Légitime démence est le quatrième polar de Laurent Philipparie criminologue et commandant de police mais également son premier dans la collection Actes Noirs d’Actes Sud.
« Une opération de police vire au cauchemar. Le capitaine Thierry Bar tue le leader des « Servants de Gaïa », premier groupe écoterroriste français. Quand sa supérieure et amie, Catherine Novac, suspecte une bavure, il n’a d’autre choix que de l’exécuter elle aussi…Traqué par toutes les polices du pays, et prêt à tout pour accomplir une mystérieuse mission, Bar élimine un à un les membres du groupuscule terroriste. L’enquête est confiée au commissaire Nicolas Novac, frère de la commandante assassinée, qui, guidé par une experte des mouvances écoguerrières, met au jour un effroyable secret… »
Ce roman de Laurent Philipparie plaira certainement à tous les amateurs de thrillers explosifs où les situations chaudes et les coups de théâtre, très impressionnants, s’enchaînent pour créer une addiction certaine. De par sa fonction, l’auteur dresse un tableau assez cinglant de la police, de l’inertie dans sa lutte contre la criminalité handicapée par une hiérarchie et des politiques adeptes du principe du « pas de vagues ». C’est une police désabusée, déconsidérée, désarmée qui est confrontée à une criminalité de plus en plus diversifiée et insaisissable. L’exemple le plus frappant de ces nouveaux maux qui nous guettent est ici l’écoterrorisme ; ces écoguerriers qui, sous couvert de protection de la planète et des animaux, s’attaquent aux humains, fomentent des complots et pourraient presque faire passer Poutine et Trump pour de jolis plaisantins. Sont contés des groupuscules fictifs mais aussi des organisations réelles ayant pignon sur rue et dont les desseins et les vues sur l’humanité sont particulièrement terrifiants.
Si on peut trouver que la figure du mal combattue ici par le commissaire Novac possède quand même beaucoup de talents pour une seule et même personne, il n’empêche que l‘histoire ne souffre d’aucun temps mort et apporte son lot d’enseignements sombres qui donnent à réfléchir.
L’an dernier, on vous avait proposé La méthode sicilienne, l’avant dernière enquête de Montalbano, le flic d’Andrea Camilleri, très grand auteur italien décédé en 2019 et dont on vous a déjà parlé plusieurs fois au cours des années.
L’écrivain a beaucoup écrit et on le retrouve dans le catalogue de plusieurs éditeurs français comme Métailié ou Fayard, mais sa plus grande réussite reste le cycle Salvo Montalbano, 30 volumes dont deux encore inédits chez nous. Montalbano a eu le droit à sa série TV (8 saisons) qu’on a pu voir sur France 2 à une époque et qu’on peut retrouver aujourd’hui sur Polar+.
Riccardino est le dernier de la série. Ecrit en 2004, 2005, cet épisode semblait boiteux pour Camilleri. En 2016, il l’a retravaillé afin de donner une issue à la saga Montalbano. Evidemment, cette ultime histoire s’adresse en priorité aux connaisseurs mais peut, éventuellement, donner envie de plonger un peu plus dans l’univers un peu foutraque et délicieusement sicilien du commissaire. En effet, si les enquêtes sont souvent de première bourre avec une réelle investigation, dans un commissariat où Montalbano a vraiment beaucoup de mal avec ses adjoints à la comprenette très limitée, la vraie star de la série c’est la Sicile, ses senteurs, ses odeurs, son soleil, ses gens et sa mafia évidemment. Ajoutons que la traduction des enquêtes de Montalbano, utilisant un parler sicilien très particulier, a toujours posé problème. En France, le talent et le travail du traducteur exclusif pour la France Serge Quadruppani (journaliste, écrivain, traducteur et essayiste) , en gardant beaucoup du dialecte et des régionalismes siciliens, ont contribué de manière conséquente au charme des frasques du commissariat de Vigata, ville imaginaire inspirée de Porto Empedocle.
« Il y eut un crime et Montalbano le résolut. Ou bien… Dans cette ultime enquête, plus que jamais, les apparences sont trompeuses. Quatre amis se retrouvent dans la tourmente à la mort de l’un d’entre eux. Quand il apparaît que ce Riccardino partageait beaucoup plus qu’il n’est en général partageable avec ses meilleurs amis, la conclusion de l’affaire semble s’écrire d’elle-même. Du moins c’est ce que voudrait l’Auteur, s’invitant dans l’histoire par un tour pirandellien, au grand dam du commissaire. Mais Montalbano ne serait pas Montalbano s’il s’en laissait conter, même par son propre créateur. Montalbà, la scène est à toi ! »
Riccardino n’atteint pas tout à fait les sommets de certaines enquêtes, mais il était difficile de passer outre la dernière de Salvano Montalbano. Surtout, cette conclusion nous permet de remercier Andrea Camilleri pour toutes ces grandes heures passées sous le soleil sicilien.
« L’incontrôlable Clete Purcel retrouve sa Cadillac pillée par un gang lié au trafic de drogue. Il se sent personnellement atteint car sa petite nièce est morte d’une overdose de fentanyl. Il va partir en croisade avec son fidèle ami Robicheaux et mettre au jour une affaire autrement plus complexe et dangereuse. »
James Lee Burke est le meilleur auteur de polars vivant. Souvent imité, jamais égalé, le vieux Texan année après année nous sort un nouvel épisode d’une de ses deux séries. La première suit la famille texane Holland à diverses époques de l’histoire très tourmentée de l’état dont est originaire James Lee Burke. La seconde série qui nous intéresse aujourd’hui, la plus populaire, l’immanquable, l’inimitable est consacrée à « Belle Mèche » Dave Robicheaux, Cajun pur jus, flic par intermittences à New Iberia au fin fond du bayou louisianais. Cette série se compose de vingt-quatre histoires où Robicheaux combat le Mal aidé de Clete Purcel, son fidèle ami depuis leurs débuts ensemble au NOPD, la police de la Nouvelle Orleans. Robicheaux est parti s’installer ensuite dans le bayou pendant que Clete Purcel entamait une carrière de détective privé dans la fournaise de la Big Sleazy. Pour autant, la séparation n’a pas nui à leur amitié, »podnas » pour la vie.
En 2019, Burke avait sorti un roman simplement intitulé Robicheaux censé se centrer sur Dave, un focus qui s’était avéré vain tant la série est déjà centrée sur lui, le clone littéraire de son auteur… Signalons que Robicheaux a été interprété à l’écran en 1996 par Alec Baldwin de manière très anecdotique dans Vengeance froide inspiré de Prisonniers du ciel, le deuxième volet de la saga où se crée vraiment le mythe Dave Robicheaux. Tommy Lee Jones a revêtu aussi le costume du flic de New Iberia qui lui allait impeccablement, magnifié par la caméra du grand Bertand Tavernier dans In the Electric Myst, adaptation du petit bijou Dans la brume électrique avec les soldats confédérés, une des rares histoires dont Clete Purcel est absent.
Consacrer cet opus à Clete Purcel semble être une idée bien plus réjouissante. Et elle le sera particulièrement, mais reconnaissons que les fans de l’auteur vivront également des hauts mais aussi des bas, alternant le meilleur et le moins bon de Burke… et chacun mesurera sa tolérance, sa bienveillance face aux erreurs commises par le meilleur d’entre les meilleurs sur cette histoire. Mais consacrons-nous à ce Clete Purcel, électron libre aux tendances psychopathes avancées, brute épaisse se fondant en gros nounours pour les femmes en difficulté, une énigme et un danger.
Clete tel qu’il se présente au début : « Dave ne deshonora jamais son insigne, moi, si. J’ai accepté des pots-de-vin de la mafia, j’ai buté acidentellement un témoin fédéral, j’ai dû me tirer vite fait de Big Sleazy et rejoindre les gauchos au Salvador. J’ai aussi travaillé pour les Ritals à Las Vegas, Reno et dans le Montana, où ils tentaient de construire sur Flathead Lake des casinos dans le style du Nevada, ce qui aurait transformé l’Etat en toilettes géantes. »
James Lee Burke est né à Houston au Texas le 5 décembre 1936 et aura donc 89 ans en fin d’année. Chaque année, il nous gratifie d’un nouveau roman. Un bonheur, mais jusqu’à quand cette petite magie ? Inévitablement, vu son âge, sans vouloir l’offenser, peut-être que certaines fonctions s’affaiblissent. Burke semble connaître une légère faiblesse avec la temporalité, le temps de manière générale. Il y a quelques années, il avait déclaré que sa fille Alafair, auteure également, le suppléait. Mais ça ne semble plus suffire tant certaines erreurs sont regrettables. Que Burke ne soit plus trop au point avec la chronologie, la temporalité on peut aisément le comprendre mais visiblement personne chez l’éditeur ricain n’a fait le boulot. Par le passé, s’étaient déjà produites quelques erreurs mais on faisait semblant de ne pas les voir. Là, reconnaissons qu’il n’y a eu aucun travail éditorial et c’est bien dommage parce qu’on voit rapidement qu’il y a des trucs qui déconnent. Dans ce roman situé en 1998, Burke parait inclure des éléments de 2025 et qui n’étaient d’aucune actualité à l’époque. En 1998, les USA ne souffraient pas encore d’une génération d’ados le portable collé à la tempe et ne subissaient pas non plus une invasion de fentanyl. Plus grave ou plus risible, dans tous les cas, regrettable, Clete, à un moment, s’épanche sur l’extrême solitude de Dave et parle de ses malheurs avec ses épouses et particulièrement de la quatrième, décédée dans un accident de voiture… c’est bien triste tout ça mais totalement déplacé puisque en 1998, Robicheaux ne peut pas la regretter puisqu’elle est bien vivante et qu’il ne l’a pas encore rencontrée. Sept ans après, dans Swan Peak elle part dans le Montana avec Robicheaux pour oublier le traumatisme de Katrina qui s’est produit fin août 2005.
D’autres confusions nées peut-être d’un certain manque de viligance de l’auteur font que les pensées et considérations sur la vie de Clete sont identiques à celles qu’on attribuait avant à Robicheaux. Des réflexions habituelles sur la guerre mais amplifiées, plus loin dans le passé criminel de l’humanité puisqu’on remontera jusqu’à Roland à Ronceveaux. Cet angle neuf fait parfois apparaitre Robicheaux comme un simple comparse et il faut un petit moment d’acclimation. Ainsi certains souffriront peut-être d’une légère frustration, reconnaissons néanmoins que cette affaire concerne Clete Purcel et il est donc légitime qu’il soit aux commandes de l’hallali. Comment des types ont-ils pu s’en prendre à la Cadillac de Clete ? Suicidaires, inconscients ou complètement ravagés par la dope ? Toucher à la Cad de Clete ? La Pink Caddy de Clete, c’est un symbole, la monture du cinquième cavalier de l’apocalypse. Quand Robicheaux la voit débouler au soleil couchant dans une nuage de poussière, il sait que les ennuis ont commencé, que Clete a encore commis l’irréparable.
On peut s’interroger sur un choix qui fera sourire le lecteur français. Dans le roman intitulé Dans la brume électrique avec les soldats confédérés, Robicheaux était victime d’hallucinations et taillait le bout de gras avec des soldats morts pendant la guerre de Sécession. Pas de jaloux, Burke fait subir le même traitement à Clete Purcel mais dans une version XXL. Clete, lui, est en communication avec…Jeanne d’Arc et son armée de 50 000 soudards français. La Pucelle d’Orléans le guidera tout au long du roman. Sans commentaire…
Alors Clete vaut-il la peine d’être lu ? Evidemment, c’est du Burke, du Robicheaux et c’est même une succulente énorme madeleine de Proust pour les admirateurs de Burke, un roman immanquable. Faisant référence à plusieurs histoires anciennes, Burke ravive les mémoires, fait ressortir des détails cocasses oubliés comme cette liaison improbable entre Clete Purcel et Helen Soileau.
Burke est un écrivain formidable et sa plume, une fois de plus, éclabousse le roman de sa classe. Le vieux cowboy n’a rien perdu de son talent pour balancer des répliques assassines et c’est un régal. Alors, bien sûr, on regrettera que la fin ne résolve pas tous les mystères. Il faudra attendre une suite pour savoir ce qu’il advient de certains nuisibles encore en liberté et de ce mystérieux virus qui menace l’humanité. Mais, avant tout et essentiellement, sachons apprécier à sa juste valeur une nouvelle histoire comme on les aime tant et savourons cette chance d’avoir à nouveau vécu quelques grandes heures avec le duo Dave Robicheaux/Clete Purcel. Merci monsieur Burke.
Après des années passées dans le Nord, Pascal Dessaint revient sur ses terres toulousaines et il semblerait que la cité violette ravive la malice qui était souvent la sienne à ses débuts et lui donne l’occasion de continuer son combat pour l’environnement tout en retournant vers des intrigues noires qu’il avait délaissées ces dernières années.
« Dans un quartier populaire de Toulouse, Gaspard est chargé de la vidéosurveillance d’un carrefour. Il voit des choses curieuses et apprend avec stupeur que sa femme a un amant depuis longtemps. Lucas, lui, se passionne pour les girafes dont il a fait un objet d’étude, mais sa vieille mère acariâtre lui pourrit la vie, un vrai cauchemar. Zélie a pour spécialité de se lancer dans des combats environnementaux aussi sincères que dérisoires, à la consternation de son compagnon Pierre qui est transporteur spécialisé en matières dangereuses. Enfin, il y a celui qu’on surnomme « L’Homme à la craie », un botaniste qui parcourt le quartier armé d’un bâton de craie pour répertorier les « mauvaises herbes » qui poussent çà et là. Il a vécu un drame et est peut-être sur le point d’en vivre un autre car il est à couteaux tirés avec son voisin. Le destin va mettre en présence ces quatre obsessionnels, ça ne peut pas bien se passer.«
Et ça ne se passera pas bien du tout mais avant, en prenant son temps, Pascal Dessaint va nous conter des vies très ordinaires, nous peindre avec son talent habituel quatre personnes un peu barrées, un peu perdues ayant tous un amour de la nature, de ses traces visibles dans un environnement humain agressif pour elle, la ville. Les plantes sauvages des murets, les chardonnerets, les pigeons et les goélands mais aussi les arbres qu’on doit élaguer participent pleinement au destin de ces quatre personnages avec leurs plaies, finalement, pas si éloignées des nôtres. De vraies histoires de vie, du social de proximité, du réel, sans message particulier mais une belle attention pour ces vies sur le fil, au bord de la chute. Des rencontres très émouvantes: de belles personnes capables de ramasser un escargot qui va se faire écraser en tentant de traverser une rue, de doux rêveurs que Pascal Dessaint dépeint avec l’empathie qu’on a toujours sentie chez lui.
Et puis il y a une girafe… une girafe sur une place périphérique de Toulouse et qui est la belle attraction « perchée » du roman. Et ces gens qui se côtoient vont être un moment connectés, de manière sans doute plus modeste mais très proche dans l’idée de Magnolia du brillant Paul Thomas Anderson.
Pascal Dessaint que l’on pensait pouvoir qualifier de Hitchcock toulousain avec cette intrigue empruntant à Fenêtre sur cour, Les oiseaux et même avec une touche de Psychose, casse le mythe en nous offrant un scène finale dantesque mais s’approchant plus à des blagues genre « Flip Flap la girafe« . Un très bel épilogue, un final improbable… Je ne sais pas ce que prend monsieur Pascal Dessaint mais vous me mettrez la même chose!!!
L’envers de la girafe sans clinquant ni esbroufe offre une intrigue virtuose très dépaysante « et en même temps » si proche de nous. Une belle humanité, très loin de la médiocrité du moment dans le polar.
Sept meurtres à leur actif, commis ensemble ou séparément. Et sont prêts à continuer si nécessaire. Car ils ont des problèmes à régler. Neutraliser un projet de tunnel, d’abord. Faute de quoi le tracé de la route nationale sera modifié et Os, leur bourg, restera à l’écart. Or ils ont de grands desseins pour leur domaine… Ensuite, museler le lensmann, qui rêve de faire profiter les deux épaves de voitures, en contrebas du virage des Chèvres, des progrès de la police scientifique. L’une abrite le corps de son père, qui l’a précédé dans ses fonctions. L’autre ceux des parents Opgard. Et surtout, la solidité de leur lien fraternel est menacée par une nouvelle rivalité. Y a-t-il de la place pour deux maîtres au royaume d’Os ?”
Les maîtres du domaine est la suite de Leur domaine paru à la SN en 2021, un très, très bon polar, sorte de huis clos au fin fond des montagnes de Norvège. Parfois, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier volet pour comprendre la suite, mais là, il est impératif d’avoir toujours bien en tête le premier avant d’entamer celui-ci. Même si Jo Nesbo vous raconte avec précision les principales péripéties effroyables de Leur domaine, ce résumé ne dégage pas l’émotion, la peur, la tension, l’horreur ressenties à la lecture du premier roman aussi passionnant que troublant. Ici le démarrage est très lent parce que Nesbo, ne voulant perdre personne en route, détaille le passé des deux frères sans se soucier des lecteurs qui connaissent parfaitement la première intrigue. En fait, à force de retours lassants, l’histoire se traîne un peu avant de prendre son envol… à la moitié du roman.
On avait quitté Roy et Carl avec beaucoup de sang sur les mains. On les retrouve en pleine forme huit ans plus tard. Les affaires vont bien. Après avoir trucidé leurs parents, puis l’épouse de l’un qui était aussi la maîtresse de l’autre dans Leur domaine, on se demande à qui ces deux salopards vont bien pouvoir s’attaquer? Et logiquement, après avoir éliminé tous leurs proches, les loups vont se bouffer entre eux. Tandis que Roy se lance dans une petite application locale du capitalisme : ses méthodes, ses magouilles et exactions mais aussi ses risques, son frère Carl commence à déraper dangereusement et la situation va vite s’avérer invivable.
On retrouve ici le Nesbo talentueux qui relance si bien son intrigue, n’hésite pas à rudoyer, surprendre et même choquer le lecteur. Mais las, une histoire d’amour, centrale pour l’intrigue et à laquelle je n’ai pas cru un seul instant, va bien gâcher la fin et on a du mal à comprendre qu’un auteur brillant comme Nesbo, si grand observateur des comportements et agissements de ses contemporains puisse se fourvoyer de la sorte, tentant de créer vainement de l’émotion, de l’empathie pour une véritable ordure, victime d’une peine de coeur… Beaucoup de mal à comprendre ce romantisme à deux balles avec fugue amoureuse à Paris, pitié !
Plus bavard et moins surprenant que Leur domaine, Les maîtres du domaine est une petite déception malgré l’immense talent de son auteur et deviendrait même une punition si Jo Nesbo décidait un jour d’emprunter la porte ouverte à une suite suggérée à la fin de l’histoire.
Víctor del Árbol, neuf romans dans la collection est le fer de lance d’une littérature policière espagnole de grande qualité présente chez Actes Noirs. Aro Sáinz de la Maza, Mikel Santiago, Carmen Mola, Agustin Martinez… se sont glissés dans la faille créée par Del Arbol en 2011 avec le succès de La tristesse du samouraï.
Dans un village côtier de Galice, en 1975, un enfant assiste à l’incendie criminel de sa maison et au meurtre de son père. En 2005, à Barcelone, l’adulte qu’il est devenu semble avoir enfreint toutes les règles éthiques et morales qui avaient présidé à son entrée dans la police. Il a battu (presque) à mort un entrepreneur sans histoire et reste obstinément muet sur les raisons de son acte. Atteint d’une maladie incurable, il revient sur les terres où il est né. Pour déterrer le passé et venger sa triste enfance ? Ou pour affronter ses vieux démons et trouver le repos de l’âme ? Trente années défilent alors, qui voient des hommes chasser en meute pour garder leurs secrets, des serments d’amitié se briser contre l’intérêt supérieur du clan, la “blanche” mexicaine remplacer le bourbon irlandais de contrebande, des hommes puissants cachés derrière des masques de loup abuser d’enfants rêveurs, et un tueur à gages aux yeux noirs accomplir son office avec une éblouissante humanité.
Au premier abord, Julian, flic condamné par la maladie se rendant sur les terres maudites de son enfance, nous entraîne dans une histoire où résilience, rémission, rédemption seront une nouvelle fois un peu trop à la fête. Le décor est soigné “gothiquement”, la tragédie rurale avec ses gros sabots est en place. En fait non, la voix off d’un tueur à gages qui va semer la mort dans le sillage de Julian et nous entraîner vers des réalités beaucoup plus contemporaines, montre une autre voie et semble indiquer que l’intrigue sera retorse. Un ange de la mort aux yeux noirs comme une évocation des vers de Pavese en exergue de La mort aura tes yeux de James Sallis:
» La mort viendra et elle aura tes yeux – cette mort qui est notre compagne du matin jusqu’au soir, sans sommeil, sourde, comme un vieux remords ou un vice absurde. Tes yeux seront une vaine parole, un cri réprimé, un silence.«
La phrase complète dont est extrait le titre est “Personne sur cette terre n’est innocent, personne n’oublie, personne ne pardonne”. Elle éclaire sur la réalité d’une intrigue qui va montrer de manière remarquable que nous sommes l’addition de toutes nos histoires (nos réussites mais aussi nos échecs, nos blessures, nos douleurs) et que nos réactions parfois surprenantes ne sont que les réponses aux maux de notre existence.
Alors, faut-il encore présenter Víctor del Árbol ? Je ne le pense pas. Si vous n’avez jamais lu Víctor del Árbol, cela signifie peut-être tout simplement que vous n’êtes pas faits pour les polars et cela n’est pas très grave. Víctor del Árbol est certainement un des plus grands du polar actuellement. Il y a une certaine noblesse dans l’écriture de cet ancien flic qui avance à son rythme, économe de ses indices, jouant avec la perception erronée du lecteur, irritant dans son avarice et surprenant dans les esquisses joliment humaines de ses personnages. Les histoires de Víctor del Árbol sont sombres, violentes, mais animées d’une grande humanité. On est rapidement oppressés par le propos et si Víctor del Árbol en joue sans en abuser, il a néanmoins la belle élégance des très grands en nous cachant l’indicible, se contentant de le suggérer. La fin ne séduira sûrement pas tous les lecteurs, mais ne laissera personne indifférent.
Avec “Rideau pour le commissaire Ricciardi “, Maurizio De Giovanni entame la dixième enquête du commissaire Ricciardi dans la Naples de l’entre deux guerres, déjà sous le joug mussolinien. Au fil des ans, nous vous avons proposé “le Noël du commissaire Ricciardi” et “Des phalènes pour le commissaire Ricciardi”.
“1933, entre Noël et le Nouvel An. Comme chaque soir sur scène, le grand comédien Michelangelo Gelmi tire sur Fedora, sa jeune et magnifique femme. Mais ce soir-là, l’arme n’est pas chargée à blanc, et le coup de feu part sous les yeux de Gelmi et des spectateurs interdits. Gelmi a beau clamer son innocence, personne ne le croit, mais cette scène de théâtre macabre ne trompe pas le commissaire Ricciardi, qui se lance à la recherche du véritable assassin.”
Alors, les néophytes ne connaîtront pas l’émoi des habitués du commissaire quand ils apprendront, dès un très bel incipit, que quelqu’un a tiré sur Ricciardi dans l’espoir fou de continuer à rêver. Il faudra attendre les dernières pages pour comprendre et en savoir plus sur le destin mal engagé du flic napolitain, enquêteur hors pair et amoureux malheureux. Le titre, comme évoquant une fin, en ajoute au mystère. Mais qui peut en vouloir à ce point à un individu placide, distingué, plaisant à beaucoup de femmes à qui il ne sait jamais donner les bonnes réponses? Désinvolte avec sa hiérarchie et en même temps fui par ses collègues qui redoutent son introversion, Ricciardi avance toujours à pas feutrés, opiniâtre mais respectueux. Bien sûr, le rythme de ses enquêtes d’un autre temps ne séduira pas les amateurs de thrillers. Pour autant, pour qui sait attendre et ayant envie de pénétrer l’ambiance de cité napolitaine des années 30, le tableau des couleurs, saveurs, odeurs est particulièrement mis en valeur par une plume enchanteresse, lovée de poésie et de relations amoureuses semblant aujourd’hui si surannées.
Les enquêtes de Ricciardi brillent par les personnages féminins qu’on y rencontre et parfois qu’on retrouve: des femmes fatales, des créatures de rêve, des jeunes femmes amoureuses et des mères maudites. Toutes contribuent à faire des enquêtes du commissaire Luigi Alfredo Ricciardi des moments un peu hors du temps, envahis de pensées passionnées et d’instants lyriques, poétiques
Le charme du rustique et le poli d’un lustre amoureux ancien.
On suit Jacky Schwartzmann depuis longtemps. Et à chaque fois, on est séduit par ses histoires racontant des gens ordinaires dans la France périphérique. Son talent d’observation de ses contemporains lui permet de les mettre dans des situations, étranges, exceptionnelles où il peut les brocarder à l’envi… sans toutefois jamais se départir d’une certaine tendresse, d’une empathie certaine. Jacky Schwartzmann est un vrai gentil et ses romans offrent de vrais moments humoristiques, vous regonflent même parfois. Son honnêteté intellectuelle lui a sûrement dicté d’entrer dans une fiction politique, d’entrer en résistance… Un écart qui peut très vite se transformer en beau gadin s’il n’est pas maitrisé.
Lorsque Jean-Marc Balzan, vieux garçon sans enfant, prend enfin sa retraite, il est persuadé qu’il va se la couler douce. Petits restos, voyages, la liberté, quoi. Mais c’est compter sans Bernard, son plus vieil ami. Ils sont potes à la vie à la mort depuis l’école maternelle. Et ce que Jean-Marc fait de mieux dans la vie, c’est rattraper les conneries de Bernard. Ce dernier est sympa, il peut faire preuve d’intelligence, mais il est aussi capable d’être très con. Aussi, lorsqu’il s’engage dans l’équipe de campagne d’Éric Zemmour pour la présidentielle de 2027, Jean-Marc craint le pire. Soucieux de protéger Bernard, Jean-Marc s’enfonce insidieusement dans la mouvance d’ultradroite lyonnaise.
« Ce roman est dédié à tous les électeurs du parti socialiste. Qu’ils reposent en paix…
La dédicace montre le ton du roman, de l’humour désenchanté pour réveiller des consciences endormies, assoupies. La génération Mitterrand a la gueule de bois. Forcément donc, dès l’entame, le roman peut s’avérer clivant. Pas forcément de la manière la plus dure, l’auteur nous conte la rencontre de ces deux amis avec un groupe d’extrême droite. Forcément, on rit moins qu’autrefois mais l’histoire reste plaisante, teintée d’humour et une certaine scène à Besançon aurait séduit Westlake. Schwartzmann, petit à petit va nous montrer l’envers du décor et on rira nettement moins ou alors un peu jaune. Le ton s’assombrit et on saisit bien que la Bête est implantée partout, dans l’attente. La tragédie est en approche.
Alors, bien sûr, tout le monde n’adhèrera pas forcément. Nul doute que certains passages font un peu discussions du café du commerce (toujours la France périphérique). On s’étonnera qu’on veuille nous expliquer que les groupuscules fachos sont composés de jeunes nazillons plus cons que méchants souvent mais qu’il faut se méfier des vieux friqués dangereux qui les commandent. Lourd certainement aussi d’enfoncer d’autres portes ouvertes en nous rappelant longuement que les chaînes d’info (et pas qu’elles d’ailleurs) balancent de la merde et que ça éclabousse. Mais l’intention est louable.
« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde » dit une citation attribuée à Pierre Desproges… Chacun trouvera ou pas son bonheur dans Bastion. Et puis, Jacky, nous aussi on a mal à notre gauche.
« Quand Yayoi, propriétaire d’un paisible salon de thé, est retrouvée assassinée, les enquêteurs Kaga et Matsumiya plongent au cœur d’une affaire aussi complexe qu’émouvante. Leurs investigations les conduisent à Shiomi, un homme marqué par une tragédie indescriptible… »
Le fil de l’espoir est le quatrième volume de la série mettant en scène le flic Kaga Kyōichirō du romancier japonais Keigo Higashino, incontestable grand maître du polar d’investigation qui doit certainement à son éloignement géographique le fait que son œuvre, brillante, ne soit pas encore aussi reconnue en France que celle de l’Islandais Indridason.
Les doigts rouges, début d’une série publiée en 2009 débarque chez nous en 2019 et sera suivi par Le Nouveau et Les Sept Divinités du bonheur l’an dernier. Cet opus qui est loin d’être le dernier d’une série ce qui ravira les fans, est une nouvelle plongée dans un Japon actuel si éloigné de nos valeurs et de nos comportements. Une plongée dans le malheur aussi, dans un drame qui amènera l’émotion, énorme, à vous briser le cœur.
Kaga aura dans cette enquête un rôle secondaire se contentant de donner des conseils à Mastsumiya l’enquêteur qui en plus d’être son subalterne s’avère être son cousin. A noter que parallèlement à l’enquête, Matsumiya se verra confronté à un évènement familial particulièrement troublant. Ainsi les moments où les deux hommes confrontent leurs sources et leurs opinions seront complétés par des parenthèses beaucoup plus intimes mais aussi stupéfiantes.
Il serait vain de détailler l’intrigue magistrale, relancée intelligemment à chaque fin de chapitre et qui vous entraîne, vous oblige à poursuivre, à ne pas lâcher les victimes. Comme dans les précédents opus, on trouvera les révélations dans une histoire de famille, bien dissimulées dans le passé malchanceux de personnages particulièrement bien brossés.
Higashino fait sentir, éprouver la malchance, la douleur, la peine incommensurable, du point de vue de la victime mais aussi de son entourage familial et également de la part du coupable. L’enfer intime de certains personnages est décrit de manière poignante et la résolution achèvera de montrer que certaines personnes vivent toute leur existence un calvaire qu’ils n’ont pas cherché. Si vous connaissez le bonheur d’être père ou mère, vous serez particulièrement touchés.
N’entrons pas dans un verbiage inutile. Vous avez aimé le premier roman de Marto Pariente paru à la Série Noire, La sagesse de l’idiot ? Vous allez adorer sa version 2.0, Balanegra, explosif polar se déroulant en moins de 24 heures et surtout durant une nuit de toutes les horreurs. Conservant ce qui faisait l’excellence de La sagesse de l’idiot, l’auteur a su gommer ses faiblesses haut la main, hauts les cœurs, et écrire un pur moment de bonheur pour les amateurs de polars qui vous pètent à la gueule, vous horrifient autant qu’ils vous enchantent.
« À la mort de son frère, Coveiro est venu s’installer à Balanegra pour s’occuper de Marco, son neveu autiste et désormais orphelin. Mais lorsque Marco – qui passe son temps à arpenter le cimetière – est enlevé quelques heures à peine après l’inhumation d’un politicien accusé de pédophilie et décédé étrangement lors d’une reconstitution judiciaire, Coveiro n’a d’autre choix que de ressortir les armes et de réveiller le tueur qui sommeillait en lui. »
Comme dans le premier, nous sommes dans le trou du cul de l’Espagne et dans ce coin ignoré des dieux, le personnage principal est un humble, un faible, un modeste qui va se révéler quand on s’attaque à sa famille, à sa sœur dans la précédente histoire, à son neveu autiste dans celui-ci. La transformation d’un flic qui a peur du sang en tueur redoutable et tortionnaire efficace était certainement la faiblesse de La sagesse de l’idiot. Dans Balenegra, l’obscur vieux fossoyeur du village est en fait un redoutable tueur à gages retraité et s’avère bien plus crédible en vengeur déterminé. Pas besoin d’un gros armement, un vieux fusil à canon scié, un rouleau de scotch, un marteau, quelques clous dans la besace et ça roule… bienvenue dans le pandemonium espagnol !
On pourrait bien sûr parler des thèmes survolés dans le roman comme les liens du sang, la résilience et la rédemption… Ils ne sont en fait que des éléments d’un décor de polar où la violence, la mort, la douleur seront présentes à toutes les pages, accompagnées, enrobées d’un humour ravageur, de très mauvais goût souvent mais impeccable dans cette histoire horriblement épatante.
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