On avait beaucoup aimé “Les initiés” et “En pays conquis” et c’est avec un plaisir non feint que l’on retrouve Thomas Bronnec qui a changé d’éditeur mais dont le talent reste intact pour le plaisir des amateurs d’une littérature qui cogne, sans compromission, là où ça fait mal, un peu comme Dominique Manotti ou DOA. On est ici dans le Noir mais très loin du polar, c’est peu démonstratif mais très explosif, dangereux.

Les Initiés, parus en 2015, illustraient le pouvoir de la finance et son impact sur la vie politique. En pays conquis, paru en 2017, trois mois avant l’élection présidentielle, mettait en scène le pouvoir de l’ombre, celui des conseillers qui gravitent autour des hommes et des femmes politiques, jusqu’à faire basculer le destin d’un pays. La meute s’attache à évoquer la relation de fascination et de haine entre le pouvoir politique et le pouvoir médiatique, dans un société transformée par les réseaux sociaux et les mouvements #MeeToo et #BalanceTonPorc.” déclare Thomas Bronnec dans une note de lecture. On est donc sûr maintenant que le Brestois s’attache bien à une uchronie politique de longue haleine, roman après roman. Il serait vain d’espérer y rencontrer Macron ou les membres de l’actuel gouvernement. On n’est pas dans le racolage ici, d’autres ne se sont pas gênés… Chaque roman de Thomas Bronnec analyse, ausculte, dissèque, un aspect méconnu de la vie politique française en partant d’une situation fictive créée par l’auteur: la finance puis les conseillers dans les deux premiers romans et le pouvoir médiatique, entre autres, avec “la meute”, roman de grande portée.

“Un vieux président défait qui n’arrive pas à décrocher et prépare son retour à l’occasion des prochaines élections : François Gabory. Face à lui, Claire Bontems, une jeune ambitieuse qui, profitant du vide politique dans une France qui a voté pour la sortie de l’Union européenne, tente de faire main basse sur la gauche radicale en passant par-dessus les appareils politiques, aidée par Catherine Lengrand, la soeur de François Gabory.”

François Gabory et Claire Bontemps sont les deux visages opposés d’une gauche qui tente de prendre le pouvoir. D’un côté le vieux socialiste qui s’est facilement accommodé du libéralisme, vieux baron, ancien président, suzerain d’un monde où le droit de cuissage était légitimé, sorti gagnant  du parcours ad hoc: sciences po plus ENA, légitimé par ses pairs… De l’autre, une quadra, éclose loin du sérail, apôtre d’une gauche dure égalitaire, loin des appareils des partis. “Elle est excellente parce qu’elle est divertissante. C’est une héroïne de la téléréalité. Elle en a la blondeur et le QI, elle en a le physique et le parler. elle est en phase avec l’époque.” Deux visions de la politique vont s’affronter, deux façons de vivre, de penser, deux mondes: les salons cossus de Gabory et les réseaux sociaux de Bontemps. Dès le début de l’affrontement entre les deux candidats, l’auteur s’attache à montrer le microcosme de chacun, les sentiments, les hésitations et les certitudes, les alliés politiques, les journalistes inféodés ou ralliés, le grand cirque à venir est finement préparé.

 Et puis ça tombe… La rumeur naît, insignifiante, inaudible au départ et puis de plus en plus accessible par les réseaux sociaux. Personne ne croit à son pouvoir ravageur, à sa crédibilité et pourtant…elle va mettre le feu. La rumeur comme instrument politique majeur, dans la réalité aussi, il va falloir s’y faire. L’instrumentalisation des médias, l’influence des électeurs, les fake news, des techniques qui ont, semble-t-il, été déjà testées pour l’élection de Trump et pour le référendum du brexit sont ici évoquées, montrées, expliquées dans une fiction qui fait froid dans le dos,miroir horrible de notre réalité. “Les réseaux sociaux ont fait changer ces rumeurs de dimensions. Avant, elles finissaient par s’envoler et se perdre dans le temps qui passe. Maintenant, le fait de les voir écrites, ou pire de voir des images qui semblent les confirmer, le fait qu’elles puissent se diffuser aussi largement et aussi facilement, tout cela ne laisse aucune chance à la victime. Qu’elle garde le silence ou qu’elle démente, ça ne change pas grand chose.

Un peu comme dans l’air de “la calunnia”  du divin Rossini, le roman progresse sous la forme d’un magistral crescendo mariant à la perfection le public et l’intime. Mais cet hallali, cette curée, ce deguello ne sauraient suffire pour présenter le roman. La mère, la groupie, la candidate, l’épouse, la soeur, l’amie, la conseillère, la technocrate, la journaliste autant de femmes racontées et qui seront les réels dangereux détonateurs d’une intrigue très, très pointue.

Puissant, militant et important.

Wollanup.

PS: entretien avec l’auteur en cours de réalisation.