Deuxième entretien avec Thomas Bronnec, qui, roman après roman, nous conte les heurs et malheurs de la classe politique française à travers un cycle noir qu’il lui consacre avec beaucoup d’intelligence.
Vous avez débuté votre carrière chez Rivages puis vous êtes passé par la Série Noire de Gallimard et on vous retrouve aujourd’hui dans la collection Equinox aux Arènes. Vous aimez le changement ?
En 2017, Aurélien Masson, l’éditeur de la Série noire chez Gallimard, a décidé de rejoindre Les Arènes pour fonder une collection de romans noirs, EquinoX. Je l’ai suivi dans cette aventure car nous avons une relation de confiance, bâtie au fil des textes que nous avons travaillé ensemble : Les Initiés, En Pays conquis, et maintenant, La Meute.
En 2017, quand était sorti “En pays conquis” votre éditeur parlait du roman de la présidentielle à venir. Néanmoins, votre roman était plutôt une uchronie sur la vie politique française. Vous revenez deux ans plus tard, tout en gardant le même fond fictionnel, loin du racolage autour de la popularité du nouveau président que certains auteurs ont pu faire. Même si ce n’est pas votre sujet aviez-vous imaginé un telle explosion de la vie politique française et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron?
Qui prétendrait aujourd’hui avoir prévu l’élection d’Emmanuel Macron manquerait sans doute d’honnêteté intellectuelle. J’ai rencontré l’actuel président de la République pour la première fois en 2010, à l’occasion de l’enquête sur le ministère des Finances que j’ai effectuée avec Laurent Fargues, qui a donné un livre et un documentaire. Aucun journaliste ou presque n’avait alors entendu parler de lui. J’ai continué à le voir plusieurs fois, jusqu’en 2013, alors qu’il était secrétaire général adjoint de l’Elysée. J’ai d’ailleurs écrit un article pour Libération à ce propos, Déjà Macron perçait sous Emmanuel. On sentait chez lui un talent et un charisme certains, de l’ambition et une vision de la politique. Mais de là à l’imaginer à l’Elysée, si tôt, qui plus est…
Article pour Libé sur Macron signé Thomas Bronnec.
Vous l’expliquez très clairement dans une note en fin de “la meute” mais tout le monde n’ira pas chercher jusque là, de quoi parle ce troisième volet de ce qui ressemble à un cycle?Et peut-on lire votre roman sans avoir lu les précédents édités par la Série Noire?
Oui, on peut évidemment lire ce roman sans avoir lu les autres. Les Initiés, En Pays conquis, et La Meute forment finalement une trilogie politique, même si ce n’était pas prémédité ; mais chaque livre est autonome, même si on retrouve des personnages communs et si ces trois romans tissent ensemble un fil chronologique cohérent, comme une chronique d’une vie politique parallèle. La Meute met en scène un ancien président de la République, François Gabory, qui n’arrive pas à raccrocher et prépare son retour. Face à lui, Claire Bontems, une jeune ambitieuse qui tente de faire main basse sur la gauche en passant par-dessus les appareils politiques. Elle est conseillée par Catherine Lengrand, la sœur de Gabory. C’est le choc de deux ambitions, de deux générations, de deux visions de la gauche. Une guerre sans merci dans laquelle s’invitent des rumeurs sexuelles, hypertrophiées par les réseaux sociaux. Le roman évoque la relation de fascination et de haine entre le pouvoir politique et la sphère médiatique, dans une société transformée par Facebook et les mouvements MeToo et Balancetonporc.
Ce n’est pas un secret, vous êtes journaliste, actuellement chef du desk numérique de Ouest France mais on ignorait votre côté masochiste. Bien sûr, c’est la voix d’un des personnages pas la vôtre mais il est écrit:” Les journalistes… Des menteurs, des tricheurs, des enfumeurs avec un pouvoir aussi démesuré que leur ego, qui ne pensent qu’à vendre du papier que plus personne ne veut acheter.” Des élus de la nation, des partis, des mouvements sociaux, des ministres, les Français lambdas ne se gênent pas pour jeter l’opprobre sur toute une profession. D’où vient cette inimitié, cette méfiance de plus en plus présente?
Les médias sont de plus en plus mal-aimés, on est bien obligés de le constater. Il y a chez beaucoup un sentiment de déconnexion, l’idée que les médias représentent une élite qui ne comprend pas le pays, qui est trop proche des pouvoirs. C’est un terreau propice aux théories du complot et à l’émergence des fake news et des extrêmes. Cette méfiance qui se voue parfois en haine oblige la profession, loin d’être exempte de reproches, à s’interroger et à être toujours plus exigeante car la presse est un contre-pouvoir essentiel dans une démocratie.
A propos des dernières tracasseries de monsieur Castaner, on a pu entendre de la part de voix zélés que le pouvoir se sentait otage des informations délivrées par les réseaux sociaux, ce qui l’obligeait à des déclarations hasardeuses, prématurées ? Est-ce à dire qu’à notre époque la voix officielle serait menacée par des infos officieuse non vérifiées?
Ma réponse est un peu le prolongement de l’autre. Beaucoup ne croient plus les versions officielles et préfèrent croire que les autorités, les institutions mentent. Je crois que la communication politique, parfois désastreuse comme lors du drame de Lubrizol, doit se réinventer pour faire face à ces défis.
L’Europe est au cœur du débat de “la meute”, le pays étant en plein Frexit suite à un référendum. L’appartenance à l’UE sera certainement un grand débat de la prochaine présidentielle, peut-être pas le plus important pour les électeurs, mais quels autres grands sujets voyez-vous poindre depuis votre poste d’observation?
J’espère que l’environnement sera le thème principal de la prochaine campagne. Il est plus que temps que les gouvernements en fassent la priorité numéro un. Ils ne le feront pas d’eux-mêmes mais les mobilisations populaires, de plus en plus massives même si la France est en retard, peuvent les obliger à agir.
L’opposition au sein de la gauche pour la conquête du pouvoir est un des thèmes de votre roman. Pensez-vous que les clivages gauche/droite existent encore dans la France de 2019 du point de vue des politiques tant le nombre de girouettes élues va croissant depuis quelques années mais aussi du point de vue de l’électorat?
Le clivage gauche-droite a toujours existé, il évolue simplement au fil de l’Histoire : avant la première guerre mondiale, il se faisait autour de l’acceptation de la République. Puis, quand ce débat s’est éteint, il s’est joué autour de la question de l’acceptation du capitalisme, puis de la question sociale à l’intérieur du système capitaliste. Certes, il reste une partie de la gauche qui tente de la garder au coeur du débat, mais elle représente une petite partie de l’électorat. Le PS, la gauche macroniste, ont intégré les contraintes du libéralisme. Le clivage gauche-droite se joue aujourd’hui aussi, et même sans doute davantage, sur les questions de société : l’environnement, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre le racisme, la question de la filiation… En revanche, l’offre des partis politiques ne recoupe pas complètement ces clivages et c’est pourquoi je pense que la période de reconfiguration de la vie politique initiée par l’émergence d’Emmanuel Macron n’est pas terminée. On voit bien que la gauche et la droite d’hier se cherchent un positionnement et un avenir.
Vous n’en parlez pas tout comme l’éditeur et pourtant c’est, pour moi, le thème central de « la meute ». Les femmes et la politique n’est-il pas le lien qui fait fonctionner le roman et qui lui donne une encore plus grande aura que vos précédents écrits? La femme dans la politique, la femme qui subit la politique, la femme séduite par la politique, le pouvoir ? Pourquoi une telle place nouvelle à la voix des femmes?
Si, si, nous en parlons 🙂 Le roman est indissociable de l’époque post #metoo, les femmes y ont une place centrale. J’ai voulu montrer que la politique aujourd’hui ne peut plus se passer des femmes, comme cela a longtemps été le cas. Mon héroïne, Claire Bontems, n’a aucun complexe et même si c’est difficile pour elle de se faire une place, elle utilise tous les moyens à sa disposition pour arriver au sommet. Elle fait du féminisme l’un des thèmes majeurs de sa campagne. Mais il y a aussi les femmes de l’ombre : Thérèse, la mère de François Gabory ; Catherine, sa soeur et sa rivale ; Manon, sa maîtresse. Car même les hommes du « monde d’hier » ne sont rien sans les femmes de leur entourage.
Enfin, pensez-vous que le le courage et un entraîneur compétent suffiront au Stade Brestois pour se maintenir en Ligue 1 ?
La saison est plutôt bien partie mais elle est longue et il faudra sans doute lutter jusqu’au bout. Mais oui, j’y crois !
Entretien réalisé par échanges de mails en octobre 2019.
Merci à Thomas.
Wollanup.
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