Chroniques noires et partisanes

Étiquette : EquinoX (Page 1 of 4)

AU MILIEU DES SERPENTS de Patrick Michael Finn / EquinoX les Arènes

A Place for Snakes to Breed

Traduction: Yoko Lacour

“Tammy a 17 ans. Après une nouvelle dispute avec sa mère, la jeune fille part retrouver Weldon, un père qu’elle n’a jamais connu, en Californie. Weldon, alcoolique repenti qui tente de reprendre sa vie en main, ne sait pas ce qui l’attend… Tammy est inexorablement attirée par la destruction. Le père et la fille doivent apprendre à cohabiter tant bien que mal. Lorsque Tammy fugue, Weldon part à sa recherche dans le sud désertique des États-Unis.”

On avait lu et, avec le recul, apprécié de manière durable Ceci est mon corps la première novella de Patrick Michael Finn. Cinq ans plus tard, c’est une bonne surprise de le retrouver pour la rentrée Equinox.

Son premier écrit tournait autour du désarroi d’ados bien tourmentés et perdus de coins blafards de l’underground dégueulasse américain. Il y revient au cours d’un roadtrip au bout de l’horreur dans une Californie privée de ses clichés ensoleillés au profit d’une collection d’ambiances sales et désespérées où se débattent Tammy, l’ado révoltée alcoolo, toxico et prostituée et Weldom son père. On se trouve très rapidement dans le thème résilience/rédemption si chère aux auteurs ricains et si souvent lu qu’il est parfois difficile, malgré les efforts louables des auteurs, d’y trouver encore un pan d’originalité.

Au milieu des serpents rejoindra la cohorte des romans ni mauvais ni bons, juste finalement très quelconques, à qui il manque une petite étincelle pour tout enflammer et embarquer le lecteur. La brièveté du roman donne un peu l’impression d’une succession de tableaux en carton, de scènes où ne sont évoquées que la mocheté et la cruauté de la vie. De situations glauques en décors pourris, on est convié à une vraie chanson country où est asséné beaucoup trop de pathos (même le chien morfle) sans que l’on soit spécialement touché. Il est certain que les personnages tourmentés, déchirés par leur passé et perdus dans ce présent glauque, n’ont pas à se montrer aimables dans leur détresse mais tout ceci semble bien exagéré, notamment ce désir nouveau et irrésistible de Weldom, après quinze ans d’absence, de sauver une fille qu’il ne connaît finalement absolument pas et qui n’a montré aucune affection particulière pour son vieux daron qu’elle a délesté de quelques pauvres dollars avant de s’enfuir.

Néanmoins, ce roman au dénouement bien trop prévisible, pourra peut-être donner envie à tous ceux qui découvrent ce genre d’aller fureter vers des auteurs comme Chris Offutt ou Larry Brown qui ont souvent peint avec talent la pauvreté, la vraie galère, la dure réalité du rêve américain. On pense également aux œuvres particulièrement mordantes d’Eric Miles Williamson ou de Larry Fondation dont les romans sont assez proches dans leur dépouillement mais qui montrent avec beaucoup plus de crédibilité la violence du monde pour les sans grade. Déception…

Clete.

SANGS MÊLÉS de John Vercher / EquinoX / les Arènes

Three-Fifths

Traduction: Clément Baude.

“Né d’un père noir inconnu, Bobby s’est toujours fait passer pour Blanc. Un soir d’hiver, il retrouve enfin Aaron, son meilleur ami, qui a passé trois ans en prison pour trafic de stupéfiants. Mais les retrouvailles tournent au drame : Aaron agresse sauvagement un jeune Noir, rendant Bobby complice d’un meurtre raciste.

Dès lors, la vie de Bobby bascule dans la tragédie. Il fuit la police qui enquête sur ce crime ; il fuit Aaron devenu son ennemi ; il fuit sa propre identité qu’il ne peut révéler…”

Situé à Pittsburgh en 1995, au moment du procès d’O.J. Simpson, Sangs mêlés est le premier roman époustouflant de John Vercher. C’est un polar, sans nul doute, surtout dans son début et à la toute fin, mais l’intérêt est vraiment ailleurs que dans ces deux déchaînements de violence qui inaugurent et closent une histoire bouleversante.

Les thématiques sont nombreuses, certaines évidentes comme l’identité, le racisme, d’autres apparaissent en filigrane, l’alcoolisme, l’univers carcéral, la pauvreté, l’amour défendu. Le talent, manifeste, de John Vercher tient dans la maîtrise de ses thématiques dans un format relativement court, à sa faculté d’explorer les personnages très humains, imparfaits mais tellement crédibles, à une justesse de son propos qui frôle la perfection, à ces silences pudiques qui valent plus que des faits. Le drame que nous vivons, comme la chronique d’une mort annoncée finalement, est éclairé par des flashbacks qui nous racontent Bobby, sa mère, Robert un médecin qui accompagne les derniers instants de la victime de la folie d’ Aaron, devenu une bête raciste, embrigadé par la fraternité aryenne en prison.

Deux semaines après sa lecture, l’écriture d’un avis à peu près lisible apparaît comme impossible et j’y renonce. Le roman vous travaille bien après sa lecture, révolte par son final dramatique, vous laissant bien seul et démuni avec vos questions, avec vos “et si…”, vous noie de regrets pour les routes possibles non empruntées par Bobby et Aaron. Un roman magnifique, qui risque de vous briser le cœur, à ranger par son humanité, son intelligence et sa plume à côté des précieux romans de William Boyle.

Ne passez pas à côté.

Clete.

FLORIDA de Jon Sealy / EquinoX / Les Arènes

The Edge Of America

Traduction: Mathilde Helleu

Jon Sealy était apparu dans les librairies en 2017 avec Un seul parmi les vivants publié par Terres d’Amérique d’Albin Michel, un impressionnant premier roman. Six ans plus tard, exit Albin Michel et arrivée dans la collection EquinoX des Arènes chez qui il se passe beaucoup de choses intéressantes en ce début 2023: nouvelle maquette, format resserré et surtout venue de deux jeunes auteurs américains qui sont loin d’être des seconds couteaux Jon Sealy et John Vercher dont nous reparlerons aussi bientôt avec beaucoup de plaisir.

Un seul parmi les vivants traitait d’une histoire de contrebande d’alcool au moment de la prohibition en Caroline dont est issu l’auteur. Les trafics sur le sol américain ne doivent pas laisser insensible Jon Sealy puisque Florida parle, entre autres, du trafic de came tout particulièrement à Miami, Magic City comme on la nomme souvent au milieu des années 80 quand la Floride était la plaque tournante du trafic sur le sol ricain.

“Bobby West règne en maître sur Miami.

La quarantaine florissante, il surveille le sud des États-Unis pour le compte de la CIA.

Ruiné par ses investissements politiques et son divorce, il accepte une opération de blanchiment pour le trafiquant Alexander French. Mais sa fille s’empare du pactole et s’enfuit avec un inconnu.”

La couverture et la quatrième de couverture, aussi réussies soient-elles, laissent peut-être présager un bouquin un peu déjanté avec une course poursuite d’un père aux abois mais ce n’est pas du tout cela. The Edge of America, le titre original, beaucoup plus maline, n’incitait pas une confusion possible avec les polars azimutés de Carl Hiassen ou de Tim Dorsey, dont les romans se situent aussi en Floride.

S’il fallait situer ce roman, disons qu’on est très souvent proche d’une écriture journalistique comme le faisait si bien Tom Wolfe, auteur par ailleurs d’un très bizarre Bloody Miami et surtout un grand observateur de la société américaine qu’il mettait génialement à nu dans ces trop rares romans. On peut ainsi établir une certaine similitude entre la chute de Bobby West et celle du héros bouffi d’orgueil et de certitudes narrée par Wolfe dans Le bûcher des vanités. Le destin de West pourra aussi s’apparenter à celui du héros du film Cartel de Ridley Scott dont le scénario avait été écrit par Cormac McCarthy.

Le ton est parfois humoristique, léger en apparence au début du roman où se mettent en place tous les éléments qui vont conduire aux sales ennuis de West. 

“Le pays était au bord du gouffre et il voulait seulement se tirer d’affaire avant que l’histoire se répète et que le château de cartes ne s’effondre”

Mais on s’aperçoit très vite que West, ponte de la CIA, qui a voulu se préparer une retraite dorée à peu de frais, est dans une belle panade. La mafia veut récupérer son argent, trois millions de dollars quand même, dérobés par une gamine en fuite avec un jeune nouvellement embauché par la Pieuvre locale. La direction de la CIA sent qu’il y a un problème dans les finances de sa boutique de Miami d’où elle surveille le Cuba de Castro mais aussi les puissants opposants au régime. 

Le cauchemar de West, très prenant, ne saurait cacher tout le travail effectué par Jon Sealy pour nous raconter, à travers cette histoire, de manière très claire, brillante parfois les sales affaires de la CIA: sa collusion avec les barons de la drogue, ses financement sales dans les guerres d’opposition aux régimes communistes, ses modes opératoires au-dessus des lois, au-dessus du Congrès, ses méthodes de désinformation, de falsification de la vérité, ses meurtres.

“Il ne s’agissait pas de servir son pays, mais de se servir soi-même. Depuis plus de dix ans, Miami était inondé par l’argent des drogues colombiennes, mais cela ne dérangeait personne. Pas plus qu’on ne s’inquiétait du fait que la CIA s’enrichissait secrètement grâce aux drogues en provenance d’Asie centrale. Mais que Bobby West redistribue cet argent à des exilés voulant renverser Fidel Castro, alors là-non, ça ferait mauvais genre.”

Puissant, percutant, éclairant et passionnant de bout en bout, un très grand roman. 

Clete

SIX VERSIONS / LES SIX ORPHELINS DU MONT SCARCLAW de Matt Wesolowski / EquinoX

Traduction: Antoine Chainas

“Un soir d’août, sur les pentes sauvages de la montagne écossaise, Tom Jeffries, quinze ans, disparaît. L’été suivant, son corps est retrouvé dans les marécages. Accident ou crime ? Le doute subsiste. 

Vingt ans plus tard, dans son célèbre podcast « Six Versions », Scott King donne la parole aux témoins pour tenter de résoudre l’énigme.« 

Matt Wesolowski a inventé le personnage de Scott King, animateur d’un podcast qui reprend en six épisodes hebdomadaires des affaires depuis longtemps enterrées, des cold cases qu’il réchauffe en interviewant six personnes, acteurs plus ou moins proches de la tragédie. Les orphelins de mont Scarclaw est le premier volume, le second, La tuerie Macleod sortira en mars.

Les séries true crime des plate-formes séduisent  mais aussi passionnantes qu’elles puissent être si le montage est performant, elles peuvent nuire au temps de lecture de chacun. D’ailleurs, autre débat hors sujet, les jeunes lisent-ils encore ou préfèrent-ils tout simplement être guidés confortablement par les épisodes que l’on prend quand l’envie vous prend et dont le format de 45 minutes est confortable, ne nuisant pas au temps dévolu à d’autres activités. 

 L’auteur, natif de Newcastle, Matt Wesolowki, éducateur pour jeunes a dû s’interroger sur ce phénomène avant de créer cette délicieuse « six versions » qui reprend de vieilles affaires non résolues, des « cold cases » sur le principe d’épisodes de podcasts qu’on peut lire d’une traite si on accroche et vous accrocherez ou qu’on peut reprendre aisément après une pause avec des parties très bien délimitées mettant en lumière un seul personnage à chaque fois.

Les orphelins de mont Scarclaw, premier de la série, avec cet ado perdu, bouffé par une forêt et recraché un an après ne brille pas, c’est évident, par son originalité scénaristique. Mais, après le premier épisode où on évacue l’éventuelle responsabilité des deux adultes accompagnateurs, on va vers une intrigue passionnante intéressant uniquement des ados, devenus aujourd’hui des adultes hantés plus ou moins par cette tragédie depuis deux décennies.

Et là, on a un beau florilège des désarrois et désordres habituels des adolescents: alcool, cannabis, histoires de cœur, de cul, rivalités dans le groupe, désirs de séduction, attrait du morbide, fréquentations dangereuses, méchanceté, mythomanie… Petit à petit, le lecteur se fait un opinion souvent battue en brèche par le témoignage suivant. On écoute, interprète, s’interroge, s’étonne de certains silences ou d’oublis.

Le suspense est crescendo, on avance bon train, en se dirigeant inexorablement vers le centre d’une cible toujours floue, accident ou meurtre ? Mais on est loin du compte quand apparaît en plus la possibilité, l’éventualité du surnaturel, de la légende ? Antoine Chainas, l’auteur du virtuose Bois aux renards  tout juste sorti et également traducteur du roman a dû apprécier cette intrigue frôlée, effleurée par le fantastique et animée par la mythification d’un lieu.

Matt Wesolowki, malin, sait très bien agripper son lecteur, l’épouvanter avec un roman qui ne comporte pourtant aucune goutte de sang, pas la moindre violence, pour mieux l’abandonner au bord du chemin avec une dernière version de l’histoire… la sienne.

Chapeau !

Clete.

NOUS N’ALLONS PAS NOUS RÉVEILLER de Heine Bakkeid / EquinoX / Les Arènes

Traduction: Céline Romand-Monnier

Après Tu me manqueras demain et Rendez-vous au paradis, voici la troisième aventure de l’ex-flic norvégien très cabossé Thordkild Aske. L’auteur, Heine Bakkeid, a réussi lors de ses premières livraisons à m’accrocher sérieusement à un héros scandinave, moi qui ne suis pas le meilleur client pour les polars dits nordiques. Un toxico du Daily Mail, dans un délire de drogué, a déclaré un jour que “Stephen King s’est trouvé un héritier norvégien”. Rien à voir avec l’empereur du Vermont pourtant mais bien sûr l’édition internationale s’est jetée sur cette connerie de stagiaire troisième pour la mettre en exergue en couverture, sur le bandeau ou en quatrième de couverture. Faut bien vendre et tous les arguments sont bons y compris les plus fallacieux.

Heine Bakkeid écrit juste des bons polars, plutôt intelligents, aux enquêtes très, très fouillées, aux dénouements surprenants. Ils sont matière à réflexion sur des thèmes très actuels, l’éco terrorisme dans celui ci. C’est déjà bien non ?  Alors, évidemment si vous prenez le train en marche, il vous manquera quelque chose pour comprendre quelques gags récurrents ou clins d’oeil de l’auteur à ses “fidèles” mais rien de bien rédhibitoire pour suivre le calvaire de Thodkilld qui définit ainsi son récent parcours:

“J’ai fait trois ans et demi de prison après avoir conduit une femme à la mort en étant sous GHB. J’ai été radié des cadres de l’Inspection générale de la police et j’ai une lésion cérébrale à l’amygdale suite à une tentative de suicide.” Pas vraiment réjouissant comme tableau mais bien sûr erroné et incomplet (cf Tu me manqueras demain).

Et puis la Norvège, ça change un peu de l’Islande. Un pays de 350 000 habitants et de 350 000 écrivains. “Travaille bien à l’école mon enfant, plus tard, tu raconteras des histoires tristes aux Français, ils sont très friands de notre monde désolé…” Je n’en peux plus des -Son et des -Dottir. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si, à l’image de son illustre compatriote Jo Nesbo, Heine Bakkeid n’avait pas décidé de faire voyager son héros et ses tourments…, oh le c..!!! en Islande.

“L’ex-flic Thorkild Aske est de retour à Stavanger, sur le droit chemin de la réinsertion professionnelle. Sa consommation de médicaments est sous contrôle, un brillant avenir de fabricant de chandelles se profile à l’horizon.

Mais c’est sans compter cette urgence qui l’envoie en Islande avec sa sœur Liz. Après vingt-cinq ans, il revoit son père, Úlfur, un vétéran de la lutte environnementale, qui vient d’être écroué pour meurtre.” 

Et l’Islande, à la recherche de l’innocence de leur père, Thordkild et Liz vont l’arpenter en long en large, surtout les coins les plus inhumains, là où l’île est battue par les embruns, les vents, la pluie, la neige et autres précipitation non réellement définies. C’est une redécouverte d’un territoire qu’ils ont quitté il y a plus de vingt-cinq ans en fuyant avec leur mère ce père et mari toxique. Thordkild et Liz n’ont aucun doute quant au fait que leur père soit un beau salaud mais de là à tuer sa jeune compagne d’une vingtaine de balais…

A cette intrigue familiale se greffent de manière plus générale les problèmes environnementaux liés à une sur industrialisation de l’île  ainsi que l’histoire d’un milieu écolo en Islande qui n’a nul besoin de Sandrine Rousseau pour s’entre-tuer. Du danger et beaucoup d’incertitudes pour l’infortuné Thordkill, et Wikileaks et le FBI dans les parages pour corser l’affaire…

Encore une fois, un polar très malin au suspense parfaitement entretenu.

Clete

CETTE TERRE QUE JE CROYAIS MIENNE d’Alain Choquart / EquinoX / Les Arènes

“Les contreforts du Vercors, abreuvés de soleil et de vent. Une grave lésion cérébrale pousse le capitaine Paul Brunel à retourner sur ses terres natales, racines d’une enfance heureuse. Mais la nature majestueuse cache une ruralité en souffrance. Un paysage de fermes dévastées, des femmes et des hommes acculés jusqu’au point de rupture, l’esprit gangrené par la peur du chaos… 

La découverte du corps d’un jeune agriculteur, attaché à des barbelés, fait sortir du bois des criminels déjantés et des complotistes désaxés. Et au milieu, l’ami d’enfance de Paul et sa femme, Elsa, le premier amour du capitaine. Tout autour, la furie des rivières d’eaux vives et le silence des montagnes.”

Le “rural noir “ en écho à l’identique ricain est une forme de noir qui fonctionne bien chez nous. Attention, pour un réussi, combien écrits par des gens qui connaissent de la campagne que ce qu’ils en voient en promenade le weekend ou en séjour sur leurs terres natales prenant parfois l’apparence d’un éden que seul l’auteur est capable de voir, surprenant voire navrant les lecteurs qui vivent la ruralité quotidiennement.

C’est donc un chemin bien risqué qu’emprunte pour son premier roman Alain Choquart. Le nom, si vous êtes un tant soit peu cinéphile, doit éveiller quelque chose en vous puisque le monsieur a une grande carrière de chef op avec notamment dix films avec Bertrand Tavernier puis de réalisateur au cinéma avec Lady Grey et à la tv.

Alors, quand on lit le résumé de l’éditeur, on se dit que ce bouquin sur un flic cabossé qui revient sur ses terres natales et retrouve amis d’enfance et premières amours dans un cadre naturel indompté et inchangé mais dont le peuplement a beaucoup évolué et pas en bien, on l’a déjà lu souvent. Quand se greffe très rapidement un trafic de came d’origine balkanique avec certainement de la violence à venir presto, on a un peu peur d’être saisi d’une très prévisible et encombrante paramnésie. D’accord, Choquart ne fait pas dans l’original et nul ne le lui demande par ailleurs. 

Cependant ce roman possède quelques atouts solides. Tout d’abord la plume, dans les descriptions est souvent très juste, donnant de belles images du Vercors, ses reliefs, sa flore et sa faune avec un petit abus sur les oiseaux à des moments parfois incongrus, un peu comme chez Sallis.

Ensuite, le rythme proposé est celui d’un bon thriller, bien cadencé, avec des scènes d’action parfois assez éprouvantes, des rebondissements crédibles, une dramatisation très au point. Ensuite, on ne peut nier un réel talent pour proposer des scènes très cinématographiques (normal direz-vous), qui marquent par leur décorum très élaboré pour inspirer, visualiser une horreur bien présente pendant tout le roman.

Enfin, Alain Choquart prend bien soin de l’humain, racontant les difficultés de vivre en zone isolée de nos jours, des choix difficiles à faire pour tenir, des franchissements de ligne dangereux.

Bref, très classique, ce premier roman d’Alain Choquart se distingue néanmoins par un rythme tendu qui s’avère entraînant et on espère une suite qui gommera sûrement certains clichés initiaux. C’est tout le mal qu’on souhaite à Cette terre que je croyais mienne, bien mal aidée dès le départ par une couverture, dirons-nous, peu engageante.

Clete

JE SUIS LE FILS DE MA PEINE de Thomas Sands / EquinoX / Les arènes

 Mon père n’esquissa pas un mouvement. Toujours à table, à sa place, il dominait la situation. Je me demandai alors ce qui avait bien pu arriver à cet homme. De quelle façon il avait pu se laisser envahir par le froid, la haine. Comment avait-il pu soumettre sa famille, battre son fils, le réduire peu à peu, inexorablement ? Je me demandai, oui, ce qui avait bien pu lui arriver. Ce qui nous advient à tous, nous submerge, nous durcit. Parfois nous transforme en bourreaux, prédateurs, âmes souillées, affaiblies pour longtemps. Quel est cet élan qui nous pousse à nous fouler ainsi aux pieds ? À lacérer ceux que nous aimons le plus ?

Je n’aime pas les titres à rallonge, ici j’ai tort, car celui-ci,  Je suis le fils de ma peine, convient parfaitement au texte. Vincent cherche douloureusement l’origine de la violence enfouie au fond de lui-même. Il se sonde, et par là remonte dans le temps, vers son père et ce qu’il a subi avec. En même temps, il cherche des meurtriers, des tueurs au sang froid. Il est officier de police, dur avec les autres comme avec lui-même. 

 Il veut comprendre et trouver. 

 Coincé entre deux mondes peu accommodants l’un envers l’autre, la seconde génération immigrée d’Algérie d’un côté, de l’autre la police et son grade de capitaine ; il est un combattant dans la société, il cherche le salut des innocents, des vulnérables, les protéger de la violence et de la misère sociale. Ce n’est plus un rebelle ni un révolté, il est écœuré et le dit au travers des pages incendiaires de Thomas Sands. Il rejette son entourage, son épouse, ses enfants, trouve refuge au plus profond de lui-même pour tenter de ne pas reproduire cette méchanceté ; tellement rongé par la honte qu’il éprouve une forme de claustrophobie à l’égard de son propre corps.

 Vincent est comme l’image rouge de la superbe couverture : on ne sait trop s’il s’agit d’une grenade ou d’un visage brisé.

La scène originelle de la colère familiale résonne avec l’actualité de 1986, Vincent a six ans alors qu’un homme meurt sous les coups des policiers derrière une porte cochère. Thomas Sands ne nous épargne rien pendant ce roman, certains chapitres sonts rudes, éprouvants, mais, et c’est une des forces du livre, son écriture est magnétique au point qu’il est difficile de poser Je suis le fils de ma peine. Il y a des phrases qui m’ont fendu l’âme, les rappels du passé n’ont rien d’agréable. Des pages entières sont comme des séries de coups de poings, ne vous attendez pas à une quelconque douceur, il n’y en a pas ou si peu ; Vincent est parfois désarmant, furtivement. Mais pour ça il faudra bien lire le roman dans toute son ampleur.

 L’ombre de la guerre d’Algérie et de l’histoire de l’immigration algérienne depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui en passant par les usines de Flins et de Poissy plane lourdement sur le roman, ce n’est bien sûr pas la première fois que la fiction s’empare de cette période. Elle est ici insérée au cœur de l’histoire familiale de Vincent et de ses parents par les récits du père et par les extraits de carnets de terrain d’un réalisme parfois difficile à soutenir écrits par un jeune photographe engagé chez les parachutistes. 

  Je suis le fils de ma peine c’est également une critique en règle des pouvoirs législatif et exécutif gérants de la France sous covid, un tableau désespéré du métier de flic aujourd’hui, un portrait de Paris encore moins désirable que chez Marc Villard, et tant d’autres choses encore. 

 Le matériel fourni par l’administration est en carafe depuis des mois. Ne sera pas réparé, encore moins remplacé. Plus de crédits, plus de pognon. Même pas assez pour payer l’essence des bagnoles de service — pour cela aussi on se côtise. On nous envoie à la guerre armé de petites cuillères. Voilà ce que disent mes flics. Nos armes de service, c’est pour se flinguer finalement. Deux mecs, un gardien, un lieutenant, se sont collés une balle le mois dernier. C’est moi qui ai reconnu les corps à la morgue. Annoncé la nouvelle à l’épouse de l’un, la copine de l’autre. Elles n’avaient même pas l’air étonnées. Plutôt soulagées, au fond. 

 L’écriture est violente, abrasive, pleine d’aspérités. Aussi dure qu’une scène de crime. Elle consume les pages et la lecture et donne un goût de cendres. Les phrases giflent, entaillent, arrachent. Le choix des citations est compliqué, pourquoi ce passage plus qu’un autre ? Il faudrait tout citer, alors pour simplifier : colletez-vous à Je suis le fils de ma peine. Le polar et le roman noir français ont bien des ténors, Dominique Manotti ou Pascal Dessaint entre autres, désormais il faudra faire avec Thomas Sands car il est dorénavant un auteur qui compte.

NicoTag

L’écriture de Thomas Sands a souvent de puissants élans de colère, après un tel déferlement il fait bon plonger dans le premier album de Thee Sacred Soul.

LA LUNE DE L’ÂPRE NEIGE de Waubgeshig Rice / Equinox Les Arènes

Traduction: Antoine Chainas

Terry annonça sans préambule :

 ― On n’a plus aucun contact avec le barrage. Le satellite ne fonctionne pas et on ne capte rien à la radio. Inutile de compter sur les téléphones ou la télévision. J’ai donc pris la décision de remettre les générateurs en service avant que les gens s’affolent ou fassent des bêtises. On passera au moins le week-end tranquille. S’il le faut, on prolongera cette mesure la semaine prochaine.

 Evan et Izzy acquiescèrent. Le regard prudent qu’ils échangèrent n’échappa pas au doyen.

 ― Ne vous inquiétez pas, on a déjà été confrontés à des situations similaires, même si on n’a pas eu de panne générale depuis longtemps. Rétablissons l’électricité pour ce week-end et revoyons-nous lundi.

Pas du jour au lendemain mais presque tout le village d’Evan se retrouve sans courant ni réseau d’aucune sorte. Comme lorsqu’il était enfant.
Evan Whitesky vit avec Nicole McCloud, et leurs deux enfants, Maiingan et Nangohns. C’est lui que nous suivons dans  La Lune de l’âpre neige .
Comment faire quand on s’est si vite habitué ? Revenir au mode de vie des anciens de la réserve ne plaît guère. Si certains continuent à perpétuer certaines pratiques ancestrales telles que la chasse ou diverses cérémonies, tout le monde apprécie le chauffage électrique, un film à la télé ou une partie de poker en ligne. Même quand on fait partie des Anichinabés, une première nation amérindienne.

Que s’est-il passé ?
C’est encore l’automne, mais déjà la météo commence à rafraîchir sérieusement cette contrée du nord canadien. On sent bien que ça ne va pas s’arranger, un suspens se met patiemment à grignoter les pages du roman de Waubgeshig Rice. Le dessin de couverture reflète d’ailleurs assez bien le climat anxiogène qui s’empare de la petite communauté. Le problème du réapprovisionnement point rapidement, d’autant que les villes et villages les plus proches sont à plusieurs centaines de kilomètres.
Les nouvelles, funestes, arrivent du sud grâce aux jeunes étudiants de la réserve rentrés précipitamment chez eux. Les horribles scènes de chaos urbain qu’ils décrivent n’ont rien de rassurant quant à notre comportement en cas de pénurie. 

 Viennent également des fuyards par la même route, dont l’un, inspiré d’un être maléfique des légendes amérindiennes, s’invite et abuse de l’hospitalité des villageois en se comportant en colonisateur. Certains, comme Evan et Izzy, refusent de se laisser envahir par cet énergumène dangereux.

L’esprit des Anichinabés subsistait en dépit des épreuves et des tragédies qui marquaient le sort des nations autochtones. Malgré les hésitations ayant précédé la première nuit de tempête, aucune panique n’aggrava la situation. La survie avait toujours constitué un élément essentiel de leur culture, de leur histoire. Les talents qu’ils avaient su préserver au sein de la réserve inhospitalière qu’on leur avait allouée, si loin des terres dont ils étaient originaires, constituaient une fierté qu’ils continuaient de chérir, même après des décennies d’oppression. Les aînés entendaient bien transmettre ce savoir aux plus jeunes, du moins ceux qui étaient disposés à apprendre. Chaque hiver plantait un jalon supplémentaire.

Le thème de la panne n’est pas nouveau dans le genre postapocalyptique. Qu’est-ce qui différencie  La Lune de l’âpre neige  ? 

 Les interrogations de l’auteur sur la survie et l’avenir d’une tribu, qui plus est la sienne ; le retour d’un passé récent mais révolu, l’adaptabilité à un hiver rythmé par le rationnement et les décès. 

 C’est aussi en filigrane une description du mode de vie contemporain dans les réserves avec son lot de problèmes liés à l’alcool et aux drogues, à la violence et aux suicides, et ce qu’il reste des anciennes coutumes tribales.
Et puis bien sûr une écriture très fluide, agréable alors que ce qu’il raconte n’est pas réjouissant, il faut préciser ici que Waubgeshig Rice est également conteur. Il ne cherche jamais le sensationnel, le spectaculaire, il est toujours humble, respectueux de sa tribu.
Antoine Chainas, ici traducteur, a eu la bonne idée de conserver les quelques ornements anichinabés utilisés par l’auteur, toujours en restant intelligible.

Son futur est plausible, La Lune de l’âpre neige est un roman pessimiste, rude parfois, où la solidité de la culture anichinabée est à nouveau mise à l’épreuve par l’arrivée de Blancs. En attendant que ses autres livres soient traduits, il ne faut pas passer à côté de ce roman de Waubgeshig Rice.

NicoTag

PLEIN SUD de Benoît Marchisio / EquinoX les Arènes

Benoît Marchisio est entré en littérature l’an dernier avec “Tous complices” un roman sur l’uberisation de la société. Changement total de thème avec ce roman historique furieux prenant pour cadre l’empire colonial français éphémère au Mexique au XIXème. On parle ici d’une période peu renseignée de l’histoire de la France, si ce n’est le haut fait de la Légion étrangère lors du combat de Camerone qui est fêté tous les ans par ce corps de l’armée. Sinistre et dangereux personnage que ce Napoléon III se perdant dans des rêves de conquête très loin de la France alors qu’il ne sera même pas capable de garantir ses propres frontières comme le montrera l’humiliation de la défaite de Sedan en 1870 où il sera fait prisonnier.

“Mexique, 1866.

Le pays, administré par un empire français fantoche, est au bord de l’implosion. Napoléon III, conscient que la situation lui a définitivement échappé, a prévenu ses hommes encore sur place : il n’enverra plus ni soldat ni argent.

Tandis que la révolte gronde, Balthazar Cordelier, capitaine d’un vaisseau pirate, tombe dans les griffes d’Antoine Sampoli, sous-préfet du département de Veracruz. Pour sauver sa peau, il jure pouvoir mener Sampoli sur la piste du trésor perdu de Laurens De Graaf, flibustier hollandais à la fortune immense.”

Inutile d’y aller par quatre chemins, Marchisio vous baladera suffisamment aux quatre coins du Mexique, sur terre et en mer, Plein Sud est un roman séduisant un peu comme Le blues des phalènes de Valentine Imhof dernièrement ou 3000 chevaux vapeur d’Antonin Varenne . Voilà, c’est du même tonneau, ça donne la même ivresse, des heures de dépaysement offertes par de belles plumes. Alors si l’aventure est partout dans Plein Sud, donnant une frénésie d’épisodes terribles et sanglants, elle est toujours parfaitement encadrée par des apports historiques, sociaux, économiques et politiques pertinents permettant de comprendre les pensées, comportements et agissements des différents protagonistes de cette chasse au trésor aux intérêts très antagonistes.

Alors, parfois, c’est peut-être un peu “romanesque” mais comme des gosses, on est souvent emporté par la frénésie, la folie de la situation. Benoît Marchisio semble avoir pris beaucoup de plaisir à écrire une histoire épique qui a dû néanmoins représenter un travail titanesque. Les personnages sont forts, certains sont très forts, torturés ou animés par une rage. Ils ne verront pas tous la fin du voyage et donc partez à l’abordage de Plein Sud, génial premier volet d’une trilogie qui mérite toute votre attention y compris sa magnifique couverture.

Du sang, de la sueur et des larmes.

Clete

MYCÉLIUM de Fabrice Jambois / EquinoX / Les Arènes

“Paris, Porte de la Chapelle. Les migrants tombent comme des mouches, foudroyés par un mal étrange. Les soupçons se portent spontanément sur les Vicaires, un groupuscule d’ultra-droite dirigé par le charismatique Stéphane Zenner. Pour Ravard, enquêteur de la section anti-terroriste, c’est le début d’une traque intense. Elle le conduira dans les limbes d’un Paris occulte et mettra sur sa route un spécialiste du paranormal et une étudiante fascinée par les réseaux de rencontres secrets. Mais tandis qu’il poursuit un médecin-chercheur acquis aux idées de Zenner, c’est le réel qui se met à trembler.”

La collection EquinoX des Arènes dirigée par Aurélien Masson sait donner une chance aux jeunes auteurs qui apportent une autre manière de voir le Noir, bien ancrée dans notre époque et les interrogations et les frayeurs qu’elle engendre. Un nouvel exemple avec ce premier roman de Fabrice Jambois, prof de philo, spécialiste de Deleuze (grand bien lui fasse) et dont le premier exercice délivre une bien belle copie.

Convoquant dans son intrigue, plusieurs peurs contemporaines devenant aussi parfois des légendes urbaines, Jambois nous propulse dans un Paris inquiétant, proche de celui qu’on voit tous les jours, mais ici franchement sous un mauvais jour. Les toxicos, les migrants, l’ultra-droite et les tréfonds de la conscience forment un décor inquiétant où on ne ressent que le pire de chacune de ces peurs actuelles. La possibilité d’un chaos encore plus vaste que celui entrevu en début de roman enchaîne une lecture qui s’avère addictive et en même temps très éprouvante.

Les personnages sont tous, à des degrés très divers, troubles mais extrêmement convaincants et les flics, c’est devenu très rare, ne sont pas affublés des très lourds poncifs qu’on leur attribue généralement. Ils ont leurs soucis mais comme les autres. Un peu comme dans “Empire des chimères” d’Antoine Chainas, le surnaturel fait quelques apparitions, sorte de psychédélisme effrayant issu d’un très mauvais trip, contribuant à donner une coloration plus sombre au cauchemar enduré, offrant une rupture dans un suspense très tenu et en même temps un prolongement, une autre vision très troublante.

EquinoX désire “ trouver un sens au chaos” et souvent la collection y parvient. En voici un frappant exemple avec Mycélium salement déstabilisant, méchamment dérangeant, oeuvre exigeante très recommandable d’un auteur qui a très bien su ramasser nos terreurs modernes pour bien nous les balancer à la tronche..

Clete

« Older posts

© 2023 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑