On avait découvert Leye Adenle, résident londonien natif du Nigéria en 2016 avec Lagos Lady. On y faisait la connaissance d’Amaka, avocate des prostituées de Lagos qui venait en aide à un apprenti-journaliste anglais très candide bien perdu dans la furie de la plus grande ville d’Afrique avec ses vingt millions d’habitants. En 2020, Feu pour feu marquait le retour d’Amaka dans une histoire purement nigériane où Adenle mettait en lumière les élections truquées, la corruption, l’intéressement personnel, les détournements de fonds et toute la voyoucratie en col blanc, maux universels mais dans une version nigériane. Aussi violent, hilarant et surprenant que le premier, ce second roman montrait l’intelligence, le savoir-faire et la malice d’Amaka qui migrait finalement en Angleterre pour ne pas pourrir dans les geôles du pays. C’est donc avec un vif plaisir que nous retrouvons aujourd’hui la lionne Amaka.
« Amaka, l’avocate qui n’a pas peur de s’attaquer au système politique mafieux qui règne sur Lagos, a promis aux filles qu’elle protège de toujours répondre à leurs appels au secours. Elle quitte donc Londres en catastrophe pour aider Funke aux prises avec un pasteur évangéliste. Pendant ce temps, une grande réunion de notables évangélistes est perturbée par l’irruption de la police, tous se dispersent à la recherche de l’argent transporté par avion et caché on ne sait où. »
« Tout va bien se passer » déclare un des personnages au début du roman et quand on connait l’auteur, on devine que c’est tout le contraire qui risque de se produire. On ne jettera pas la pierre à Métailié pour une quatrième de couverture très imparfaite, on serait bien en peine de résumer une intrigue aussi folle, tordue…
En gros, 100 millions de dollars, de l’argent sale qui devait être blanchi dans des banques du voisin ghanéen, ont disparu et la personne qui devait faire le taf a été tué. Où est donc passé ce magot que les différentes associations mafieuses qui y ont déposé leurs sales profits n’imaginaient pas aussi important ? Du coup, cela monte à la tête de beaucoup de personnes aussi nocives que dangereuses et cupides qui veulent s’emparer du trésor volatilisé mais toujours présent sur le sol nigérian : soldats de fortune ricains, flics ripoux, ancien général devenu chef de gang, congrégations religieuses mafieuses, tout le monde se met en chasse et c’est parti pour un joyeux et violent bordel de plus de 400 pages. Et au centre de l’intrigue Funke, une protégée d’Amaka, qui a été témoin de ce qu’elle n’aurait pas dû voir et qui se terre dans l’attente d’Amaka.
Furieux, Tout va bien se passer montre une fois de plus le talent de Leye Adenle à créer des personnages aussi inquiétants que cocasses dans une intrigue totalement ahurissante montrant une certaine réalité nigériane. Une intrigue particulièrement percutante n’ayant rien à envier aux meilleurs polars anglo-saxons.
Jack Queen, alias Killer, vient de sortir de prison grâce à Cato Hightower, un ex-flic du LAPD. Il a été blanchi pour un meurtre qu’il finit pourtant par avouer. Sa fille de 15 ans, Mathilda, veut à tout prix savoir si son père est coupable et mène l’enquête. Quant à « L’Ours de Californie », c’est un tueur en série qui n’a plus fait parler de lui depuis trente ans mais il est dans le collimateur de Hightower qui compte bien le confondre avec l’aide de Jack Queen. Qui a vraiment tué ? Qui ment ? Qui cherche à se venger de qui ?
Ne cachons pas le plaisir qui fut le nôtre en découvrant le retour de Duane Swierczynski auteur et scénariste de BD qui nous avait séduit autrefois avec The blonde ouRevolveret qui était resté trop longtemps muet. Du polar rugueux, malin, du page-turner efficace et parfait pour meubler un weekend pluvieux ou pour tout simplement s’évader aux USA et ici, plus précisément, en Californie.
N’ayant rien perdu de son talent pour créer des intrigues addictives, Duane Swierczynski nous entraîne très rapidement dans une histoire noire avec des personnages mystérieux dont la face cachée est suffisamment troublante pour qu’on enfile les pages. Le plaisir est immédiat pas vraiment mémorable non plus, il ne faut pas exagérer mais cela fonctionne bien…
Mais hélas, personnellement ça n’a pas fonctionné totalement pour moi. Un problème de casting qui certainement ne gênera pas la plupart des lecteurs mais qui m’a sorti totalement de cette intrigue pourtant bien menée, moins noire qu’autrefois et souvent balayée par un humour noir bien senti. Un personnage, et il ne s’agit pas de remettre en cause les choix de l’auteur, nuit dès le départ au ton général assez railleur, plombe, fait plonger le roman dans la grosse émotion dans son dernier tiers.
En lisant la postface, on comprend et respecte les raisons de la direction prise par l’auteur mais les conséquences sur une histoire devenue trop hybride, sans être totalement rédhibitoires s’avèrent quelque peu dommageables à l’aspect jubilatoire initial du roman.
« Raciste et corrompu, le député Ritchie Gulliver est retrouvé mort dans un entrepôt d’Édimbourg.
Les suspects sont nombreux : concurrents, opposants politiques, victimes de ses escroqueries…
Sorti de désintoxication, l’inspecteur Ray Lennox est chargé de l’enquête. »
Quand on parle de polar écossais, on a tendance, et je fais mon mea culpa, à citer William McIlvanney et son fils Liam McIlvanney, Ian Rankin, Val McDermid ou à s’émerveiller sur Alan Parks quand on n’a jamais ouvert un roman glaswégien du clan McIlvanney. Alors peut-être est-ce parce qu’il n’écrit pas que des polars ou qu’il n’est pas dans la hype mais on oublie souvent de citer celui qui nous emmène vraiment dans le pire de l’Ecosse, à Edimbourg, je veux parler d’Irvine Welsh. Sûrement trop réaliste dans ses écrits, trop effrayant pour le lecteur en quête de polars d’investigation grand public, l’auteur de Trainspotting continue pourtant à écrire des polars qui flinguent ses lecteurs courageux tout en poursuivant sans relâche une critique méchamment acerbe de notre société consumériste et des nantis qui bénéficient de l’impunité pour leurs méfaits et saloperies.
Utilisant un parler spécifique de la capitale écossaise, Welsh nous plonge non pas dans le caniveau mais au plus profond des égouts d’Edimbourg et c’est moche, c’est sale, désespéré et certainement plus proche d’auteurs ricains comme Palahniuk de Fight club ou Brett Easton Ellis d’American psycho que de ses compatriotes.
Suite de Crime (2008) sorti en 2014 Au diable Vauvert et adapté en 2021 en une série très réussie visible actuellement sur Polar+ avec un Dougray Scott très convaincant dans le rôle de Ray Lennox flic borderline poursuivant un psychopathe, Les longs couteaux ne nécessite pas d’avoir lu le précédent pour entrer dans l’enfer. Aucun problème pour suivre, si on a les couilles (vulgarité volontaire mais totalement justifiée), Ian Lennox dans son terrible chemin de croix. Lennox subit pas mal de traumatismes et addictions qu’on attribue souvent aux flics de polars mais à la différence de certains auteurs qui accumulent les poncifs, chez Welsh tout parait très crédible, très en phase avec la terrible quête de Lennox aidé par un flic londonien aussi tourmenté que lui nommé Mark Hollis (un hommage au leader disparu de Talk Talk ?).
Irvine Welsh aurait raté le Booker Prize en choquant la sensibilité de certains membres du jury et on veut bien le croire. Ce roman trash, vulgaire diront certains détracteurs ou tout simplement très réaliste comme énonceront ses partisans dont je fais assurément partie ne s’adresse pas à tous les publics et il suffira au lecteur d’aller au bout d’un prologue éprouvant pour savoir s’il est prêt psychologiquement à accompagner Ray Lennox dans cette série de meurtres par émasculation. Oui quand même, c’est mieux de prévenir. Dans cette traversée du Styx uniquement tempérée par un humour aussi sombre que le climat ambiant, Welsh nous raconte les bas-fonds d’Edimbourg, nous convie à des excursions glauques à Londres et fait naître les origines de l’abomination plus loin, sur les pistes de ski des Alpes et à Téhéran dans la barbarie iranienne des mollahs.
« Les changements constants et rapides de notre monde cantonnaient le peuple dans un état de peur et de soumission absolu. Dressés à accepter leur propre servilité par la culture de la téléréalité et des tabloïds, ils en venaient à tolérer, voire à vénérer les abus des élites. »
Le verbe est puissant, les attaques contre les élites particulièrement percutantes, la faiblesse humaine est appréhendée à chaque page. Effroyable cauchemar, Les longs couteaux d’Irvine Welsh est un très grand polar certes trash mais également admirable dans son discours… pour public très averti.
Il y a plus de trente ans, à la veille de la catastrophe de Tchernobyl, un meurtre a lieu à Mexico. La victime, un inconnu d’une soixantaine d’années, est probablement originaire du bloc de l’Est. Pourquoi l’homme était-il au Mexique à ce moment-là ? Et quel est le rapport entre l’accident du réacteur nucléaire et son assassinat ? Celui-ci est-il le fait du KGB ? Ou, peut-être, des responsables de l’industrie nucléaire américaine ?
Nous retrouvons le commissaire Heller dont nous avions lu les débuts dans la police est-allemande dans Je vis sortir la bête de la mer, sorti chez Actes Sud en 2022. Il proposait déjà un voyage dans le passé nazi de l’Allemagne. Tout comme dans le premier opus, c’est surtout la fuite des cerveaux scientifiques allemands à la chute du régime, les uns vers les USA et les autres vers l’URSS et leur contribution essentielle à la création de la bombe nucléaire et leur investissement dans le nucléaire civil dans les deux empires qui est le moteur d’une intrigue mêlant astucieusement éléments de polars d’investigation et pur roman d’espionnage.
Heller est traumatisé par le passé de son pays, son père ayant répondu aux sirènes du national-socialisme jusqu’à perdre la vie sur le front de l’Est, en Ukraine en combattant le communisme pour le Reich. Alors que le meurtre d’un inconnu dans les rues de Mexico n’est pas de son ressort, à un moment où sa vie bascule avec le départ de sa femme, un détail va attirer son attention et créer une fascination qui va l’expédier au Mexique, à New-York, à Harrisburg sur les lieux de l’accident à la centrale de Three Mile Island. Néanmoins, les pages les plus fortes de son investigation se trouvent en URSS et surtout en Ukraine où on voit le traitement étatique réservé aux victimes de la catastrophe de Tchernobyl et les malfaçons et détournements de fonds qui ont permis un tel désastre. On sait depuis longtemps que la vie d’un homme n’a pas la même valeur en Russie qu’en occident et le propos s’avère essentiellement pesant, grave, triste, austère, pas une once d’humour, la triste réalité du bloc de l’Est des années 80.
« Ne rien savoir quand quelqu’un disparaît, ce n’est pas bon signe. D’habitude, on entend dire qu’un tel a été emmené à tel ou tel endroit, tout le monde est censé le savoir, et puis les autres sont de nouveau sur leurs gardes, la famille sait que tout est normal, il est dans un camp, il reviendra un jour. Mais quand personne ne sait rien, ça veut dire que c’est grave, qu’il vaut mieux ne pas poser de questions. Je n’ai pas posé de question. J’étais un bon fonctionnaire. J’ai peut-être été un mauvais frère. Mais c’est comme ça dans notre pays. Certains disparaissent, c’est comme ça, les familles se sont habituées. C’est comme la guerre, on s’habitue. »
Alors que l’enquête montre du doigt, accuse le KGB, le lecteur apprendra que les apparences sont parfois trompeuses et qu’il existe d’autres leviers que l’obéissance à un régime ou l’amour de la patrie, plus personnels, plus intimes, qui peuvent animer les êtres humains.
Prenant et particulièrement instructif en cette période trouble.
« Bologne. Grazia Negro est encore étourdie par l’anesthésie de la césarienne et elle sourit. Enfin, elle a découvert ce qu’elle voulait être : une mère. Finies les enquêtes, les morts, les chasses aux monstres. Elle est heureuse. Mais elle se rend compte que quelque chose ne va pas. Une infirmière lui prend ses deux bébés, tandis qu’un officier pousse son lit hors de la chambre. Son équipe l’enlève à la maternité pour la mettre à l’abri.
L’Iguane, le tueur fou qui s’en était pris aux étudiants des années auparavant, a disparu de l’établissement psychiatrique où il était détenu, laissant deux morts derrière lui. Le Monstre veut se venger et c’est Grazia qui l’avait attrapé. Aucune des personnes impliquées dans l’affaire n’est à l’abri. »
Le temps des hyènes, Une affaire italienne, Péché mortel ; au fil des ans, Nyctalopes a lu avec plus ou moins de bonheur les livres de Carlo Lucarelli, grand auteur transalpin remontant le temps pour offrir des romans noirs explorant l’Italie à différents moments de son histoire tourmentée du vingtième siècle. Son passage au thriller était donc pour nous une surprise mais, en fait, notre trop modeste connaissance de l’œuvre du maître italien nous avait fait oublier qu’il avait plusieurs cordes à son arc. Bien loin d’une nouveauté pour lui, c’était juste un retour aux sources, vingt cinq ans en amont quand dans Almost Blue, publié à la Noire de Gallimard en 2001, Grazia Negro découvrait et confondait L’iguane, psychopathe ainsi surnommé pour son talent à se fondre dans la masse lui permettant d’échapper à la police. Certainement que les lecteurs d’Almost Blue qui s’en souviennent et qui retrouvent la policière et le tueur fou à lier comprendront mieux que les autres la cause de la panique à l’annonce de l’évasion du monstre qui végétait dans un hôpital psychiatrique. Malgré la présence de deux victimes massacrées lors de son évasion, on s’étonne de cet effroi vis-à-vis de ce psychopathe pesant 50 kilos tout mouillé et… aveugle.
On débarque donc dans un pur thriller et on pénètre dans un brouillard très épais tout comme Negra dont c’est ici la troisième enquête après Loup-garou, la première, sortie à la Série Noire en 2003. Lucarelli nous a habitués à des romans courts et L’iguane sera bouclé en 200 pages emplies de violence, d’une tension créée d’entrée par un Lucarelli qui maîtrise parfaitement son sujet et se joue du lecteur. Si Negra se sent en danger, on découvre ou retrouve dans son entourage des personnages beaucoup plus vulnérables qui ne pourront pas se défendre quand le barbare viendra semer le mort autour de lui. Du coup, le roman fonce, hurle, ne s’intéresse pas au cadre ni réellement aux personnages, se concentrant sur une enquête menée tambour battant avec des fausses pistes dans lesquelles nous fonçons comme l’équipe d’enquêteurs et animé d’un superbe coup de théâtre à la moitié de l’histoire.
L’iguane, dans un genre thriller avec tueur psychopathe que nous ne prisons pas particulièrement, n’est certainement pas notre roman préféré de l’auteur mais fait néanmoins parfaitement bien le taf. Carlo Lucarelli glace le lecteur jusqu’à la dernière page sans pour autant le noyer dans des flots d’hémoglobine.
Faire rire n’est pas donné à tout le monde, provoquer une hilarité constante dans une atmosphère très noire tient du talent et Sébastien Gendron, roman après roman, nous prouve qu’il possède ce talent, sûrement aussi le fruit du travail et d’une observation fine et redoutable de ses contemporains, et de leurs travers. Python est le deuxième volet d’un triptyque consacré à la France rurale introduit par Chevreuil où il flinguait les comportements fachos des autochtones d’une commune rurale française indéterminée. Quittant le bourg historique, il s’intéresse aujourd’hui à un lotissement bourgeois périphérique, bon chic bon genre, voisins vigilants, jardins chouchoutés peuplé d’arrivants séduits par une vie plus saine à la campagne tout en restant un peu à l’écart des péquenots : la campagne sans les nuisances, un entre-nous rassurant, un lotissement nommé Washington où les avenues, rues, allées portent le nom d’états américains. Du coup, là-bas, on se prend un peu pour des Ricains, des wasps, pas de clôture, des bonnes manières collectives, des amitiés en carton, de la bienveillance à dégueuler partout. Enfin en apparence, parce que dès son entrée dans ce décor Desperate Housewives du bocage, peuplé de barbies barbantes, le lecteur voit qu’on peut aussi s’y débarrasser d’un importun en l’achevant au démonte-pneus après l’avoir raté en lui passant dessus en voiture. Et ce n’est qu’un début …
Constance Deltheil n’aime pas son fils Hippolyte et on la comprend : 5 ans, infect et mauvais. Si ça n’avait tenu qu’à elle, d’enfant elle n’aurait jamais eu. Et certainement pas avec Damien, son mari. La solution, ce serait de partir aussi loin que possible sous une fausse identité pour qu’on ne la retrouve jamais. En Inde, pourquoi pas ? Mais le jour où elle achète son billet pour Bangalore, Damien meurt d’un bête accident vasculaire. Comment Constance va-t-elle faire pour s’échapper désormais ? Et ce python qui hante les canalisations et met le petit lotissement où ils vivent en émoi…
Dans chaque roman de Sébastien Gendron, des personnes ou des catégories sociales sont passées à la moulinette. Dans Python, fidèle à sa réputation, il attaque à l’arme lourde. Pour bien fêter le 8 mars, la journée de l’année où elles sont célébrées dans le millénaire de l’homme, Sébastien Gendron se paye les femmes. Les mères, les épouses, les amies, toutes vont morfler. Bon Gendron peut sérieusement déclarer qu’il voulait interroger la notion de maternité mouais, en fait, il se défoule en exprimant ce que beaucoup d’hommes peuvent parfois, peut-être, occasionnellement penser un tout petit peu, juste un chouia… plus ou moins. Pas une pour rattraper l’autre, pas une à sauver. Néanmoins la plus remarquable est quand même cette Constance qui possède toutes les mauvaises cartes : épouse qui veut se barrer, veuve « joyeuse », voisine peu aimable et mère qui déteste, le mot est faible, son enfant. A son crédit, Hyppolite, son fils de cinq ans est une véritable petite ordure, (pas d’autre définition), un petit psychopathe, qu’on a envie de tarter dès son apparition et sa mère, symbole de la résilience passive a finalement bien du mérite de ne pas recourir plus souvent à la bonne torgnole des familles.
Mais arrive le sauveur, Lucas Daux, impénétrable comme un gardien des Reds un mercredi soir au Parc, et ô combien imprévisible. Un beau personnage le Lucas, un vrai salopard donnant un beau lustre noir à un polar très drôle. Constance, récemment veuve, doit trouver un substitut de père pour son petit Attila, Lucas pourquoi pas ? quand elle s’enfuira… en Inde, au paradis des violeurs ? Quelle brillante idée… mais avant, Washington montrera l’étendue de ses bassesses tandis qu’un python erre dans les canalisations en une remarquable démonstration de légende urbaine allant de ses origines à son éclosion et sa pleine maturité.
Foutraque, barge et en même temps si finement proche d’une réalité, animé par un mauvais esprit évident, privilégié. On est dans les mêmes univers un peu barrés de Tim Dorsey, les bons reconnaîtront…Totalement conquis, hilarité garantie.
PS : je regretterai juste qu’un personnage se nomme Lucas Daux qui, dans la réalité, est un footballeur professionnel et je ne peux imaginer qu’un joueur ayant défendu vaillamment les couleurs du FC Nantes ait un mauvais fond comme son homonyme romanesque.
On avait été très impressionné par La dernière ville sur Terre, premier roman de Thomas Mullen, lauréat du James Fenimore Cooper Prize de la fiction historique en 2007 et sorti en 2023 chez Rivages. Cette histoire de confinement d’une communauté pendant la terrible épidémie de fièvre espagnole au début du vingtième siècle permettait de façon assez troublante une comparaison avec la période Covid d’où nous sortions. Mais, si on excepte une incursion dans la SF, c’est sa solide série polar entamée avec Darktown et basée sur la ségrégation raciale dans le berceau du KKK à Atlanta à la fin des années 40 qui lui a donné ses lettres de noblesse chez les amateurs de polars.
Boston, 1943. La journaliste Anne Lemire rédige la « Clinique des rumeurs », une rubrique qui réfute les nombreux on-dit circulant en ville, qu’ils soient des mensonges propagés par des espions de l’Axe ou de simples ragots nés de la peur et de l’ignorance. L’agent spécial Devon Mulvey, l’un des rares catholiques du FBI, passe ses semaines à prévenir le sabotage industriel et ses dimanches à débusquer les ecclésiastiques à la loyauté suspecte. Lorsque l’histoire d’Anne sur la propagande nazie croise l’enquête de Devon sur la mort d’un ouvrier…
Les lecteurs de Thomas Mullen savent que l’Américain offre toujours un décor hyper soigné, complet, le plus proche de la réalité historique et que cette minutie, malgré le talent de l’auteur, donne parfois des pages qui peuvent sembler trop explicatives. L’expérience vous prouvera le contraire, tous ces détails permettant de mieux comprendre le comportement de certains personnages et les méchants choix cornéliens qu’ils seront obligés de faire. La passion ou la raison, le pays ou la famille, le devoir ou le cœur. Alors, peut-être que l’aspect historique et sociétal avec ses communautés irlandaise, juive et italienne qui se défient, s’agressent, prend parfois quelque peu le pas sur l’aspect polar mais le talent de conteur de Mullen fait très bien passer tous ces messages venus des trottoirs, entrepôts et bistrots bostoniens.
« Les Noirs sont paresseux. Les Irlandais s’enivrent. Les Italiens sont des criminels. Les juifs sont des vampires. »
C’est dans ce cadre bostonien bouillant d’opposition à l’entrée en guerre en Europe des soldats américains en 1943 qu’Anne Lemire, juive, journaliste spécialisée dans le démontage des « fake news » les plus crétines mais aussi les plus pernicieuses et Devon Mulvey agent catholique irlandais du FBI vont se rencontrer et unir leurs forces pour savoir la vérité autour d’un groupuscule pronazi et antisémite. L’intrigue, de premier plan, séduira tous les amoureux de grandes fresques. Bien sûr, chacun verra une multitude de parallèles possibles avec la situation actuelle : la désinformation, l’antisémitisme ; la politique extérieure ricaine et bien d’autres aspects qui permettront peut-être de mieux appréhender cette identité américaine.
On ne va pas se mentir, ce roman se mérite parfois mais le plaisir est bien supérieur à l’effort consenti en début de lecture. Dans une note superbe de fin, Mullen explique que les noms des principaux personnages ont été choisis dans son propre arbre généalogique, grands-parents et arrière-grands-parents. On comprend mieux le soin apporté aux esquisses d’Anne Lemire et Devon Mulvey…
Un grand roman historique et politique doublé d’un bon polar, premier volume d’une trilogie, Thomas Mullen la grande classe !
Neuvième enquête de l’inspecteur Wisting à la Série noire. Jørn Lier Horst, ancien inspecteur de police, n’a donc pas le profil de l’anecdote scandinave du moment et doit avoir un public fidèle. La Norvège n’étant pas, comparé à l’Islande, le territoire le plus surexploité de la littérature nordique, il restait de la place aux côtés de Jo Nesbo et Heine Bakkeid. Direction Larvik !
William Wisting, en vacances et las de tondre la pelouse, suit assidûment dans la presse le fait divers du moment : on est sans nouvelles, depuis maintenant trois jours, d’Agnete Roll, une habitante de Larvik. La découverte dans son courrier d’une enveloppe anonyme le sort de sa torpeur estivale. Sur une feuille blanche, une série de chiffres, référence d’un numéro d’affaire datant de l’été 1999. Tone Vaterland, dix-sept ans, avait été tuée en rentrant du travail à bicyclette. Le coupable avait été identifié, et condamné à une peine de prison. Intrigué, Wisting récupère le dossier 1569 aux archives pour en entreprendre l’examen méthodique. Et entrevoit la possibilité d’une erreur judiciaire.
Wisting, que je découvre, veuf, proche de la retraite mène une vie si passionnante que pendant ses vacances il décide de rouvrir une affaire élucidée vieille de vingt-cinq ans. Parallèlement, il retourne au taf pour donner un coup de main à ses collègues sur une histoire de disparition d’épouse. Donc, mis à part sa fille et sa petite-fille, sa famille c’est la police. Pas beaucoup d’affects, pas de casseroles, ne picole pas, ne se drogue pas non plus, juste quelques signes qu’il vieillit. On est très loin de son compatriote Harry Hole, héros de Nesbo.
Focus sur l’énigme, Wisting commence à fouiller pendant que quelques flashbacks nous font vivre très clairement mais aussi pudiquement la tragédie passée. On sent venir le bon polar d’investigation avec un enquêteur très expérimenté, tenace, proche d’Erlendur d’Indridasson ou de Kurt Wallander de Hennig Mankell et on ne sera pas un instant déçu. Il y a de la qualité dans cette intrigue, Horst nous fait douter de l’évidence, propose plusieurs voies qui s’avèrent elles aussi tout à fait crédibles. L’enquête est fine, le rythme est certes un peu lent (on n’est pas dans une histoire de narcos non plus) mais le suspense s’avère de très bonne facture et sans aucune violence.
Une belle découverte.
Clete.
PS: A signaler, une série reprenant les enquêtes, sobrement intitulée Wisting visible sur Canal.
Juste une petite envie d’en savoir un peu plus sur l’auteur du magnifique Bleus, blancs, rouges et sur sa manière d’écrire. Merci à Benjamin Dierstein.
Vous êtes l’auteur de quatre romans : une trilogie sur la France de 2011 à 2013 La Sirène qui fume, La Défaite des idoles et La Cour des mirages contant la fin du sarkozysme et d’ Un dernier ballon pour la route, gros bazar breton un peu « à l’ouest ». Vous apparaissez aussi dans le recueil du collectif Calibre 35 RENNES NO(IR) FUTUR avec la nouvelle Germaine Petrograd. Pas un inconnu donc mais mais vu votre discrétion sur le net, supportez que le grand public ignore beaucoup de vous (pour l’instant ) et veuille savoir autant que possible qui est Benjamin Dierstein, d’où il vient et à quoi il passe sa vie à part écrire des trilogies sur la France politique au 21e siècle et maintenant au 20 e ?
Je suis né à Lannion, dans les Côtes d’Armor, et je vis aux alentours de Rennes depuis plusieurs années. Il y a peu j’étais encore intermittent du spectacle, mais désormais j’écris des trilogies sur la France politique à plein temps, ou presque. Je garde un peu de temps pour gérer mon label de musiques électroniques Tripalium Corp, qui ressemble à ce que j’écris : les morceaux et albums que j’y sors sont généralement violents, bariolés, mais s’écoutent plutôt facilement même si on ne sait pas trop vers où ça va aller.
Quels ont été les prémices d’écriture ? Y a t-il eu un élément déclencheur qui a provoqué un passage à l’acte ? Une envie d’adulte ou un vieux rêve d’enfant ?
Quand j’étais gamin, j’étais déjà très productif. Je faisais des BD ou des sortes de magazines, que je revendais dans les bistrots où traînait mon père, pour m’acheter des bonbecs. A l’époque je lisais essentiellement des BD, et j’achetais Onze mondial et Spirou magazine. Les romans ça m’emmerdait, ce qui était proposé en littérature jeunesse était terriblement fade comparé à ce qu’on pouvait trouver dans Onze ou Spirou : des gens en compétition, des rêves brisés, de la violence (à cette époque dans Spirou, il y avait les séries Soda et Charly de la collection Repérages, et la collection Spirou et Fantasio était pilotée par Tome & Janry, qui ont fait les épisodes les plus adultes de la série). Je crois que gamin, c’est ces premières histoires qui m’ont marqué et m’ont fait comprendre qu’une fiction était beaucoup plus intéressante quand les personnages en prenaient plein la gueule.
Je passais aussi énormément de temps à regarder des films, avec une préférence pour ceux qui avaient un haut potentiel lacrymal (j’ai vu une bonne vingtaine de fois Abyss et Le Grand bleu), ou ceux qui me procuraient un shoot d’adrénaline (ma k7 de Piège de cristal est morte à force de passer dans le magnéto).
Et puis, en arrivant au collège, mes goûts ont évolué vers des récits plus complexes. J’ai pris des tartes monumentales avec Pulp Fiction, La Horde sauvage et Voyage au bout de l’enfer. Mon oncle m’a donné un bouquin d’Ellroy. Ca m’a mis une double baffe, je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir des trucs aussi hardcore dans les livres, pour moi les livres c’était de la merde ! On est con quand a treize ans. Bref, les vrais éléments déclencheurs pour moi sont là : tous ces ressentis archi forts face à la puissance de la fiction, que j’ai pu ressentir quand j’étais en primaire ou au collège. Le reste est venu naturellement : quand on adore ressentir quelque chose d’une manière aussi forte, on a envie d’écrire le truc qu’on rêve de lire. A seize ans, j’ai écrit un roman de cent-vingt pages que je ne ferai jamais lire à personne parce que beaucoup trop inspiré par mes lectures de l’époque (notamment Encore un jour au Paradis). Entre mes seize et mes vingt ans, j’ai écrit des dizaines de nouvelles et de scénarios de courts-métrages, jusqu’à ce que je bute sur une première tentative de scénario de long métrage qui parlait de deux flics obsédés par une fille qui avait disparue et les rendait tous les deux cinglés. Je n’arrivais pas à le développer comme je voulais, je me suis retrouvé avec un brouillon qui faisait deux-cent-cinquante pages… loin des cent–vingt qu’on demande habituellement ! A ce moment-là j’ai compris que je n’aurais aucune chance d’en faire quelque chose, et de toute façon je ne connaissais personne dans le cinéma. J’ai tout rangé dans des cartons et j’ai abandonné. Il y avait mieux à faire à l’époque : les squats, les free-parties, les bars ! J’ai ressorti mon carton quand j’avais trente-deux ans. Je venais de faire la fête pendant douze ans et j’avais envie de retourner à l’écriture. J’ai décidé de transformer mon scénario sur les flics en roman, et ça a donné La Sirène qui fume.
Quand on feuillette pour la première fois Bleus, Blancs, Rouges, on comprend tout de suite la très grande envergure de l’œuvre : une couverture superbe, une bibliographie impressionnante (bouquins, documentaires, archives diverses, podcasts, presse), des documents pour aider à la compréhension fine de l’époque (carte géopolitique de l’Afrique en 1978, organigramme de l’administration policière), un index de 10 pages des personnages secondaires, tous les sigles et le vocabulaire policier expliqués et une intrigue urgente de plus de 750 pages. On sent votre désir de donner toutes les clés au lecteur, celles qui ont été les vôtres. Quel a donc été l’ampleur du travail en amont, le défrichage ?
Quand j’ai décidé quelle période je voulais traiter, je me suis constitué une biblio et j’ai mis une bonne année et demie à lire les ouvrages que j’avais recensés. Il y a en avait plus de 160. En même temps, je faisais mon plan et j’affinais mes personnages au fur et à mesure que je recevais des informations. Au début, je pensais faire un seul roman avec tout ça. Quand j’ai compris que ça allait faire quasi 2000 pages, j’ai changé toute la structure pour faire un diptyque. Et puis quand j’ai compris que ça allait plutôt avoisiner les 2600 pages, j’ai dû refaire la structure pour en faire 3 tomes. Ca rallonge le temps de lecture pour le lecteur, donc ce genre d’annexes en fin d’ouvrage, notamment l’index des personnages, me paraît essentiel. Avec Flammarion, on a ajouté les numéros de pages auxquelles apparaissent les différents personnages, ce qui permet au lecteur de retrouver rapidement où il a croisé tel personnage pour la première fois. Moi qui ai une mémoire défaillante, c’est l’outil dont j’ai longtemps rêvé pour ce genre de roman à la Ellroy, où t’as tellement de personnages que parfois, quand tu tombes sur un nom, tu ne sais plus vraiment qui c’est et tu passes dix minutes à chercher en arrière, en vain.
Sans tarder parce que la question me tenaille depuis le départ, pourquoi commencer cette intrigue fleuve en 1978, une époque que vous n’avez pas connue et dont beaucoup de lecteurs, eux, se souviennent très bien ?
1978 c’est Aldo Moro, l’évasion de Mesrine, l’appel de Cochin. C’est les premiers attentats du mouvement autonome, du FLNC, les prémices d’Action directe, le début des années de plomb made in France. C’est le début du déclin de la voyoucratie à l’ancienne, Zampa et les frères Zemour. C’est le moment où les Français commencent à perdre confiance en Giscard avec la crise économique, les plans de rigueur et les fermetures d’usines. C’est les débuts du Palace, le disco, l’arrivée massive de la coke. Pour faire le récit d’une France qui bout comme une cocotte-minute, c’est franchement une période idéale. Et puis j’avais envie de raconter la jeunesse de certains personnages de ma trilogie précédente. Jacquie Lienard, Michel Morroni, Philippe Nantier, Domino Battesti, Toussaint Mattei, Didier Cheron et Jean-Claude Verhaeghen sont des personnages importants de La Sirène qui fume, La Défaite des idoles et La Cour des mirages, et dans cette nouvelle trilogie ils prennent une importance de premier plan.
La France de 1978 et 1979 racontée par votre plume est une délicieuse madeleine de Proust pour tous ceux qui ont vécu l’époque. En vous immergeant dans l’époque pour la faire vraiment vivre à tous les lecteurs, avez-vous été surpris par la vision du pays que vous avez acquise ? Avez-vous modifié votre opinion sur certains acteurs de la vie politique de l’époque ? C’était mieux avant ?
Je n’ai pas été vraiment surpris puisqu’en m’attaquant à cette époque, l’idée était justement de peindre des chacals prêts à tout pour prendre le pouvoir. En apprendre plus sur les affaires de la période n’a fait que confirmer cette idée. C’était pas mieux avant, ni moins bien d’ailleurs. De tous temps, dès qu’on s’approche du pouvoir c’est la même chose. Le principe même de la politique est d’être clientéliste. Une personnalité politique qui dit vraiment ce qu’elle pense, ça n’existe pas.
Bleus, blancs, rouges suit l’enfer (pavé de bonnes intentions…) de quatre personnages (trois flics et un voyou de la République) particulièrement bien dessinés. Avez-vous un personnage préféré que vous aimez plus particulièrement retrouver, un homme ou une femme que vous auriez du mal à effacer de l’histoire rapidement ? Benjamin Dierstein s’attache-t-il à ses personnages ?
Je n’ai pas de personnage préféré, je les aime tous les quatre. J’ai fait plus que m’attacher à eux, je viens de passer quatre ans H24 en leur compagnie donc ils sont devenus comme des frères et des sœurs. Et pourtant ils sont bourrés de défauts, et ils sont surtout radicalement différents de moi, de ma manière de penser. Mais ils en prennent tellement plein la gueule dans cette trilogie, que veux-tu faire ? Je sais que certains lecteurs auront du mal à s’identifier à eux parce que tous ces personnages sont des enfoirés, mais moi dès que des gens souffrent, j’y peux rien, je m’attache.
Cette première partie de la trilogie ne nous offre qu’une vue très parcellaire de la suite de l’histoire même si on imagine très bien où tout cela peut et devrait nous mener. Sans vouloir trahir de secret, jusqu’où dans les années 80 va nous emmener votre plume ?
La trilogie s’arrête à l’été 1984, quand Le Pen fait un score énorme aux présidentielles, que les affaires qui secouent l’Elysée deviennent explosives et que Mitterrand nomme Fabius au gouvernement après avoir clairement pris le parti de la mondialisation. L’ensemble de la trilogie raconte comment on en est arrivé là. Comment la gauche a abandonné les travailleurs, comment l’extrême droite est revenue en force en se tournant vers les victimes des fermetures d’usine. C’est là que se situent les prémices de tout ce qu’on vit aujourd’hui : l’abandon par la gauche, les médias et les élites en général de l’électorat populaire blanc, ce qui a eu pour conséquence de faire du RN le premier parti de France. Ça, c’est pour le fond purement politique. A côté de ça, les tomes 2 et 3 racontent le retour de Carlos et tous les attentats qui s’en sont suivi, les Irlandais de Vincennes, les écoutes de l’Elysée, la mort du SAC, la mort de Guy Orsoni, la naissance de la Brise de Mer, le Liban, le Tchad… et bien sûr la campagne présidentielle de 1981.
Un de vos personnages se nomme Gourvennec. Est-ce parce qu’il est originaire des Côtes d’Armor ou peut-on y voir aussi une sorte d’hommage à Jocelyn Gourvennec, l’entraîneur d’En Avant qui avait réussi à ramener la coupe de France à Guingamp en 2014 ? A moins qu’il faille y voir une célébration d’Alexis Gourvennec, syndicaliste agricole et entrepreneur breton des années 60 à 80 ?
Oui, c’est un hommage à Jocelyn Gourvennec. Il est malheureusement descendu de son piédestal après ses mauvaises expériences à Bordeaux, Lille ou Nantes, mais pour nous les Guingampais, il restera toujours un héros, comme Noël Le Graët ou Francis Smerecki. Il n’a pas seulement ramené une deuxième Coupe de France, il a aussi fait sortir l’EAG de National et ramené le club dans l’élite en trois ans. Et puis il nous a fait passer les poules en Coupe d’Europe, ramenés en demi-finale de Coupe de France en 2015… Depuis qu’il est parti, l’EAG n’est plus le même club. Là, enfin, cette année, après dix ans, on commence à revoir la lumière avec un bon parcours en Coupe de France et un espoir de remonter en Ligue 1.
Dans vos remerciements, vous rendez hommage à James Ellroy mais avez-vous d’autres pistes littéraires à nous proposer, des romans qui ne quittent pas votre table de chevet ?
Bleus, Blancs, Rouges a été clairement inspiré d’Ellroy, et notamment d’American Tabloïd. On apprend d’ailleurs qu’un des personnages, le mercenaire Vauthier, a convoyé de l’héroïne dans les années soixante grâce à la filière établie par Pete Bondurant au Viet Nam. C’était une façon de rendre hommage au Dog. Mais concernant la structure, ma vraie influence est La griffe du chien de Don Winslow. Ellroy alterne systématiquement les chapitres focalisés sur ses personnages, là où Winslow ne met en avant qu’un ou deux personnages dans chaque acte. C’est moins systématique, ça permet de quitter complètement un personnage pendant 200 pages et d’être à ses côtés ensuite pendant les 200 autres. C’est plus complexe, plus tortueux, et ça permet de faire des ellipses (ce qui est un des gros défauts de la trilogie Underworld USA : l’alternance systématique des focalisations l’oblige à écrire des chapitres pendant lesquels il ne se passe rien et où il ne fait que répéter de l’information, sans parler des temporalités qui s’étirent et créent des sortes de trous chronologiques… ça donne l’impression de patiner alors que La Griffe du chien ça ne décélère jamais, t’es en cinquième tout du long !).
J’espère que vous comprenez l’impatience des lecteurs de ce premier opus quitté sur un joli suspense. La suite est-elle déjà lancée ? Y a-t-il un calendrier ? Un titre ?
L’Étendard sanglant est levé sortira vers l’été, en juin ou septembre. 14 juillet sortira en janvier 2026.
Entretien réalisé en février 2025 par échange de mails. Merci à Benjamin pour sa disponibilité.
On avait découvert Benjamin Dierstein en 2021 dans la collection EquinoX des Arènes d’Aurélien Masson avec Un dernier ballon pour la route sorte de western armoricain, fest-noz éthylique, sympa mais rien entre les lignes ne laissait prévoir la suite… En 2022, toujours chez EquinoX, est sorti le génial La cour des mirages qui peut très bien se lire comme un « one shot » . En fait, le troisième volume d’une trilogie sur les années de notre petit président à bracelet électronique, les années Sarkozy flinguées par un Benjamin Dierstein redoutable chroniqueur. Ce roman concluait un triptyque entamé avec La sirène qui fume et La défaite des idoles aux éditions Nouveau Monde. Il est essentiel de signaler cette trilogie parce qu’on retrouve certains de ses personnages dans Bleus, blancs, rouges. Pour être plus exact, on les découvre puisque Benjamin Dierstein a décidé de s’attaquer à la période 1978/1984 en France dans une intrigue très ambitieuse. Nul doute qu’une fois la lecture de Bleus, blancs, rouges achevée, d’aucuns seront tentés de se jeter dessus mais patientez un peu. Flammarion fait très bien le taf. L’Etendard sanglant sortira vers l’été tandis que 14 juillet achèvera l’histoire début 2026.
« Printemps 1978 : les services français sont en alerte rouge face à la vague de terrorisme qui déferle sur l’Europe. Marco Paolini et Jacquie Lienard, deux inspecteurs fraîchement sortis de l’école de police et que tout oppose, se retrouvent chargés de mettre la main sur un trafiquant d’armes formé par les Cubains et les Libyens et répondant au surnom de Geronimo. Traumatisé par la mort d’un collègue en mai 1968, le brigadier Jean-Louis Gourvennec participe à la traque en infiltrant un groupe gauchiste proche d’Action directe. Après des années d’exil en Afrique, le mercenaire Robert Vauthier revient en France pour régner sur la nuit parisienne avec l’appui des frères Zemour. Lui aussi croisera le chemin de Geronimo. »
Un grand roman doit vous prendre dès son début et Bleus, blancs, rouges qui est un très, très grand roman vous en met une bonne dès l’incipit particulièrement chaud situé à Paris pendant mai 68. Racontant une nuit d’émeute, décrivant l’enfer parisien, faisant ressentir à l’os la guerre urbaine, la panique, ce premier chapitre donne le ton des 700 pages à tombeau ouvert, infernales à venir. On est très loin de l’imagerie romantique bercée par les Moody Blues chouinant Nights in white satin. Dierstein attaque au corps d’entrée, la violence est exacerbée, le sang coule, la mort frappe. Hallucinant.
Bleus, blancs, rouges couvre les années 78 et 79 en France et comme nous l’a confié Benjamin Dierstein dans un entretien que nous mettrons en ligne vendredi cette période se prêtait bien à un roman noir : « 1978 c’est Aldo Moro, l’évasion de Mesrine, l’appel de Cochin. C’est les premiers attentats du mouvement autonome, du FLNC, les prémisses d’Action directe, le début des années de plomb made in France. C’est le début du déclin de la voyoucratie à l’ancienne, Zampa et les frères Zemour. C’est le moment où les Français commencent à perdre confiance en Giscard avec la crise économique, les plans de rigueur et les fermetures d’usines. C’est les débuts du Palace, le disco, l’arrivée massive de la coke. Pour faire le récit d’une France qui bout comme une cocotte-minute, c’est franchement une période idéale.»
Une France où on tabasse à mort un ministre, une France où, dans un triste remake de Bonnie and Clyde, on assassine l’ennemi numéro 1 dans sa bagnole, une France où les flics… Broussard, Ottavioli sont des stars, une France où le président se fait offrir des diamants et des réserves de chasse en Afrique pour flinguer des lions ou des éléphants, une France où une milice a tous les pouvoirs, une France qui continue son œuvre colonialiste en Afrique, une France où on craint de voir débouler les chars soviétiques sur les Champs en cas de victoire de Mitterrand, la France de Giscard et son accordéon. Si vous avez vécu cette époque, c’est un bonheur de profiter de cette relecture d’une époque par un Benjamin Dierstein hyper pointu, irréprochable jusque dans les plus petits détails. Cette fidélité à l’époque tient quasiment de la maniaquerie mais n’est pas suffisante à faire un grand roman. Soulignons néanmoins la bibliographie monstrueuse en fin d’ouvrage. Bretoned penn kalet! dit-on par ici et il en a fallu de la volonté, de la ténacité au Costarmoricain pour se lancer dans cette longue traversée en solitaire accompagné par Aurélien Masson, depuis toujours précieux pour les auteurs.
Ce qui fait la différence chez Dierstein, grand supporter d’« En Avant Guingamp », ce sont les personnages. Des êtres de chair et de sang avec leurs forces et leurs faiblesses, plus ou moins gris, jamais blancs ou noirs, méprisables souvent mais… On va suivre, vivre dans les pas de deux flics débutants aux dents longues l’un plongeant chez les nuisibles du SAC et l’autre commençant à pencher vers les socialistes ; d’un autre flic infiltré dans les milieux d’extrême gauche, Gourv, Breton pur jus, une vraie gueule, un mec inoubliable… et d’un mercenaire spécialisé dans les affaires reloues françaises en Afrique et parfois bras armé de Giscard. Ces quatre missiles vont filer vers une cible commune, le terroriste Geronimo. Ils se croiseront, se défieront, s’affronteront, se trahiront, vivront les tragédies du moment. L’intrigue est exceptionnelle, irrespirable et passionnante. La violence d’une époque est montrée sans fard mais aussi sans voyeurisme dans un tempo totalement halluciné où certaines structures de phrases, des paragraphes animés comme des mantras, ne manquent pas d’évoquer certaines folies d’Ellroy. Mais énorme avantage pour tous ceux que les histoires à Los Angeles du Dog commencent à saouler, Bleus, blancs, rouges, c’est chez nous, c’est nous, nos parents, notre belle vitrine qui commençait déjà à se fissurer. Personnellement je n’avais pas pris une telle raclée depuis Pukhtu de D.O.A.
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