on regarde les dégâts que cause le trafic de stupéfiants en termes de criminalité, de fragilisation du tissu social, de violence quotidienne, d’évasion fiscale et de gangrène financière ou, pour le dire autrement, d’instabilité républicaine, de menace à la cohésion nationale, c’est un problème beaucoup plus aigu que le terrorisme. Pour autant, l’arsenal déployé pour lutter contre les mafias de la came est dérisoire comparé avec celui de l’antiterrorisme, par exemple.
7 – Dans vos remerciements, vous citez plusieurs flics que vous avez rencontrés. Quel est leur état d’esprit, qu’est-ce qui les fait encore avancer dans cette guerre de la drogue qu’ils savent perdue depuis longtemps ?
Je ne remercie pas que des policiers et des gendarmes, d’autres hommes de l’art m’ont aidé, il ne faut pas les oublier. Et pour répondre à votre question je dirais : à l’heure actuelle, plus grand-chose ; mon impression personnelle est qu’on ne se bouscule pas aux portes de l’OFAST, on cherche plutôt à le quitter.
8 – Une scène effarante à la Courneuve, il y a plusieurs épisodes glaçants dans « Rétiaire(s) » qui contribuent à donner un tableau assez sombre de la France. Sans être du niveau de l’arrestation du fils d’El Chapo il y a quelques jours au Mexique : 10 militaires et 19 sicarios tués, des scènes de guerre, y a-t-il aussi une escalade de la violence, un déni de la république en France ?
L’escalade de la violence est principalement permise par la disponibilité des moyens de cette violence. À ce titre, la France est encore protégée par la relative difficulté de se procurer des armes, notamment des armes de guerre. Cela pourrait changer, en raison notamment du conflit en cours aux portes de l’Europe – comme cela fut le cas durant et après la crise des Balkans – puisque de nombreux moyens offensifs plus ou moins légers sont envoyés en Ukraine et qu’il semblerait que, pour une large part, ils ne parviennent pas jusqu’au front. Il y a eu, à ce sujet, un premier reportage de CBS, en avril dernier, faisant état de seulement 30 à 40 % d’armes arrivant à destination (voir l’article connexe ici : https://cbsn.ws/3W2bpPP). Le reportage a été censuré, parce que soi-disant pas assez sourcé ou à jour ; ce qui est comique quand on voit à quel point cette problématique de la solidité des sources est à géométrie variable dans la presse. Peu de temps après, Le Monde a fait état des inquiétudes des services secrets français à ce sujet. En août 2022, les Américains ont été obligés de dépêcher sur place un général dont l’unique tâche est de contrôler l’acheminement à bon port des fournitures militaires occidentales. Et enfin, dès octobre dernier, New Voice of Ukraine, un site que l’on ne peut guère soupçonner d’amitiés pro-Poutine, mentionnait l’apparition, dans les milieux criminels tant finlandais que suédois, d’armes à l’origine destinées au conflit contre la Russie (). Le sujet est hypersensible, donc on évite de trop en parler afin de se prémunir des questions qui fâchent, mais il y a fort à parier qu’une partie non négligeable de ces fusils d’assauts, grenades, lance-roquettes et autres instruments de mort finira un jour ici entre de mauvaises mains. Si l’on combine cette évolution probable avec l’escalade bien réelle du sentiment d’impunité et le recul général des surmois, on a tous les ingrédients nécessaires à l’avènement d’une situation à la mexicaine, dans les dix, quinze ans à venir. God bless America. Vers une nouvelle pandémie, de Plombémie cette fois ? Disposerons-nous alors de vaccins ARNm pare-balles ? Il paraît que c’est une technologie miraculeuse (sourire).
9 – Salman Rushdie, Charlie et même Samuel Paty sont des exemples assez clairs qu’on ne peut plus vraiment écrire aussi librement qu’il y a quelques années. L’auteur DOA a t-il un instant d’appréhension quand il écrit sur les milieux islamistes ou apparentés ou quand il conte avec beaucoup d’humour, le destin de petite frappe d’Adama de la Banane dans le 20ème ?
Je ne percevais pas de danger autre qu’idéologique et intellectuel quand j’ai écrit « Citoyens clandestins », du fait des courants qui traversaient alors le milieu du noir / polar en France. Pour une fois, on allait parler des barbouzes, sujet ô combien sensible dans ce milieu, sans les ridiculiser, odieux crime politique. Ma réflexion avait déjà évolué au moment de « Pukhtu ». Aujourd’hui, je crois que plus personne n’est à l’abri de rien, quel que soit le sujet, et ce pour deux raisons : d’une part, les motifs de rage ne se limitent plus au seul islam ou islamisme, ou à l’islamophobie, des tas de thématiques enflamment nos concitoyens, et d’autre part tout le monde s’exprime plus ou moins dans l’espace public, via les réseaux sociaux, y compris et surtout les jeunes générations, beaucoup moins inhibées. Tout le monde peut donc se retrouver, du jour au lendemain, pour un propos mal compris ou détourné ou même volontairement agressif, subversif, mais qui n’est qu’un propos – dans l’essentiel des cas ne tombant pas sous le coup de la loi – victime d’une attaque en règle, d’un harcèlement, d’un dénigrement, bref d’une violence virtuelle et / ou médiatique aux proportions démesurées contre laquelle il est quasi-impossible de se défendre et avec des conséquences très concrètes, professionnelles par exemple, qui vont potentiellement au-delà du seul individu visé et accable tout son cercle proche.
Ou victime d’une agression physique, peut-être mortelle, après un doxing en règle.
Est-ce que cela va m’empêcher d’écrire ce que je veux, comme je le veux ? J’ose croire que non. J’espère, si le cas se présente, avoir l’audace de continuer sur ma lancée, sans faire de concession autres que celles nécessaires à l’intrigue du roman en cours. Il y a cependant différents facteurs à considérer désormais. Le premier d’entre eux est que si la création sans compromis est une chose, la publication de cette création en est une autre, de même que sa diffusion. D’énormes pressions viennent de plus en plus souvent s’exercer sur les éditeurs et je ne suis pas certain que les générations montantes à l’intérieur des différentes maisons aient ne serait-ce que l’envie d’y résister. Un second facteur est la fin de mon anonymat. Mon pseudonyme a dissimulé mon identité réelle pendant quinze ans, mais les forces combinées de Wikipédia et de Libération ont mis un terme à cette protection ; sans mon accord, il va de soi. Il faut croire que brandir mon nom à tout bout de champ était de nature à infléchir la marche du monde. En ce qui me concerne, je ne l’ai pas encore constaté (sourire). Plus prosaïquement, si désormais, pour une raison ou pour une autre, je finis en tant qu’artiste par braquer quelqu’un, je pourrais en faire les frais dans ma vie de tous les jours beaucoup plus facilement.
Mes proches aussi et ça, c’est très ennuyeux.
J’avais anticipé tout cela lorsque j’ai décidé d’écrire sous pseudo. Dès le début, cela m’a valu des procès en paranoïa ou en complotisme ou en secrète malhonnêteté, délétère forcément (« le mystérieux DOA, barbouze, hou hou ! »). Et puis, comme l’avez rappelé, il y a eu Charlie et ensuite Samuel Paty. Un anonyme, un simple prof, qui faisait son boulot, a priori très bien, dans une école républicaine et laïque. Pour avoir montré une ou des caricatures, de simples dessins donc, on l’a DÉ-CA-PI-TÉ. Il faut prendre conscience de la réalité que recouvre ce mot, décapité : Samuel Paty a, pour des croquis tout à fait légaux, précisons-le, eu la tête tranchée, en pleine rue, en plein jour, en France, au XXIème siècle. Avec un couteau. Pas facile de faire ça au couteau. J’imagine que cela a pris deux, peut-être trois minutes. D’interminables minutes, au cours desquelles M. Paty a eu le temps de souffrir le martyre, de hurler, de se désespérer de l’absence de secours, de renforts, d’un salut extérieur, en d’autres termes de se savoir plus abandonné encore qu’il ne l’avait déjà été par l’État – retenez-le pour la suite de cette interview –, par sa hiérarchie au préalable et ensuite par les forces de l’ordre sensées le protéger au nom du pacte social et républicain. Il a eu le temps, aussi, de percevoir toute la rage de son assassin dans la brutalité de ses gestes, sans doute de ses grognements, d’effort, de colère, le temps de sentir la lame qui fouillait dans son cou, attaquait ses vertèbres cervicales, la chaleur de son propre sang, bref, le temps de se voir mourir. J’espère pour Samuel Paty que le choc de cette agression mortelle lui a rapidement fait perdre la conscience de ce qui se passait.
Il est loin d’être le seul à avoir été atteint dans sa chair. Grands ou petits, la cohorte des agressés pour très peu – dans le grand ordre des choses – commence à être fort peuplée, même si dans la plupart des cas, on n’en fait pas publicité. Dès lors, plus aucune des accusations ci-dessus ne tient, je cesse d’être un artiste un poil hurluberlu, limite zinzin. Et la question de ma liberté de création se pose de façon plus nette encore aujourd’hui, comme vous le faites si bien.
Moi, ce que je me demande, c’est si les gens de Wikipédia, qui furent les premiers à lâcher dans la nature le lien entre mon pseudonyme et mon vrai nom, bien cachés derrière des pseudos, et donc à me refuser un droit à l’anonymat qu’ils préservent pour eux-mêmes – au nom de quoi d’ailleurs, que pensent-ils défendre par cette révélation contre ma volonté ? – et, derrière eux, les journalistes qui leur ont emboîté le pas, ont conscience de la responsabilité qui est, à la seconde où ils l’ont fait, devenue la leur.
10 – Un point de détail du roman qui à force d’être présent n’en est peut-être plus un. Par des petites phrases parlant de la gêne occasionnée par les masques FFP2, de la COVID la nouvelle peste noire, de l’impossibilité de boire l’apéro le soir en France, les acteurs de « Rétiaire(s) » montrent particulièrement leur mécontentement, un écho de votre propre colère face aux directives gouvernementales dans la gestion de la crise ?
Avant de répondre à cette question, dire tout d’abord que « Rétiaire(s) » n’est pas un livre sur la COVID et que celle-ci y apparaît seulement parce que l’action se déroule durant la pandémie. Alors certes, il y a agacement de ma part, et il se ressent, visiblement, mais cela reste particulièrement léger et coulé dans l’intrigue et ses personnages en ce qu’elle les contraint, comme elle nous a tous contraints, mais n’est pas le sujet.
Ensuite, peut-être faut-il expliquer d’où je parle. Pour cela, je vous invite à lire ou relire, écouter, regarder, l’une ou l’autre, ou toutes, les références suivantes :
– La journaliste et essayiste Naomi Klein et son livre « La stratégie du choc » ().
– La philosophe et universitaire Barbara Stiegler, auteure de « De la démocratie en pandémie : santé, recherche, éducation » () et de nombreuses conférences, interventions et entretiens, comme celui-ci : .
– Et enfin le Dr Alice Desbiolles, médecin (ainsi se présente-t-elle sur Twitter, au masculin) en santé publique et épidémiologiste, qui a été entendue par le Sénat à ce sujet en février 2022 : .
Quand la situation sanitaire chinoise est devenue ou, plus précisément, a commencé à nous être présentée comme un problème mondial, une pandémie, je travaillais sur mon nazi et terminais la lecture d’une magnifique biographie d’Hitler en deux tomes () qui évoque notamment sa prise de pouvoir et le contexte de celle-ci : instabilité politique, détresse économique, sentiment de déclassement, insécurité, (re-)montée des nationalismes et angoisse générale de la population. Sur ce terreau fertile on a d’abord transformé l’angoisse en peur, ensuite on a nommé le responsable de cette peur, le juif, le communiste, le banquier cosmopolite, qu’on a déshumanisé, sous-humanisé, diabolisé, puis on a attisé la haine pour mobiliser, entraîner, galvaniser, et enfin, par l’imposition d’un dogme, avec des croyances et des règles qui ne souffraient aucune discussion, on a justifié l’arbitraire et la violence.
Un exemple de déshumanisation : « Bonne année à tous, sauf aux antivax, qui sont vraiment soit des cons, soit des monstres. » (NDLR, c’est moi qui souligne, un monstre est tout sauf un être humain, original ici : https://bit.ly/3QITf4s).
Un exemple de violence justifiée : « On peut demander à ceux qui ont les noms des non vaccinés de donner ces fichiers à des brigades, à des agents, à des équipes, qui vont aller frapper à leur porte. » (original ici : ).
Et ils vont faire quoi ensuite, ces agents ? Vacciner les gens de force en les attrapant et en les immobilisant à plusieurs, comme en Inde ? Les mettre dans des camps, comme en Australie ? Parce que les exemples ci-dessus ne sont malheureusement pas des cas isolés. Et moi, quand je commence à voir, dans les journaux, sur les chaînes nationales ou d’information continue, à des heures de grande écoute, ou sur les réseaux sociaux, la mise en place d’une véritable religion de LA Science, incontestable sous peine d’excommunication, et la stigmatisation non stop d’une partie de la population devenue bouc-émissaire, moins que citoyenne, puis la tentative de rendre acceptable la mise en place de listes de dénonciation – délation ? –, de brigades spéciales, la privation de droits fondamentaux, je me dis qu’on a un sérieux problème, qui n’est plus du tout d’ordre sanitaire.
Comparaison n’est pas raison, je le sais, toutes les circonstances ne sont pas identiques, mais les convergences restent nombreuses, qui ont justifié de constants changements de pied de la part de l’État – plus prompt à nous emmerder, nous enfermer, nous contraindre, qu’à nous protéger réellement, voir plus haut – et des commentateurs qui s’en sont fait les relais, sans le moindre recul : pas de masque, masque, même quand on est seul sur une plage ou dans la forêt, auto-autorisation de sortie (ausweis ?), pas de fermeture des frontières mais confinement individuel, c’est-à-dire repli à l’intérieur de ses frontières personnelles ou familiales, puis finalement si, fermeture des frontières, distanciation sociale, gestes barrières ridicules, pas de couvre-feu, couvre-feu, café assis, pas debout, les virus volant à hauteur d’homme, pas de passe, passe, debout, assis, couchés, debout, assis, couchés, le tout pour appuyer des solutions dont on peut quand même dire sans risque de se tromper beaucoup que leur efficacité a laissé à désirer. Sauf pour dissimuler cette autre grande faillite administrative qu’est l’hôpital public, dont l’incapacité à faire face risquait de nous sauter à la gueule, révélant par voie de conséquence la faiblesse et l’impuissance dudit État. Inacceptable.
On ne peut que s’étonner – c’est ironique – de l’absence de volonté politique et médiatique de dresser un bilan chiffré de toutes les mesures qui nous été imposées, le bon et le moins bon, d’un point de vue sanitaire (pas seulement sur la COVID, sur les autres pathologies aussi), démographique, psychosocial, éducatif, économique, alors que nous avons été noyés pendant deux ans sous des chiffres, souvent contradictoires, toujours arrangés, pour valider, dans la précipitation et l’urgence, un terrible n’importe quoi. Ce qu’on ne regarde pas, on ne le voit pas, donc ça n’existe pas, passons vite à la crise suivante.
Au risque de vous lasser, pour conclure, je vais vous en donner quelques-uns, des chiffres, mais solides et qui montrent qu’un truc au moins aura été super efficace, pendant cette pandémie :
– L’Union européenne (UE) a passé contrat pour la fourniture de 4,6 milliards de doses de vaccins anti-COVID jusqu’en 2023 inclus, soit environ 10 doses par habitant de l’UE, pour un montant de 71 milliards d’euros (source : Cour des comptes européenne, rapport spécial n°19 de 2022 : ). Pour quel résultat effectif ? À quel montant s’élèvera le gaspillage pour les vaccins qui ne sont plus recommandés et les boosters non employés ? Qui payera tout cela en fin de compte ? Et, puisque c’est à la mode, quel est le bilan carbone de toutes ces opérations de construction d’usines (surtout en Asie), de fabrication, de transport (maritime, très gourmand en énergies fossiles et polluant), de réfrigération / conservation ? Sur ces 71 milliards d’euros, la moitié est allée à Pfizer, dans le cadre d’un accord négocié en direct par la présidente de l’UE, qui a court-circuité les instances ad hoc (contrairement à ce qui s’est passé pour les autres labos, qui ont suivi la procédure normale. Cf. points 48 à 50 du rapport n°19 ci-dessus). La susmentionnée présidente, déjà poursuivie en justice dans le cadre d’une affaire de conflit d’intérêts en Allemagne, vient d’être convoquée devant le Parlement européen pour s’expliquer à propos justement des zones d’ombres de sa négociation hors des clous avec Pfizer. Par ailleurs, le Procureur de l’UE a lui-même initié une procédure au sujet de cette négociation (https://politi.co/3k81n2k). – En 2021, la société Pfizer a vu son chiffre d’affaires augmenter de 95% – donc presque doubler – et atteindre 81,3 milliards de dollars. Son bénéfice a lui aussi été multiplié par deux et s’élevait à 22 milliards de dollars (). En 2022, Pfizer anticipait un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars, dont environ 34 milliards seraient le fruit des ventes de son vaccin anti-COVID et 22 milliards celui des ventes de sa pilule anti-COVID, le Paxlovid (). Y a bon COVID !
11 – Je sais très bien que vous n’en direz rien mais je pose néanmoins la question. Pour moi simple lecteur, il me semble que l’histoire est loin d’être close et que notamment un personnage fort a passé son temps à morfler pendant plus de 400 pages et qu’on aimerait bien voir son retour. Y aura-t-il une suite à « Rétiaire(s) » ?
L’histoire pourrait s’arrêter là. Elle pourrait aussi continuer. Je crois cependant que, puisque mon nazi s’impatiente, il faut d’abord s’occuper de lui.
12 – Une B.O pour Rétiaire(s) ?
Au lieu d’un morceau de rap contemporain, par exemple « TP » de Soso Maness () ou « Mannschaft » de SCH (), évoqué dans le roman, je préfère revenir en arrière et suggérer « Cocaine » de JJ Cale (.
Merci à DOA.
Clete.
Entretien réalisé par échange de mails mi-janvier 2023.
Il y a eu bien sûr l’épisodeLykaia sur le BDSM en 2018 mais on était nombreux à attendre le DOA de Citoyens clandestins et de Pukhtu. Les années noires COVID auront eu au moins un effet positif puisqu’elles auront bloqué l’auteur dans ses recherches sur l’histoire d’un officier nazi en France. En attendant, DOA est donc revenu vers le Noir, ses premières amours et des univers où depuis de longues années, il nous séduit par la puissance de sa plume, son art à nous montrer le côté obscur, l’underground sans filtre.
“Une enquêtrice de l’Office anti-stupéfiants, l’élite de la lutte anti-drogue, qui a tout à prouver.
Un policier des Stups borderline qui n’a plus rien à perdre.
Un clan manouche qui lutte pour son honneur et sa survie.”
Un roman de DOA est difficile à résumer et je ne m’y risquerai pas plus que la Série Noire très minimaliste dans sa quatrième de couverture. Disons que très globalement si Pukhtu parlait de la guerre en Afghanistan, Rétiaire(s), lui, parle de la drogue en France, une autre guerre. On connaît la rigueur de DOA, sa volonté que certains trouvent farouche de se montrer inattaquable sur ce qu’il montre, raconte et on retrouve tout cela dans une intrigue très riche sur le trafic de came en France à différents niveaux. Tout d’abord l’internationale de la came avec les nouvelles routes de transit, des états bandits comme la Bolivie, la Mauritanie, beaux pays où, même en rêve, on n’a pas envie de séjourner. Ensuite, le trafic sur le pays avec une famille de trafiquants manouches de la région parisienne qui a maille à partir avec la concurrence et les forces de police et de gendarmerie, soldats de l’ombre, qui luttent avec leurs moyens et leurs limites et enfin, les sentinelles et spadassins de bas étage de la Courneuve et du quartier des amandiers du XXème.
L’histoire fait intervenir de nombreux personnages avec qui il faudra se familiariser au départ, effort nécessaire, on n’est pas dans un énième thriller à deux balles. Heureusement, l’annexe en fin d’ouvrage, avec ses deux entrées la loi et le crime, permet de bien ancrer s’il le faut, les différentes factions, organisations qui gravitent en périphérie de cette histoire. Par ailleurs, un glossaire regroupant acronymes, abréviations, services de police et judiciaires préserve un liant, une certaine urgence à l’intrigue.
Côté personnages, certains offrent tellement de facettes et de possibilités qu’ils ne peuvent pas avoir été créés pour un simple “one shot”. On pense à la jeune Lola, côté crime et à Théo Lasbleiz le Finistérien (tueur de loups en breton) flic des stups qui a perdu femme et fille exécutées et occupant cette place de guerrier solitaire incontrôlable qu’on a déjà rencontré un peu chez DOA autrefois sous les traits de Lynx. Pas de réelle barrière entre le bien et le mal, des personnalités complexes animées par des désirs et des volontés antagonistes.
L’intrigue est béton, le roman vous saute à la gueule dès le prologue, du DOA quoi, vous savez déjà … mais le plus effrayant, c’est peut-être ce qui apparaît en filigrane, au détour des pages, ce que vous découvrirez entre les lignes ou à travers une petite histoire comme celle d’Adama de la Banane…DOA a toujours déclaré n’émettre aucun avis, aucune opinion, néanmoins, il dresse parfois, mine de rien, un tableau assez inquiétant de la France de 2021.
Superbement construit avec des interludes qui permettent quelques respirations, Rétiaire(s) était à l’origine, en 2006, un projet de série refusée par France Télévisions. Dommage ! Avec cette loupe sur le travail de fourmi des flics, les filatures et les écoutes ainsi qu’une étude sociétale très forte comme on retrouve dans toutes les productions de David Simon, cela aurait pu devenir une sorte de The Wire à la française très crédible. Mais, de manière je le reconnais très égoïste, le malheur de DOA à l’époque fait notre bonheur aujourd’hui.
Last but not least, l’histoire est loin d’être bouclée…
“Benny Griessel et Vaughn Cupido, ravalés au rang d’enquêteurs de base pour avoir enfreint les ordres de leur hiérarchie, soupçonnent leur punition d’être liée au meurtre en plein jour d’un de leurs collègues et aux lettres anonymes qu’ils ont reçues récemment. Mais ils n’ont pas le loisir d’approfondir la question car on les charge d’élucider la disparition de Callie, brillant étudiant en informatique.
Dans le même temps, Jasper Boonstra, milliardaire et escroc notoire, confie à une agente immobilière accablée de dettes la vente de son prestigieux domaine viticole. Conscient que la commission de trois millions de rands réglerait tous les problèmes de la jeune femme, l’homme d’affaires exerce sur elle un chantage qui la met au pied du mur.
A priori, il n’y a aucun lien entre les deux affaires, sauf le lieu, Stellenbosch, au coeur des vignobles du Cap. Mais lorsqu’elles convergent, la cupidité se révèle être leur moteur commun.”
Je ne suis pas le plus grand fan de l’auteur sud-africain, je tiens à le souligner avant d’être taxé de subjectivité devant les éloges que je pourrais faire sur ce Cupidité qui est de très loin ce que j’ai lu de meilleur chez Deon Meyer. Ce peu d’appétence vient surtout de ces histoires lassantes d’anciens combattants de l’ANC de Mandela et aussi peut-être parce que j’avais deviné beaucoup trop rapidement le coupable dans un de ses premiers romans. C’était un très mauvais signe, étant souvent très crédule dans mes lectures.
Cupidité, par contre, est un excellent thriller combinant deux intrigues dans deux domaines du polar très différents. La première avance assez tranquillement après un départ digne d’un épisode de Fast and furious, technique d’écriture classique du thriller où on en met plein les yeux au lecteur, on le secoue d’emblée pour ensuite dérouler plus tranquillement en commençant par les problèmes professionnels et domestiques de Griessel et Cupido. Si vous êtes des fans de sa doublette de flics, vous pouvez être émus par leur destitution en flics lambda. Même si ces deux gars-là sont sympathiques, ils sont quand même loin affectivement, pour moi, d’un duo Robicheaux/Purcel. Leurs problèmes domestiques un peu plaqués pour montrer leur humanité permettent de reprendre un peu sa respiration: dans le précédent une attente d’accord de prêt pour un achat de bague pour la fiancée d’un des deux (je les confonds un peu), dans celui-ci le régime amaigrissant de l’autre et ne nuisent cependant pas à la qualité d’une superbe intrigue sur une disparition. L’investigation fouillée, minutieuse, patiente mais passionnante se révèle un vrai régal pour les amateurs.
La seconde intrigue s’inscrit dans un méchant jeu du chat et de la souris entre un homme d’affaires puissant, riche et ordure notoire et Sandra, une jeune agente immobilière surendettée et tout au bord du gouffre. On est là dans le polar psychologique mais de haut vol. On sent le piège, Sandra aussi, mais la belle se croit plus forte…
Meyer passe d’une intrigue à l’autre, au départ de manière très tranquille, puis le rythme s’affole vers la moitié du roman. Les intrigues rebondissent et se rejoignent de fort belle manière pour aller vers un final commun mais néanmoins avec un traitement différent pour chacune, l’une d’entre elles restant même sur des points de suspension.
Deux intrigues brillamment menées, pas de temps mort, du très bon polar.
Lundi 21 novembre à 10 heures, au 7 de la rue Gallimard à Paris, ont été présentés aux libraires parisiens, les percutants programmes de la Série Noire et de la Noire pour l’année 2023. Un bien bel endroit à l’ambiance feutrée, un haut-lieu de la littérature française.
Stéfanie Delestré et Marie Caroline Aubert, éditrices des collections étaient présentes : Stéfanie Delestré était accompagnée par tous les auteurs français qui ont dévoilé leurs nouveaux romans dans un exposé d’une dizaine de minutes chacun, l’éditrice ajoutant, par ailleurs ses propres commentaires. Marie-Caroline Aubert a introduit avec talent et humour les auteurs étrangers qui seront au catalogue, on salive déjà mais on en reparlera plus tard avec elle, elle a promis !
Concernant les auteurs français, en 2023, la SN sort l’artillerie lourde… que des quinquas expérimentés qui ont déjà montré leur valeur… Manquent peut-être quelques plumes féminines. Néanmoins, ça a méchamment de la gueule :
Thomas Cantaloube, Marin Ledun, Caryl Ferey, Antoine Chainas, DOA, Olivier Barde-Cabuçon, Jacques Moulins, Sébastien Gendron et Pierre Pelot (absent mais ayant laissé un message de présentation).
Bien sûr, on vous reparlera de ces romans au moment de leur sortie, mais voici déjà quelques mots sur chacun d’entre eux, quelques notes griffonnées à partir des dires des auteurs.
Par ordre de sortie dans l’année et sans commentaires partisans malgré l’envie qui tenaille.
BOIS-AUX-RENARDS (contes, légendes et mythes) deAntoine Chainas
Roman situé dans la vallée de la Roya en 1986, aux débuts de la consommation de masse. Un couple tue des femmes pour ses loisirs mais une gamine est témoin d’un des meurtres. Un roman noir teinté de fantastique (mythes et contes).
Roman sur la lutte contre le trafic de stups et très proche d’un roman procédural avec une lutte entre les services de police. Roman familial, les liens du sang et les thèmes de la vengeance et de la responsabilité.
A EUROPOL, un fonctionnaire cherche à faire reconnaître le terrorisme d’extrême-droite, inquiet sur ce qu’est en train de devenir l’Europe braquée sur la menace islamique, oubliant la lente et sûre montée de l’extrème droite. Dans le viseur, l’Italie.
HOLLYWOOD S’EN VA EN GUERRE de Olivier Barde-Cabuçon.
1941, Charles Lindbergh, l’engagement de Hollywood pour l’entrée en guerre des USA. Un hommage au cinéma noir et blanc et à Chandler avec une détective de choc Vicky Malone.
Roman proche des Visages écrasés sur les techniques de vente et de consommation mais dans le contexte nigérian. Par l’enquête sur l’assassinat de deux jeunes prostituées, on découvre le Nigéria et les expérimentations que peuvent se permettre les grandes firmes internationales pour vendre leurs produits, et en l’occurence ici, de la bière.
On retrouve les trois personnages de sa série sur les années 60 et on fait un bond de cinq ans dans le temps pour se rendre en Guadeloupe où le département d’outre mer ressemble plus à une colonie qu’à un territoire de la république. Une manifestation contre la vie chère est réprimée dans le sang.
L’auteur de plus de deux cents romans dont “l’été en pente douce” revient à ses premières amours, le western.
A la fin de la guerre de sécession, quatre sœurs sont victimes d’une bande de hors-la-loi.L’une meurt et les trois autres vont arpenter l’Arkansas et le Missouri pour se venger. Roman très violent.
Un citoyen britannique s’installe en Charente Maritime orientale. Les relations avec les autochtones et notamment les chasseurs vont vite se détériorer.
Comme l’an dernier, la Série Noire devance la rentrée littéraire en offrant une nouveauté d’un grand auteur de leur catalogue, dès le 11 août quand la plupart des Français sont en vacances et donc tout à fait dispos pour un petit polar. Malin, une réussite sans doute puisque l’opération est réitérée.
L’an dernier, on n’a pas parlé de La femme au manteau bleu de Deon Meyer, sorti au milieu du mois d’août, qui était une grosse escroquerie de l’auteur sud africain, une pauvre nouvelle gonflée comme on peut avec problèmes avec la banque d’un des héros, une deuxième intrigue à laquelle on cesse de s’intéresser au bout de trois pages et un coupable très, très vite découvert.
Ici, point d’arnaque, Nesbo nous offre sept nouvelles autour du grand thème de la jalousie même si la vengeance, une des conséquences, est peut-être plus présente. Il ne semble pas que Nesbo nous fasse le fond de ses tiroirs. Certaines histoires sont tout simplement allées au bout de leur possible prolongement et d’autres illustrent une idée toute simple.
Nesbo, poids lourd mondial du polar, n’est pas célèbre pour ses nouvelles mais bien pour des polars copieux. Du coup, votre appréciation de ces courts écrits pourra varier selon le cadre. Moi, par exemple, je n’en pouvais plus de Phtonos et de ses pages sur l’escalade dans une histoire de gémellité bien trop prévisible. Vous verrez, vous mettrez dix ans de moins que le flic à comprendre l’affaire. Londres, par contre, démarrait très bien et méritait bien plus qu’une quasi anecdote. Mais, dans l’ensemble c’est du Nesbo, c’est pro, parfois surprenant. Le suspense est bien géré et on ne s’ennuie jamais ou presque.
« Aucun remède à la jalousie sinon le temps ou la vengeance, à chaud ou calculée.
Autour de Phtonos, longue nouvelle démoniaque dont l’ambiguïté perverse aurait ravi Patricia Highsmith, six récits illustrent la jalousie meurtrière : du raffinement de la bourgeoise hitchcockienne aux atermoiements de l’auteur à succès installé à l’étranger ; de la pulsion primaire de l’éboueur bafoué à la résignation blessée d’une petite vendeuse issue de l’immigration ; de la préméditation froide du photographe d’art raté à la ruse d’un chauffeur de taxi humilié par sa femme.”
Alors De la jalousie était parfait pour compléter le cahier de sudoku ou de mots fléchés des vacances d’août. Parfait pour la plage, parfait pour un séjour chez la belle-mère aussi et vital pour la plage avec la belle mère. On est en septembre je sais, vous voyez…
Traduction: France-Marie Watkins, révisée, complétée et préfacée par Benoît Tadié
On connait bien sûr Horace McCoy pour son premier roman paru en 1935 et traduit ici en 1946, On achève bien les chevaux . Comme beaucoup d’auteurs américains de cette époque pionnière du roman noir et du polar, il a également publié un certain nombre de fictions courtes, notamment dans la revue Black Mask . Dont celles qui nous intéressent dans ce beau volume. Ce que l’on sait moins, c’est que McCoy a été dans l’aviation de chasse durant la Première Guerre mondiale. Cette période de sa vie est une partie du matériau de départ de ces pages.
Quelqu’un a un jour écrit qu’une enquête criminelle bien faite est composée d’un tiers de chance, d’un tiers de travail ardu et d’un tiers d’intuition. Les plus grands détectives mettent à égalité l’intuition et la chance, considérant l’une aussi importante que l’autre.
Jerry Frost n’était pas un savant, ni un criminologue, et, au sens technique du terme, il n’était pas du tout un détective. Mais jusque-là il avait eu pas mal de chance, il était tout à fait disposé à travailler dur et il savait que son intuition l’avait tiré de plus d’un mauvais pas.
Et il allait pouvoir s’en servir cette fois. Il s’en redit compte une heure après avoir quitté le chef de la police de Jamestown.
Il vit quelque chose qui fit tilt dans son esprit ― sans doute possible. C’était le côté incroyable de l’idée qui l’avait convaincu.
Le premier texte, paru en 1929, est l’occasion de rencontrer Jerry Frost, capitaine des Air Rangers texans, ex-aviateur dans le ciel français de la première guerre au sein de l’escadrille La Fayette, puis présent sur d’autres ciels de guerre. Il se retrouve sur un aérodrome à enquêter au sujet de deux affaires de braquages spectaculaires. À cette enquête se mêlent ses souvenirs : une brusque possibilité de vengeance point au même moment. D’intuitions en rebondissements, de cascades en rafales de mitrailleuse, les criminels se retrouvent menottes au poignet, dans le meilleur des cas, le tout en une quarantaine de pages. Dès la deuxième, s’ajoutent Les Fils de l’Enfer, quatre pilotes (américains, anglais et allemand) vétérans eux aussi, cascadeurs pour Hollywood. Ils s’engagent dans la Patrouille du Sud des Air Rangers de Jerry Frost afin de surveiller la frontière avec le Mexique et pour combattre le puissant et tentaculaire gang des avions noirs qui sévit de chaque côté du Rio Grande.
Dans ces histoires, pas de poursuites en bagnoles en plein Chicago ou de duels de cowboys dans une ville désertée, mais plutôt des loopings, des descentes en piqués, de véritables chasses dans le grand ciel texan. McCoy sait y faire pour rendre vivants, concrets, ces combats aériens, jusqu’à nous donner le vertige ou nous effrayer quand la toile des ailes se déchire, quand les mitrailleuses crépitent de tous côtés. Quelques incontournables de l’Ouest américain ne manquent pas à l’appel : attaque de train, braquage de poste, trafic de bétail, etc.
Plus on avance, plus l’ambiance générale s’assombrit, comme dans cette quatrième histoire, Le petit carnet noir , dans laquelle Frost et sa troupe font le coup de poing et de flingue avec la pègre de Jamestown et des flics locaux bien corrompus. Histoire qui démarre par une bagarre dans un boîte de nuit pour se terminer par un atterrissage forcé en hydravion.
La cinquième histoire, Frost chevauche seul , marque un pas dans l’évolution du livre. D’une part Frost est mis à mal et se retrouve dans une posture fâcheuse, et d’autre part apparaissent les premières femmes des « Rangers du ciel ». Dont une certaine Helen Stevens, journaliste, qui disparaît alors qu’elle se trouve avec Frost dans un bistrot mexicain. Cette aventure fait basculer dans le polar ces histoires qui pour le moment relataient surtout les exploits des Fils de l’Enfer et de Jerry Frost. Les héros au grand cœur descendent subitement de leur piédestal et le récit prend une épaisseur jusqu’alors inédite, au plus grand bonheur de ma lecture.
― Ce soir, Eddie, on va faire une descente chez Singleton, dit Jerry. L’heure de la fermeture a sonné pour eux. Je leur ai dit, et ils n’ont même pas dit peut-être. Ils ont carrément dit non. Donc on va le faire pour eux.
Ce soir-là, à dix heures et demie, les cinq hommes bouclèrent leur ceinture de pistolet, cinq hommes dont le maître était la loi ― au-dessus de la terre et sur terre.
― On n’y va pas pour rigoler, dit Frost. Si ça tourne mal, visez entre les deux yeux. Et restez ensemble. Andale !
Le style d’écriture de Horace McCoy est offensif, comme ses confrères de l’époque il laisse la psychologie des personnages au vestiaire. De l’action à fond en permanence, rythmée par des dialogues dynamiques, dans un décor planté en deux phrases et pourtant d’une précision horlogère, voilà ce qu’on lit dans cette suite de quatorze histoires d’une cinquantaine de pages, pas vraiment des nouvelles ni un roman, plutôt des feuilletons relativement longs qui s’inscrivent dans la tradition de la littérature populaire américaine publiée dans les pulps magazines.
Contrairement à ses contemporains, je pense à W.R. Burnett par exemple, H. McCoy conçoit ses personnages de façon très manichéenne. Jerry Frost et ses Fils de l’Enfer sont des héros sympathiques, très positifs, presque exemplaires, du genre qui s’arrêtent au passage clouté ou montent aux arbres pour redescendre le petit chat de mamie ; alors qu’il n’y a vraiment rien à récupérer des membres du gang des avions noirs.
On peut aussi trouver quelques incongruités à ces personnages et grincer un peu des dents. La quasi absence des femmes bien que les clichés soient bien présents, l’inexistence des Afro-américains et le mépris avec lequel sont traités les Mexicains sont typiques de l’époque. Il faut bien garder en tête que ces textes ont été publiés il y a 90 ans et qu’on y trouve toute la matière nécessaire pour construire de bonnes aventures : crime organisé et fausse monnaie, contrebande et corruption, et bien sûr assassinats, avec enquêtes, indices, arrestations et condamnations.
Les Rangers du ciel n’est pas un chef-d’oeuvre, et telle n’était probablement pas l’ambition de l’auteur, par contre ce volumineux recueil se révèle être une lecture bien plus que plaisante, les histoires sont solides et on s’attache rapidement à certains personnages. C’est déjà beaucoup, et comme le dit la devise The Rangers always get their man !
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