Chroniques noires et partisanes

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L’IGUANE de Carlo Lucarelli / Métailié Noir

LEON

Traduction: Serge Quadruppani

« Bologne. Grazia Negro est encore étourdie par l’anesthésie de la césarienne et elle sourit. Enfin, elle a découvert ce qu’elle voulait être : une mère. Finies les enquêtes, les morts, les chasses aux monstres. Elle est heureuse. Mais elle se rend compte que quelque chose ne va pas. Une infirmière lui prend ses deux bébés, tandis qu’un officier pousse son lit hors de la chambre. Son équipe l’enlève à la maternité pour la mettre à l’abri.

L’Iguane, le tueur fou qui s’en était pris aux étudiants des années auparavant, a disparu de l’établissement psychiatrique où il était détenu, laissant deux morts derrière lui. Le Monstre veut se venger et c’est Grazia qui l’avait attrapé. Aucune des personnes impliquées dans l’affaire n’est à l’abri. »

Le temps des hyènes, Une affaire italienne, Péché mortel ; au fil des ans, Nyctalopes a lu avec plus ou moins de bonheur les livres de Carlo Lucarelli, grand auteur transalpin remontant le temps pour offrir des romans noirs explorant l’Italie à différents moments de son histoire tourmentée du vingtième siècle. Son passage au thriller était donc pour nous une surprise mais, en fait, notre trop modeste connaissance de l’œuvre du maître italien nous avait fait oublier qu’il avait plusieurs cordes à son arc. Bien loin d’une nouveauté pour lui, c’était juste un retour aux sources, vingt cinq ans en amont  quand dans Almost Blue, publié à la Noire de Gallimard en 2001, Grazia Negro découvrait et confondait L’iguane, psychopathe ainsi surnommé pour son talent à se fondre dans la masse lui permettant d’échapper à la police. Certainement que les lecteurs d’Almost Blue qui s’en souviennent et qui retrouvent la policière et le tueur fou à lier comprendront mieux que les autres la cause de la panique à l’annonce de l’évasion du monstre qui végétait dans un hôpital psychiatrique. Malgré la présence de deux victimes massacrées lors de son évasion, on s’étonne de cet effroi vis-à-vis de ce psychopathe pesant 50 kilos tout mouillé et… aveugle.

On débarque donc dans un pur thriller et on pénètre dans un brouillard très épais tout comme Negra dont c’est ici la troisième enquête après Loup-garou, la première, sortie à la Série Noire en 2003. Lucarelli nous a habitués à des romans courts et L’iguane sera bouclé en 200 pages emplies de violence, d’une tension créée d’entrée par un Lucarelli qui maîtrise parfaitement son sujet et se joue du lecteur. Si Negra se sent en danger, on découvre ou retrouve dans son entourage des personnages beaucoup plus vulnérables qui ne pourront pas se défendre quand le barbare viendra semer le mort autour de lui. Du coup, le roman fonce, hurle, ne s’intéresse pas au cadre ni réellement aux personnages, se concentrant sur une enquête menée tambour battant avec des fausses pistes dans lesquelles nous fonçons comme l’équipe d’enquêteurs et animé d’un superbe coup de théâtre à la moitié de l’histoire.

L’iguane, dans un genre thriller avec tueur psychopathe que nous ne prisons pas particulièrement, n’est certainement pas notre roman préféré de l’auteur mais fait néanmoins parfaitement bien le taf. Carlo Lucarelli glace le lecteur jusqu’à la dernière page sans pour autant le noyer dans des flots d’hémoglobine.

Clete.

SATURATION TOTALE de Jakub Szamalek / Métailié Noir.

Gdziekolwiek Spojrzysz

Traduction: Kamil Barbarski

Saturation totale est le dernier volet de la « trilogie du Dark Web » du Polonais Jakub Szamalek. Entamée par Tu sais qui en 2022 et surtout brillamment poursuivie, semble-t-il vu les échos, par Datas sanglantes en 2023, la série livre ici son verdict et tous ses secrets jusque-là incomplets. Il est évident que commencer une série par la fin n’est sûrement pas un conseil à donner mais on s’en sort néanmoins dans les grandes largeurs, restant juste un peu de côté quand sont évoqués certains épisodes précédents.

« Julita est une journaliste indépendante reconnue, mais elle est toujours obsédée par le créateur du site qui a essayé de l’assassiner, elle est toujours aussi intriguée par ses sentiments à l’égard de Jan, son partenaire qui lui a appris à éviter les embûches du dark net.

Le roman suit les trajectoires de différents acteurs du web. Un mathématicien soviétique viré de l’université pour avoir travaillé sur la création d’un monstre informatique inutile : l’Intelligence artificielle.

Un mystérieux homme d’affaires qui signe des contrats avec toutes les bibliothèques pour numériser leurs fonds. Un jeune père dépassé, devenu spécialiste des fraudes informatiques, perplexe devant le virus étrange qu’il vient d’isoler. Tout ça sur fond d’éboulement du barrage d’une mine de cuivre qui n’est peut-être pas un hasard non plus. »… et qui s’avèrera être un Tchernobyl polonais.

Il est bien sûr impossible d’évoquer la valeur, l’intérêt soutenu ou pas de cette série et on se contentera de donner quelques impressions sur ce dernier volume. Deux personnages sont déjà connus il s’agit de la journaliste Julita et son compagnon d’aventures, son sherpa du Dark Web, Jan. Seront adjoints trois, quatre autres personnages importants et autant de parcours de vie que nous suivrons et où nous seront montrés les doutes, les interrogations, les combats, les douleurs et peines. C’est la première belle surprise du roman, les personnages sont canons, bien brossés, développant d’emblée un intérêt voire une empathie. Finalement les seuls « boiteux » du roman sont l’équipe Julita/Jan dont les relations amoureuses tumultueuses sont pénibles voire franchement insupportables et ralentissent parfois, sans aucun intérêt, une intrigue menée tambour battant dans les labyrinthes du Web.

Jakub Szamalek montre de vraies belles qualités de conteur et l’histoire se dévoile passionnante, rôdant dans les entrailles du web mais aussi dans des terrains beaucoup plus politiques et économiques et le nom du Polonais est à cocher pour l’avenir. L’auteur nous apprend beaucoup sur les données informatiques qui errent sur le net, notre présence jamais effacée, nos failles face à une nouvelle criminalité techno. On est souvent stupéfait par ce qu’on y apprend. Et même si parfois, on a l’impression de se trouver un peu dans un épisode de Mission Impossible, reconnaissons la belle maîtrise du récit de Szamalek parvenant à nous informer sans nous perdre ou nous lasser. S’il va bien vous informer sur les maux que nous aurons tous à subir à plus ou moins longue échéance, Saturation totale, de révélation en révélation, de surprise en surprise, risque aussi de vous saisir… Quoi mon grille-pain me flique ? Quoi, ma machine à laver serait une balance ?

Sérieux, costaud, très informatif, un bon polar.

Clete

NOIR D’ENCRE de Sara Vallefuoco / Métailié Noir.

Neorinchiostro

Traduction: Serge Quadruppani

« 1899. L’unité de l’Italie existe dans les cartes mais pas dans les cœurs des habitants.
Un groupe de carabiniers venus des quatre coins du pays est envoyé pour combattre le banditisme en Sardaigne, un lieu où il y a beaucoup de crimes mais aucune dénonciation. Affecté dans un petit village sarde superstitieux et féroce, le jeune vice-brigadier turinois Ghibaudo est très surpris par une plainte pour vol. Il l’est moins lorsque, en examinant les lieux du larcin, il découvre le cadavre d’un des carabiniers. Il est accompagné par le brigadier Moretti, romain, fervent catholique et enfant de la haute société, adepte d’une nouvelle méthode qu’il essaie d’imposer avec enthousiasme : les empreintes digitales. Ghibaudo, lui, veut résoudre l’enquête en racontant les histoires et donc en découvrant les failles du récit. »

Rien de tel que le roman historique pour nous proposer du nouveau avec du vieux dont on ignore tout. Sans partir très loin, sans nécessité de créer des nouveaux univers ou des mondes en train de crever. Un petit voyage dans le temps à quelques miles de nos côtes a de quoi surprendre le lecteur. Et c’est ce qu’a très bien compris Sara Vallefuoco, jeune professeur d’école italienne, auteure de ce premier roman aux multiples atouts pour le lecteur patient et enclin à pénétrer dans ce monde secret d’une Sardaigne qui n’aime pas se livrer aux étrangers et encore moins s’ils sont carabiniers.

« Noir d’encre » est le surnom d’un des personnages les plus réussis, un môme du coin aux mains noires de l’encre des journaux livrés ou parcourus, de l’encre utilisée pour composer des lettres anonymes ou recopier les vers de poètes de village qui s’opposent dans des joutes villageoises sous les applaudissements et des hurlements d’une foule très friande de ces festivités. Cette tradition typiquement sarde peut se voir finalement comme une ancêtre du « slam ». Tout le monde peut y participer, les meilleurs sont adulés et récompensés et certains poètes comme nous le verrons dans le roman, atteignent le statut de stars et seront d’ailleurs un des moteurs du roman.

Même si les meurtres sont nombreux et les nuisibles très actifs, prévenons que le rythme du roman ne s’avère guère trépidant, se mettant au diapason de la vie quotidienne lente, monotone d’une campagne sarde pas encore très concernée ou touchée par les avancées technologiques de la fin du 19ème siècle, à l’opposé de Moretti un brigadier passionné par les nouvelles techniques balbutiantes d’investigation policière notamment la reconnaissance par les empreintes digitales. Son collègue et personnage principal de  Noir d’encre , Ghibaudo Robespierre, lui s’attache beaucoup plus aux récits, tentant de trouver les failles dans les témoignages qui lui sont rapportés et se nourrissant souvent uniquement de l’incompréhension dans ce monde si éloigné du sien.

Si l’enquête est parfois un peu reléguée au second plan au profit d’un vaste panorama humain des campagnes éloignées de l’île, elle n’est jamais absente des pensées pourtant bien tourmentées d’un Ghibaudo se posant bien des questions existentielles. Il est certain que l’enquête aurait pu trouver son issue bien plus tôt mais la plume de Sara Vallefuoco, grâcieuse et délicieusement surannée, nous accompagne et nous ensorcelle gentiment tout en insistant sur le pouvoir de l’écriture et la violence déchaînée parfois par ceux qui la maîtrisent ou qui sont experts d’un discours.

Une plume qu’on aura beaucoup de plaisir à retrouver et pas forcément et uniquement dans le domaine du noir. Charmant !

Clete.

LA MAISON SUR LA FALAISE de Chris Brookmyre / Métailié Noir.

The Cliff House

Traduction: Céline Schwaller.

« Elles étaient sur l’île depuis moins de cinq heures et déjà tout partait en vrille. »

C’était déjà une drôle d’idée de se marier pour la deuxième fois avec un homme en lequel on n’a pas confiance et d’aller enterrer la vie de jeune fille d’une femme de 35 ans, mais choisir une île, où la seule maison ouverte était la résidence qui les accueillait, était aussi très bizarre, malgré le luxe. Mais elles étaient toutes là, des amies de la mariée qui ne se connaissaient pas, ou peu, entre elles. Arrivées en hélicoptère ou en bateau, pour tout dire elles étaient coincées, d’autant plus que la tempête se levait.

« Elle tendait la main vers la poignée de la porte lorsqu’elle entendit le hurlement. » Elles venaient de découvrir un cadavre dans la cuisine !

Depuis le temps que j’entendais parler de Chris Brookmyre par-ci, Chris Brokmyre par-là, il était peut-être temps faire connaissance avec l’auteur britannique si loué ces derniers temps. Sa présence chez Métailié au catalogue noir de qualité garantissait un certain niveau. Las…

Nous n’irons pas plus loin que la couverture éditoriale et nous vous invitons donc à entrer dans cette histoire pour comprendre le drame qui démarre par un meurtre sur cette île isolée au large de l’Ecosse. Partant d’une situation de huis clos à la Agatha Christie, Brookmyre y mêle une ambiance à la « Desperate Housewives » d’un groupe de huit quadras qui ont toutes des histoires cachées dont elles ont un peu honte et qui pourraient être à l’origine des tourments qu’elles subissent.

Il faudra laisser sa rationalité au vestiaire pour bien apprécier La maison sur la falaise. Néanmoins, les multiples rebondissements, certains très prévisibles mais d’autres plus surprenants, judicieusement agencés par un auteur maîtrisant les ressorts du roman à suspense, plairont à un large lectorat adepte des thrillers psychologiques et de « cosy crime ».

Clete.

LA CASSE de Eugenia Almeida / Métailié Noir.

Desarmadero

Traduction: Lise Belperron

L’Argentine Eugenia Almeida avait montré bien du talent dès son premier roman “L’autobus”. On la retrouve quelques années plus tard avec bonheur dans un roman furieux et intelligemment monté. Dans son premier opus, elle montrait comment un simple petit changement, un autobus qui ne s’arrête plus, pouvait désorganiser un petit village perdu du fin fond du pays. La thématique est quasiment identique dans “La casse” et la réussite, en se déplaçant de la pampa vers la ville, elle, s’avère encore plus impressionnante

“« Deux petits cons qui se bourrent la gueule et qui tout à coup ont envie de foutre la merde. Comme ça, pour rien. Et qui tuent. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Moi je n’ai fait que te protéger. » Et il a tué les gamins.”

Et c’est le début du foutoir. Dans cette ville existe une délinquance qui fonctionne bien, une économie de la misère bien structurée de la rue jusqu’aux plus hautes instances et tout le monde en croque un peu. Les magouilles engraissent certains, toujours les mêmes aux quatre coins de la planète, et permet aux autres d’un peu mieux survivre. Mais, un acte malheureux, une initiative non réfléchie va provoquer un gros dawa. Le grain de sable dans l’engrenage, l’effet papillon, le château de cartes, l’effet domino, les images sont nombreuses… et tout fout le camp, s’en va à vau l’eau, part en couilles, en cacahuètes, en distribil, toute une chaîne d’événements qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant dans un crescendo infernal et violent.

Eugenia Almeida insuffle un rythme infernal à son roman, le dépouillant de tout ce qui lui semble inutile, superflu, une vraie réussite qui aurait sûrement beaucoup plu à Elmore Leonard. L’émotion et un humour bien noir sont aussi au rendez-vous. Rappelant parfois le meilleur des polars du Chilien Boris Quercia de la trilogie Santiago Quiñones, “La casse”, moins de deux cents pages, doit se consommer en “one shot” pour apprécier les prouesses d’une auteure qui cogne très dur. Les temps morts sont absents, les personnages souvent réduits à leurs paroles, une urgence nécessitant une réelle attention pour comprendre l’intrigue et apprécier les multiples et superbes fulgurances d’un roman furieusement noir et létal.

Clete.

RETOUR DE FLAMME de Liam McIlvanney / Métailié noir

The Heretic

Traduction: David Fauquemberg

Glasgow 1975. L’incendie d’un entrepôt d’alcool clandestin appartenant à la mafia provoque la mort de trois personnes dans un immeuble voisin, et le cadavre d’un vieil homme est trouvé cette même nuit dans un squat à proximité. La police identifie une guerre des gangs.

L’inspecteur McCormack qui revient d’un mystérieux exil londonien est chargé de cette enquête dont personne ne veut.

Le nom de McIlvanney réveillera certainement de bien beaux souvenirs chez les amateurs de polars aux tempes grisonnantes. William McIlvanney est en effet l’auteur d’une trilogie policière devenue culte ayant pour cadre Glasgow dans les années 70 et comme héros, un flic atypique “Laidlaw”. 

Liam McIlvanney, qui nous intéresse aujourd’hui, est tout simplement son fils, un auteur déjà reconnu à qui on doit notamment Le quaker, son troisième roman sorti également chez Métailié et finaliste du Grand Prix de Littérature Policière en 2020. Liam a voulu se distinguer de l’œuvre de son père, dont il n’a pas terminé le roman laissé inachevé. C’est en effet Ian Rankin qui a mis un point final au roman entamé par William McIlvanney Rien que le noir sorti en 2022 chez Rivages. Le fils McIlvanney suit néanmoins la trace de son père en racontant Glasgow dans les années 70 et en nous entraînant sur les pas d’un flic dans une enquête complexe mais particulièrement bien charpentée.

Retour de flamme est la suite directe de Le quaker mais ne nécessite pas la lecture préalable de celui-ci. Par contre, les retours sur la précédente enquête sont autant de spoilers qui vous priveront de la lecture différée du premier opus. McCormack est un flic pur et dur, n’hésitant pas à dénoncer sa hiérarchie corrompue ce qui lui occasionne une certaine méfiance de la part de ses collègues. On est dans du polar pur jus : la pègre, les notables, les flics, les victimes innocentes, les mal nés, le Celtic Fc et les Rangers, les putains d’Irlandais et bien sûr un McCormack déterminé qui ne lâche rien… tous contribuent à faire de Retour de flamme un roman béton, particulièrement sombre et violent et en même temps d’une humanité et d’une tristesse remarquables. Attention, c’est un roman qui se mérite, agrémenté de beaux retournements, mais on avale les six cents pages avidement, naviguant entre effroi et immense tristesse.

Sans nier certaines qualités aux romans d’Alan Parks dans le même univers glaswégien des années 70, passez donc à l’excellence avec Liam McIlvanney chez qui on ne sent pas un seul instant une sorte de revival de l’œuvre de son père.

Clete.

LES DOIGTS COUPÉS de Hannelore Cayre / Métailié Noir.

“En découvrant le squelette d’une femme dans une grotte, la paléontologue n’a pas seulement mis au jour une sépulture vieille de 35 000 ans, mais également la première scène de crime de l’Histoire.

Quelle révélation est allée colporter Oli, cette femme venue du fond des âges, entraînant à sa suite l’humanité dans un chaos irrémédiable ? Qu’a-t-elle voulu nous dire en plaçant l’empreinte de sa main mutilée au centre de cette fresque de la douleur et de l’impuissance ? “Regardez donc ce qu’ils m’ont fait” ; “Regardez, ce qu’ils nous ont fait subir à nous toutes !”

Oli veut être une chasseuse car la chasse est interdite aux femmes. Comme toutes les héroïnes de l’auteur, elle est portée par le même vent de liberté et elle revendique avec une âpre autorité et un humour caustique son droit au bonheur.”

On avait beaucoup aimé, le terme est très faible, les deux derniers romans de Hannelore Cayre La daronne et Noblesse oblige, deux histoires noires qui, dans des péripéties passionnantes et hilarantes, permettait aussi à Hannelore Cayre de s’en prendre aux gens et aux catégories de personnes qui lui pourrissaient la vie au quotidien. Aucun filtre et des diatribes et railleries particulièrement bien senties et réjouissantes. On attendait donc avec impatience Les doigts coupés et ce premier crime de l’humanité qu’elle y raconte.

L’époque de la Préhistoire, le paleolithique, semblait moins propice à baffer ses contemporains, aussi  Hannelore Cayre a concentré sa verve et diriger son courroux sur les hommes, la gente masculine, pour raconter les débuts de la domination masculine et conter le premier combat féministe de l’humanité.

Le récit alterne les expériences de vie et les combats de Oli et commentaires contemporains d’une assemblée de paléontologues et, sous couvert de comédie échevelée, raconte la rencontre entre Homo Sapiens et Néandertaliens, les débuts de la dictature masculine avec menaces, baffes et agressions physiques, les avancées techniques, les débuts de la conscience reproductrice chez l’humain, évoque Roger Caillois et son précieux et poétique Pierres tout en montrant la première lutte pour l’égalité des sexes.

Mordant, addictif, drôle, éminemment intelligent, du Hannelore Cayre…

Clete.

LES PARIAS d’Arnaldur Indridason / Métailié noir

Kyrrpey

Traduction: Eric Boury

Traduit en quarante langues, 18 millions de lecteurs, est-il nécessaire encore de présenter Arnaldur Indridason, l’auteur qui a créé la vague islandaise qui sévit sur la France depuis quelques années ? Nyctalopes a chroniqué l’auteur six fois en huit ans et nous ne voyons plus vraiment que dire ou ajouter sur ses romans. L’éditeur, lui-même, a compris que chaque roman d’Indridason trouvera son public. Alors à quoi bon se fouler pour une couverture ? Un paysage tourmenté qui évoque peut-être l’Islande et le tour est joué.

“Une veuve trouve un vieux pistolet dans les affaires de son mari et l’apporte à la police. Une vérification montre qu’il a été utilisé pour un meurtre non résolu depuis de nombreuses années. Konrad, un détective à la retraite, s’y intéresse car son père a eu une arme similaire…

Konrad nous apparaît ici dans toute son ambiguïté morale, aux prises avec les démons de son enfance auprès de ce père malhonnête, dangereux et assassiné par un inconnu. La soif de vengeance le domine, mais il résout les crimes restés sans réponses claires dans le passé. Il regrette un certain nombre de ses actes et essaye de s’amender.”

On a sûrement été nombreux à regretter la disparition d’Erlendur, il y a quelques années. L’apparition de Konrad, nouvel héros détective a eu un peu de mal à passer. Mais cette cinquième enquête prouve le talent d’Indridason à rendre aimable des personnages aussi imparfaits que ce flic bourru maintenant à la retraite et toujours méchamment hanté par le meurtre de son ordure de père.

Généralement, l’auteur aborde un problème de la société islandaise mais avec le temps et les volumes déjà parus, il lui est encore difficile d’être original et dans Les parias, il traite des thèmes déjà évoqués précédemment comme l’homophobie, la pédophilie et la maltraitance familiale. De sa formation d’historien, l’Islandais a gardé et cultivé le goût de fouiller dans le passé pour trouver les clés permettant de résoudre des affaires et une nouvelle fois, la violence actuelle fera écho à la souffrance et la douleur des années 60 et enfin, cerise sur le gâteau on connaîtra la vérité sur la mort de son père.

Alors, rien de bien nouveau mais toujours cette qualité d’écriture, des sentiments nobles, une empathie sans cesse renouvelée pour les faibles, les bannis. Du bon polar !

Clete.

VOYOUS de Doug Johnstone / Métailié Noir

Breakers

Traduction: Marc Amfreville

Doug Johnstone est un auteur écossais basé à Edimbourg fort d’une œuvre conséquente de treize romans dans son pays et que nous découvrons aujourd’hui en France avec Breakers daté de 2019.

“Tyler est un adolescent débrouillard qui vit avec sa petite sœur dans l’un des quartiers les plus malfamés d’Édimbourg. Sa mère est une junkie et son grand frère, aussi brutal que toxique, l’oblige à participer au cambriolage des maisons huppées de la ville. Au cours d’un vol, une femme est laissée pour morte, mais Tyler apprendra très vite à qui elle était mariée…”

Tyler est l’exemple type du bon môme né dans la mauvaise famille. Il est continuellement harcelé par son demi-frère, une ordure toxico particulièrement dépravée. Sa demi-sœur, mis à part la violence est de la même engeance, la pire d’un quartier délabré de la capitale écossaise. Qu’à cela ne tienne, Tyler fait contre mauvaise fortune bon coeur. Il tente de tenir à flot une mère alcoolo et toxico ne vivant que pour la dose ou la bouteille qui lui permettront de partir égoïstement dans des paradis artificiels. Mais il y a aussi Bean, sa petite sœur, adorable petite boule de tendresse qu’il tente de protéger de la laideur du monde, sa seule raison de ne pas fuir avec d’autres horizons forcément plus accueillants.

“Il fallait à peine dix minutes en voiture pour passer des quartiers les plus déshérités d’Edimbourg aux résidences des millionnaires.” Le terrain de chasse est donc très proche et le frère de Tyler peut ainsi pratiquer de pitoyables cambriolages, lui assurant l’argent nécessaire pour se farcir les narines de cocaïne. C’est aussi l’occasion d’extérioriser cette violence jusqu’au jour où ça dérape, le barbare poignardant la femme d’un des caïds de la ville.

Le roman qui avait mis un peu de temps à montrer le caniveau dans lequel se débat Tyler s’accélère et devient méchamment flippant, la tension rendue terrible par les agissements incontrôlables du frangin abruti qui met la vie de toute la famille en danger. L’histoire devient violente, effrénée et parfois apte à vous briser le cœur. On reprochera éventuellement à Doug Johnstone d’en faire beaucoup dans le pathos, dans la narration d’un univers noiricissime, mais on tient avant tout un bon roman noir, solide, dur et en même temps très émouvant, touchant.

Clete

LES MORTS ET LE JOURNALISTE d’Oscar Martinez / Métailié

Los muertos y el periodista

Traduction: René Solis

Parfois, toujours, rétorqueront certains, il vaut mieux s’effacer devant les propos de l’auteur:

“Écrire ce livre ne m’a pas coûté. Cela a été un processus organique, comme vomir. Cela ne m’a pas coûté, ce qui ne veut pas dire que j’y ai pris plaisir, mais je suis content de l’avoir fait.

Dans les pages qui viennent vous trouverez une histoire centrale reliée à d’autres histoires secondaires. Toutes sont affligeantes dans les grandes lignes : j’en ai connu le fond. Le récit central va plus loin, il va au bout de l’échec, il s’enfonce de tout son poids aussi profond que possible, et est sans aucun doute susceptible de descendre plus bas que le niveau atteint par les lettres que je forme.

Il y a dans ce livre des vies qui se déroulent dans des profondeurs auxquelles on a du mal à croire qu’il est possible de s’habituer. J’ai moi-même du mal à y croire alors que je l’ai écrit pendant un an. Il n’y a pas de héros véritables ni de victimes revendiquées ; ce n’est pas une réalité à l’élégance “noire”, avec des bienfaiteurs à la morale douteuse, qui ont de la classe et du mystère, imparfaits et attirants ; il y a de la déformation, de la sauvagerie et de la cruauté.

Mais il n’y a pas non plus de méchants sans nuances. De fait, il n’y a pas de méchants, et pas de bons non plus, ni d’antipodes saillants. Il y a un autre monde avec d’autres règles, avec d’autres limites, et avec des principes, des certitudes, des haines et des amours qui ne correspondent pas aux canons acceptés par ceux d’entre nous qui acceptent les choses et les publient sur Internet, qui font des discours et donnent des conférences, qui boivent des verres à New York comme à Medellín…”

Ce propos qui cogne est le préambule de Les morts et le journaliste. Il est l’œuvre d’Oscar Martinez journaliste d’investigation et écrivain salvadorien qui travaille pour elfaro.net, journal en ligne spécialisé sur les sujets de violence, migration et crime organisé. Ses articles et enquêtes sont fréquemment relayés par El pais et le New York Times. On lui doit également El Niño de Hollywood, lecture affolante qui raconte la Mara Salvatrucha 13, gang de gamins crevant la dalle créé à L.A. dans les années 80 dont les membres les plus dangereux avaient été rapatriés par Reagan au Salvador au début des années 90 et qui est devenu un véritable fléau sur tout le continent américain avec des ramifications un peu partout dans le monde.

“C’est une mafia, oui, mais c’est toujours une mafia de pauvres. Le secret c’est que leur rêve n’est pas de devenir riche, mais d’être quelqu’un. Quelqu’un de différent de ce qu’ils étaient. Parce certains d’entre eux, comme Miguel Angel, étaient pauvres depuis toujours, mais aussi humiliés, frères de gamines violées, fils de parents alcooliques, nomades. Ils étaient le rebut. Personne dans cette vie ne veut être Miguel Angel Tobar.” extrait de El Niño de Hollywood.

Les morts et le journaliste s’intéresse à l’autre versant de la violence, celle qui est légitime , l’œuvre de la police salvadorienne dans “des affrontements” que Martinez traduit par des “massacres”. Il raconte avec une sincérité touchante ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, ce qu’il a subi, sa colère, sa rage, ses peurs, sa tristesse, ses regrets, ses larmes. Le Salvador est un des endroits les plus dangereux de la planète et pour beaucoup de mômes nés au mauvais endroit un seul choix: tuer ou être tué…Et Oscar Martinez est au milieu de la boucherie.

L’ouvrage est très douloureux et pourtant c’est une œuvre importante sur le journalisme, son éthique, la recherche de témoignages, la diffusion ou non d’informations très compromettantes pour les émetteurs. Parsement son discours d’anecdotes stupéfiantes, l’auteur se concentre surtout sur l’histoire de Rudi et de ses frères et sœurs qui ont accepté de témoigner. Rudi a quatorze, quinze ans ou seize ans, personne,lui compris, ne sait vraiment. Sa mère a eu quatorze enfants de douze pères différents… C’est un mara, un “bambilla” comme préfère le nommer Martinez, il est déjà impliqué dans sept meurtres et il est le seul témoin d’un massacre orchestré par la police qui veut donc sa peau. Il va tout raconter à Oscar Martinez tout en restant caché dans une auge à cochons pendant des mois.

“Si ce dimanche 16 avril 2017 au soir je ne m’étais pas pointé dans le village de Santa Teresa, peut-être que Herber n’aurait pas été assassiné à coups de machette au visage; peut-être que Wito n’aurait pas été décapité; peut-être que Jessica n’aurait pas été obligée de fuir. Rudi, lui, je crois qu’on l’aurait tué de toute façon”.

Plongez dans la souffrance et la douleur, Oscar Martinez vous attend au fond. Les cojones de ce monsieur, chapeau !

Clete.

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