Les requins infestent le noir et les dents de l’amer s’invitent en filigrane. Le futur est proche, la nature sournoise mute, mord, se venge… Et la science fictionne en corollaire, soulignant au passage nos questions écolos présentes. Non, ne fuyez pas, Sébastien Gendron n’est ni un moine de l’apocalypse vegan ni un donneur de leçon incapable d’en recevoir. Le garçon est plutôt coutumier de l’humour acide et du préambule qui vous tranche une carotide aussi sûrement qu’une entrecôte joliment persillée. Ici, ce sont donc des océans martyrisés par l’homme qui ont redonné vie aux effrayants mégalodons, jusqu’à leur attribuer le trône d’un monde marin désormais interdit de pêche, de croisière, de transport maritime, d’épuisette et de bigorneaux. La moindre trempette de plage vous expose aux crocs acérés de ses squales géants revenus des âges farouches comme dirait Rahan. Seule la Méditerranée, obturée par de gigantesques herses et ainsi préservée du cauchemar, demeure le pédiluve paradisiaque où barbotte tout le gotha de la planète.  

Bref, on se doute bien que les barreaux de la cage dorée ne résisteront pas longtemps aux assauts conjugués des bestioles et de l’imagination fertile de l’auteur. À partir de là, tout part à vau-l’eau (c’est le cas de le dire) pour une galerie de personnages hauts perchés mais solidement tenus en rappel sur une trame échevelée de roman d’aventure. Ponctué de digressions plus ou moins baroques, incongrument franquistes ou monégasques, le ton est à la fois distrayant et addictif, agréable donc, sans être anodin pour autant. On y prend même un ticket pour une visite commentée de galerie d’art. On s’égare aussi bien dans l’espace que dans les tréfonds des océans, voire de l’humanité. On croise un lion, des gnous. Un camion percute des zèbres sur les hauteurs de Provence et Rosebud prend un aller simple pour l’Île d’Elbe.

Autant dire que le récit bifurque à tout-va, démonté en plans-séquences rugueux et rythmé à la Tarantino, jusqu’au chaos, la destruction, la colère des cieux, le chambard, le boxon. La fin, quoi. Pour le sérieux on repassera, mais pour une petite récréation cette Fin de siècle tiendra son rang de divertissement foutraque, de fantaisie rouge sang. C’est amplement suffisant pour hisser le livre sur le rayon des ouvrages fréquentables. 

JLM