A Private Cathedral

Traduction: Christophe Mercier.

“À l’instar des Capulet et des Montaigu dans Roméo et Juliette, les familles Shondell et Balangie se haïssent depuis toujours. Deux familles mafieuses au sein desquelles le mal rôde. Seuls leurs enfants, Johnny Shondell et Isolde Balangie échappent à ce climat délétère : ils sont jeunes et beaux, il joue de la musique, elle chante comme un ange et… ils s’aiment. jjMais telle une malédiction venue d’un autre âge, Isolde est « promise » à l’onde de Johnny qui veut en faire son esclave sexuelle. Dave Robicheaux, lui-même en perdition à la suite du décès de ses deux premières femmes, se mêle de cette affaire et se rapproche de la famille d’Isolde, à ses risques et périls. Secondé par son fidèle et incontrôlable ami Clete Purcel, il va plonger dans un monde d’horreur littéralement moyenâgeux.”

Je ne vais pas revenir longtemps sur les outrances qu’avait fait subir à Dave Robicheaux son créateur l’exceptionnel et unique James Lee Burke dans la précédente aventure de Belle Mèche “New Iberia Blues”. Il en avait fait un surhomme toujours apte à en découdre avec les pires saloperies de Louisiane, mais aussi un grand séducteur de jeunes femmes tombant en pâmoison devant un vieil homme plus âgé qu’elles d’un bon demi-siècle. Le lecteur occasionnel, ignorant l’âge du héros, proche des quatre-vingts ans, n’y avait sans doute rien trouvé à redire, mais les fidèles s’en offusquèrent certainement. Certains de ces reproches ont dû arriver aux oreilles du grand écrivain car pour cette 23ème aventure, il a décidé de rajeunir Robicheaux d’une vingtaine d’années, le renvoyant à l’époque de la mort de Bootsie, sa troisième et la plus charismatique de ses épouses, terrassée par un lupus. Du coup, ce roman se situe à l’époque du grandiose “Dernier Tramway pour les Champs-Élysées” sans en avoir tout le charme néanmoins. On peut s’interroger sur ce choix.

Ce qui change avant tout est, il me semble, que dans ce prequel l’accent est plus mis sur une histoire du genre hardboiled comme le premier “la pluie de néon” dont les excès pouvaient s’expliquer par l’état alcoolique de Robicheaux à l’époque. Ici, il ne picole pas et heureusement dans un sens car l’aventure le met dans un sale état proche de celui qui était le sien dans “Dans la brume électrique avec les soldats confédérés”. Il souffre de visions et il ne peut être aidé par son pote Cletus Purcel souffrant des mêmes maux.

Visiblement Burke a envie et c’est bien son droit à 84 ans d’écrire des romans avec une base de bastons, de flingues, de bibines et de belles femmes mystérieuses et comme il a rajeuni ses deux vieux cowboys, il ne s’en prive pas. D’habitude, dans le schéma classique, dès que Robicheaux est ennuyé par des mafieux ou leurs nervis malades, il reste relativement calme et c’est Clete Purcel, électron très, très libre qui va jouer les justiciers et fout la merde mais au bout de 100 ou 150 pages quand même… Dans ce nouvel opus, dès la page 36, Clete Purcel a déjà défoncé deux nuisibles remodelant la plastique faciale de l’un avec l’aide de la céramique de la cuvette des chiottes. Du coup, on est dans le marigot, dans les eaux troubles du bayou rapidement et pour 400 pages puant le soufre.

Pareillement, Burke a tendance à vouloir faire de Robicheaux un tombeur sur le tard. Elles tombent toutes sous son charme, il résiste le bougre et puis il succombe à chaque coup. En fait, dans ses dernières aventures Robicheaux ne fait plus totalement preuve de discernement. Ici, il a une liaison avec la femme d’un mafieux puis comme si cela n’était pas suffisant pour faire parler la poudre et les emmerdements XXL, il séduit ensuite une des maîtresses de ce dernier vu que l’épouse a éconduit sa demande en mariage. Les habitués de la saga Robicheaux diront qu’il a bien raison d’en profiter finalement, vu que dans quelques années Burke lui fera épouser une religieuse… qu’il ne gardera pas longtemps non plus.

“Une cathédrale à soi”, tout en étant très classique des polars de Burke, ouvre vers un univers hanté, habité et montre que l’auteur peut encore beaucoup surprendre.  

D’accord, on sait qu’on n’a pas trop à trembler pour les deux compères puisque vingt ans plus tard ils continuer à cogner sur les pourris de Louisiane, à rouler la bière à la main dans une Caddy rose en chemise à fleurs pour Purcel et à se prendre la tête sur la nature humaine tout en draguant à la sortie des lycées pour Robicheaux (je plaisante). Ceci dit, on tremble néanmoins pour certains personnages découverts dans cette histoire. Ensuite, il y a une dimension carrément gothique avec des visions de bateaux aux voiles noires emportant les morts, complétées par un tueur qui semble traverser les époques depuis les Borgia en passant par Mussolini. J’ai conscience que certains doivent se dire que le vieil écrivain perd un peu la boule mais les visions étaient déjà présentes dans “la brume électrique”. Mais, cette fois, le ton est beaucoup plus sombre, onirique, bien flippant par moments, on connaît le talent de Burke.

Les néophytes découvriront un polar très bien écrit aux personnages au caractère bien trempé, une intrigue qui tient en haleine sans temps mort et une plume réellement divine. On pourra regretter un certain manque de belles descriptions coutumières des écrits du grand écrivain du Sud. Le parti pris originel d’écrire une histoire qui dépote n’a néanmoins pas occulté de longs et beaux passages sur la condition humaine et sur la mort qui hante de plus en plus les romans de Burke.

Les fans de Robicheaux retrouveront tout ce qui fait qu’un Burke passe avant tout le reste: bouquins, loisirs, travail, famille et amis. Belle Mèche est en très, peut être trop, grande forme. Le duo fonctionne parfaitement et les dialogues défoncent comme les poings d’un Clete Purcel en colère. On retrouve Tripod, on croise Alafair étudiante, Helen Soileau devient la chef de Robicheaux et bien sûr on découvre de nouveaux mafieux bien puants. L’environnement est très musical, blues et country en belle harmonie avec l’histoire. Et même si la fin laisse planer des zones d’ombre et semble appeler une suite, on passe une fois encore un grand moment à New Iberia.

Clete