Chroniques noires et partisanes

UN NOM DE TORERO de Luis Sepúlveda / Métailié noir.

Traduction: François Maspero.

 

Je ne vais pas jouer les biographes et ce serait vous manquer de respect. Si vous venez par ici régulièrement, vous savez, bien qu’on ne l’ait jamais chroniqué encore, que Sepulveda, c’est notre came et qui se ressemble s’assemble, dit-on, vous connaissez inévitablement « le vieux qui lisait des histoires d’amour », « histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler » entre autres. Sorti en 1994, « un nom de torero » est réédité cette année car Sepulveda, plus de vingt ans après, a écrit une suite sublime, « la fin de l’histoire », chroniquée aussi dans la semaine.

Luis Sepulveda, grand conteur chilien a connu l’emprisonnement pendant deux ans sous Pinochet et c’est l’aspect politique et noir de son œuvre qu’il met ici en avant dans un roman, un peu dans la même veine et les thématiques que « l’ombre de ce que nous avons été ».

« Les 63 pièces d’or de la collection du Croissant de Lune Errant ont été volées par les nazis. Après quarante ans de sommeil, à la chute du mur de Berlin, elles réapparaissent en Patagonie et la course-poursuite commence entre la Lloyd Hanséatique et les anciens agents de la Stasi.

La Lloyd a un atout majeur: Juan Belmonte. Il porte un nom de torero et un lourd passé de guérillero de toutes les révolutions perdues de l’Amérique latine. La Lloyd ne lui a pas laissé le choix : partir à la recherche des pièces d’or ou perdre Véronica, son unique raison de vivre, brisée par la torture. »

A l’image des grands conteurs latino-américains comme Paco Ignacio Taibo II «  la bicyclette de Leonard », Daniel Chavarria « un thé en Amazonie » qu’il cite au fil du roman, Luis Sepulveda nous emporte d’emblée avec cette chasse au trésor en Terre de Feu où deux hommes, au passé proche, aux intérêts vitaux identiques mais pour des raisons très différentes, avec des méthodes opposées vont s’affronter pour un trésor daté de 1367, hommage d’un homme effondré par le chagrin de la perte. C’est le point de départ et on est dans le rêve, le grand romanesque, sur une terre qui paraît tellement indomptable qu’elle impose le respect et une énorme humilité.

Le trésor est la quête mais Sepulveda, par le biais des rencontres, des souvenirs des acteurs, parle beaucoup de politique internationale, de guerillas, de luttes et de combats devenus obsolètes par l’effondrement du bloc soviétique. Roman du bilan du communisme et de la lutte armée pour la démocratie sur des terrains en Afrique, en Amérique centrale et latine, « un nom de torero » conte des hommes et des femmes qui ont combattu pour des causes qu’ils pensaient justes et qui n’ont plus que les souvenirs, les regrets, l’amertume des luttes gagnées ou perdues pour finalement pas grand-chose, le souvenir des camarades morts, les trahisons, la torture par la voix d’un héros Juan Belmonte avec « un nom de torero » comme le célèbre boucher tauromachique qui fut l’ami d’Ernest Hemingway.

Ni héros ni salaud, Juan Belmonte est le genre d’immense personnage de littérature qui vous marque durablement par sa grandeur d’âme, sa vie de combattant pour la démocratie, pour ses causes défendues qu’elles soient finalement bonnes ou pas, prêt à donner sa vie pour autrui. Forcément un jour Luis Sepulveda aurait envie de le faire renaître et « la fin de l’histoire » qui sort également le 2 vous ravira de la même manière mais il indispensable d’avoir lu le premier si on veut fondre de bonheur avec ces retrouvailles émouvantes dans cette deuxième histoire encore plus bercée de nostalgie, située à la fin des années 2000 mais aussi animée par beaucoup de chaleur humaine et d’humour dans une tonalité à nouveau très noire.

Lire sous la plume du maître, la fin d’une époque, où on pensait pouvoir faire gagner une cause les armes au poing, un monde disparu ou les alliés d’autrefois ont jeté les masques pour révéler leur vraie nature si semblable aux dictatures combattues, comprendre les regrets et les remords, un régal !

Magnifique.

Wollanup.

4 Comments

  1. Simone

    J’ai lu le premier il y a longtemps, sorti en 1998. Un grand écrivain que Sepulveda, ma dernière lecture de sa plume a été « Dernières nouvelles du sud » avec le photographe Daniel Mordzinski ( article sur le blog je crois ) et c’était un merveilleux voyage. Je serai contente de retrouver Belmonte.

    • clete

      Ah oui, il faut retrouver Belmonte.

  2. le Bison

    L’un de mes préférés du chilien. Et nul doute que cela sera avec un plaisir incommensurable que je plongerais dans une suite…

    • clete

      Et tu auras raison parce que cette suite est aussi bonne que le premier.

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