Commentaire du 2 septembre 2016.
« Pukhtu secundo » sort le 13 octobre et il me semble essentiel d’avoir lu »Pukhtu Primo » ou, encore mieux, tout le cycle avec « citoyens clandestins » et « le serpent aux mille coupures » pour voir le destin des personnages du « Guerre et Paix » de DOA et pleinement apprécier le final. Donc, si ce n’est pas fait, vous avez encore le temps de réparer votre très regrettable bévue.
A l’heure où on loue à juste titre Ellroy et Winslow, on a parfois tendance à oublier qu’ en France on a un écrivain aussi talentueux, aussi impressionnant. Et pour mieux vous préparer à l’effroyable explosion finale, je remets en ligne un entretien réalisé avec DOA en 2015 dans une France qui n’avait pas encore connu les attentats et précédemment mis en ligne chez Unwalkers.
DOA est un grand écrivain, sans nul doute mais c’est aussi un homme, un vrai. Au cours de cet entretien-fleuve, il se dévoile et c’est aussi puissant et convaincant que ses écrits : son enfance, ses débuts, ses modèles, l’Afghanistan, Pukhtu, le milieu du polar, la loi sur le renseignement, la tristesse et le chagrin, Ellroy…le tout sans langue de bois, attention aux turbulences.
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Je sais votre volonté de rester le plus anonyme possible et je ne vais donc pas vous demander de nous raconter votre vie dont des bribes apparaissent néanmoins sur le net mais pouvez-vous nous dire quand le désir d’écrire est apparu chez vous et de quelle manière ?
Aussi loin que remontent mes souvenirs, raconter des histoires m’a toujours plu. Petit, satisfait d’être mon seul public, je me baratinais beaucoup moi-même. Gros risque de paraître complètement dingo. Il m’arrivait parfois de les écrire, ces histoires, dans des cahiers, sans jamais aller au bout. C’était un plaisir, un passe-temps, pas une vocation. Et c’est encore pour passer le temps, entre deux boulots, que j’ai repris ce qui n’était à l’époque qu’un vieux projet de BD pour servir de base aux « Fous d’avril » mon premier – et très maladroit – roman. Après quelques péripéties, l’éditeur chez lequel ce livre-ci a finalement été publié, le Fleuve Noir, a bien voulu prendre un autre projet, qui était à l’origine un script de film, sur lequel j’avais commencé à travailler : « La ligne de sang ». Ensuite, il y a eu « Citoyens clandestins », pour lequel Gallimard m’a récupéré et puis « Le serpent aux mille coupures », et puis, et puis… Et puis, le passe-temps est devenu un vrai boulot.
Quels sont les auteurs qui vous ont marqué, avez-vous des modèles ?
Le premier auteur qui a réellement compté pour moi est JRR Tolkien, lu très jeune. J’avais huit ou neuf ans quand une maîtresse d’école m’a fait découvrir « Bilbo le Hobbit » et à peine plus lorsque j’ai ouvert « Le seigneur des anneaux » pour la première fois. J’en ai bavé mais ça valait vraiment le coup de s’accrocher. Le relire est devenu depuis un rendez-vous annuel. La puissance créatrice de cet homme, qui a su construire un univers d’une complexité et d’une profondeur rares en littérature, l’œuvre de toute une vie, m’a toujours impressionné. Mes grands chocs littéraires suivants furent Hemingway – « Paris est une fête », un petit bijou de légèreté désabusée – William Gibson, le Big Boss du Cyberpunk, auteur de « Neuromancien », « Identification des schémas » et j’en passe, et Bret Easton Ellis. J’ai pris son « Moins que zéro », écrit à vingt ans, et surtout « American psycho », qui est à mes yeux un des trois ou quatre grands romans sur les sociopathes, en pleine poire. Ensuite, autre gifle énorme, « Le Quatuor de Los Angeles » de James Ellroy, en particulier « LA Confidential » et « White Jazz », suivie, la gifle, quelques temps plus tard, par l’uppercut « American Tabloïd ». En refermant ce bouquin-là, je me suis dit que si j’étais écrivain et que j’avais le quart du dixième du talent de ce mec, j’aimerais un jour écrire un truc comme ça. Plus récemment, c’est Cormac McCarthy qui m’a bluffé et s’il ne faut en lire qu’un, c’est bien sûr « Méridien de sang ». Après un texte pareil ou sa « Trilogie des confins », le reste de la littérature des grands espaces… Evidemment, ce ne sont là que quelques jalons, parce que des auteurs que j’admire, je pourrais en énumérer plein d’autres, de Dostoïevski à Poe, en passant par Faulkner, Thompson – Hunter S. plus que Jim – Selby Jr, Tolstoï, Brautigan, Mailer, Conrad, Edogawa, McBain, Céline, Baudelaire, K. Dick, Ballard et Keats pour ne citer qu’eux. Aucun n’est mon modèle mais tous m’ont certainement influencé. La seule, au fond, dont la plume a profondément marqué la mienne, c’est Dominique Manotti, ma copine. Parce qu’un jour, quand nous avons commencé à réfléchir à notre quatre mains, « L’honorable société », elle m’a imposé d’écrire au présent. Une révélation et une révolution.
Rentrons dans le sujet du monstre « Pukhtu », Phillipp Meyer a dit avoir lu 300 bouquins sur le Texas avant d’écrire « Le fils », quel a été votre travail de documentation ?
Il y a trois choses assez pénibles dans les usages contemporains de la promotion. La première est cette envie – qui doit être à tout prix satisfaite – de savoir comment les objets artistiques sont conçus et fabriqués dans les moindres détails. C’est une question contrenature pour un créateur, à laquelle lui-même a du mal à répondre, et cela tue, à mon sens, la mystique de son travail et le merveilleux associé aux œuvres. A terme, cela annihile même toute forme d’innocence chez le lecteur/spectateur. La seconde est la propension à se servir de la documentation comme argument de vente, notamment des livres et/ou des films et des séries, tous mis en avant avec cette accroche : tiré de faits super réels. Quand on parle de bouquins notamment, cela permet d’escamoter l’essentiel, ce qui est écrit et la façon dont le sel du roman est transmis à celui qui le lit. Le troisième truc, c’est cette manie ultra-capitaliste qui consiste à aligner, dans tous les domaines, des chiffres pour un oui pour un non afin de se donner l’illusion de la performance ; j’ai lu beaucoup donc forcément ce que je vous raconte est hyper-valable.
Ne vous sentez pas particulièrement attaqué par ma réponse, cette tendance nous concerne tous et il m’arrive de ne pouvoir m’en défaire – je lutte, pourtant, hein ! (sourire) – mais je n’ai pas envie de m’amuser ici à aligner les pommes de la presse avec les poires de la littérature – spécialisée ou non – et les oranges documentaires – officielles ou pas, écrites ou audiovisuelles – avec lesquelles j’ai, entre autres, composé la salade de fruits intellectuelle qui a nourri « Pukhtu ». Il suffit de dire que j’ai pris mon temps, harmonisé les saveurs et rectifié les assaisonnements de façon à la rendre digeste. Enfin, espérons. Il me semble, dès lors que l’on a la prétention d’inscrire son travail dans une certaine réalité, nécessaire de prendre le temps de se renseigner sur le sujet traité, c’est la moindre des politesses.
A la lecture de votre roman, on s’aperçoit que le travail pour rendre ce flot d’informations lisible pour le pékin moyen pas trop au fait de la situation a dû être fastidieux, y a-t -il des ouvrages que vous conseilleriez afin d’approfondir la réflexion sur ce conflit ?
Fastidieux, non. Long, détaillé, soupesé, discriminatoire, organisé pour que la matière première de l’histoire n’arrive pas de façon (trop) didactique et soit toujours rattachée à l’un des personnages et à son point de vue sur le monde, héritage de son histoire personnelle et de sa psychologie, sur le moment et sur le long terme… puisque tout homme est la somme de ses propres expériences. Ou presque. Maintenant, aucune illusion, « Pukhtu » n’est pas écrit pour tout le monde, il en rebutera plus d’un.
Difficile de conseiller des ouvrages dans la mesure où l’essentiel de ceux qui m’ont servi sont rédigés en langue anglaise et non traduits. J’avoue avoir ouvert les yeux sur l’Afghanistan en commençant avec un livre très simple et très beau de l’écrivain marcheur Rory Stewart intitulé justement « En Afghanistan ». Il y a eu aussi un retour en grâce de lectures de jeunesse, en particulier « Les cavaliers » de Joseph Kessel, « L’homme qui voulut être roi et autres nouvelles indiennes » de Rudyard Kipling et « Putain de mort » de Michael Herr. Des introductions qui en valent bien d’autres. Sur les talibans, celui qui m’a montré la voie est le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, un ancien militant, dont le travail est un préalable intéressant à des textes plus pointus. On trouve certains de ses écrits en français. Il faut également jeter un œil à « Blackwater » de Jeremy Scahill, une première approche de la problématique des sociétés militaires privées, toujours dans les ouvrages traduits, ou « Guerre » de Sebastian Junger, sur la réalité de soldats américains sur le front de l’est afghan. Ce ne sont là que quelques points d’entrée parmi des dizaines d’autres.
Vous avez embrassé la carrière militaire à une époque au sein de l’infanterie de marine spécialisée dans les interventions à l’étranger si je ne m’abuse, cette expérience vous a -t-elle servi pour comprendre le dessous des cartes dans certains théâtres opérationnels ?
Corrigeons tout de suite : je n’ai pas embrassé la carrière militaire, juste compté parmi les derniers couillons obligés de faire leur Service national. Il se trouve que, du fait de mes études, j’ai pu intégrer l’armée comme aspirant dans l’infanterie et, par un concours de circonstances, il m’a fallu choisir entre des unités de légion étrangère et des troupes parachutistes pour mon affectation. A l’époque, les paras paraissaient moins extrêmes. Prolonger l’expérience au maximum m’a permis de voyager, toujours dans des conditions très stables et sûres, et de côtoyer un temps des individus hors normes et, pour certains d’entre eux, assez intéressants. Même s’il y avait aussi pas mal de cons dans le tas. Une constante que l’on retrouve partout, malheureusement, y compris dans le joyeux royaume du polar où tout le monde est si intelligent et s’adore. Cette expérience m’a-t-elle rendu plus sensible à certaines choses ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, j’ai trop de respect pour les femmes et les hommes en uniforme, qui risquent désormais leur vie au quotidien, partout dans le monde, au gré des caprices géostratégiques des gouvernements français, pour me draper d’une mante de guerrier qui serait totalement usurpée.
J’ai été très surpris par vos descriptions détaillées de territoires interdits au public en Afghanistan et dans les FATA (zones tribales du Pakistan), comment avez-vous fait en mettant à part des relations qui auraient pu perdurer avec des gens de « la grande muette » ?
Deux règles qui pourraient procéder de la sagesse populaire et sont applicables à « Pukhtu » dans son ensemble – sans nécessiter l’intervention de « la grande muette » – : l’imagination est l’arme première des romanciers et celui qui cherche trouve. On pourrait en ajouter une troisième : les voyages forment la jeunesse.
Pourquoi l’Afghanistan et pas l’Irak ?
« Pukhtu » est la conclusion d’un projet littéraire imaginé après le succès (relatif) de « Citoyens clandestins », mon premier pas à la Série Noire, en 2007. Lorsqu’il a fallu commencer à réfléchir sérieusement aux suites éventuelles à donner à ce volet initial et au « Serpent aux mille coupures » deux certitudes m’ont guidé : il fallait faire revenir, dans la mesure du possible, la plupart des personnages et, par ailleurs, il était nécessaire de sortir du cadre strict des premiers romans. Pas question d’écrire une autre histoire de services secrets et d’attentats à déjouer en France. Pour autant, certaines choses avaient séduit les lecteurs et il semblait important de les retrouver dans un nouvel opus. Parmi celles-ci figurait l’ancrage dans un réel historique proche, puisque l’intrigue de « Citoyens » est bornée par le 11 septembre 2001 et le 21 avril 2002.
L’Irak aurait pu être un terrain de jeu intéressant, après tout ce qui se passait là-bas agitait une bonne partie de la planète. Mais le rude Afghanistan, ce tombeau des empires, me faisait plus bander. Et puis, son invasion et la chute du régime du mollah Omar en deux mois, fin 2001, avaient été les conséquences premières des attentats du 11 septembre. Je me suis donc concentré sur cette zone géographique et sur son histoire, passée et présente. Assez rapidement, les années 2008 et 2009 sont apparues très riches en événements. Autant de thèmes potentiels pour une suite à la hauteur de ce projet. D’une part, 2008, c’est la dernière année de la présidence Bush, l’homme qui a précipité son pays dans deux guerres terribles et embarqué toute la planète ou presque dans sa croisade contre le terrorisme. Il est remplacé par Barack Obama, le premier président noir des Etats-Unis, vendu à l’époque comme une colombe et pas comme un faucon. Lui allait mettre fin au bordel général, la bonne blague. D’ autre part, 2008, c’est aussi l’année où les talibans, laissés relativement tranquilles par des Américains trop occupés à guerroyer chez Saddam, font un retour en force, notamment sur le front de l’est. Ça couvait depuis un an et demi et le sud du pays était déjà très agité depuis 2004-2005 mais, en 2008, ils montrent qu’ils sont capables d’emmerder le monde sur tout le territoire en frappant au cœur de Kaboul dès le mois de janvier. Si on ajoute à ça que la CIA commence à industrialiser le renseignement à coups de bombardements de drones – plus de frappes en 2008 que pendant les six années qui précèdent, et ça augmente encore en 2009 – et que la production d’opium bat tous les records, alors le tableau est complet et le décor dans lequel mon bouquin s’ouvre planté.
A lire les premières critiques, par ailleurs unanimes quant à la qualité de votre roman, se dégagent des avis assez différents sur le sujet réel du roman. Certains ont mis en avant le combat des membres de la 6N dont nous allons reparler quand d’autres (dont je fais partie) y voient un témoignage plus universel, une présentation, une dénonciation d’une guerre du XXIème siècle. Comment présenteriez-vous votre roman à un néophyte ?
Certainement pas comme une dénonciation de quoi que ce soit, déjà. « Pukhtu », en surface, c’est un livre sur la guerre, prise au sens classique de l’affrontement d’entités militarisées et moins classique des conflits secrets ou contre des intérêts criminels. Plus largement, c’est un livre sur la guerre de tous contre tous et de chacun contre lui-même. D’une certaine manière, il est l’écho, évidemment amplifié et déformé – nous sommes dans le domaine de la littérature – de la grande tension qui agite actuellement notre monde, une tension que je trouve, à titre personnel, très inquiétante et oppressante. Une profonde tristesse m’a accompagné tout au long de l’écriture de ce roman, et elle n’a pas encore disparu. Peut-être s’envolera-t-elle lorsque je mettrai le point final au second volume. Les sources de cette mélancolie sont multiples mais il est évident que tout ce que j’ai absorbé lors de l’élaboration de ce texte m’a beaucoup affecté. Ces réalités multiples fondues en une seule, de fiction, sont désespérantes. Donc c’est aussi un texte sur le chagrin. Enfin, à mesure que je l’écrivais, il m’est apparu que le thème de la transmission y affleurait de façon inattendue et répétée : que nous ont transmis ceux qui nous ont précédés et que transmettons-nous aux générations qui suivent ?
Concernant votre présentation du conflit, quelles sont les innovations de cette guerre ? J’ai été très surpris voire choqué par la présence et l’activité de ces officines privées injectées dans cette guerre (le groupe 6N de Fox anciennement Fennec dans le passé dans vos romans) et dont les activités restent bien opaques et incontrôlables et dont on a bien du mal à connaître les vrais commanditaires. Est-ce une nouveauté à laquelle il faudra s’habituer ou est-ce une version moderne des barbouzes ?
Cette guerre, et celle d’Irak, a d’abord permis à l’armée américaine – la plus richement dotée du monde – et dans une moindre mesure, aux autres contingents de l’OTAN, France comprise, de mettre à l’épreuve ou développer, tester et perfectionner tout un tas de nouvelles stratégies, technologies et armements. Les drones en sont l’exemple le plus évident.
Mais la transformation la plus spectaculaire est effectivement, aux Etats-Unis, l’élan de privatisation sans précédent, à tous les niveaux, de la chose militaire, jusque sur la ligne de front. Faut-il s’en inquiéter ? Très certainement. Peut-on lutter contre ? Cela me semble difficile tant la chose paraît normale dans les pays anglo-saxons. Au-delà de la demande évidente des états, les grands groupes industriels et commerciaux, qui ont des intérêts à défendre sur tous les continents, dans des zones de plus en plus instables, intérêts qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la diplomatie de leurs pays d’origine, ont les moyens de faire appel à des sociétés militaires privées pour assurer leurs arrières. Et ils ne s’en priveront pas. Le mercenariat, appelons un chat un chat, a toujours existé mais pas à cette échelle, avec les capacités de projection et de destruction d’aujourd’hui. L’avenir va piquer.
Le major général américain Smeldey Butler, dès 1935, a déclaré : “WAR is a racket. It always has been. It is possibly the oldest, easily the most profitable, surely the most vicious. It is the only one international in scope. It is the only one in which the profits are reckoned in dollars and the losses in lives.” A qui profite, dans chaque camp, ce commerce juteux?
A des intérêts privés, évidemment. Grosso modo ce que l’on appelle le complexe militaro- industriel d’un côté et tout un tas d’entités politiques, criminelles, armées, subversives, de l’autre. Les échelles ne sont pas les mêmes mais les motivations et les buts si. Prendre le pouvoir, dominer la concurrence ou l’adversaire, s’enrichir.
En ayant connaissance de la débâcle soviétique dans les années 80, pourquoi les Américains ont-ils occupé l’Afghanistan ? Quelles erreurs ont-ils commises ?
Je ne vais certainement pas me risquer à répondre à cette question, n’étant ni expert patenté, ni apostériologue professionnel. Juste une remarque : avant les Etats-Unis, l’Union Soviétique n’est pas le premier empire à s’être cassé les dents sur l’Afghanistan. En fait, tous ceux qui ont essayé de l’occuper en ont été pour leurs frais. Personne ne semble vouloir retenir la leçon. L’homme, quoi.
« Pukhtu » est situé en 2008, quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ( avril 2015) ? Y a-t-il vraiment un nouveau protagoniste avec l’Etat islamique?
Il y a, en Afghanistan et dans les régions limitrophes de ce pays, une forte concentration de combattants islamistes, d’origines diverses – Arabes, Tchétchènes, Ouzbèkes, convertis occidentaux – qui, ces trente dernières années, ont cherché là un refuge et une terre de djihad. Jusqu’à un passé récent, ils se rassemblaient plus ou moins sous la bannière ou la franchise Al-Qaïda, ou celles d’entités locales. Al-Qaïda est en perte de vitesse, peu à peu remplacée par un nouveau caïd, l’Etat Islamique. Le nouveau est en italiques parce que cette organisation est ancienne en fait. Sa naissance remonte à la fin des années quatre-vingt-dix et son chef a longtemps été Abou Moussab Al-Zarqaoui, bête noire des Etats-Unis en Irak jusqu’au milieu de la première décennie 2000. Le mouvement a été presque entièrement détruit après sa mort, en 2006, mais il a pu se reconstituer en secret, profitant des frustrations des populations sunnites d’Irak, martyrisées par le gouvernement chiite mis en place par les Américains au moment de leur départ du pays, et de dynamiques tribales. Ils font maintenant une sérieuse concurrence au groupe fondé par Ben Laden partout dans le monde, y compris dans la zone Af-Pak.
Dans un passé récent, les Russes, les Américains, les talibans toujours, les lois tribales… existe-t-il un espoir pour les populations civiles ?
Bien sûr, si un jour tous ces mecs sont fatigués de se foutre sur la gueule (sourire). Et puis, les populations civiles ne sont pas toujours étrangères aux dynamiques qui les accablent.
La France doit-elle se considérer en guerre, quel est votre sentiment vis-à-vis de la loi sur le Renseignement ?
La France et les Français doivent considérer que le monde d’avant a disparu. Nous ne pourrons plus nous promener tranquillement sur la planète comme nous l’avons longtemps fait, sûrs de notre supériorité tricolore, économique, politique, intellectuelle et philosophique, et la réalité qui nous entoure s’invitera sans doute de plus en plus, et de plus en plus violemment, dans notre quotidien. A terme, j’ai le sentiment que nous ne pourrons pas nous abstenir de faire des choix difficiles pour maintenir un certain modèle républicain qui nous est cher.
Quant à la loi sur le renseignement, no comment. Qu’un ministre de l’Intérieur socialiste puisse déclarer sans sourciller, devant l’Assemblée représentant le peuple français, qu’il est normal de sacrifier une partie de notre vie privée m’a semblé tellement surréaliste que j’en suis resté baba. Rappelons que dans le même temps, lui et les autres caciques de son parti, ces vigies de la démocratie idéale, nous mettent en garde contre l’éventualité de l’arrivée du Front National au pouvoir. C’est parfait, si cela devait se produire, tous les instruments de surveillance et de contrôle seront déjà en place. « 1984 » est en train de prendre corps sous nos yeux, en direct sur les chaînes d’info en continu.
J’ai apprécié la playlist accompagnant votre roman (enfin, beaucoup plus les Stooges et les Black Angels que Jean- Pierre Castaldi néanmoins et sans vouloir vous offenser), qu’écoutez-vous en ce moment dont vous aimeriez nous faire profiter ? Pareillement y a-t-il des romans que vous nous conseillez.
Jean-Pierre Castaldi figure dans la playlist parce qu’il était en 2008 dans les bacs de certains DJ résidents du Baron, une boîte parisienne à la mode évoquée dans le roman. Branchitude, quand tu nous tiens. En ce moment, j’écoute beaucoup de musique sans parole, électronique, produite par des labels allemands comme Finest Ego ou Ostgut Ton, et le seul groupe de rock qui trouve encore grâce à mes yeux, c’est Interpol, pour lequel mon intérêt ne se dément pas. Une passade, à n’en pas douter.
Je ne lis plus assez de romans depuis deux ans, et la plupart de ceux que j’ouvre me tombent des mains. J’ai été très déçu par le dernier Ellroy, Perfidia, terminé avec peine il y a quelques semaines. Le Dog tourne à vide, il se caricature lui-même, et son retour sur des terres pourtant familières, entouré de figures connues et bien intentionnées, comme Dudley Smith, m’a profondément ennuyé. Mais peut-être est-ce juste mon goût qui évolue. Mon dernier gros coup de cœur, en fait, est un roman italien : « Les noirs et les rouges » d’Alberto Garlini.
Enfin, parce que je le pense vraiment, quelle est la question que j’ai omis de vous poser et à laquelle vous auriez aimé répondre ?
Et sinon, comment va la vie ? Bien, merci.
Entretien réalisé par échange de mails entre le 19 et le 22 avril 2015 suite à une brève rencontre le 12 avril 2015 lors du salon du polar de Mauves en Noir.
Wollanup.
PS: lien vers « Mon Amérique à moi » de DOA.
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