Ça aurait pu s’intituler Les Hébétés meurtriers ou L’Eté en pente raide. Ça aurait pu s’intituler Vol au-dessus d’un nid de crétins aussi. Pas un personnage pour rattraper l’autre : tous bourrins, tous pourris. Tous sordides et de biais.

Au centre de l’affaire, des cicatrices et un contentieux inextinguible entre Thomas Bonyard et Max Dodman. Le premier a vu sa vie et sa tronche froissées par le second, qui tient aujourd’hui un garage-motel miteux où converge un essaim de tarés, au fin fond de nulle part. Ne cherchez pas trop à localiser Roquincourt-sur-Dizenne ni son causse désertique autant que déserté par les esprits sains. Sachez juste que si d’aventure vous pensez avoir franchi les frontières des trois dimensions usuelles et du monde civilisé, c’est que vous pourriez bien être arrivés à destination.
Tout part donc d’une sombre histoire de vengeance mitonnée à froid, avec une gueule ravagée et d’injustes lustres de mitard sur l’ardoise à apurer. En une sorte de huis-clos déjanté, Sébastien Gendron nous tire une nouvelle fois vers les bas-fonds de l’humanité, là où s’affrontent le moche et le encore plus moche. Avec son pessimisme souriant (« Il faut moins s’inquiéter du monde qu’on laisse à nos gosses que des gosses qu’on laisse à notre monde. ») et après son déjà sévèrement branque Fin de siècle, entre détraquement climatique et dérèglement des cervelles à l’unisson, il persiste à retourner la lie du monde en un dérapage provincial et incontrôlé.
Thomas retrouve donc Max, après des années de quête, mais une kyrielle de seconds couteaux grippe les soupapes de ses représailles. La mécanique s’enraie. Dans un garage, avouons que c’est con. Mais porté par des tournures aussi drôles qu’acides, tout finira par rentrer dans le désordre. Sans trop s’éloigner du sujet, on pense à un western de Sergio Leone tourné dans une clinique psychiatrique à l’abandon. De la poussière, une végétation rabougrie, des chevaux moteur, des vilains bas du front et Thomas dans le rôle d’un Clint Eastwood esquissé de travers, voire d’un Charles Bronson sans biceps pour certaines scènes rappelant Il était une fois dans l’Ouest, rebaptisé pour la circonstance Il était toutefois à l’Ouest. Il est d’ailleurs aussi question de cinéma ici, mais pas vraiment celui du tapis rouge cannois ou des salles d’art et essai, plutôt celui des julots casse-croûte et de l’exploitation de gamines de l’Est.

Véritable bestiaire du bipède tordu, ce Chez Paradis noir, goguenard et joliment rythmé, fait d’une station-service l’improbable cour des miracles où se fracasse un bon nombre de pathologies contre toutes leurs antinomies induites. Ça ne peut pas se conclure en douce, pas autrement qu’en un bouquet final tout feu tout plomb.

JLM