Chroniques noires et partisanes

LES JALOUX de James Lee Burke / Rivages

The Jealous Kind

Traduction: Christophe Mercier

Et voilà le Burke de l’année. On peut parfois s’interroger sur la longévité de l’auteur et la régularité de sa production, l’homme fêtera son 87ème anniversaire en décembre. On a ici un élément de réponse avec les remerciements de fin où il évoque l’aide de sa fille Pamala  dans l’écriture de ce roman. 

Alors, la mauvaise nouvelle pour commencer: ce n’est pas un Robicheaux ! Mais peut-être, je dis bien peut-être que ce n’est finalement pas un mal tant les derniers semblaient montrer un certain essoufflement dans la saga de “Belle Mèche”. Des intrigues repiquées sur les précédentes, une façon assez dérangeante de faire tourner très vieux con réac notre brave Dave Robicheaux. Malgré le plaisir jamais égalé de lire de nouvelles aventures en provenance du bayou, c’était quand même peut-être moins bon qu’auparavant et on pouvait avoir tendance à rester ébloui par les souvenirs de temps meilleurs. D’ailleurs, on n’est pas près de retrouver notre justicier de New-Iberia et son pote Clete Purcel avant longtemps, si on le revoit un jour, vu qu’il n’apparaît pas dans les trois dernières sorties américaines depuis 2021.

Lu un peu partout  dans la présentation du roman aux USA comme en France, Les jaloux, fait partie de la saga de la famille Holland, commencée en 1971 avec Déposer glaive et bouclier avec Hackberry Holland que l’on retrouve en 2017 dans Dieux de la pluie puis dans La Fête des fous. On a aussi rencontré Billy Bob Holland, avocat texan, au fil des quatre histoires sorties dans les années 2000. Citons aussi Weldon Holland, le personnage principal de Wayfaring Stranger pour l’instant inédit en France et Aaron Holland Broussard qui nous intéresse aujourd’hui. Ils sont tous les quatre les petits-fils d’un autre Hackberry Holland,Texas Ranger, découvert il y a quelques années dans un très baroque La Maison du soleil levant. Alors tout cela semble bien compliqué à suivre et finalement n’est pas  très utile car tous ces romans peuvent se lire comme des “one shot” pour les fans de Burke et les autres, au gré des préférences personnelles, avec un large éventail allant du pur western à des histoires texanes beaucoup plus contemporaines. La Louisiane où sont situées beaucoup d’histoires de Robicheaux lui est chère, mais, il est avant tout texan et la famille Holland “sévit” presque exclusivement dans le “Lone Star State”. Si vous voulez vraiment lire les différentes sagas dans l’ordre chronologique, le site de l’auteur vous aidera à vous y retrouver à travers un arbre généalogique de la famille Holland.

“1952, Houston, Texas. La vie s’écoule au rythme des fifties, dans une ambiance insouciante. C’est l’époque des grosses cylindrées, des juke-box, des drive-in, des amours sur les banquettes arrière, et surtout, c’est le boom du pétrole. Comme tous les jeunes gens de son âge, Aaron Holland Broussard emprunte la voiture de son père pour aller se promener au bord de la mer à Galveston. C’est là que son destin bascule. Il surprend une violente dispute entre une jeune fille nommée Valérie Epstein et son « boyfriend », Grady Harrelson. Il s’en mêle et, dans le même moment, tombe éperdument amoureux de Valérie. Il ne sait pas qu’il vient de se mettre à dos la riche et puissante famille Harrelson. Dans ce coin de l’Amérique, les familles bien nées et les mafieux ont tissé des liens contre nature et il ne fait pas bon se mettre en travers de leur chemin, Aaron l’apprendra à ses dépens.”

Les jaloux est avant tout un roman d’apprentissage où le jeune Aaron est confronté à un monde adulte bien plus violent qu’il ne le pensait. Il prend conscience de l’alcoolisme de son père, du trouble bipolaire de sa mère, de la violence des profs, de la couardise des flics, du combat que peut être la vie si l’on n’est pas bien né. Nombre de convictions, de croyances sont ébranlées, des statues déboulonnées…

Les jaloux est aussi un superbe roman noir comme seul James Lee Burke sait les écrire. On y retrouve bien sûr la lutte du bien contre le mal : des nantis qui écrasent les humbles, les pauvres, les émigrés, associés comme toujours avec les mafieux de la pire espèce. Burke sait créer une angoisse par les situations mais aussi par des silences. Beaucoup de personnages sont très troublants, équivoques, et comme Aaron, le lecteur sent le danger mais ne sait pas sous quelles formes le tourment et l’horreur vont apparaître ni qui ils vont toucher. 

Dans ce roman génialement bercé par de nombreux morceaux de jazz, de blues et de country, la zik de Hank Williams ou de Albert Ammons, c’est l’Amérique d’un certain âge d’or du cinéma qui nous est contée, jeunes filles en jupes à fleurs, pantalons “drapes”, drive-in, grosses cylindrées, “greasers”, crans d’arrêt…Et puis franchement Aaron et son pote “catastrophique” Saber, sont très proches du duo Robicheaux / Purcel. Comme toujours chez l’auteur, le final, c’est du pur western. L’épilogue est très beau, déchirant, à vous faire chialer.

Mais ce n’est pas tout… Aux USA sont déjà sortis Another Kind of Eden et Every Cloak Rolled in Blood qui poursuivent l’histoire de Aaron Broussard Holland, devenu adulte.

Enfin, et pour tous les fans de l’auteur, il faut savoir que, comme son héros, Burke a eu seize ans en 1952 à Houston. Deux fois dans le roman, Aaron exprime le souhait de devenir écrivain un jour. Des éléments qui permettent de penser, et les deux romans encore inédits ne le démentent pas, bien au contraire, que le vieux Jim a écrit peut-être là ses histoires les plus autobiographiques, souvent très touchantes.

“Quand j’entends parler de guerres, ou de rumeurs de guerres, et que je suis las des côtés destructeurs de mes semblables, je pense à Valerie Epstein assise à côté de moi dans ma  bagnole le dernier jour de l’été 1952, tous deux dévalant dans un grondement le boulevard de Galveston Island, le soleil comme une boule fondue plongeant dans le golfe, les vagues d’un vert ardoise ourlées d’écume avant d’exploser sur la plage en une brume iridescente. Les étoiles étaient déjà apparues, le drive-in où nous nous étions rencontrés enveloppé de néons jaunes et rouges, les voitures garées sous la canopée brillant à la lumière comme un sucre d’orge. Quand elle se rapprocha de moi et appuya sa tête contre mon épaule, ses mains serrant mon bras, je sus que nous ne mourions ni l’un ni l’autre, que la vie était une chanson…”

Certes ce n’est pas du Robicheaux mais c’est un putain de bon roman.

James Lee Burke, à jamais le meilleur !

Clete.

2 Comments

  1. Gilles

    Ça donne très envie. Je n’ai jamais lu l’auteur. L’ »arbre généalogique » peut intimider le nouveau lecteur, mais je vais faire confiance à l’aspect « one shot » du roman. One shot qui a déjà des suites et dont il faut semble-t-il attraper le train en marche. L’âge de l’auteur attise par ailleurs ma curiosité…

    • clete

      C’est mon auteur préféré donc je suis sûrement subjectif dans mes avis et je dois sûrement trop flatter mais Burke m’accompagne depuis quasiment 25 ans et il ne m’a jamais déçu. Et vraiment, on peut lire n’importe quel bouquin comme un « one shot ». Celui-ci particulièrement puisque c’est le premier d’une série de trois qui se poursuit dans les années 60 puis à la fin de la vie du héros. Pour la série des Robicheaux, c’est beaucoup plus intéressant de suivre la chronologie pour bien comprendre les personnages.

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