Chroniques noires et partisanes

DOA / RÉTIAIRE(S) / ENTRETIEN

Quand DOA parle, c’est toujours clair, sans filtre et documenté. Et cette sixième rencontre chez Nyctalopes le confirme amplement:

Rétiaire(s), le trafic de came en France, les flics, les nouveaux dangers de l’écriture, le trafic d’armes, Samuel Paty, les privations de liberté en temps de pandémie, le COVID, le jackpot des labos pharmaceutiques et la suite de Rétiaire(s). Aucun sujet n’est évité, c’est très fort une fois de plus.

© Francesca Mantovani / Gallimard

C’est toujours un plaisir de vous rencontrer, c’est en l’occurrence la sixième fois que vous nous faites l’honneur d’écrire chez nous. Cet entretien n’aura pour but que de tenter de convaincre les indécis. Celles et ceux qui ont acheté « Rétiaire(s) » auront lu votre postface particulièrement intéressante où vous expliquez votre démarche, les origines du projet. Pour vos lecteurs, il y aura certainement peut-être parfois une impression de redite que je tenterai de limiter au maximum.

1 – La première interrogation qui est évidente pour tous ceux qui vous suivent : dites donc, ce n’est pas le roman que l’on attendait. Il y a beaucoup de sinistres personnages  dans votre roman mais il n’y a pas l’ombre d’un nazi ? 

Alors, tout d’abord, merci de m’accueillir une nouvelle fois dans vos colonnes, c’est toujours  un plaisir. Par ailleurs, la fidélité, c’est précieux. 

Il y a dans « Rétiaire(s) » un clin d’œil, et même plusieurs, à ce qui doit advenir mais a, pour  le moment, été contrarié par la crise traversée en 2020 et 2021. Ou plutôt par la panique  provoquée par cette crise et par les mesures délirantes que cette peur – jamais une bonne  conseillère la peur, parlez-en à des psys – a justifiées. Fermeture des archives, fermetures des  frontières, passeports vaccinaux, aller fouiller dans les fonds historiques s’est révélé, pendant  un temps, assez difficile, voire impossible, et m’a fait prendre du retard. D’où ma décision de  changer de projet temporairement et de m’attaquer à un texte plus « simple » dont la phase de  documentation serait moins empêchée. Ainsi, bizarrement, hanter les couloirs du centre  pénitentiaire de Paris-La Santé ou trouver, au-delà du périphérique, des pros du gros bizness s’est révélé moins ardu que se rendre au siège de la Bundesarchiv à Berlin. 

2 – Quand vous avez été obligé de changer votre fusil d’épaule, si j’ose dire, n’avez-vous  pas été tenté de franchir la porte que vous aviez laissée entrouverte à la fin de  « Pukhtu » ? 

Non. Avant de franchir cette porte particulière, il aurait fallu me livrer à une profonde  méditation. Et ça ne cadrait pas avec les circonstances de ma décision. Quand je l’ai prise, j’ai  hésité entre deux propositions : la non-fiction littéraire, avec une enquête sur l’affaire de  pédocriminalité qui a secoué le groupe scolaire Paul Dubois, à Paris, début 2019  (), scandaleusement ignorée par presque tout le monde à l’exception de  Mediapart, et la fiction, avec ce qui est devenu aujourd’hui « Rétiaire(s) « . 

3 – Le projet « Rétiaire(s) » date de 2006, vous l’avez actualisé pour nous amener à la  situation en 2021. Avez-vous constaté des évolutions notables dans l’histoire du trafic de  drogue en France ? 

Tout dépend ce que l’on entend par notables. Le trafic irrigue tout à présent et tend à supplanter  les autres grandes entreprises criminelles, parce qu’il est bien plus rentable et reste, toutes  proportions gardées, moins risqué. Il s’est structuré, professionnalisé et est dominé par des  groupes français d’origine étrangère, binationaux ou non, ou des groupes étrangers,  principalement originaires du Maghreb et, dans une moindre mesure, de l’Afrique  subsaharienne et des Balkans, qui ont remplacé les Corses et les voyous d’origine italienne d’antan. Il grossit d’année en année et je pense ne pas fantasmer en déclarant qu’il corrompt de  plus en plus tous les secteurs d’activité dont il a besoin pour exister (le transport maritime et routier, par exemple, c’est-à-dire la logistique, mais aussi la comptabilité, le droit, certains  types de commerce de détail et de services), et quelques administrations / institutions, au moins  à l’échelon local ou régional, mais sans doute aussi plus haut. Le Canard Enchaîné a, par  exemple, sorti il y a quelques temps une affaire impliquant deux hauts fonctionnaires et un  trafiquant, pacsé avec l’un et amant de l’autre. Précisons que l’un des deux fonctionnaires en  question émargeait au ministère de l’Intérieur à l’époque, en qualité de secrétaire général de la  DGSI, après un passage par la Défense et la DGSE.  

Nous avons affaire à l’accélération d’un double phénomène de société : ultra-valorisation du  Dieu-fric d’un côté, et affaiblissement de la morale individuelle et républicaine de l’autre.  Arrive forcément un moment où ces évolutions se rencontrent et se combinent. Pour le  romancier que je suis, c’est pain bénit.

4 – Quelles sont les difficultés rencontrées par le passage d’un scénario à un roman ? 

Il n’y en a pas vraiment eu, sauf une peut-être, qui a été de devoir travailler sans Michaël  Souhaité, mon coauteur sur le projet de 2006/7. Au départ, nous envisagions une collaboration  calquée sur celle, très fructueuse et intéressante, que j’avais eue avec Dominique Manotti pour  écrire « L’honorable société ». Ça n’a pas pu se faire pour des questions d’emploi du temps et  de calendrier. 

Fondamentalement, le cœur du problème est identique dans les deux cas : trouver une bonne  histoire à raconter, par le biais de personnages forts. Difficile quel que soit le support de  destination. Ensuite, il faut construire, et on le fait en fonction du medium, on ne raconte pas  les choses de la même façon en mots ou en images. Ici, j’avais une matière de base, mais  ancienne et parfois bancale, quelques figures. Il fallait en éliminer une partie, en garder une  autre, et apporter en plus des éléments nouveaux cohérents avec ce qui allait rester. Cet  arbitrage sur un travail qui était en partie le mien, le vital inventaire destiné à purger tout ce qui n’allait pas (et dieu sait que c’était nécessaire), fut l’étape la plus compliquée, ne serait-ce que  pour respecter l’héritage de Michaël. Et puis on prend ses propres limites en pleine poire, le  doux souvenir d’une création que l’on fantasmait encore exceptionnelle se dissipe d’un coup.  Le projet initial n’a pas vu le jour pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles figurent sans  doute quelques-uns ses défauts. Donc le véritable écueil à franchir était de piger ceux-ci, puis  de les admettre, puis de les corriger si possible. Pas de changer de support. 

5 – Je suppose que vous aimez tous vos personnages. Dans tous les cas, vous les avez  brossés soigneusement avec leur part d’ombre, mais lesquels vous ont le plus entraîné ?  Quels sont ceux qui pourraient aller plus loin, qui sont pour vous les moteurs du roman ? 

Difficile à dire, mais s’il faut choisir, je dirais Amélie Vasseur, qui est une des anciennes – en  ce sens qu’elle était déjà présente dans notre projet de série, mais plus en retrait – parce qu’elle  constitue une sorte de fanal, un point de repère, elle figure la ligne bien / mal, et Lola Cerda,  absente dans la proposition de départ, parce qu’elle est l’avenir, une enfant du monde qui vient. 

6 – J’ai trouvé que « Rétiaire(s) » était un bel hommage aux forces de police et de  gendarmerie qui œuvrent dans l’ombre pour endiguer le trafic de la drogue jusqu’à ce que je lise dans la postface “ les flics et les voyous de maintenant sont moins grands et moins  beaux”. Qu’est-ce qui a changé pour vous chez les flics ? 

Je ne suis pas certain que « Rétiaire(s) » sera ainsi perçu par les membres des forces de l’ordre qui éventuellement le liront. Ce qu’il donne à voir, et qui est encore très en-dessous de la réalité,  des rapports entre fonctionnaires et militaires, d’une part, et de ceux-ci avec leur hiérarchie,  d’autre part, et enfin de la praxis de l’investigation, ne peut être qualifié d’hommage. Ou alors  avec beaucoup d’ironie. Il est vrai cependant que les enquêteurs de base triment comme des  bêtes, même dans ce qui pourrait être considéré comme le fer de lance de la lutte antidrogue  nationale, corsetés par des procédures lourdes et complexes, une absence assez effarante de  formation initiale ou de formation continue ou de moyens humains, techniques, logistiques.  Face à un adversaire riche, réactif et de plus en plus malin, obsédé par une seule chose, se faire  toujours plus de thunes, de toutes les façons possibles. Si l’on regarde les dégâts que cause le  trafic de stupéfiants en termes de criminalité, de fragilisation du tissu social, de violence  quotidienne, d’évasion fiscale et de gangrène financière ou, pour le dire autrement, d’instabilité républicaine, de menace à la cohésion nationale, c’est un problème beaucoup plus aigu que le  terrorisme. Pour autant, l’arsenal déployé pour lutter contre les mafias de la came est dérisoire comparé avec celui de l’antiterrorisme, par exemple. 

7 – Dans vos remerciements, vous citez plusieurs flics que vous avez rencontrés. Quel est  leur état d’esprit, qu’est-ce qui les fait encore avancer dans cette guerre de la drogue  qu’ils savent perdue depuis longtemps ? 

Je ne remercie pas que des policiers et des gendarmes, d’autres hommes de l’art m’ont aidé, il  ne faut pas les oublier. Et pour répondre à votre question je dirais : à l’heure actuelle, plus  grand-chose ; mon impression personnelle est qu’on ne se bouscule pas aux portes de l’OFAST, on cherche plutôt à le quitter. 

8 – Une scène effarante à la Courneuve, il y a plusieurs épisodes glaçants dans  « Rétiaire(s) » qui contribuent à donner un tableau assez sombre de la France. Sans être  du niveau de l’arrestation du fils d’El Chapo il y a quelques jours au Mexique : 10  militaires et 19 sicarios tués, des scènes de guerre, y a-t-il aussi une escalade de la violence,  un déni de la république en France ? 

L’escalade de la violence est principalement permise par la disponibilité des moyens de cette  violence. À ce titre, la France est encore protégée par la relative difficulté de se procurer des  armes, notamment des armes de guerre. Cela pourrait changer, en raison notamment du conflit  en cours aux portes de l’Europe – comme cela fut le cas durant et après la crise des Balkans – puisque de nombreux moyens offensifs plus ou moins légers sont envoyés en Ukraine et qu’il  semblerait que, pour une large part, ils ne parviennent pas jusqu’au front. Il y a eu, à ce sujet, un premier reportage de CBS, en avril dernier, faisant état de seulement 30 à 40 % d’armes  arrivant à destination (voir l’article connexe ici : https://cbsn.ws/3W2bpPP). Le reportage a été  censuré, parce que soi-disant pas assez sourcé ou à jour ; ce qui est comique quand on voit à  quel point cette problématique de la solidité des sources est à géométrie variable dans la presse.  Peu de temps après, Le Monde a fait état des inquiétudes des services secrets français à ce sujet.  En août 2022, les Américains ont été obligés de dépêcher sur place un général dont l’unique  tâche est de contrôler l’acheminement à bon port des fournitures militaires occidentales. Et  enfin, dès octobre dernier, New Voice of Ukraine, un site que l’on ne peut guère soupçonner d’amitiés pro-Poutine, mentionnait l’apparition, dans les milieux criminels tant finlandais que  suédois, d’armes à l’origine destinées au conflit contre la Russie (). Le  sujet est hypersensible, donc on évite de trop en parler afin de se prémunir des questions qui  fâchent, mais il y a fort à parier qu’une partie non négligeable de ces fusils d’assauts, grenades,  lance-roquettes et autres instruments de mort finira un jour ici entre de mauvaises mains. Si  l’on combine cette évolution probable avec l’escalade bien réelle du sentiment d’impunité et le  recul général des surmois, on a tous les ingrédients nécessaires à l’avènement d’une situation à la mexicaine, dans les dix, quinze ans à venir. God bless America. Vers une nouvelle pandémie, de Plombémie cette fois ? Disposerons-nous alors de vaccins  ARNm pare-balles ? Il paraît que c’est une technologie miraculeuse (sourire).

9 – Salman Rushdie, Charlie et même Samuel Paty sont des exemples assez clairs qu’on  ne peut plus vraiment écrire aussi librement qu’il y a quelques années. L’auteur DOA a t-il un instant d’appréhension quand il écrit sur les milieux islamistes ou apparentés ou  quand il conte avec beaucoup d’humour, le destin de petite frappe d’Adama de la Banane  dans le 20ème ? 

Je ne percevais pas de danger autre qu’idéologique et intellectuel quand j’ai écrit « Citoyens  clandestins », du fait des courants qui traversaient alors le milieu du noir / polar en France.  Pour une fois, on allait parler des barbouzes, sujet ô combien sensible dans ce milieu, sans les  ridiculiser, odieux crime politique. Ma réflexion avait déjà évolué au moment de « Pukhtu ».  Aujourd’hui, je crois que plus personne n’est à l’abri de rien, quel que soit le sujet, et ce pour  deux raisons : d’une part, les motifs de rage ne se limitent plus au seul islam ou islamisme, ou  à l’islamophobie, des tas de thématiques enflamment nos concitoyens, et d’autre part tout le  monde s’exprime plus ou moins dans l’espace public, via les réseaux sociaux, y compris et  surtout les jeunes générations, beaucoup moins inhibées. Tout le monde peut donc se retrouver,  du jour au lendemain, pour un propos mal compris ou détourné ou même volontairement  agressif, subversif, mais qui n’est qu’un propos – dans l’essentiel des cas ne tombant pas sous  le coup de la loi – victime d’une attaque en règle, d’un harcèlement, d’un dénigrement, bref  d’une violence virtuelle et / ou médiatique aux proportions démesurées contre laquelle il est  quasi-impossible de se défendre et avec des conséquences très concrètes, professionnelles par  exemple, qui vont potentiellement au-delà du seul individu visé et accable tout son cercle  proche. 

Ou victime d’une agression physique, peut-être mortelle, après un doxing en règle. 

Est-ce que cela va m’empêcher d’écrire ce que je veux, comme je le veux ? J’ose croire que  non. J’espère, si le cas se présente, avoir l’audace de continuer sur ma lancée, sans faire de  concession autres que celles nécessaires à l’intrigue du roman en cours. Il y a cependant  différents facteurs à considérer désormais. Le premier d’entre eux est que si la création sans  compromis est une chose, la publication de cette création en est une autre, de même que sa  diffusion. D’énormes pressions viennent de plus en plus souvent s’exercer sur les éditeurs et je  ne suis pas certain que les générations montantes à l’intérieur des différentes maisons aient ne  serait-ce que l’envie d’y résister. Un second facteur est la fin de mon anonymat. Mon  pseudonyme a dissimulé mon identité réelle pendant quinze ans, mais les forces combinées de  Wikipédia et de Libération ont mis un terme à cette protection ; sans mon accord, il va de soi.  Il faut croire que brandir mon nom à tout bout de champ était de nature à infléchir la marche  du monde. En ce qui me concerne, je ne l’ai pas encore constaté (sourire). Plus prosaïquement, si désormais, pour une raison ou pour une autre, je finis en tant qu’artiste par braquer quelqu’un,  je pourrais en faire les frais dans ma vie de tous les jours beaucoup plus facilement. 

Mes proches aussi et ça, c’est très ennuyeux. 

J’avais anticipé tout cela lorsque j’ai décidé d’écrire sous pseudo. Dès le début, cela m’a valu  des procès en paranoïa ou en complotisme ou en secrète malhonnêteté, délétère forcément (« le  mystérieux DOA, barbouze, hou hou ! »). Et puis, comme l’avez rappelé, il y a eu Charlie et  ensuite Samuel Paty. Un anonyme, un simple prof, qui faisait son boulot, a priori très bien,  dans une école républicaine et laïque. Pour avoir montré une ou des caricatures, de simples  dessins donc, on l’a DÉ-CA-PI-TÉ. Il faut prendre conscience de la réalité que recouvre ce  mot, décapité : Samuel Paty a, pour des croquis tout à fait légaux, précisons-le, eu la tête  tranchée, en pleine rue, en plein jour, en France, au XXIème siècle. Avec un couteau. Pas facile  de faire ça au couteau. J’imagine que cela a pris deux, peut-être trois minutes. D’interminables  minutes, au cours desquelles M. Paty a eu le temps de souffrir le martyre, de hurler, de se  désespérer de l’absence de secours, de renforts, d’un salut extérieur, en d’autres termes de se  savoir plus abandonné encore qu’il ne l’avait déjà été par l’État – retenez-le pour la suite de  cette interview –, par sa hiérarchie au préalable et ensuite par les forces de l’ordre sensées le  protéger au nom du pacte social et républicain. Il a eu le temps, aussi, de percevoir toute la rage  de son assassin dans la brutalité de ses gestes, sans doute de ses grognements, d’effort, de  colère, le temps de sentir la lame qui fouillait dans son cou, attaquait ses vertèbres cervicales,  la chaleur de son propre sang, bref, le temps de se voir mourir. J’espère pour Samuel Paty que  le choc de cette agression mortelle lui a rapidement fait perdre la conscience de ce qui se  passait. 

Il est loin d’être le seul à avoir été atteint dans sa chair. Grands ou petits, la cohorte des agressés  pour très peu – dans le grand ordre des choses – commence à être fort peuplée, même si dans  la plupart des cas, on n’en fait pas publicité. Dès lors, plus aucune des accusations ci-dessus ne  tient, je cesse d’être un artiste un poil hurluberlu, limite zinzin. Et la question de ma liberté de  création se pose de façon plus nette encore aujourd’hui, comme vous le faites si bien. 

Moi, ce que je me demande, c’est si les gens de Wikipédia, qui furent les premiers à lâcher  dans la nature le lien entre mon pseudonyme et mon vrai nom, bien cachés derrière des pseudos,  et donc à me refuser un droit à l’anonymat qu’ils préservent pour eux-mêmes – au nom de quoi  d’ailleurs, que pensent-ils défendre par cette révélation contre ma volonté ? – et, derrière eux, les journalistes qui leur ont emboîté le pas, ont conscience de la responsabilité qui est, à la  seconde où ils l’ont fait, devenue la leur.

10 – Un point de détail du roman qui à force d’être présent n’en est peut-être plus un. Par  des petites phrases parlant de la gêne occasionnée par les masques FFP2, de la COVID la  nouvelle peste noire, de l’impossibilité de boire l’apéro le soir en France, les acteurs de  « Rétiaire(s) » montrent particulièrement leur mécontentement, un écho de votre propre  colère face aux directives gouvernementales dans la gestion de la crise ? 

Avant de répondre à cette question, dire tout d’abord que « Rétiaire(s) » n’est pas un livre sur  la COVID et que celle-ci y apparaît seulement parce que l’action se déroule durant la pandémie.  Alors certes, il y a agacement de ma part, et il se ressent, visiblement, mais cela reste  particulièrement léger et coulé dans l’intrigue et ses personnages en ce qu’elle les contraint,  comme elle nous a tous contraints, mais n’est pas le sujet.

Ensuite, peut-être faut-il expliquer d’où je parle. Pour cela, je vous invite à lire ou relire,  écouter, regarder, l’une ou l’autre, ou toutes, les références suivantes : 

– La journaliste et essayiste Naomi Klein et son livre « La stratégie du choc »  (). 

– La philosophe et universitaire Barbara Stiegler, auteure de « De la démocratie en  pandémie : santé, recherche, éducation » () et de nombreuses  conférences, interventions et entretiens, comme celui-ci : . 

– Et enfin le Dr Alice Desbiolles, médecin (ainsi se présente-t-elle sur Twitter, au  masculin) en santé publique et épidémiologiste, qui a été entendue par le Sénat à ce sujet en février 2022 : .  

Quand la situation sanitaire chinoise est devenue ou, plus précisément, a commencé à nous être  présentée comme un problème mondial, une pandémie, je travaillais sur mon nazi et terminais la lecture d’une magnifique biographie d’Hitler en deux tomes () qui  évoque notamment sa prise de pouvoir et le contexte de celle-ci : instabilité politique, détresse  économique, sentiment de déclassement, insécurité, (re-)montée des nationalismes et angoisse  générale de la population. Sur ce terreau fertile on a d’abord transformé l’angoisse en peur,  ensuite on a nommé le responsable de cette peur, le juif, le communiste, le banquier  cosmopolite, qu’on a déshumanisé, sous-humanisé, diabolisé, puis on a attisé la haine pour  mobiliser, entraîner, galvaniser, et enfin, par l’imposition d’un dogme, avec des croyances et  des règles qui ne souffraient aucune discussion, on a justifié l’arbitraire et la violence. 

Un exemple de déshumanisation : « Bonne année à tous, sauf aux antivax, qui sont vraiment  soit des cons, soit des monstres. » (NDLR, c’est moi qui souligne, un monstre est tout sauf un  être humain, original ici : https://bit.ly/3QITf4s). 

Un exemple de violence justifiée : « On peut demander à ceux qui ont les noms des non  vaccinés de donner ces fichiers à des brigades, à des agents, à des équipes, qui vont aller frapper  à leur porte. » (original ici : ). 

Et ils vont faire quoi ensuite, ces agents ? Vacciner les gens de force en les attrapant et en les  immobilisant à plusieurs, comme en Inde ? Les mettre dans des camps, comme en Australie ?  Parce que les exemples ci-dessus ne sont malheureusement pas des cas isolés. Et moi, quand  je commence à voir, dans les journaux, sur les chaînes nationales ou d’information continue, à  des heures de grande écoute, ou sur les réseaux sociaux, la mise en place d’une véritable  religion de LA Science, incontestable sous peine d’excommunication, et la stigmatisation non stop d’une partie de la population devenue bouc-émissaire, moins que citoyenne, puis la  tentative de rendre acceptable la mise en place de listes de dénonciation – délation ? –, de  brigades spéciales, la privation de droits fondamentaux, je me dis qu’on a un sérieux problème,  qui n’est plus du tout d’ordre sanitaire. 

Comparaison n’est pas raison, je le sais, toutes les circonstances ne sont pas identiques, mais  les convergences restent nombreuses, qui ont justifié de constants changements de pied de la  part de l’État – plus prompt à nous emmerder, nous enfermer, nous contraindre, qu’à nous  protéger réellement, voir plus haut – et des commentateurs qui s’en sont fait les relais, sans le  moindre recul : pas de masque, masque, même quand on est seul sur une plage ou dans la forêt,  auto-autorisation de sortie (ausweis ?), pas de fermeture des frontières mais confinement individuel, c’est-à-dire repli à l’intérieur de ses frontières personnelles ou familiales, puis finalement si, fermeture des frontières, distanciation sociale, gestes barrières ridicules, pas de  couvre-feu, couvre-feu, café assis, pas debout, les virus volant à hauteur d’homme, pas de  passe, passe, debout, assis, couchés, debout, assis, couchés, le tout pour appuyer des solutions  dont on peut quand même dire sans risque de se tromper beaucoup que leur efficacité a laissé  à désirer. Sauf pour dissimuler cette autre grande faillite administrative qu’est l’hôpital public,  dont l’incapacité à faire face risquait de nous sauter à la gueule, révélant par voie de  conséquence la faiblesse et l’impuissance dudit État. Inacceptable. 

On ne peut que s’étonner – c’est ironique – de l’absence de volonté politique et médiatique de  dresser un bilan chiffré de toutes les mesures qui nous été imposées, le bon et le moins bon,  d’un point de vue sanitaire (pas seulement sur la COVID, sur les autres pathologies aussi),  démographique, psychosocial, éducatif, économique, alors que nous avons été noyés pendant  deux ans sous des chiffres, souvent contradictoires, toujours arrangés, pour valider, dans la  précipitation et l’urgence, un terrible n’importe quoi. Ce qu’on ne regarde pas, on ne le voit  pas, donc ça n’existe pas, passons vite à la crise suivante. 

Au risque de vous lasser, pour conclure, je vais vous en donner quelques-uns, des chiffres, mais  solides et qui montrent qu’un truc au moins aura été super efficace, pendant cette pandémie : 

– L’Union européenne (UE) a passé contrat pour la fourniture de 4,6 milliards de doses  de vaccins anti-COVID jusqu’en 2023 inclus, soit environ 10 doses par habitant de  l’UE, pour un montant de 71 milliards d’euros (source : Cour des comptes européenne,  rapport spécial n°19 de 2022 : ). Pour quel résultat effectif ? À quel montant s’élèvera le gaspillage pour les vaccins qui ne sont plus recommandés et  les boosters non employés ? Qui payera tout cela en fin de compte ? Et, puisque c’est à  la mode, quel est le bilan carbone de toutes ces opérations de construction d’usines  (surtout en Asie), de fabrication, de transport (maritime, très gourmand en énergies  fossiles et polluant), de réfrigération / conservation ? Sur ces 71 milliards d’euros, la  moitié est allée à Pfizer, dans le cadre d’un accord négocié en direct par la présidente  de l’UE, qui a court-circuité les instances ad hoc (contrairement à ce qui s’est passé  pour les autres labos, qui ont suivi la procédure normale. Cf. points 48 à 50 du rapport  n°19 ci-dessus). La susmentionnée présidente, déjà poursuivie en justice dans le cadre  d’une affaire de conflit d’intérêts en Allemagne, vient d’être convoquée devant le  Parlement européen pour s’expliquer à propos justement des zones d’ombres de sa  négociation hors des clous avec Pfizer. Par ailleurs, le Procureur de l’UE a lui-même  initié une procédure au sujet de cette négociation (https://politi.co/3k81n2k). – En 2021, la société Pfizer a vu son chiffre d’affaires augmenter de 95% – donc presque  doubler – et atteindre 81,3 milliards de dollars. Son bénéfice a lui aussi été multiplié  par deux et s’élevait à 22 milliards de dollars (). En 2022, Pfizer  anticipait un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars, dont environ 34 milliards  seraient le fruit des ventes de son vaccin anti-COVID et 22 milliards celui des ventes  de sa pilule anti-COVID, le Paxlovid (). Y a bon COVID !

11 – Je sais très bien que vous n’en direz rien mais je pose néanmoins la question. Pour  moi simple lecteur, il me semble que l’histoire est loin d’être close et que notamment un personnage fort a passé son temps à morfler pendant plus de 400 pages et qu’on aimerait  bien voir son retour. Y aura-t-il une suite à « Rétiaire(s) » ? 

L’histoire pourrait s’arrêter là. Elle pourrait aussi continuer. Je crois cependant que, puisque  mon nazi s’impatiente, il faut d’abord s’occuper de lui. 

12 – Une B.O pour Rétiaire(s) ? 

Au lieu d’un morceau de rap contemporain, par exemple « TP » de Soso Maness  () ou « Mannschaft » de SCH (), évoqué dans le  roman, je préfère revenir en arrière et suggérer « Cocaine » de JJ Cale  (.

Merci à DOA.

Clete.

Entretien réalisé par échange de mails mi-janvier 2023.

4 Comments

  1. daniel Menet

    pour quand la suite ?

    • clete

      A ma connaissance, comme il le dit dans l’entretien, la suite n’est pas programmée.

  2. Bouyssou

    Super
    Je viens de le lire d’une traite …
    J’avoue que très vite je me suis dit que c’était écrit pour plusieurs épisodes.
    Je serai triste que la suite ne vienne pas… snif !
    Bravo pour tous ces polars, je suis vraiment un grand fan.
    Un peu comme Maurice G Dantec qui est très bien aussi.
    Merci pour l’interview et bravo à l’auteur DOA – on s’en fou de son identité !

    • clete

      Bonjour,
      Merci pour vos commentaires qui réchauffent le coeur.
      Et Puis DOA est grand, c’est vrai.

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