Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Entretiens (Page 7 of 8)

DOA, LE CYCLE CLANDESTIN / Entretien.

J’avais longuement parlé de la guerre avec DOA dans un entretien réalisé au moment de la sortie de « Pukhtu primo » et en accord avec l’auteur, il m’a semblé plus judicieux d’évoquer son parcours d’écrivain depuis « Citoyens clandestins » qui inaugure le cycle jusqu’à ce « Secundo » sans négliger par ailleurs sa riche collaboration avec Dominique Manotti pour « l’honorable société ». Comme à son habitude, DOA s’exprime sans mâcher ses mots. Enjoy!

La sortie d’un roman, c’est sûrement une période de doute, qu’en est-il pour vous ? Vu que c’est la sortie de la deuxième partie de « Pukhtu », l’angoisse est-elle moindre, différente ou tout simplement magnifiée ?

De quoi parle-t-on, de doute ou d’angoisse ? Je ne doute pas. Ce « Pukhtu », c’était ce que je pouvais écrire de mieux au moment où je l’ai rédigé. Ce ne sera sans doute plus vrai dans un an ou deux, du moins je l’espère, mais dans l’immédiat je ne pouvais pas aller plus haut, plus fort. Par ailleurs, le texte correspond à ce que j’avais en tête. Il n’y a donc aucun problème de ce côté-là. Néanmoins, je suis partagé entre deux émotions : le soulagement heureux, parce que c’est enfin terminé, les gens vont pouvoir juger l’ensemble, et l’angoisse, parce que j’aimerais, par mégalomanie sans doute, voir mon travail rencontrer un très large public. Ces six années de turbin acharné, de saines mais épuisantes remises en cause, de réflexions et d’arbitrages, elles ont nourri ma vie personnelle et ont été nourries par elle. Il était temps que cela s’achève et il serait bien que cela paye (ça y est, j’ai dit un premier gros mot – sourire).


Si on revient en arrière, dix ans plus tôt, quand vous commencez à écrire «Citoyens Clandestins », est-ce que vous savez déjà que vont succéder à ce roman « le serpent aux mille coupures » et « Pukhtu » ?

Non. « Citoyens » a été pensé comme un récit unique et c’est la (surprenante) popularité de l’un de ses principaux personnages qui a déclenché la réflexion sur une ou plusieurs suites éventuelles. En revanche, une fois cette cogitation amorcée, il a toujours été très clair pour moi que je ne suivrais pas la voie de « héros » récurrents apparaissant dans des récits conçus comme autant d’épisodes, avec un potentiel quasi infini, mais comme les acteurs d’un tout limité dans le temps et le nombre de volumes.

Pourquoi inattendu, pensez-vous qu’il existe des canons universels pour un héros et s’agit-il de Lynx ou de Fennec ?

Inattendu, parce que je ne donnais pas cher de la réputation d’un agent clandestin tortionnaire et assassin d’état a priori. Il faut se souvenir du contexte de l’époque. En Iraq, le conflit s’envenime et s’enlise, et c’est aussi le moment où sont sorties les histoires de kidnappings, vols secrets et tortures de la CIA. Honnêtement, j’aurais pu me faire lyncher pour ce roman et surtout ce personnage (c’est ce qui est arrivé au film « Zero dark thirty », sorti en 2012, attaqué par la critique pour sa façon de rendre compte de la torture). Il n’en a rien été. Pire, beaucoup de lecteurs se sont entichés de mon loup cervier.

Quelle est la genèse de « Citoyens clandestins » si éloigné de votre précédent roman « la ligne de sang » ? Une envie d’écrire sur les magouilles peu connues des gens qui finalement dirigent la planète, un événement, une conscience politique ? J’imagine qu’on ne se lève pas un matin en se disant « tiens, je vais écrire Citoyens clandestins, aujourd’hui, moi ».

Je n’ai aucune conscience politique (rires) et je ne cherche pas à faire passer de message dans mes textes. Le réel m’intéresse uniquement comme matière première à façonner, dans laquelle intégrer des éléments et des figures de fiction à mon goût. Le point de départ de « Citoyens » est donc, aussi étonnant que cela puisse paraître, véritablement trivial, c’est la combinaison de l’attentat du 11 septembre et de la question : « Et ici, on pourrait faire quoi ? » Quand on voit l’actualité, on s’aperçoit que c’était vraiment n’importe quoi, ce roman.

Est-ce le succès de ce roman récompensé par le grand prix de la littérature policière dont le jury se trompe rarement qui vous incite à retourner dans des histoires sombres et secrètes avec « le serpent… » ? Avez-vous déjà en tête le projet grandiose « Pukhtu » ?

Le Grand Prix de Littérature Policière, un gage de qualité effectivement – qui a néanmoins préféré « La princesse des glaces » à « La griffe du chien », il faut s’en souvenir au moment où la suite de ce dernier roman, « Cartel », recueille un grand nombre de critiques élogieuses de la part du milieu du polar – est décerné chaque année fin septembre. En général, pour les auteurs honorés, les romans sont publiés depuis au moins six mois. Le succès, si succès il y a, est déjà en cours. Ou plus. Ou n’a jamais eu lieu. Le prix relance un peu les ventes mais ne les fait pas décoller. Le phénomène n’a rien de comparable, loin de là, avec celui qui propulse en tête des classements les livres primés par l’une des récompenses d’automne de la littérature générale (Goncourt, Renaudot, etc.) qui, de plus, interviennent dans les deux ou trois mois suivant leur publication. Si « Citoyens » a pu marquer un peu les esprits à l’époque de sa sortie, c’est seulement à partir de son édition de poche que son lectorat s’est développé de façon remarquable. Le prix m’a surtout aidé à cette étape-là. Mais, ainsi que je l’ai expliqué plus haut, ce n’est pas cela qui a déclenché mon envie de plus, c’est l’inattendu potentiel empathique de l’un de ses personnages principaux auprès du public.

Vient ensuite « L’honorable société » et une collaboration avec Dominique Manotti qui coulait de source. Qu’est-ce que l’écriture à quatre mains avec cette grande dame du polar vous a apporté ?

Beaucoup de plaisir, des moments complices, une belle amitié et, d’un point de vue technique, l’obligation d’écrire au présent. Une révolution en ce qui me concerne. En m’imposant cette contrainte, Dominique a influencé et, selon moi, fait progresser mon travail plus profondément que n’importe quel autre écrivain.

Cette révolution dans votre style née d’une contrainte technique vous obligeant à utiliser le présent de narration, c’est donc plus difficile d’écrire au présent ? Quels automatismes cela demande-t-il d’acquérir qui soient plus tordus que la maîtrise de la concordance des temps ?

D’abord, la problématique de la concordance ne disparaît pas avec le présent. Ensuite, ce n’est pas plus difficile, ce n’est juste pas l’usage en littérature française, qui fait la part belle à l’imparfait et au passé simple, temps de la narration. Le présent c’est l’immédiateté, le mouvement, l’action, la proximité et donc, en poussant le raisonnement, le réel. Raison pour laquelle il est employé par la presse, par exemple. Et la littérature anglo-saxonne. Il incite
naturellement à la sécheresse, à la traque du superflu, essentielle à tout roman de qualité. Le problème, c’est que l’on peut rapidement passer de l’assèchement à l’aridité. Or l’écrit de fiction, me semble-t-il, a besoin de garder un minimum de gourmandise, de chair, pour embarquer un lecteur, le séduire. La difficulté de l’usage du présent est donc là, dans le juste équilibre et la conservation d’un bon « cholestérol » littéraire.

Qui décide que Pukhtu sera en deux parties avec une attente de plus de 18 mois pour le lecteur, vous ou des contraintes éditoriales ?

La taille que prend le récit à mesure que je l’écris (qui dépasse mes prévisions), l’anticipation des réactions des critiques (qui râlent quand un Français écrit trop épais), des lecteurs (qui prennent facilement peur pour la même raison), moi (qui le suggère), Aurélien Masson, mon éditeur (qui l’accepte), la promo de « Pukhtu Primo » (qui décale la reprise du travail de rédaction de quatre mois), la fatigue accumulée au cours des deux années et demie précédentes (qui me ralentit, je ne suis pas un robot) et le temps nécessaire à Gallimard pour la fabrication d’un livre à partir d’un manuscrit définitif (qui prend entre quatre et cinq mois).

Au fil des entretiens et des conversations « off » c’est un plaisir de constater que vous ne pratiquez pas la langue de bois et je suis très surpris que vous parliez de l’influence de la critique. Pensez-vous ou avez-vous constaté que la critique professionnelle peut faire le succès d’un livre ?

Je ne parle pas de l’influence de la critique mais des « réactions des critiques » face à la taille d’un livre. Quelle est l’influence qu’ils exercent réellement, cette question n’a pas de réponse évidente. On a vu des bouquins très soutenus par la presse ne pas se vendre et d’autres, pas du tout exposés dans les médias, partir comme des petits pains. Empiriquement, compte tenu du nombre de titres publiés chaque année et de la concurrence de fait qui s’exerce entre les auteurs pour obtenir une part du budget « livres » des lecteurs – je ne dis pas que c’est ce que nous cherchons mais c’est quand même un peu ce qui nous arrive quand nous nous retrouvons tous alignés en rangs d’oignons sur les tables des libraires – j’aurais tendance à croire qu’il vaut mieux être « critiqué » – à prendre au sens large – qu’ignoré par les organes vecteurs de visibilité. Et, retour à mon propos initial, pour plein de raisons, les journalistes en charge des pages ou des émissions littéraires ont tendance à renâcler devant les gros romans. C’est compréhensible quand on sait le nombre de textes dont ils sont destinataires chaque année, moins lorsque l’on constate l’existence d’une véritable prime à l’exotisme, assez injuste, qui tend à les rendre bien mieux disposés à l’égard des « pavés » étrangers, anglo-saxons en particulier. J’emploie le terme « pavé » à dessein, parce que vous le retrouverez très souvent utilisé lorsqu’il s’agit de chroniquer un ouvrage français de taille conséquente et quasiment jamais pour son équivalent d’ailleurs. Comme s’il était, dans le premier cas, indispensable de « prévenir » le potentiel lecteur, mais pas dans le second, où l’on préférera louer l’ampleur littéraire et pas faire référence à son véritable encombrement physique. Pourquoi ? Mystère.

Savez-vous en démarrant ce « monstre » que vous êtes parti pour 1317 pages sans les annexes ? Avez-vous eu la pleine conscience de l’épreuve qui vous attendait ou tel Colomb si vous aviez su que cela serait si terrible vous n’auriez jamais entrepris le voyage ?

Je tablais sur mille pages en un seul volume. Je me suis trompé. Je pressentais / craignais que ce serait long et difficile, mais pas assez pour ne pas tenter l’aventure. Si un auteur ne se fait pas mal, ne prend pas de risques en accouchant de ses romans, valent-ils la peine d’être écrits et, plus encore, d’être lus ?

Je suppose que les recherches documentaires pour ce genre de roman qui se promène sur quatre continents ont dû être pharaoniques, mis à part celles que vous ne pouvez citer, comment trouvez-vous vos sources ? Vous êtes-vous rendu  à Ponta Do Ouro par exemple ?

Les sources, elles sont multiples et nombreuses. Certaines sont plus longues et pénibles à obtenir que d’autres, il faut être créatif, patient et réactif – et parfois n’avoir pas (trop) peur – mais aucune n’est inaccessible. Quand on cherche, on trouve, une vérité intangible, encore plus aujourd’hui que dans le passé. Et pour répondre à votre question sur Ponta do Ouro, oui, j’y suis allé, trois fois. La dernière, c’était en 2009. Mon meilleur ami, sud-africain et plongeur comme moi, possédait une petite maison là-bas. Il l’a revendue il y a quatre ans, l’endroit, devenu très (trop) touristique, ayant perdu son charme rustique. Un détail : le vrai nom du Cafe do Sol a longtemps été Cafe del Mar. Pour les curieux, il s’appelle maintenant Cafe Batuque.

Peut-on avoir un plan quand on écrit un tel roman, la trame reste-t-elle figée ?

Avoir un plan n’est pas une option, c’est une nécessité absolue. Et un plan bien conçu permet, au moment de l’écriture, de faire évoluer les arcs narratifs prévus. La solidité de ses fondations autorise chamboulements et spontanéité. Ainsi, pour « Pukhtu », le personnage de l’enfant à la fleur n’était mentionné nulle part dans mon plan, il n’existait pas. Il est apparu au détour d’une scène, dans le décor, pendant la rédaction, et s’est mis à suivre Shere Khan à la trace dans ses aventures. Chose extraordinaire, il a même fini par s’inscrire parfaitement dans l’une des thématiques sous-jacentes du récit, relative à l’enfance, la filiation, la parentalité.

Qui peut mieux que vous peut le faire… Comment présenteriez-vous votre roman ou plutôt chacune des deux parties qui sont finalement assez différentes ?

Des tas de gens pourraient le faire mieux que moi, je manque de recul et ne me vois pas en « représentant » de mon travail. Je ne peux que renvoyer aux quatrièmes de couverture de « Primo » et « Secundo », identiques, puisque tous les thèmes abordés s’y trouvent mentionnés. C’est un long voyage, mouvementé, souvent difficile, parfois grandiose, à travers le monde d’aujourd’hui – son versant noir et caché s’entend – mais, à l’instar de tous les périples lointains, il est exigeant et se mérite. Quant aux deux parties, leur différence perçue est surtout la conséquence de leur séparation physique. Lue dans la continuité, la seconde moitié apparaît pour ce qu’elle est, l’évolution logique de la première, un resserrement du général au détail et au personnel.

Et voilà, vous ne voulez pas être le « représentant » de votre livre mais vous en êtes néanmoins le créateur ce qui fait de vous la personne qui le connait le mieux et votre démonstration à l’instant le prouve sans appel. Vous avez la vérité et les lecteurs ne pourront avoir que des interprétations de votre réalité.

Oui, un créateur qui a mis, comme vous l’avez fait remarquer plus haut, 1317 pages sans les annexes et six ans à raconter sa putain d’histoire, et pas quelques lignes et cinq minutes. Il faut croire que je ne savais pas faire autrement. Aucune condensation ne peut rendre justice à un travail tel que celui-ci quand vous en êtes l’auteur. Il me semble donc que seul un lecteur, avec son oeil neuf et son recul de découvreur, est en mesure de faire ce genre de présentation, par le truchement de son ressenti et de ce que sa mémoire a retenu, de son expérience personnelle du texte donc. S’il a aimé. Et même s’il a détesté.

Vous écrivez Secundo à l’automne 2015 quand en France, on s’aperçoit que la barbarie très lointaine que vous racontez dans Pukhtu est entrée dans Paris. A moins que vous vous soyez coupé du monde à ce moment-là, quels sont vos sentiments ? Les attentats qui se déroulent en France ont-ils un impact sur votre écrit ?

Il aurait été difficile pour moi d’ignorer les attentats de l’automne 2015, j’habite à cent cinquante mètres du Bataclan. Je n’ai pas eu peur. Et je n’ai pas été surpris. Ou accablé ensuite (mais je n’ai perdu personne, moi). Pour diverses raisons, je vis avec la certitude d’attaques terroristes chez nous, surtout islamistes, depuis très longtemps. La France, jusqu’à un passé récent, s’est crue à l’abri, aidée en cela par le mythe d’un renseignement national efficace et de gouvernements successifs prompts à nous endormir sur le sujet. Nous n’étions en réalité pas en sécurité, bien au-delà des pires anticipations, et nous en faisons l’amère expérience depuis non pas deux, mais presque cinq ans, puisque la première véritable alerte sanglante, après une longue période de calme trompeur, du genre à précéder les tempêtes, c’était Mohammed Merah, en mars 2012. En pleine campagne présidentielle, rappelons-nous en. De fait, tous les prétendants à l’Elysée ont, ce mois-là, entendu le coup de semonce. En théorie. Donc ni peur, ni surprise, ni déprime. Beaucoup de colère, en revanche, ne serait-ce que vis-à-vis du sommet de l’état, parce que ce qui arrive n’est pas une fatalité, c’est le résultat de la négligence, de l’incompétence, de l’aveuglement idéologique, de la veulerie et d’une culture de l’opportunisme politique des plus crasses. Merah est un échec cuisant de l’administration française. Un ratage magistral, j’insiste. Un retour d’expérience digne de ce nom, demandé par de vrais dirigeants, un minimum connaisseurs, aurait conduit à de profondes réformes dans l’organisation de tous les services concernés – police, justice, défense – au renouvellement de leurs échelons de commandement et de leurs effectifs, à la remise à niveau du recrutement et de la formation de leurs fonctionnaires, ainsi que de leurs procédures de contrôle (fiches S, entre autres). Il n’en a rien été, on a distribué des médailles en chocolat pour cacher la misère et après, fermez le ban, circulez, il n’y a plus rien à voir. Ensuite non plus, on n’a rien fait « pour de vrai », malgré la multiplication des attaques (presque autant d’autres ratages). Les mêmes sont toujours là et font toujours la même chose, mal, peu efficace. Plusieurs vagues d’individus, qui ne sont pas les « déséquilibrés » ou les « loups solitaires » qu’on essaie de nous vendre à chaque fois, mais dont on ne peut pas dire non plus qu’ils brillent par leur intelligence, ni même par leur expérience réelle du combat clandestin, ont infligé de sérieux revers – et ce n’est pas terminé – à nos appareils policier et de renseignement, y compris de l’extérieur, et judiciaire. En termes plus crus, on n’arrête pas de se retrouver le pantalon sur les chevilles, cul nu, à se faire dérouiller par des « cosmotruffes ». Et le nombre de morts et de blessés, de victimes collatérales – leurs proches – augmente mois après mois. Qu’est-ce que cela dit sur nous ? Et que signifie notre absence de réaction en tant que peuple ? Ne serait-ce que pour demander des comptes à nos gouvernants, à leurs prédécesseurs, à ceux qui prétendent leur succéder, tous issus du même monde ou pas loin, celui des héritiers et des rentiers de la politique et de la haute fonction publique, mais aussi aux gens censés leur obéir et nous protéger, et à toute la clique d’observateurs et d’« apostériologues » bavards qui se targuent de représenter un vital contre-pouvoir ? Sinon non, aucune influence sur mon récit, même si celui-ci, dans ce qu’il raconte en creux sur les services secrets français, n’est pas sans rapport avec la saillie ci-dessus.

Voterez-vous à la prochaine élection ? Que redoutez-vous le plus pour la sécurité du pays ? Le vote d’un peuple apathique ou une nouvelle présidence identique aux précédentes ? Chaque nouveau président met aux postes clés des renseignements, des services secrets, de la diplomatie et du gouvernement des amis ou des valets fidèles, quel candidat vous fait le plus peur sur le dossier de la sécurité intérieure qui sera un des grands thèmes de la campagne ?

J’ai l’impression d’être déjà suffisamment sorti de mon rôle avec ma réponse précédente et, n’étant pas plus qu’un autre à l’abri du syndrome du café du commerce, je vais éviter de m’étendre sur le sujet. Aucun des candidats déclarés à ce jour ne me semble à la hauteur de la fonction auxquels tous aspirent et je ne vois pas, à moyen terme, comment pourraient émerger des profils, femmes et / ou hommes, ayant la légitimité, la carrure, l’intégrité et la vision suffisantes. Il appartient donc, selon moi, à chacun de décider s’il doit ou non voter pour le moins « pire » ou « flippant » à son avis. Ou prendre le maquis (sourire).

David Joy raconte qu’il a attaché son personnage principal à un morceau de musique afin de le garder bien en tête dans son roman, avez-vous vous-même un truc qui vous permet de le garder bien en tête ? Il y a à peu près dix ans d’écart entre la création de Montana dans « Citoyens clandestins » et sa présence dans Secundo et même si cela représente une durée bien moindre dans le roman, comment faites-vous pour conserver le même homme avec la même psychologie?

D’une part, Alain Montana n’est pas un personnage principal, il tient dans mes écrits un rôle important certes, mais secondaire. D’autre part, comme David Joy j’imagine, je construis des biographies pour mes protagonistes, tous, surtout factuelles : année et lieu de naissance, parcours scolaire, professionnel, environnement familial, parfois des ébauches de motivations. Cela me donne un cadre général et un type, assez grossier, de personnalité, auxquels je
m’efforce de rester fidèle. Une fois dans le texte, j’affine en fonction de ces contraintes et des contraintes que pose le récit lui-même. Ainsi, au fur et à mesure des péripéties traversées, les caractères se précisent. Pour reprendre l’exemple de Montana, c’est le même homme sans l’être, il a vécu, son profil psychologique n’est pas totalement éloigné de ce qu’il était avant, mais il a évolué. La seule difficulté au moment de le faire intervenir était donc de l’incarner par les bons mots, en se souvenant d’où il venait et en s’interrogeant sur son « mûrissement » probable au fil des ans et des évènements, rien d’insurmontable. J’ajoute que le coeur véritable du travail du romancier se trouve là, pas dans la documentation.

Il n’y aurait pas un petit côté macho chez vous avec ses personnages féminins qu’on aime mais qu’on doit néanmoins toujours sauver ou protéger ?

Postulat : le lecteur a tous les droits, y compris celui de penser que je suis un « macho ». Et vous avez raison, j’aurais dû, au moment de construire le roman, interroger à ce sujet les intermédiaires de l’ombre – sur le terrain, dans le vrai monde, très majoritairement des hommes – qui s’occupent de négocier, rechercher, escorter, secourir des otages – capturés par d’autres hommes – comme la femme politique Ingrid Betancourt, les humanitaires Margaret Hassan, Christina Meier, Clementina Cantoni, Linda Norgrove, Anetta Flanigan, Cydney Mizell, Simona Pari et Simona Toretta, les journalistes Melissa Fung, Joanie de Rijke ou Florence Aubenas, entre autres, pour savoir s’ils avaient « un petit côté macho » qui sauve les « femelles » en détresse. Je suis sûr que Nicola Calipari, du SISMI, aurait eu des trucs intéressants à me dire s’il n’avait pas été tué – par des soldats US – en raccompagnant Giuliana Sgrena, une des plumes d’« Il Manifesto », à l’aéroport de Bagdad après avoir participé à sa libération. J’aurais même pu aller plus loin et leur demander à tous s’ils ne sont pas carrément phallocrates lorsqu’ils préfèrent s’occuper plutôt des mecs kidnappés sur les différents fronts ouverts ces dernières années. Plus sérieusement, auriez-vous posé la question à un auteur étranger, en particulier américain, sachant que la production littéraire de ce pays, dont on salue souvent la prise avec le réel, nous abreuve de ce genre de figures narratives ?

Vous avez déjà dit que « Pukhtu » était la fin d’un cycle et sans me faire la moindre illusion sur une réponse, avez-vous des projets d’écriture ?

Il y a quelques jours, j’ai déclaré à un autre interlocuteur que j’abandonnais les « barbus », pour me concentrer sur l’épilé – un premier récit, à venir dans deux ans a priori – et le glabre – un second roman, dont la construction et l’écriture réclameront plus de temps.

Parce que la dernière fois j’avais oublié de vous le demander, sinon comment ça va la vie ?

Très bien, le pire est à venir, je ne vais pas manquer de sujets de réflexion.

Encore merci et surtout, surtout, bravo.

Merci à vous d’avoir pris la peine de me lire et m’interroger.

Entretien réalisé par mail fin septembre dans un premier temps et complété par des relances à certaines réponses et des échanges off parfois « chauds »… Je ne saurai trop remercier DOA pour le temps consacré et les lumières apportées.

Wollanup le 14 / 10 / 2016.

 

Entretien avec DAVID JOY « là où les lumières se perdent » chez Sonatine.

 

David Joy est l’auteur d’un premier roman sublime « Là où les lumières se perdent » paru chez Sonatine fin août 2016. En lisant l’entretien, vous comprendrez que David Joy est un mec bien , aussi précieux que son  roman.

Enjoy!

 

 

  • David Joy, Là où les lumières se perdent est votre premier roman. Qui êtes-vous, et d’où venez-vous ?

 

 

J’ai grandi à Charlotte, en Caroline du Nord, où la famille de mon père vit depuis la fin du XVIIè siècle. C’est donc un sacré euphémisme de dire que je tire mes racines de cet État. Dès le moment où ils ont posé le pied dans ce pays, mes ancêtres sont restés ici, dans le Piedmont, à vivre de l’agriculture – notamment celle du tabac et du coton, ces dernières années. Mes grands-parents maternels vivaient quant à eux dans les montagnes, à Wilkesboro, donc j’y allais souvent, quand j’étais enfant. À dix-huit ans, j’ai emménagé dans le Comté de Jackson, qui se trouve au cœur des Appalaches, et je n’en suis jamais parti depuis. À ce jour, j’ai passé presque la moitié de ma vie dans les montagnes, et j’imagine que j’y resterai jusqu’à ma mort. Je n’ai aucune envie de quitter cet endroit un jour.

Comté de jackson

Comté de Jackson, Caroline du Nord.

 

  • Comment avez-vous commencé à écrire ? Était-ce inné, ou avez-vous pris des cours d’écriture ?

 

 

J’ai toujours écrit des histoires, même enfant. Dans l’un de mes plus vieux souvenirs concernant l’écriture, je devais avoir cinq ans. Je ne savais même pas écrire. Mes parents possédaient cette vieille machine à écrire, sous l’une des petites tables près du canapé. J’avais l’habitude de la sortir et de taper à la machine. Comme je le disais, je ne savais pas écrire, alors j’expliquais à ma mère ce que je voulais dire, et elle m’épelait les mots. Je me souviens encore du son des touches, et de l’odeur de cette machine, quand le papier chauffait. Donc aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours écrit. Attention, ça ne veut pas dire que ce que j’écrivais était bon. En entrant à l’université, j’avais déjà probablement écrit un millier de pages, mais le fait est qu’il m’a fallu en écrire mille de plus avant d’obtenir un résultat convenable. J’avais la trentaine quand j’ai commencé à voir une réelle différence, et je pense que c’est à ce moment précis que l’idée d’être écrivain a vraiment pris forme. J’ai toujours adoré raconter des histoires.

 

 

  • L’intrigue se déroule en Caroline du Nord. Comme Ron Rash, pensez-vous que le lieu fait la personne ? Avez-vous le sentiment de mieux écrire, quand le sujet vous est familier ?

 

 

Si vous demandez à Ron de vous parler de son travail, il vous dira que tout est intimement lié à l’environnement, mais qu’il espère malgré tout que ça dépasse le cadre géographique pour atteindre un plus grand nombre de gens.  Il cite souvent Eudora Welty, qui disait : « Comprendre entièrement un seul endroit nous aide à mieux comprendre tous les autres. » Je crois que c’est la même chose, pour moi : j’écris sur les Appalaches parce que je ne connais rien d’autre. Ce n’est alors pas avec une page blanche, que je commence à travailler : je peux déjà y voir des lieux et des personnages qui me sont familiers. La voix de ces gens a un son bien particulier. Leur vision du monde est liée aux montagnes qui les entourent, et façonnée par elles. Mais j’ai le même espoir que Ron, en écrivant sur eux ; celui d’atteindre quelque chose de plus grand que cet endroit. Vous savez, un jour, on a demandé à James Joyce pourquoi il n’écrivait que sur Dublin, et voilà ce qu’il a répondu : « parce que si j’arrive à comprendre l’âme de Dublin, je peux comprendre l’âme de toutes les villes du monde. » Je pense que c’est le tour de force que tout écrivain souhaite réussir un jour.

Le monde à l'endroit de Ron Rash

Le monde à l’endroit de Ron Rash

 

 

  • Sur le site de Goodreads, vous avez chroniqué énormément de romans noirs dans lesquels la relation père/fils est au cœur de l’intrigue. Pensez-vous que l’histoire d’un homme est déjà tout tracée à sa naissance ? Si oui,  comment peut-il changer son destin ?

 

 

Je ne suis pas sûr de savoir si le destin d’une personne est déterminé uniquement à sa naissance, mais je peux affirmer avec certitude que beaucoup de gens nés dans un contexte désastreux ont un impact énorme sur la mobilité sociale. Dans d’autres termes, ce que j’essaye de dire c’est que, souvent, les gens naissent dans des situations qui les dépassent, et qui finissent par dicter qui ils sont. Mais ce n’est pas vrai tout le temps. Il y a certainement des gens qui ont réussi à s’en sortir malgré tout. Mais d’après moi, c’est très rare. Toute ma vie, j’ai vu des gens que j’aimais être victimes du monde dans lequel ils sont nés. Alors même sans en avoir la certitude, je crois que neuf fois sur dix, une histoire qui commence mal finira mal.

 

  • Vous nous avez dit que pour Là où les lumières se perdent, vous aviez été influencé par une image, et une chanson. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

 

Je pense que quand je commence à écrire, c’est toujours avec une espèce d’image en tête, ou parfois un bout de scène. Pour Là où les lumières se perdent, j’ai vu un jeune homme accroupi près d’un porc qu’il venait de tuer au couteau. Je pouvais sentir son père, debout, derrière lui, et je savais que ce gamin était au bord des larmes, mais qu’il devait le cacher à tout prix, sous peine de passer pour un faible. C’était la toute première image que j’ai eue de Jacob McNeely, et elle revient dans le roman, quand il revoit  un flashback de son enfance. Quoi qu’il en soit, j’avais cette image en tête, et je l’ai gardée un bon moment, en essayant d’écrire l’histoire de Jacob. Mais ça sonnait faux. La première fois, j’ai peut-être écrit dix-mille mots, que j’ai fini par brûler. La suivante, ça devait être trente-mille, que j’ai également brûlés. Des mois plus tard, l’histoire m’est soudainement apparue dans un rêve. Je me suis réveillé en plein milieu de la nuit, et j’entendais la voix de Jacob dans mon oreille, comme si elle était réelle. Il y avait cette musique, aussi, une chanson de Townes Van Zandt. « Rex’s Blues ». Quand j’y repense, je me dis que c’est à cause du sentiment de désespoir, de perte inévitable que véhicule ce morceau.  À mes yeux, ce roman était plus une tentative de reproduire une ambiance, une tonalité, un sentiment qui perdurait du début jusqu’à la fin, comme le fait cette musique de Townes. Cette chanson a ouvert la voie à tout ce que je voulais écrire.

 

  • Votre prochain roman, qui sera publié en 2017, a-t-il été écrit suivant le même procédé ? Quel en est le thème ?

 

 

Ce nouveau roman, The Weight of This World, m’est venu de la même manière, oui. J’avais un minuscule fragment de scène : je voyais deux amis allant acheter de la méthamphétamine, et je les voyais l’acheter à quelqu’un qu’ils avaient toujours connu. Je voyais que ce dealer avait amassé un tas d’objets volés en guise de paiement pour la drogue – quelque chose de très représentatif de là où je vis – et que dans le tas, il y avait des armes. Je le voyais se vanter d’avoir toutes ces armes volées, et pointer un flingue vers l’un des deux amis. Ils se lèvent subitement, et lui crient de ne pas faire ça. Le mec commence à rire, et leur dit de se détendre. Que le flingue n’est même pas chargé. Et il ajoute : « Regardez, vous allez voir… », tout en portant l’arme à sa tempe. Il appuie sur la gâchette, pour prouver que la chambre est vide, mais elle ne l’était pas. En une seconde, le type s’est fait exploser la cervelle. Alors tout d’un coup, les deux camés se retrouvent assis sur un canapé, avec une pile d’armes, de drogue et d’argent devant eux, et un dealer mort à leurs pieds. C’est la première image que j’ai eue, et c’est comme ça que commence l’histoire. On ne passe pas les vitesses une à une, on démarre sur les chapeaux de roue dès que le top départ est lancé.

 

 

  • Quand on lit Là où les lumières se perdent, on pense tout de suite à Daniel Woodrell, Ron Rash ou Larry Brown. Êtes vous d’accord avec cette comparaison ? Avez-vous été influencé par des auteurs en particulier ?

 

 

Vous ne pourriez pas tomber plus juste, avec ces noms-là. Ron Rash est à la fois un ami et un mentor, pour moi ; Larry Brown est peut-être mon auteur préféré de tous les temps ; et Daniel Woodrell est indubitablement celui qui a le plus influencé mon écriture de Là où les lumières se perdent. À ce moment-là, j’étais tout simplement obsédé par lui, plus particulièrement par deux de ses œuvres : La Fille aux cheveux rouge tomate, et La Mort du petit cœur. Pendant un mois entier, j’ai lu en boucle La Fille aux cheveux rouge tomate, surtout les premiers chapitres, parce que j’étais fasciné par le rythme, fasciné par le fait que Daniel ait réussi forcer ses lecteurs à lire soixante pages avant de leur donner la possibilité de reprendre leur souffle. Alors quand j’ai commencé à écrire Là où les lumières se perdent, je pense que j’ai essayé de reproduire un rythme similaire. Je voulais que ce livre bouge. Je voulais que mes lecteurs le prennent entre les mains, qu’ils commencent à le lire pour finalement lever le nez une heure plus tard et se rendre compte qu’ils ont complètement perdu la notion du temps. C’est ce que Daniel Woodrell fait de mieux, et c’est ce que j’aspire à faire moi aussi. Concernant les auteurs qui m’ont influencé, je pense que ce sont les mêmes que beaucoup de gens, dans le Sud : de Poe à Faulker, en passant par Flannery O’Connor et Cormac McCarthy, et de Larry Brown à Barry Hannah, William Gay et Ron Rash. C’est la lignée à laquelle j’appartiens. Ce sont de vrais modèles d’excellence, pour moi. Ces dernières années, j’ai aussi été influencé par un auteur du nom de Donald Ray Pollock. Tous ces auteurs me fascinent : il suffit de lire la première phrase de n’importe laquelle de leurs œuvres, pour savoir tout de suite à qui on a affaire.

  • Qu’en est-il des auteurs plus modernes ? Y en a-t-il quelques-uns dont vous vous sentez proche ?

 

Comme écrivains originaires du Sud qui possèdent le même héritage que moi, je pense à Mark Powell, Charles Dodd White, Robert Gipe, Alex Taylor, Glenn Taylor, Jamie Kornegay, Michael Farris Smith, Taylor Brown, Sheldon Lee Compton, et je pourrais continuer à donner des noms pendant un bon moment. Je pense que le premier roman de Robert Gipe, Trampoline, est le meilleur qui soit sorti des Appalaches l’année dernière, et de la même manière, je pense que le prochain roman de Michael Farris Smith, Desperation Road, qui paraîtra en début d’année prochaine sera simplement époustouflant. Voici deux livres écrits par des hommes de mon temps qui ont vraiment eu un impact gigantesque sur moi, ces dernières années.

  • Y a-t-il une question que nous aurions oublié de vous poser ?

Je voudrais juste sincèrement remercier tous les fans extraordinaires que j’ai rencontrés en France, ainsi que le Festival America et les éditions Sonatine pour avoir rendu tout ça possible. Vous savez, je n’avais jamais vraiment quitté la Caroline du Nord avant de commencer à vendre des livres, et je n’avais jamais pris l’avion non plus. Quand je pense que j’ai parcouru la moitié du globe et rencontré des gens exceptionnels qui apprécient mon travail, ça me fait toujours un peu bizarre. C’était rafraîchissant de pouvoir parler d’art et de littérature à Vincennes. Je pense que les lecteurs français sont courageux, et qu’ils n’ont pas peur de prendre le risque de lire quelque chose de différent. Et ça, ça change vraiment de là où je viens, parce que j’ai souvent l’impression que mon public ici ne comprend pas ce que j’essaye de faire, ou n’est pas prêt à se laisser porter vers les lieux où j’aimerais les emmener. Je suis profondément reconnaissant envers tous ceux qui m’aiment et me soutiennent, et j’ai vraiment hâte de revenir. J’espère être invité à Lyon, à un moment ou un autre, et si ça arrive, je vous y retrouverai bien volontiers.

david-joy

Muriel, Raccoon et Wollanup, septembre 2016.

PS: Nous avons eu la chance de  rencontrer David Joy à America mais pas suffisamment pour l’interviewer. Qu’à cela ne tienne, grâce au professionnalisme et à la gentillesse de Muriel Poletti de Sonatine avec qui j’ai l’énorme chance de collaborer depuis quelques années, nous avons pu lui  envoyer des questions qui sont revenues très rapidement et qui ont été traduites impeccablement par Jessica Haouzi. Quand les relations avec un service de presse sont de la sorte, je peux vous dire que c’est un enchantement d’avoir un blog.Merci!

Entretien avec Joseph Boyden « DANS LE GRAND CERCLE DU MONDE ».

Entretien réalisé à « Etonnants Voyageurs » en mai 2014.

 

J’aurais plusieurs questions. S’il y en a que vous n’aimez pas, vous pouvez les passer. Vous avez dit que « Dans le grand cercle du monde, c’est l’histoire de mon ADN ». Qui êtes-vous, Joseph ?

Je n’aime pas cette question.

Ah ?

Qui suis-je ? Ca enregistre ?

Oui.

Oh merde. Désolé. Putain ! L’histoire de mon ADN…qui suis-je ? Salut, je m’appelle Joseph, je viens d’une très grande famille de onze enfants. Une famille de sang mêlé, metis comme on dit au Canada, métisse en France. Je suis un auteur canadien, j’habite aux Etats-Unis pendant la plus grande partie de l’année. On m’a dit que je faisais pont entre des cultures qui souvent ne se comprennent pas : la culture des Amérindiens, les cultures indiennes du Canada et celle comment l’appeler de l’Ouest du Canada ?

Dans le grand cercle du monde est votre troisième roman, le plus ambitieux aussi ; quelles ont été les différentes étapes de son écriture ?

De ce roman ? J’ai attendu pour écrire ce roman. Je voulais déjà l’écrire il y a un moment mais je n’étais pas assez bon pour l’écrire. Je devais apprendre à écrire d’abord en écrivant d’autres romans parce que c’est un roman imposant, en termes de paysages et d’histoire. Il est important même au niveau du projet que j’ai plus ou moins essayé d’accomplir. Mais, de fait, il y avait trois cultures principales impliquées dans l’intrigue, française, huronne et iroquoise, et une fois que je me suis rendu compte que chacune d’elles devait être représentée, incarnée par un personnage, le plus important de la démarche était fait.

Dans le grand cercle du monde raconte, entre autres, la guerre entre Hurons et Iroquois et met en lumière le rôle joué par les Français et les Anglais. Votre roman met en scène deux approches différentes de la colonisation : pour résumer, les Français offraient la religion, les Britanniques, des armes ?

Oui, ça me semble bien vu. Les Français étaient réputés pour aller à la rencontre des tribus indiennes et se mêler à eux. C’est de là que viennent les metis, du mélange de sang français et indien. Alors que les Anglais et les Néerlandais…Les Néerlandais avant les Anglais…

Distribuaient des armes ?

Ils distribuaient des armes, mais ils exigeaient que les Amérindiens viennent à eux, dans leurs…ce qu’ils appelaient des usines. Ils en avaient en divers endroits, les villes, la Nouvelle Amsterdam, maintenant New York ; la Nouvelle-France, Montréal et Québec… les Anglais et les Néerlandais…disaient aux tribus « c’est vous qui venez » tandis que les Français se déplaçaient pour aller à leur rencontre. C’était une toute autre façon d’établir le contact…

Pensez-vous que les Européens soient responsables des conflits entre les Amérindiens ou n’étaient-ils qu’un moyen ?

Ils n’en étaient pas la cause. L’Amérique du Nord n’était pas un paradis avant leur arrivée. Mais c’était de fait un pays immense qui maintenait un subtil équilibre entre toutes ces différentes tribus qui vivaient ensemble et se faisaient la guerre souvent. Les Européens n’ont pas amené la violence, mais certainement…ce que j’ai appelé la première course à l’armement. Vous voyez ce que je veux dire par course à l’armement ? C’était la première course à l’armement, ils ont fourni les armes et les conflits se sont envenimés parce que tout le monde se battait pour le commerce et je crois que tout le monde est responsable. Ce que les Européens ont effectivement importé, ce sont les maladies – pas volontairement, mais les maladies ont décimé la population.

Vous le racontez dans le roman. Christophe, un jésuite français, est un des personnages principaux du roman. Que pensez-vous des jésuites du 17e siècle et quelle est plus généralement votre position sur la religion ?

Les religieux du 17e siècle étaient très profondément convaincus que leurs actions étaient justes, qu’ils étaient dans leur droit mais ils n’étaient pas très ouverts.

Ils ne vous paraissent pas fous ?

Ils n’étaient pas très ouverts et très ancrés dans leurs convictions. A mon avis, ils n’étaient pas fous – je les trouve fascinants. Ils jouaient leur vie…Ils ont quitté leur pays, sachant qu’ils ne reviendraient jamais, qu’ils mourraient dans un pays étranger. C’étaient de vrais croyants – on les appelait les soldats du Christ. Mais ils étaient aussi très courageux, très bien entraînés, érudits et intellectuels. Ils n’étaient pas mesquins ou fous, même si certains l’étaient – comme les humains, certains êtres humains sont horribles, d’autres merveilleux.

Il y a des passages dans votre roman où ils sont aussi cruels.

Oui, ils peuvent être aussi cruels et atroces que n’importe qui. Quant à mon rapport avec la religion, j’ai grandi dans la religion catholique. Mais je me suis éloigné du catholicisme, une fois adulte, pour

mieux comprendre, je crois que les règles de vie de Jésus sont merveilleuses, mais je n’aime pas qu’une religion puisse contrôler et s’imposer à une autre.

En France, nous avons souvent une vision idyllique du Canada et notamment du Québec. Est-ce que les Canadiens ont-ils mieux réussi la cohabitation européens-Amérindiens que leur voisin du sud ?

A les intégrer vous voulez dire ?

Non, pas les intégrer : les Amérindiens étaient là avant. La manière dont ils ont traité les Amérindiens, les gens, la culture…

Ah, oui. Les Américains ont été très américains dans leur action contre les Amérindiens – ils ont juste annoncé « ils sont dans le passage, ils mourront, nous les tuerons ». Les Canadiens ont été plus passif-agressifs – nous n’avons pas eu de grosses guerres avec les Amérindiens. Nous, nous leur avons enlevé leurs enfants parfois sur plusieurs générations pour les envoyer dans des écoles de « résidents ». La manière canadienne était bien plus pernicieuse que la manière américaine. Les Américains ont fait comme pour tout : ce qu’ils n’aiment pas, ils essaient de le détruire. Les Canadiens ont été plus subtils, nous vous enlevons vos enfants pour effacer votre peuple, ce qui n’a pas marché et qui cause encore des problèmes très profonds dans notre pays.

A part vos romans, agissez-vous pour les droits des Amérindiens ?

Oui, tout à fait. J’écris sur ce sujet tout le temps. Je suis aussi journaliste et je m’intéresse aux questions de la société amérindienne. Il y a aussi le mouvement Idle No Morei. Vous en avez entendu parler ? C’est assez compliqué à expliquer… Je suis pour les droits des Amérindiens, la gouvernance sud et la souveraineté.

Vous vivez à la Nouvelle-Orléans ?

Oui, une partie de l’année ; mon épouse est américaine. J’ai arrêté d’enseigner à l’université, je vis à la Nouvelle-Orléans mais je rentre au pays tous les mois.

Vous écrivez en ce moment ?

Oui. Il y aura bientôt deux nouveaux romans. Il y aura un troisième roman dans la trilogie qui a commencé avec le Chemin des âmesii, donc un nouveau dans cette série. Je travaille à une suite à Dans le grand cercle

du monde, en cinq romans.

Au début, vous aviez parlé d’une trilogie – et maintenant, c’est cinq.

Elle s’étoffe. Comme moi, elle s’étoffe.

Dernière question: quelle est votre définition de l’Orenda ?

L’Orenda, c’est un souffle de vie qu’on trouve partout, pas seulement chez les humains. Vous savez que les êtres humains ont une âme, mais je crois que les animaux ont aussi un souffle de vie, que les arbres ont le leur, leur propre énergie, l’eau également, les pierres et tout dans le monde, dans le monde physique, a cet élément, comme cette mouche qui vient de passer a son propre Orenda, sa propre énergie, son souffle de vie.

***

boyden

Merci à Morgane pour la traduction.

Wollanup, saint Malo, mai 2014.

iPour plus d’infos : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_Idle_No_More ; site officiel : http://www.idlenomore.ca/

iiEn français dans la conversation originale

 

Teaser « Pukhtu secundo ».Entretien avec DOA d’avril 2015 pour « Pukhtu primo ».

Commentaire du 2 septembre 2016.

« Pukhtu secundo » sort le 13 octobre et il me semble essentiel d’avoir lu »Pukhtu Primo »  ou, encore mieux, tout le cycle avec « citoyens clandestins » et « le serpent aux mille coupures » pour voir le destin des personnages du  « Guerre et Paix » de DOA et pleinement apprécier le final. Donc, si ce n’est pas  fait, vous avez encore le temps de réparer votre très regrettable bévue.

A l’heure où on loue à juste titre Ellroy et Winslow, on a parfois tendance à oublier qu’ en France on a un écrivain aussi talentueux, aussi impressionnant. Et pour mieux vous préparer à l’effroyable explosion finale, je remets en ligne un entretien réalisé avec DOA en 2015 dans une France qui n’avait pas encore connu les attentats et précédemment mis en ligne chez Unwalkers.

doa

 

DOA est un grand écrivain, sans nul doute mais c’est aussi un homme, un vrai. Au cours de cet entretien-fleuve, il se dévoile et c’est aussi puissant et convaincant que ses écrits : son enfance, ses débuts, ses modèles, l’Afghanistan, Pukhtu, le milieu du polar, la loi sur le renseignement, la tristesse et le chagrin, Ellroy…le tout sans langue de bois, attention aux turbulences.       

                                                                                                      ***                                                                                                                         

 Je sais votre volonté de rester le plus anonyme possible et je ne vais donc pas vous demander de nous raconter votre vie dont des bribes apparaissent néanmoins sur le net mais pouvez-vous nous dire quand le désir d’écrire est apparu chez vous et de quelle manière ?

Aussi loin que remontent mes souvenirs, raconter des histoires m’a toujours plu. Petit, satisfait d’être mon seul public, je me baratinais beaucoup moi-même. Gros risque de paraître complètement dingo. Il m’arrivait parfois de les écrire, ces histoires, dans des cahiers, sans jamais aller au bout. C’était un plaisir, un passe-temps, pas une vocation. Et c’est encore pour passer le temps, entre deux boulots, que j’ai repris ce qui n’était à l’époque qu’un vieux projet de BD pour servir de base aux « Fous d’avril » mon premier – et très maladroit – roman. Après quelques péripéties, l’éditeur chez lequel ce livre-ci a finalement été publié, le Fleuve Noir, a bien voulu prendre un autre projet, qui était à l’origine un script de film, sur lequel j’avais commencé à travailler : « La ligne de sang ». Ensuite, il y a eu « Citoyens clandestins », pour lequel Gallimard m’a récupéré et puis « Le serpent aux mille coupures », et puis, et puis… Et puis, le passe-temps est devenu un vrai boulot.

le serpent

Quels sont les auteurs qui vous ont marqué, avez-vous des modèles ?

Le premier auteur qui a réellement compté pour moi est JRR Tolkien, lu très jeune. J’avais huit ou neuf ans quand une maîtresse d’école m’a fait découvrir « Bilbo le Hobbit » et à peine plus lorsque j’ai ouvert « Le seigneur des anneaux » pour la première fois. J’en ai bavé mais ça valait vraiment le coup de s’accrocher. Le relire est devenu depuis un rendez-vous annuel. La puissance créatrice de cet homme, qui a su construire un univers d’une complexité et d’une profondeur rares en littérature, l’œuvre de toute une vie, m’a toujours impressionné. Mes grands chocs littéraires suivants furent Hemingway – « Paris est une fête », un petit bijou de légèreté désabusée – William Gibson, le Big Boss du Cyberpunk, auteur de « Neuromancien », « Identification des schémas » et j’en passe, et Bret Easton Ellis. J’ai pris son « Moins que zéro », écrit à vingt ans, et surtout « American psycho », qui est à mes yeux un des trois ou quatre grands romans sur les sociopathes, en pleine poire. Ensuite, autre gifle énorme, « Le Quatuor de Los Angeles » de James Ellroy, en particulier « LA Confidential » et « White Jazz », suivie, la gifle, quelques temps plus tard, par l’uppercut « American Tabloïd ». En refermant ce bouquin-là, je me suis dit que si j’étais écrivain et que j’avais le quart du dixième du talent de ce mec, j’aimerais un jour écrire un truc comme ça. Plus récemment, c’est Cormac McCarthy qui m’a bluffé et s’il ne faut en lire qu’un, c’est bien sûr « Méridien de sang ». Après un texte pareil ou sa « Trilogie des confins », le reste de la littérature des grands espaces… Evidemment, ce ne sont là que quelques jalons, parce que des auteurs que j’admire, je pourrais en énumérer plein d’autres, de Dostoïevski à Poe, en passant par Faulkner, Thompson – Hunter S. plus que Jim – Selby Jr, Tolstoï, Brautigan, Mailer, Conrad, Edogawa, McBain, Céline, Baudelaire, K. Dick, Ballard et Keats pour ne citer qu’eux. Aucun n’est mon modèle mais tous m’ont certainement influencé. La seule, au fond, dont la plume a profondément marqué la mienne, c’est Dominique Manotti, ma copine. Parce qu’un jour, quand nous avons commencé à réfléchir à notre quatre mains, « L’honorable société », elle m’a imposé d’écrire au présent. Une révélation et une révolution.

Rentrons dans le sujet du monstre « Pukhtu », Phillipp Meyer a dit avoir lu 300 bouquins sur le Texas avant d’écrire « Le fils », quel a été votre travail de documentation ?

Il y a trois choses assez pénibles dans les usages contemporains de la promotion. La première est cette envie – qui doit être à tout prix satisfaite – de savoir comment les objets artistiques sont conçus et fabriqués dans les moindres détails. C’est une question contrenature pour un créateur, à laquelle lui-même a du mal à répondre, et cela tue, à mon sens, la mystique de son travail et le merveilleux associé aux œuvres. A terme, cela annihile même toute forme d’innocence chez le lecteur/spectateur. La seconde est la propension à se servir de la documentation comme argument de vente, notamment des livres et/ou des films et des séries, tous mis en avant avec cette accroche : tiré de faits super réels. Quand on parle de bouquins notamment, cela permet d’escamoter l’essentiel, ce qui est écrit et la façon dont le sel du roman est transmis à celui qui le lit. Le troisième truc, c’est cette manie ultra-capitaliste qui consiste à aligner, dans tous les domaines, des chiffres pour un oui pour un non afin de se donner l’illusion de la performance ; j’ai lu beaucoup donc forcément ce que je vous raconte est hyper-valable.

Ne vous sentez pas particulièrement attaqué par ma réponse, cette tendance nous concerne tous et il m’arrive de ne pouvoir m’en défaire – je lutte, pourtant, hein ! (sourire) – mais je n’ai pas envie de m’amuser ici à aligner les pommes de la presse avec les poires de la littérature – spécialisée ou non – et les oranges documentaires – officielles ou pas, écrites ou audiovisuelles – avec lesquelles j’ai, entre autres, composé la salade de fruits intellectuelle qui a nourri « Pukhtu ». Il suffit de dire que j’ai pris mon temps, harmonisé les saveurs et rectifié les assaisonnements de façon à la rendre digeste. Enfin, espérons. Il me semble, dès lors que l’on a la prétention d’inscrire son travail dans une certaine réalité, nécessaire de prendre le temps de se renseigner sur le sujet traité, c’est la moindre des politesses.

A la lecture de votre roman, on s’aperçoit que le travail pour rendre ce flot d’informations lisible pour le pékin moyen pas trop au fait de la situation a dû être  fastidieux, y a-t -il des  ouvrages que vous conseilleriez afin d’approfondir la réflexion sur ce conflit ?

Fastidieux, non. Long, détaillé, soupesé, discriminatoire, organisé pour que la matière première de l’histoire n’arrive pas de façon (trop) didactique et soit toujours rattachée à l’un des personnages et à son point de vue sur le monde, héritage de son histoire personnelle et de sa psychologie, sur le moment et sur le long terme… puisque tout homme est la somme de ses propres expériences. Ou presque. Maintenant, aucune illusion, « Pukhtu » n’est pas écrit pour tout le monde, il en rebutera plus d’un.

Difficile de conseiller des ouvrages dans la mesure où l’essentiel de ceux qui m’ont servi sont rédigés en langue anglaise et non traduits. J’avoue avoir ouvert les yeux sur l’Afghanistan en commençant avec un livre très simple et très beau de l’écrivain marcheur Rory Stewart intitulé justement « En Afghanistan ». Il y a eu aussi un retour en grâce de lectures de jeunesse, en particulier « Les cavaliers » de Joseph Kessel, « L’homme qui voulut être roi et autres nouvelles indiennes » de Rudyard Kipling et « Putain de mort » de Michael Herr. Des introductions qui en valent bien d’autres. Sur les talibans, celui qui m’a montré la voie est le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, un ancien militant, dont le travail est un préalable intéressant à des textes plus pointus. On trouve certains de ses écrits en français. Il faut également jeter un œil à « Blackwater » de Jeremy Scahill, une première approche de la problématique des sociétés militaires privées, toujours dans les ouvrages traduits, ou « Guerre » de Sebastian Junger, sur la réalité de soldats américains sur le front de l’est afghan. Ce ne sont là que quelques points d’entrée parmi des dizaines d’autres.

Vous avez embrassé la carrière militaire à une époque au sein de l’infanterie de marine spécialisée dans les interventions à l’étranger si je ne m’abuse, cette expérience vous a -t-elle servi pour comprendre le dessous des cartes dans certains théâtres opérationnels ?

Corrigeons tout de suite : je n’ai pas embrassé la carrière militaire, juste compté parmi les derniers couillons obligés de faire leur Service national. Il se trouve que, du fait de mes études, j’ai pu intégrer l’armée comme aspirant dans l’infanterie et, par un concours de circonstances, il m’a fallu choisir entre des unités de légion étrangère et des troupes parachutistes pour mon affectation. A l’époque, les paras paraissaient moins extrêmes. Prolonger l’expérience au maximum m’a permis de voyager, toujours dans des conditions très stables et sûres, et de côtoyer un temps des individus hors normes et, pour certains d’entre eux, assez intéressants. Même s’il y avait aussi pas mal de cons dans le tas. Une constante que l’on retrouve partout, malheureusement, y compris dans le joyeux royaume du polar où tout le monde est si intelligent et s’adore. Cette expérience m’a-t-elle rendu plus sensible à certaines choses ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, j’ai trop de respect pour les femmes et les hommes en uniforme, qui risquent désormais leur vie au quotidien, partout dans le monde, au gré des caprices géostratégiques des gouvernements français, pour me draper d’une mante de guerrier qui serait totalement usurpée.

J’ai été très surpris par vos descriptions détaillées de territoires interdits au public en Afghanistan et dans les FATA (zones tribales du Pakistan), comment avez-vous fait en mettant à part des relations qui auraient pu perdurer avec des gens de « la grande muette » ?

Deux règles qui pourraient procéder de la sagesse populaire et sont applicables à « Pukhtu » dans son ensemble – sans nécessiter l’intervention de « la grande muette » – : l’imagination est l’arme première des romanciers et celui qui cherche trouve. On pourrait en ajouter une troisième : les voyages forment la jeunesse.

Pourquoi l’Afghanistan et pas l’Irak ?

« Pukhtu » est la conclusion d’un projet littéraire imaginé après le succès (relatif) de « Citoyens clandestins », mon premier pas à la Série Noire, en 2007. Lorsqu’il a fallu commencer à réfléchir sérieusement aux suites éventuelles à donner à ce volet initial et au « Serpent aux mille coupures » deux certitudes m’ont guidé : il fallait faire revenir, dans la mesure du possible, la plupart des personnages et, par ailleurs, il était nécessaire de sortir du cadre strict des premiers romans. Pas question d’écrire une autre histoire de services secrets et d’attentats à déjouer en France. Pour autant, certaines choses avaient séduit les lecteurs et il semblait important de les retrouver dans un nouvel opus. Parmi celles-ci figurait l’ancrage dans un réel historique proche, puisque l’intrigue de « Citoyens » est bornée par le 11 septembre 2001 et le 21 avril 2002.

L’Irak aurait pu être un terrain de jeu intéressant, après tout ce qui se passait là-bas agitait une bonne partie de la planète. Mais le rude Afghanistan, ce tombeau des empires, me faisait plus bander. Et puis, son invasion et la chute du régime du mollah Omar en deux mois, fin 2001, avaient été les conséquences premières des attentats du 11 septembre. Je me suis donc concentré sur cette zone géographique et sur son histoire, passée et présente. Assez rapidement, les années 2008 et 2009 sont apparues très riches en événements. Autant de thèmes potentiels pour une suite à la hauteur de ce projet. D’une part, 2008, c’est la dernière année de la présidence Bush, l’homme qui a précipité son pays dans deux guerres terribles et embarqué toute la planète ou presque dans sa croisade contre le terrorisme. Il est remplacé par Barack Obama, le premier président noir des Etats-Unis, vendu à l’époque comme une colombe et pas comme un faucon. Lui allait mettre fin au bordel général, la bonne blague. D’ autre part, 2008, c’est aussi l’année où les talibans, laissés relativement tranquilles par des Américains trop occupés à guerroyer chez Saddam, font un retour en force, notamment sur le front de l’est. Ça  couvait depuis un an et demi et le sud du pays était déjà très agité depuis 2004-2005 mais, en 2008, ils montrent qu’ils sont capables d’emmerder le monde sur tout le territoire en frappant au cœur de Kaboul dès le mois de janvier. Si on ajoute à ça que la CIA commence à industrialiser le renseignement à coups de bombardements de drones – plus de frappes en 2008 que pendant les six années qui précèdent, et ça augmente encore en 2009 – et que la production d’opium bat tous les records, alors le tableau est complet et le décor dans lequel mon bouquin s’ouvre planté.

Reuters.

Reuters.

 

A lire les premières critiques, par ailleurs unanimes quant à la qualité de votre roman, se dégagent des avis assez différents sur le sujet réel du roman. Certains ont mis en avant le combat des membres de la 6N dont nous allons reparler quand d’autres (dont je fais partie) y voient un témoignage plus universel, une présentation, une dénonciation d’une guerre du XXIème siècle. Comment présenteriez-vous votre roman à un néophyte ?

Certainement pas comme une dénonciation de quoi que ce soit, déjà. « Pukhtu », en surface, c’est un livre sur la guerre, prise au sens classique de l’affrontement d’entités militarisées et moins classique des conflits secrets ou contre des intérêts criminels. Plus largement, c’est un livre sur la guerre de tous contre tous et de chacun contre lui-même. D’une certaine manière, il est l’écho, évidemment amplifié et déformé – nous sommes dans le domaine de la littérature – de la grande tension qui agite actuellement notre monde, une tension que je trouve, à titre personnel, très inquiétante et oppressante. Une profonde tristesse m’a accompagné tout au long de l’écriture de ce roman, et elle n’a pas encore disparu. Peut-être s’envolera-t-elle lorsque je mettrai le point final au second volume. Les sources de cette mélancolie sont multiples mais il est évident que tout ce que j’ai absorbé lors de l’élaboration de ce texte m’a beaucoup affecté. Ces réalités multiples fondues en une seule, de fiction, sont désespérantes. Donc c’est aussi un texte sur le chagrin. Enfin, à mesure que je l’écrivais, il m’est apparu que le thème de la transmission y affleurait de façon inattendue et répétée : que nous ont transmis ceux qui nous ont précédés et que transmettons-nous aux générations qui suivent ?

Concernant votre présentation du conflit, quelles sont les innovations de cette guerre ? J’ai été très surpris voire choqué par la présence et l’activité de ces officines privées injectées dans cette guerre (le groupe 6N de Fox anciennement Fennec dans le passé dans vos romans) et dont les activités restent bien opaques et incontrôlables et dont on a bien du mal à connaître les vrais commanditaires. Est-ce une nouveauté à laquelle il faudra s’habituer ou est-ce une version moderne des barbouzes ?

Cette guerre, et celle d’Irak, a d’abord permis à l’armée américaine – la plus richement dotée du monde – et dans une moindre mesure, aux autres contingents de l’OTAN, France comprise, de mettre à l’épreuve ou développer, tester et perfectionner tout un tas de nouvelles stratégies, technologies et armements. Les drones en sont l’exemple le plus évident.

Mais la transformation la plus spectaculaire est effectivement, aux Etats-Unis, l’élan de privatisation sans précédent, à tous les niveaux, de la chose militaire, jusque sur la ligne de front. Faut-il s’en inquiéter ? Très certainement. Peut-on lutter contre ? Cela me semble difficile tant la chose paraît normale dans les pays anglo-saxons. Au-delà de la demande évidente des états, les grands groupes industriels et commerciaux, qui ont des intérêts à défendre sur tous les continents, dans des zones de plus en plus instables, intérêts qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la diplomatie de leurs pays d’origine, ont les moyens de faire appel à des sociétés militaires privées pour assurer leurs arrières. Et ils ne s’en priveront pas. Le mercenariat, appelons un chat un chat, a toujours existé mais pas à cette échelle, avec les capacités de projection et de destruction d’aujourd’hui. L’avenir va piquer.

Le major général américain Smeldey Butler, dès 1935, a déclaré : “WAR is a racket. It always has been. It is possibly the oldest, easily the most profitable, surely the most vicious. It is the only one international in scope. It is the only one in which the profits are reckoned in dollars and the losses in lives.” A qui profite, dans chaque camp, ce commerce juteux?

A des intérêts privés, évidemment. Grosso modo ce que l’on appelle le complexe militaro- industriel d’un côté et tout un tas d’entités politiques, criminelles, armées, subversives, de l’autre. Les échelles ne sont pas les mêmes mais les motivations et les buts si. Prendre le pouvoir, dominer la concurrence ou l’adversaire, s’enrichir.

En ayant connaissance de la débâcle soviétique dans les années 80, pourquoi les Américains ont-ils occupé l’Afghanistan ? Quelles erreurs ont-ils commises ?

 Je ne vais certainement pas me risquer à répondre à cette question, n’étant ni expert patenté, ni apostériologue professionnel. Juste une remarque : avant les Etats-Unis, l’Union Soviétique n’est pas le premier empire à s’être cassé les dents sur l’Afghanistan. En fait, tous ceux qui ont essayé de l’occuper en ont été pour leurs frais. Personne ne semble vouloir retenir la leçon. L’homme, quoi.

« Pukhtu » est situé en 2008, quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ( avril 2015) ? Y a-t-il vraiment un nouveau protagoniste avec l’Etat islamique?

Il y a, en Afghanistan et dans les régions limitrophes de ce pays, une forte concentration de combattants islamistes, d’origines diverses – Arabes, Tchétchènes, Ouzbèkes, convertis occidentaux – qui, ces trente dernières années, ont cherché là un refuge et une terre de djihad. Jusqu’à un passé récent, ils se rassemblaient plus ou moins sous la bannière ou la franchise Al-Qaïda, ou celles d’entités locales. Al-Qaïda est en perte de vitesse, peu à peu remplacée par un nouveau caïd, l’Etat Islamique. Le nouveau est en italiques parce que cette organisation est ancienne en fait. Sa naissance remonte à la fin des années quatre-vingt-dix et son chef a longtemps été Abou Moussab Al-Zarqaoui, bête noire des Etats-Unis en Irak jusqu’au milieu de la première décennie 2000. Le mouvement a été presque entièrement détruit après sa mort, en 2006, mais il a pu se reconstituer en secret, profitant des frustrations des populations sunnites d’Irak, martyrisées par le gouvernement chiite mis en place par les Américains au moment de leur départ du pays, et de dynamiques tribales. Ils font maintenant une sérieuse concurrence au groupe fondé par Ben Laden partout dans le monde, y compris dans la zone Af-Pak.

Dans un passé récent, les Russes, les Américains, les talibans toujours, les lois tribales… existe-t-il un espoir pour les populations civiles ?

Bien sûr, si un jour tous ces mecs sont fatigués de se foutre sur la gueule (sourire). Et puis, les populations civiles ne sont pas toujours étrangères aux dynamiques qui les accablent.

La France doit-elle se considérer en guerre, quel est votre sentiment vis-à-vis de la loi sur le Renseignement ?

 La France et les Français doivent considérer que le monde d’avant a disparu. Nous ne pourrons plus nous promener tranquillement sur la planète comme nous l’avons longtemps fait, sûrs de notre supériorité tricolore, économique, politique, intellectuelle et philosophique, et la réalité qui nous entoure s’invitera sans doute de plus en plus, et de plus en plus violemment, dans notre quotidien. A terme, j’ai le sentiment que nous ne pourrons pas nous abstenir de faire des choix difficiles pour maintenir un certain modèle républicain qui nous est cher.

Quant à la loi sur le renseignement, no comment. Qu’un ministre de l’Intérieur socialiste puisse déclarer sans sourciller, devant l’Assemblée représentant le peuple français, qu’il est normal de sacrifier une partie de notre vie privée m’a semblé tellement surréaliste que j’en suis resté baba. Rappelons que dans le même temps, lui et les autres caciques de son parti, ces vigies de la démocratie idéale, nous mettent en garde contre l’éventualité de l’arrivée du Front National au pouvoir. C’est parfait, si cela devait se produire, tous les instruments de surveillance et de contrôle seront déjà en place. « 1984 » est en train de prendre corps sous nos yeux, en direct sur les chaînes d’info en continu.

 

J’ai apprécié la playlist accompagnant votre roman (enfin, beaucoup plus les Stooges et les Black Angels que Jean- Pierre Castaldi néanmoins et sans vouloir vous offenser), qu’écoutez-vous en ce moment dont vous aimeriez nous faire profiter ? Pareillement y a-t-il des romans que vous nous conseillez.

 Jean-Pierre Castaldi figure dans la playlist parce qu’il était en 2008 dans les bacs de certains DJ résidents du Baron, une boîte parisienne à la mode évoquée dans le roman. Branchitude, quand tu nous tiens. En ce moment, j’écoute beaucoup de musique sans parole, électronique, produite par des labels allemands comme Finest Ego ou Ostgut Ton, et le seul groupe de rock qui trouve encore grâce à mes yeux, c’est Interpol, pour lequel mon intérêt ne se dément pas. Une passade, à n’en pas douter.

Je ne lis plus assez de romans depuis deux ans, et la plupart de ceux que j’ouvre me tombent des mains. J’ai été très déçu par le dernier Ellroy, Perfidia, terminé avec peine il y a quelques semaines. Le Dog tourne à vide, il se caricature lui-même, et son retour sur des terres pourtant familières, entouré de figures connues et bien intentionnées, comme Dudley Smith, m’a profondément ennuyé. Mais peut-être est-ce juste mon goût qui évolue. Mon dernier gros coup de cœur, en fait, est un roman italien : « Les noirs et les rouges » d’Alberto Garlini.

Enfin, parce que je le pense vraiment, quelle est la question que j’ai omis de vous poser et à laquelle vous auriez aimé répondre ?

 Et sinon, comment va la vie ? Bien, merci.

Entretien réalisé par échange de mails entre le 19 et le 22 avril 2015 suite à une brève rencontre le 12 avril 2015 lors du salon du polar de Mauves en Noir.

Wollanup.

PS: lien vers « Mon Amérique à moi » de DOA.

MON AMÉRIQUE À MOI / DOA

MON AMÉRIQUE À MOI / Jimmy Gallier (éditions Jigal)

Quand on se prénomme Jimmy, quand on a a grandi dans le Loiret près d’une base américaine, quand, « dans une autre vie », on a produit des groupes de rock, quand on est éditeur de polars, on a sûrement un vécu, un amour, des histoires autour de l’ Amérique et de fait, Jimmy Gallier, le boss de JIGAL nous délivre une belle et touchante déclaration d’amour datant de la tendre enfance, si ancrée dans ses souvenirs qu’il  omet de renseigner les questions qui pourraient ternir le tableau. Merci à  toi Jimmy Gallier pour ce témoignage qui une fois de plus montre le passionné que tu es.

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique

J’avais environ 10 ans et j’habitais avec mes parents dans un village près d’Orléans, hameau dans lequel était installée une des plus grandes bases américaines de l’époque. On croisait alors dans les rues davantage de GI que d’habitants frenchy. Et ces Américains étaient là, en famille, avec femme et enfants, mais aussi avec leur Ford, Chevrolet, Mustang, Coccinelle, Cadillac 54, immenses bus américains, GMC de transport de troupes et les Jeep, bien sûr… Bref des centaines d’énormes paquebots américains qui traversaient le village chaque jour ! C’était une autre planète et tous les gamins dont je faisais partie étaient complètement scotchés par la démesure de ces bagnoles, par la stature impressionnante des hommes de la MP (Military Police)   qui d’ailleurs foutaient visiblement les jetons à tous les GI un peu éméchés  , par tout ce qu’on découvrait alors, qui semblait venir d’ailleurs…

Une image

Une image ? Non plusieurs : les GI, les voitures américaines, les chewing-gums et les canettes de bière ! Dès qu’on voyait arriver un bus américain – ils étaient alors 3 fois plus gros que leurs équivalents français, du moins dans mon souvenir – nous courrions après en leur faisant des signes, et ils nous lançaient par la fenêtre des paquets de chewing-gums ! Pareil qu’au Vietnam 😉

Une autre image ? un soir, un groupe de GI qui, un peu à l’écart d’une rue, semblait se planquer et qui secouait en se marrant des boîtes métalliques que je n’avais jusqu’alors jamais vues ! C’était bien sûr des canettes de bière dont ils se sont généreusement aspergés en hurlant…

Un événement marquant

Le 21 juillet 69, 3H56 heure française, nuit noire, yeux fatigués, télé en noir et blanc posée sur le frigo dans la cuisine : un premier homme sur la lune ! Wao…

Un roman

Pareil que pour la musique… Il y en a beaucoup… Mais, sans être limitatif, Harrison (tout…) et Crumley (La danse de l’Ours) restent dans mon panthéon personnel.

danse de l'ours

Un auteur

Un seul ? Ah non, là encore, ça va pas être possible ! Deux, trois, dix, cent… Au tout début les classiques, Mark Twain, Hemingway, London… Puis plus tard Ginsberg, Bukowski, John Fante, Kerouac, Selby… et puis une tonne de polardeux, les Chester Himes, Chandler et les autres… Puis le Montana avec Rick Bass, Mc Guane, Welch… Et surtout Jim Harrison et James Crumley, je l’ai déjà dit… J’en ai bien sûr oublié mille… Pas grave, ils m’ont tous nourri !

Un film

On est en 64, 65…, j’ai une dizaine d’années, mes parents habitent juste en face du ciné du village – oui, ça paraît incroyable, mais il y avait encore des cinémas dans les villages –, le Rex, le Kino ou un nom comme ça, je ne m’en souviens plus… Les fauteuils en velours rouge, défoncés, les minots du village plein la salle qui gueulaient… Et moi tous les dimanches après-midi, après le repas et le poulet rôti, je traversais la rue et m’engouffrais dans ce temple. Je les ai tous vus, les westerns, les péplums et les nanars…Tous ! Et encore une fois ces films, ces histoires, ces images, ces acteurs, ces starlettes, tout semblait arriver direct d’un autre monde ! Et je crois bien d’ailleurs que c’était le cas !

Un réalisateur

John Ford, Anthony Mann, Arthur Penn, John Huston, puis Scorsese, Coppola… et beaucoup d’autres dont j’ai oublié les noms et qui ont eux aussi abreuvé mes nuits de polars noirs, de westerns sanglants, de fictions déjantées, de comédies too much…

Un disque  / Un musicien ou un groupe

La musique, elle vient un tout petit peu plus tard… On commence à voir quelques groupes qui, dans la salle paroissiale, répètent en boucle les chansons des Beatles, on harcèle même le prof de musique pour en reprendre une, nous aussi, avec la chorale… C’est l’époque où la nuit, avec une radio portable et des écouteurs, j’écoute RTL et Jean Bernard Hebey en me planquant sous les draps… Bref la révolte gronde, le rock est parmi nous ! Et d’un seul coup, ça débarque de partout brutalement…

Les solos de guitares, les cheveux longs, les amplis Marshall, les Stratocaster, les Gibson, Jimi Hendrix, les Doors, Grateful Dead, Arlo Guthrie, Jefferson Airplane, Santana, Canned Heat, Les Creedence, Moutain, CSN&Y et plus tard Lou Reed, les Ramones, les New York Dolls… et des flopées d’autres, mes oreilles en résonnent encore !

Une série TV

No série.

Un personnage de fiction

Tom Sawyer in « Les aventures de Tom Sayer » de Mark Twain. Une de mes premières claques littéraires ! La découverte de l’Amérique…

Un personnage historique

Sitting Bull, un sage !

Une personnalité actuelle

Euh… presque actuelle : Steve Jobs.

Une ville, une région

New York, bien sûr, qu’on a parfois l’impression de connaître sans jamais y avoir mis les pieds… Mais aussi la Californie, le Montana, le nouveau Mexique, la Floride, Hawaï… bref toutes les images d’Épinal issues des films et de mes lectures…

Un souvenir, une anecdote

Dans une autre vie, dans laquelle je produisais ou plutôt j’essayais de produire quelques disques, avec ce jour-là, un groupe de Blacks Américains, à Paris, une nuit dans un studio d’enregistrement miteux et ces mecs, le pianiste, le bassiste, le batteur, le chanteur… qui jouaient tous comme des dieux, qui chantaient comme dans les films… En 5mn ils avaient lancé un putain de groove… On s’y croyait… Et rien ne pouvait plus les arrêter ! Sacré nuit, sacré souvenir… mais à l’arrivée, sacré flop  !

Le meilleur de l’Amérique

La musique (enfin… une certaine musique plutôt), la littérature, le cinéma, quelques belles inventions , quelques mythes… et le rêve américain bien sûr !

Le pire de l’Amérique

La liste serait trop longue… Je ne vais pas aujourd’hui m’appesantir et préfère garder en mémoire tout ce qui m’a ébloui, surpris, interloqué, fasciné ou fait rêver…

Un vœu, une envie, une phrase.

Deux phrases, deux mondes… :

– « I had a dream… »

et

– « Good morniiiing Vietnam… »

Une envie :

– Aller y vivre quelques mois, un jour peut-être…

Entretien réalisé par mail le 3 juin 2016.

Wollanup.

jigal

 

 

MON AMÉRIQUE À MOI / DOA

DOA est l’ acronyme d’un auteur français qui est devenu un grand écrivain avec « PUKHTU primo » et tous ceux qui l’ont lu ont senti la puissance qui émane d’un pavé qu’on aurait bien tort de cantonner à un roman sur la guerre tant il recèle des trésors pour le lecteur patient et attentif; la sensibilité, l’humanité et le chagrin masqués derrière la furie. Devenu l’égal des Ellroy et Winslow et se caractérisant par une modestie et un effacement derrière ses écrits, très soucieux de ses déclarations, DOA  se confie peu et c’est donc avec une joie non dissimulée et non feinte que Nyctalopes vous offre sa vision sans langue de bois de l’Amérique. Take shelter!

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique:

J’ai eu la chance de voyager tôt et j’ai connu New York avant mes dix ans. Je garde un souvenir très fort du gigantisme (j’étais tout petit au milieu des buildings), premier contact avec les Etats-Unis, et de ma montée en haut du World Trade Center. Forcément, à cet âge-là, la démesure m’avait impressionné. Tout semblait grandiose, possible là-bas. J’entretiens depuis un rapport plus compliqué avec ce pays. J’admire une partie de sa production intellectuelle que d’aucuns pourraient qualifier d’élitiste, et j’en rejette l’essentiel qui, pour moi, contribue à un grand affadissement artistique au profit du fric-roi, mètre-étalon de l’Amérique. Je respecte certaines réussites, mais je crains son développement technologique, et les bouleversements sociologiques et politiques globaux qu’il implique. Enfin, de sa politique étrangère, sur tous les plans, je perçois qu’elle nous mène au chaos total. Après avoir longtemps souscrit au mythe des Etats-Unis protecteurs du monde libre, je pense maintenant qu’ils se comportent comme la brute de la cour de récré, égoïste, aveugle, irrationnelle.

Une image:

 (Burt Reynolds, « Deliverance » – grosse claque ce film, je l’ai vu très jeune, sans tout saisir, sauf le tropisme sauvage du pays, à tous points de vue)

Un événement marquant:

Hiroshima. Les Etats-Unis sont le premier et le seul pays à avoir utilisé l’arme atomique contre un autre état souverain.

Un roman:

« Méridien de sang », de Cormac McCarthy (en fait il y en aurait beaucoup d’autres, difficile de choisir parmi tous les romans qui m’ont marqué. Celui-ci est le dernier).

Un auteur

Ernest Hemingway.

Un film:

« Blade Runner », de Ridley Scott (le réalisateur est anglais, mais le film est américain, se passe dans une Amérique futuriste et est tiré d’un roman écrit par un auteur américain). Vu à sa sortie en salles, puis devenu mon film de chevet lorsque j’étais étudiant. Et encore aujourd’hui. Celui avec lequel j’ai terminé le plus de nuits. J’ai dû le voir plus de trois cents fois, principalement dans sa version de 1982, avec la voix-off, longtemps la seule disponible.

Un réalisateur:

Sam Peckinpah, un personnage de roman noir, intransigeant, fidèle, violent comme ses films, un des premiers à déniaiser le western et à faire de soldats allemands de la Wehrmacht les héros d’un long-métrage.

Un disque:

« Ascenseur pour l’échafaud », de Miles Davis.

Un musicien ou un groupe:

Jimi Hendrix.

Un personnage de fiction:

Harry Callahan.

Un personnage historique:

George Armstrong Custer, la quintessence maudite de l’Amérique est tout entière contenue dans son destin tragique.

Une personnalité actuelle:

Donald Trump, le populiste américain, reflet de nos passions tristes européennes. Celui dont même le camp républicain ne veut pas. S’il est élu, la face du monde s’en trouvera sûrement changée, en pire.

Une ville, une région:

Martha’s Vineyard, la vieille Amérique civilisée et, d’un certain point de vue, l’Amérique primale, une île magnifique hors saison.

Un souvenir, une anecdote

House of Blues, Los Angeles, 1999. La boîte qui m’emploie édite un jeu dont David Bowie compose la musique avec Reeves Gabrels. Il sont là, avec d’autres pointures, dans cette salle de concert mythique qui, ce soir-là, reçoit le gratin du monde vidéoludique et où tout le monde se presse. Je suis le producteur de ce jeu, réalisé par une équipe brillante, ma place est en coulisses, mais du choix du Thin White Duke à la signature de son contrat et à sa présence ce soir-là, mon implication a été essentielle. Moi seul en suis le moteur, personne d’autre. Et ce moment, cette culmination-là, je me les suis offerts à moi-même. Le plaisir que j’ai ressenti tout au long de cette collaboration, intime, est bien plus important que les honneurs ou les avantages collatéraux qui vont ensuite en découler, parce que David Bowie est, ou a été – c’est dur de l’écrire comme ça – le musicien qui m’a initié au rock. Il m’a dépucelé, musicalement, à douze ans, lorsque j’ai découvert le clip de « Ashes to Ashes » et sa voix magnifique. J’ai commencé ensuite à acheter ses disques et je dois encore avoir un exemplaire de tous ses vinyles, y compris ceux de la période Manish Boys / Davy Jones & The Lower Third (de mémoire, deux singles). Mon plus grand souvenir américain, c’est celui-ci. A cette soirée, le monde m’appartenait. Juste après, je partais en virée « Fear and Loathing in Las Vegas », au Bellagio, hôtel aperçu ensuite dans « Ocean’s Eleven », inauguré six mois plus tôt. Une période de grand n’importe quoi.

Le meilleur de l’Amérique

Guns & ammo (les flingues et les munitions, les vrais – pas la revue du même nom).

Le pire de l’Amérique

Guns & ammo.

Un vœu, une envie, une phrase.

Une envie d’Alaska et de « Voyage au bout de la solitude », à la McCandless. On en revient toujours au mythe du territoire sauvage. A noter que la Russie peut aussi, d’un certain point de vue, offrir les mêmes horizons et les mêmes passions, un hasard ?

Entretien réalisé par mail le 6 mai 2016.

Wollanup.

ENTRETIEN AVEC TOM COOPER à Etonnants Voyageurs

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Entretien réalisé avec l’auteur de « les maraudeurs » dimanche 15 mai à 14h30 au festival Etonnants Voyageurs à Saint Malo. L’interview a été traduite en direct de manière virtuose par Francis Geffard que je remercie chaleureusement pour sa disponibilité et sa compétence. C’était épatant et cela nous permet de publier cet entretien dès aujourd’hui. Merci également, évidemment, à Tom Cooper dont la gentillesse égale le talent.

la chronique des Maraudeurs ici.

Quand avez-vous décidé d’écrire ?

En fait j’ai toujours voulu écrire. Dès que je suis devenu un lecteur, très jeune. Déjà à l’âge de six/sept ans, je lisais des livres et ça m’avait donné envie d’en écrire un jour moi-même. Je ne saurai pas dire avec précision quand c’est venu mais depuis que je suis lecteur, j’ai toujours rêvé d’être un écrivain.

Vous venez de Floride mais votre roman se situe en Louisiane, pourquoi ? Pensez-vous, comme beaucoup d’autres auteurs, que la Louisiane est un bon décor pour les romans ?

En fait, je suis de Floride et pour tout dire au début ce roman se déroulait en Floride : c’était la Floride de ma jeunesse donc une Floride qui n’existe plus franchement aujourd’hui. L’endroit où j’ai grandi n’existe plus parce qu’il y a eu la montée des eaux et quand j’ai commencé à écrire cette Floride que j’avais dans la tête, elle avait disparu. La Floride avait beaucoup changé, je l’avais quittée il y a une vingtaine d’années. Au moment où j’ai commencé à travailler sur ce livre, je me suis rendu compte qu’en Louisiane en fait il y avait beaucoup de similitudes avec ce que je connaissais de la Floride : sur le plan naturel, sur le plan de l’environnement… ça faisait déjà un moment que je vivais en Louisiane et à la Nouvelle Orléans et je me suis dit que finalement c’était là, dans la Nouvelle Orléans d’aujourd’hui, dans la Louisiane d’aujourd’hui  qu’il fallait que j’inscrive ce roman puisque mes souvenirs de la Floride n’étaient plus valides d’une certaine façon. Le livre devait se dérouler à l’époque contemporaine.

Quelle était votre motivation première ? La dénonciation des actes de BP, l’histoire de pauvres gens essayant de survivre après le désastre ou juste l’histoire d’une chasse au trésor ?

Ce serait peut-être la chasse au trésor parce que j’ai toujours été passionné par ça : quand j’étais gamin j’avais un détecteur de métal, je me baladais partout avec et je serais encore capable de le faire aujourd’hui  si j’avais le temps… Je dirais qu’il y a aussi un côté métaphorique de cette chasse au trésor parce que c’est la chasse aussi à une vie meilleure, à un idéal, à quelque chose qu’on a perdu ou qu’on n’a pas trouvé et qui nous entraine dans cette quête au sens propre comme au sens figuré.

Quel est le principal personnage de « les maraudeurs » : la Louisiane, BP, le bayou, les gens de Barataria ou Lindquist ? (pour moi c’est Lindquist)

Ce qui me plait c’est que chaque personne qui lit le livre a une réponse différente à cette question. Pour vous c’est Lindquist, d’autres diront que c’est Brady Grimes par exemple, ce que quelqu’un m’a dit un jour ou la Louisiane ou la dénonciation des actions de BP… ce qui m’intéresse c’est que chacun y trouve ce qu’il souhaite et que les réponses varient d’un individu à l’autre.

Comme Donald Ray Pollock, beaucoup de chapitres de votre roman pourraient être des nouvelles. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

J’ai toujours écrit des nouvelles, j’aime beaucoup cette forme littéraire et effectivement, comme Don, on peut retrouver cette dimension. J’écris beaucoup quand je travaille sur un roman, et pour les maraudeurs ça a été le cas : il y a plein de choses qui ont été écrites et qui ont été écartées. Après ça, c’est comme un travail de tissage d’une certaine façon et c’est ce que j’aime finalement.  C’est ce côté : on prend quelque chose, on le tourne dans tous les sens, on le regarde sous tous les angles et on essaie de trouver ce qui convient le mieux.

Qui sont vos écrivains favoris, vos influences ?

L’un des grands plaisirs de ce voyage en France aura été de rencontrer Donald Ray Pollock qui est un de mes écrivains contemporains préférés et je ne pouvais pas imaginer que j’allais pouvoir le rencontrer en France alors qu’on ne s’était jamais rencontrés aux Etats-Unis, ça a été un des temps forts de ma visite ! Sinon, j’aime beaucoup Cormac McCarthy, William Faulkner, Denis Johnson. Et aussi Flanery O’Connor et Joy Williams qui est un auteur très connu aux Etats-Unis, il ressemble un peu à Flanery O’Connor dont les thématiques sont très environnementales. Je ne crois pas qu’elle soit très connue en France mais voilà, ce sont les gens qui ont compté pour moi.

Je ne sais pas si vous connaissez cette maison d’édition, «  New York review of books » qui redécouvre des classiques et les republie. Cet été elle republie un écrivain que j’ai hâte de lire, elle va chercher des auteurs qui sont tombés dans l’oubli, elle leur donne la possibilité de ressusciter d’une certaine manière. Ils ont fait ce travail autour de Don Carpenter, de Leonard Gardner, l’auteur de « fat city ». C’est vrai que je m’intéresse beaucoup à ces écrivains qui ont souvent une dimension noire et qui sont remis à la disposition des lecteurs d’aujourd’hui par cette maison d’édition.

En France, les gens disent que votre roman est proche de Carl Hiaasen et Elmore Leonard, êtes-vous d’accord ?

Je crois qu’en fait quand de jeunes auteurs sont publiés pour la première fois, on a le besoin de les situer donc on va essayer de dire dans le sillage de quels écrivains ils s’inscrivent. En ce qui me concerne, je revendiquerai davantage une filiation avec Elmore Leonard qu’avec Carl Hiaasen parce qu’il y a beaucoup peut-être d’Elmore Leonard en moi alors que Carl Hiaasen c’est un écrivain peut-être un peu plus léger, un peu plus souriant, avec une Floride plus ensoleillée et ça ne me correspond pas tout à fait. En fait, je suis très heureux qu’on me compare avec Elmore Leonard, pour moi c’est un immense écrivain et c’est quelqu’un que j’ai découvert très jeune. Quand j’avais dix ou onze ans, mon grand-père qui était un immense lecteur, m’avait donné un des volumes des aventures de Travis Mc Guire. J’ai découvert Elmore Leonard à un âge où je n’aurais certainement pas dû le découvrir mais c’est vrai que c’est un écrivain qui a beaucoup compté pour moi et que j’ai beaucoup lu dans ma jeunesse.

Ecrivez-vous un nouveau roman actuellement ?

En fait, en ce moment je travaille sur deux ou trois projets à la fois, mais il y a un livre qui est pas mal avancé. Il y a un moment où je rassemble comme ça plein de choses, plein d’idées et théoriquement, d’ici la fin de l’année je devrais avoir réussi à mettre pas mal en forme l’un des livres sur lesquels je travaille.

A propos de la série télé, ce sera quand ?

J’aimerais bien connaître la date exacte, je vous paierais même si vous la connaissiez ! La télé, ça n’a rien à voir avec le monde littéraire… On a bien avancé, ils sont très contents du scénario qui a été amendé à plusieurs reprises… c’est en train de se faire.

Vous citez Tom Petty et AC/DC, quelle serait la bonne bande-son pour « les maraudeurs » ?

En fait, AC/DC et Tom Petty ce sont plutôt ce que ce personnage aime. Moi c’est plutôt Tom Waits ou Nick Cave. Mais j’avais envie de trouver des choses qui leur correspondent à eux. Je ne mettrai pas mes morceaux préférés sur la bande-son parce que les gens généralement n’aiment pas beaucoup ce que j’aime moi.

En Allemagne, le titre a été changé et l’accent a été mis sur le personnage de Wes, qu’en pensez-vous ?

Le titre allemand signifie « la vie ruinée de Wes Trench ». En fait je n’aurais jamais donné ce titre-là au livre mais on ne m’a pas demandé mon avis. C’est vrai qu’en Allemagne, les critiques ont souvent dit que c’était un peu stupide d’avoir appelé le livre de cette façon parce que ce n’est pas seulement à propos d’un seul personnage. Je crois que l’éditeur allemand, avec qui je n’ai pas eu beaucoup de lien, a fait ce qu’il fallait, le livre est assez beau. Je sais qu’ils s’en sont bien occupés et que ça n’a pas trop mal marché pour eux, mais à aucun moment on ne m’a demandé de donner mon avis.

Et la dernière question : quelle est la question que j’ai oublié de vous poser et bien sûr quelle est  la réponse ?

Wow ! Alors ma question est : est-ce que vous me donnez cinq jours pour que j’aie le temps d’y réfléchir ? et la réponse est oui bien sûr !

 

Petit Plus, un impromptu avec Francis Geffard, l’éditeur et Tom Cooper à propos du titre. On a pu ainsi entrevoir une petite partie du travail éditorial.

 Le terme de maraudeur issu du vieux français n’a pas la même signification en Amérique, il est beaucoup plus inquiétant et péjoratif et Francis Geffard a envisagé de le changer. Ont été évoqués puis abandonnés « les damnés du bayou », « les ombres sur le bayou »,  « noir bayou » qui avait été aussi proposé aux USA au même titre que « Barataria ». A un moment, confie Tom Cooper, son roman s’appelait « le bras manquant de Lindquist ». Finalement, l’équipe de l’éditeur français a trouvé que le titre « les maraudeurs », sans être parfait était celui qui convenait le mieux.

Wollanup

MON AMÉRIQUE À MOI / Stéphane Jolibert

Stéphane Jolibert est l’auteur de « Dedans ce sont des loups » superbe premier roman sorti en début d’année au Masque. Si le décor est un grand Nord indéfini, certains indices permettaient de penser que l’action se déroulait quelque part à la frontière entre le Canada et les USA. Pareillement, l’histoire respirait l’Amérique, ses mythes…Tout au long de sa vie Stéphane a pas mal bourlingué mais curieusement n’a encore jamais mis les pieds sur le sol américain et pourtant l’empreinte d’une culture ricaine est franchement visible dans l’entretien qu’il a accepté de nous offrir. Un auteur recommandable et un homme passionnant. Two thumbs up !

 

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique.

J’ai grandi à Dakar au Sénégal. À l’époque, il existait une multitude de cinémas de quartier et ceux-ci ne passaient pas les nouveautés, faute de moyens j’imagine, mais passaient quantité de western ou de films de gangster. Pour une somme dérisoire, il était possible de s’assoir sur un siège usé, face à un écran non moins usé, un après-midi entier, et regarder trois films d’affilé plutôt que d’aller en cours. Mon école buissonnière était cinématographique et j’imaginais alors l’Amérique divisée en deux, d’un côté le monde rural peuplé de cowboys et d’Indiens, genre Alamo ou L’Homme qui tua Liberty Valance, et de l’autre côté un monde citadin ressemblant en tout point au Faucon Maltais. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai appris la vérité, en découvrant dans Strange que l’Amérique comptait aussi pas mal de superhéros.

Une image

Un portrait de Louise Bourgeois en noir et blanc (autoportrait peut-être), elle est alors très âgée, ressemble à une Indienne et fait un pied de nez. Reste à savoir à qui ? J’ai la reproduction grand format de cette photo accrochée au mur de mon bureau au-dessus de l’ordinateur. J’écris et de temps à autre je lève la tête comme pour l’interroger, mais dans le fond, je sais que c’est elle qui m’interroge, ou plutôt, elle interroge la démarche créative quelle qu’en soit la nature. Et en réalité, je sais à qui elle fait un pied de nez, à elle-même. Cette femme au parcours exceptionnel, pétrie de talent et d’indépendance, livre en une image, une leçon de modestie et d’autodérision, ça me la coupe.

Un événement marquant

Le procès de Clinton après la mise en bouche de Monica Lewinsky : la démesure du ridicule ; la grandiloquence de l’insignifiant et sûrement la fellation la plus couteuse du monde, en encre, en papier, en reportages et bavardages de toute sorte et payé en partie en liquide (pardon). Le grotesque d’une nation se tournant vers l’anecdote plutôt que vers l’essentiel, c’était à croire que l’un des pays les plus puissants au monde se canalisait vers son nombril, voire un peu en dessous : l’humain dans ce qu’il est de plus grotesque, télé-réalité, mais au niveau de l’Etat : pathétique.

Un roman

« Mémoires sauvés du vent » de Richard Brautigan. Toute l’Amérique est contenue dans ces pages-là : glorieuse et désabusée, identique à la vie en somme.

Un auteur

Le même Richard Brautigan pour avoir écrit « Les mains c’est très joli surtout quand elles viennent de faire l’amour. » et encore quantité de phrases dont la poésie n’a d’égale que le style. Et dire que ce type, un jour, plutôt que son stylo a trouvé la gâchette d’un fusil. Je l’aime pour ses textes et pour m’avoir donné cette envie de découvrir le Japon et y revenir. Rien à voir avec les États-Unis vous dites ? À deux bombes nucléaires près, non, rien à voir, mais cette ile Madone, ces iles qui vous emballent d’arbres fleuris et de calligraphie et qui vous laissent sur le bout de la langue ce bout de cerise vraie et les méninges complètement sonnés parce qu’impossible de trouver le juste milieu entre l’ancestral et la modernité, l’affreux milieu des occidentaux. Mais je digresse, reprenons :

Un film

 « Buffalo’66 » de Vincent Gallo, un sujet casse-gueule traité tantôt avec dureté tantôt avec tendresse, équilibre fragile, gracile, à mon sens parfaitement réussi.

Un réalisateur

En garder un seul ? John Cassavetes, Martin Scorceses, les frères Cohen, David Cronenberg, Clint Eastwood, Tarantino, Fritz Lang (naturalisé OK), Sam Peckinpah, Frank Darabont, David Lynch, Oliver Stone, Robert Zemeckis, Tony Kaye, Bryan Singer, Francis Ford Coppola, Orson Welles, Hitchcock, et j’en oublie. Bon, j’en garde un seul : Sergio Leone, parce que se dégage de ses films une empathie pour ses personnages. Revoir la scène du gâteau dans Il était une fois en Amérique, ce gosse qui voudrait contre un gâteau découvrir la sexualité et qui finalement va le manger son gâteau plutôt qu’attendre qu’une pute lui ouvre la porte. Des deux gourmandises, il choisit celle qu’il connait déjà. Est-on jamais pressé de grandir ?

Un disque

« The Trinity Session » de Cowboys Junkies, pour les reprises de Sweet Jane de Lou Red et celle de Blue Moon de Elvis. Une voix envoûtante.

Un musicien ou un groupe

 Tom Waits ou Tom Waits, au choix.

Un personnage de fiction

Croc-Blanc de Jack London, l’un des personnages les plus complexes de la littérature américaine.

Un personnage historique

Rosa Parks, là je ne vais pas m’étendre : respect ! Ah si, je vais m’étendre un peu, juste pour dire que souvent les hommes retiennent les hommes dans l’histoire et oublient aussi souvent que les femmes sont à l’origine des grands bouleversements de cette même histoire.

Une personnalité actuelle

Sam Shepard : auteur, poète, scénariste, acteur, réalisateur, tout ça et j’en oublie, avec beaucoup de talent, et, trop beau pour être vrai. (Salaud !)

Une ville, une région

 Le Montana. Je n’ai jamais mis les pieds aux États Unis parce que j’ai préféré l’autre hémisphère pour bourlinguer, mais je garde de cette terre tous les auteurs qu’elle a mis au monde et tous semblent lui ressembler, à la fois durs et tendres, brutes et fleurs bleues à la fois, tout ce que j’aime.

Un souvenir, une anecdote

Cette fois où je me suis retrouvé à échanger quelques mots avec Robby Naish, Californien s’il en est, roi de la vague et de la glisse qui par l’entremise d’une traductrice — une hôtesse de l’air en l’occurrence sur le vol Sidney/Aukland — Robby donc, qui me confiait son amour pour Faulkner. « Comme les vagues », il disait en parlant du texte « Le bruit et la fureur ». Un peu comme le bruit des glaçons dans nos verres de Whisky. Je ne l’avais pas encore lu ce roman, un véliplanchiste m’a fait découvrir Faulkner, comme quoi, dans cette vie tout est possible. Ou comme disait l’autre « On nait d’une rencontre, on meurt du hasard » inversement c’est possible aussi.

Le meilleur de l’Amérique

 Tous les immigrants qui l’ont fondée.

Le pire de l’Amérique

Tous ces immigrants qui l’ont fondée, mais qui oublient qu’ici, vivait un peuple libre et si proche de la terre qu’il y retourne sans les honneurs, dans l’indifférence, la douleur et sans prière.

Un vœu, une envie, une phrase.

Ben si t’avais quelques milliers d’Euros histoire que je m’informe davantage sur le sujet, voire que je m’informe tout court, dans le Montana par exemple, que je puisse y écrire un roman tout empreint du lieu et de ceux qui l’arpentent, je promets de faire de mon mieux. Il m’arrive d’écrire pas trop mal quand je m’y mets, ce serait une belle occasion, non ? Je n’accepte qu’à condition qu’on change le titre des élections, Hillary contre Donald, on dirait un Walt Disney, sauf que contrairement à Walt Disney, y’a peu de chance que survienne un Happy End.

Entretien réalisé par mail le mardi 10 mai.

Wollanup.

MON AMÉRIQUE À MOI / Claire Duvivier (éditions Asphalte).

Claire Duvivier est l’une des deux fondatrices avec Estelle Durand de la maison d’édition Asphalte dont l’esprit créatif se tourne vers la littérature urbaine, la contre-culture et les bouquins qui font voyager. Leur catalogue de grande qualité porte énormément l’empreinte de l’Amérique mais celle qui parle plutôt espagnol et portugais, ce qui nous permet d’élargir le questionnaire à l’ensemble du continent.

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique

Je ne me souviens pas… c’est que c’est solidement ancré dans mon inconscient ! En tout cas, cette attirance se limitait pendant mon adolescence à l’Amérique du Nord et plus précisément aux États-Unis, avant de basculer peu à peu du côté de l’Amérique du Sud, comme cela peut se voir dans le catalogue d’Asphalte.

Une image

Cette photographie de Philip-Lorca diCorcia (qui n’est pas sans évoquer un célèbre tableau…)

Un événement marquant

Comme pas mal de monde, je dirais le 11 septembre 2001…

Un roman

« Cent ans de solitude » de Garcia Marquez : pour moi c’est vraiment LE great american novel.

Un auteur

Paul Auster : j’ai dévoré tous ses romans ado, et c’est le premier auteur que j’ai lu en anglais.

Un film

« Trois enterrements » : un film de frontière…

Un réalisateur

Orson Welles, sans hésiter. Un autre film de frontière, tiens, La Soif du mal…

Un disque

Highway 61 Revisited.

Un musicien ou un groupe

Je fais mon coming-out : j’aime Bob Dylan, j’adore Bob Dylan, j’écoute Bob Dylan depuis mon adolescence. S’il te plaît meurtrière année 2016, laisse Bob Dylan tranquille.

Un personnage de fiction

Randall Flagg. J’ai toujours préféré les supervilains aux superhéros !

Un personnage historique

Harriet Tubman

Une personnalité actuelle

David Graeber

Une ville, une région

Je n’ai fait qu’une visite éclair à Buenos Aires, mais elle m’a suffi à nourrir l’obsession que j’ai pour cette ville !

Un souvenir, une anecdote

Une soirée post-marathon de New York à engloutir des travers de bœuf dans une pure gargote (je précise que ce n’est pas moi qui ai couru ledit marathon…)

Le meilleur de l’Amérique

Les contrastes ! Ces grands espaces (grandes plaines, déserts et pampa) qui séparent d’immenses mégapoles (Mexico-New York-Buenos Aires)…

le pire de l’Amérique

Réponse potache : les Starbucks et les Oreo.

Un vœu, une envie, une phrase.

Mon vœu, c’est qu’on commence à voir l’Amérique comme un continent, pas comme un pays 😉

Réalisé par mail en mai 2016.Sincères remerciements.

Entretien avec Carlos Zanón.Le rock comme moteur de vie.

« Le rock’n’roll comme un langage qui ne se soumet pas, que les adultes ne comprennent pas. Le rock’n’roll comme la fidélité à tes amis quand tu as 14 ans. »

Carlos Zanon est l’auteur du roman noir ROCK de l’année sinon plus« j’ai été Johnny Thunders » .Une petite merveille pour ceux qui aiment cette musique  et qui colle vraiment à l’atmosphère du roman. Attention du vrai rock qui colle vraiment aux basques du héros et sans les clichés actuels et particulièrement pénibles de redondance d’ AC/DC ou Motorhead. Par leur dévouement et par leur connaissance de la langue de Cervantès, Estelle Durand et Claire Duvivier des éditions Asphalte m’ont permis de poser quelques questions à l’auteur qui vit et respire le bon son depuis plus de trente ans.

1) Poète, scénariste, parolier, critique littéraire, vous avez plusieurs cordes à votre arc, qui êtes-vous vraiment Carlos Zanon?

Je ne sais pas. On écrit aussi pour ça, pour savoir qui on est. J’ai toujours été intéressé par tout ce qui pouvait exprimer quelque chose par des mots, que ce soit une chanson, un poème ou un roman.

2) Qu’est-ce qui fait qu’un jour, on décide de passer à l’écriture de romans et surtout du noir?

Je me souviens qu’enfant, je n’aimais pas lire, jusqu’à ce que mon père m’offre Les Trois Mousquetaires de Dumas. Cette lecture m’a donné envie d’écrire des histoires et, par la suite, la sensation que la fiction était le seul endroit où je ne me sentais pas bizarre, solitaire, étranger.

3) Vous êtes né à Barcelone et y vivez mais je n’ai pas senti réellement de l’empathie pour la ville, on est loin des lumières du camp Nou de la capitale méditerranéenne; pourquoi une ville de Barcelone anonyme, à la limite, très négative?

Je suis né dans un quartier de la banlieue de Barcelone. Barcelone m’a toujours semblé étrangère. Elle et moi, nous nous supportons. C’est plus que suffisant. Ma ville, ce sont les gens que j’aime, mes livres, mes disques, ma famille.

4) Quand on est originaire de Barcelone se sent-on catalan, espagnol, les deux ou on s’en fout?
Cela na pas beaucoup d’importance, Je suis catalan, de parents catalans et de grands-parents espagnols. Étant de Barcelone j’ai une identité linguistique, personnelle, nationale différente de si j’étais né à Bilbao ou à Gérone, mais ça n’a pas beaucoup de signification pour moi. Je suis de gauche. Et ça, c’est un camp, une patrie d’une certaine manière.

5) Je trouve la couverture française du roman absolument magnifique, résume-t-elle bien l’esprit du roman pour vous avec ce qui semble être le côté obscur du rock ?

Les couvertures d’Asphalte sont toujours les meilleures de toutes celles que j’ai eue pour mes romans dans les différents pays où ils ont été publiés. Je l’aime bien, cette solitude de l’artiste, du guitariste qui cherche intuitivement la beauté, l’arrogance de la vie intense, sans penser au jour suivant. Et en plus il est seul – le héros contre l’abime. 


 
6) Pourquoi ce titre avec Johnny Thunders? N’aurait-ton pas pu imaginer Sid Vicious, Kurt Cobain? Qu’est-ce qui vous séduisait, séduit dans le personnage de Johnny Thunders?

Il y a de nombreuses raisons à ça. Déjà, je vénère Thunders. Il était comme un ange déchu, victime et coupable. Tout le rêve, toute la merde idéalisée de la rock’n’roll way of life. Je l’ai choisi parce qu’il n’a jamais été aussi populaire et iconique que Vicious ou Cobain.  Ils portent le cliché en eux. Je voulais quelque chose qui fasse plus sincère, plus mélomane, plus chambre d’ado. Une dernière raison : l’anecdote que je raconte dans le premier chapitre du roman, qui met en scène Johnny Thunders. Elle est vraie. En plus, on dirait un nom de personnage inventé, non ? Thunders !

7) Venons-en aux titres des chapitres. Il y en a vraiment des savoureux pour l’amateur de rock comme « Ed is dead » et je voudrais savoir si le fantastique incipit de votre roman titré « start » est une référence au morceau du groupe the Jam et son message « And what you give is what you get? »?

La musique m’a sauvé la vie, à l’adolescence. Ce livre est un hommage viscéral à la musique non comme bande sonore mais comme quelque chose d’organique. Coeur, tête, tripes. Le rock’n’roll comme un langage qui ne se soumet pas, que les adultes ne comprennent pas. Le rock’n’roll comme la fidélité à tes amis quand tu as 14 ans. « Ed is dead », c’est les Pixies mais aussi David Lynch. « Start » est une référence aux Jam, un de mes groupes préférés. Le chapitre en soi n’en est pas un mais en fait si, une manière arrogante et pop de dire : je suis là, je me lève et tu vas écouter mon histoire, que tu le veuilles ou non.

8) Depuis la lecture de « High Fidelity » de Nick Hornby dans un style plus léger, je ne m’étais jamais trouvé autant au paradis des passionnés de rock et tant de sincérité, d’amour pour des chansons, pour des groupes incitent à penser qu’à travers l’histoire de Francis, on lit votre propre parcours musical, trente ans de votre histoire avec le rock, non?

Si, bien sûr. Le protagoniste va de l’avant dans la vie face à la perspective de revenir et de trouver le désir, la possibilité de redécouvrir de nouvelles chansons. La trajectoire de Francis est la mienne. Je ne pouvais pas mentir. Écrire pour moi est un acte sacré de sincérité et je pense qu’il devrait l’être pour la plupart des livres. 

9) Certaines scènes ayant trait avec le monde du rock ou de la nuit sonnent authentiques et incitent à penser qu’il y a beaucoup de vécu dans ce roman, quelle est la part du Carlos Zanon « rocker » dans ce roman?

Très grande. Mon livre est autobiographique, pas tant dans les anecdotes relatées que dans sa quintessence, les lieux, les nuits, les sensations. Vivre est un sport à risques. Il faut y aller, en revenir et l’expliquer.

10) Comment définiriez-vous exactement Francis? Est-il l’interprète parfait pour le morceau « Born to lose », un type à qui la chance n’a jamais souri ?

Francis est un personnage charismatique qui joue ses cartes. Un survivant. Il sait qui il est et il essaie d’obtenir ce qu’il veut. Il est faible et fort à la fois. Nous avons tous rencontré des gens qui créent des désastres autour d’eux, mais que tout le monde veut quand même fréquenter, aimer, détester.

11) Poète, parolier et auteur, quel est pour vous le meilleur moyen de faire passer votre message, l’émetteur le plus puissant ?

La fiction. Tu peux parvenir à la vérité en racontant des mensonges.

12) Sex, drugs and rockn’roll », est-ce le message d’une génération ou le cri de ralliement de personnes dans le milieu du rock qui n’ont pas su, voulu grandir, préférant une vie fantasmée à la réalité?

La distraction. Le renoncement à la santé, au travail, à la sécurité. Quelle est la réalité ? Travailler dans un bureau et devenir riche ? L’amour éternel ? Faire du sport et ne jamais mourir ? Être docile pour que les puissants prennent soin de toi ? Je n’ai pas de réponse mais je sais que quand je mourrai, je voudrais avoir beaucoup aimé, m’être beaucoup amusé et n’avoir fait de mal à personne.

13) Un roman noir,un auteur à lire?

David Peace, 1974.

14) Un album, un artiste?

Bon Iver: For Emma

Wollanup et surtout Carlos Zanon,Claire Duvivier et Estelle Durand.

 

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