Stéphane Jolibert est l’auteur de « Dedans ce sont des loups » superbe premier roman sorti en début d’année au Masque. Si le décor est un grand Nord indéfini, certains indices permettaient de penser que l’action se déroulait quelque part à la frontière entre le Canada et les USA. Pareillement, l’histoire respirait l’Amérique, ses mythes…Tout au long de sa vie Stéphane a pas mal bourlingué mais curieusement n’a encore jamais mis les pieds sur le sol américain et pourtant l’empreinte d’une culture ricaine est franchement visible dans l’entretien qu’il a accepté de nous offrir. Un auteur recommandable et un homme passionnant. Two thumbs up !
Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique.
J’ai grandi à Dakar au Sénégal. À l’époque, il existait une multitude de cinémas de quartier et ceux-ci ne passaient pas les nouveautés, faute de moyens j’imagine, mais passaient quantité de western ou de films de gangster. Pour une somme dérisoire, il était possible de s’assoir sur un siège usé, face à un écran non moins usé, un après-midi entier, et regarder trois films d’affilé plutôt que d’aller en cours. Mon école buissonnière était cinématographique et j’imaginais alors l’Amérique divisée en deux, d’un côté le monde rural peuplé de cowboys et d’Indiens, genre Alamo ou L’Homme qui tua Liberty Valance, et de l’autre côté un monde citadin ressemblant en tout point au Faucon Maltais. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai appris la vérité, en découvrant dans Strange que l’Amérique comptait aussi pas mal de superhéros.
Une image
Un portrait de Louise Bourgeois en noir et blanc (autoportrait peut-être), elle est alors très âgée, ressemble à une Indienne et fait un pied de nez. Reste à savoir à qui ? J’ai la reproduction grand format de cette photo accrochée au mur de mon bureau au-dessus de l’ordinateur. J’écris et de temps à autre je lève la tête comme pour l’interroger, mais dans le fond, je sais que c’est elle qui m’interroge, ou plutôt, elle interroge la démarche créative quelle qu’en soit la nature. Et en réalité, je sais à qui elle fait un pied de nez, à elle-même. Cette femme au parcours exceptionnel, pétrie de talent et d’indépendance, livre en une image, une leçon de modestie et d’autodérision, ça me la coupe.
Un événement marquant
Le procès de Clinton après la mise en bouche de Monica Lewinsky : la démesure du ridicule ; la grandiloquence de l’insignifiant et sûrement la fellation la plus couteuse du monde, en encre, en papier, en reportages et bavardages de toute sorte et payé en partie en liquide (pardon). Le grotesque d’une nation se tournant vers l’anecdote plutôt que vers l’essentiel, c’était à croire que l’un des pays les plus puissants au monde se canalisait vers son nombril, voire un peu en dessous : l’humain dans ce qu’il est de plus grotesque, télé-réalité, mais au niveau de l’Etat : pathétique.
Un roman
« Mémoires sauvés du vent » de Richard Brautigan. Toute l’Amérique est contenue dans ces pages-là : glorieuse et désabusée, identique à la vie en somme.
Un auteur
Le même Richard Brautigan pour avoir écrit « Les mains c’est très joli surtout quand elles viennent de faire l’amour. » et encore quantité de phrases dont la poésie n’a d’égale que le style. Et dire que ce type, un jour, plutôt que son stylo a trouvé la gâchette d’un fusil. Je l’aime pour ses textes et pour m’avoir donné cette envie de découvrir le Japon et y revenir. Rien à voir avec les États-Unis vous dites ? À deux bombes nucléaires près, non, rien à voir, mais cette ile Madone, ces iles qui vous emballent d’arbres fleuris et de calligraphie et qui vous laissent sur le bout de la langue ce bout de cerise vraie et les méninges complètement sonnés parce qu’impossible de trouver le juste milieu entre l’ancestral et la modernité, l’affreux milieu des occidentaux. Mais je digresse, reprenons :
Un film
« Buffalo’66 » de Vincent Gallo, un sujet casse-gueule traité tantôt avec dureté tantôt avec tendresse, équilibre fragile, gracile, à mon sens parfaitement réussi.
Un réalisateur
En garder un seul ? John Cassavetes, Martin Scorceses, les frères Cohen, David Cronenberg, Clint Eastwood, Tarantino, Fritz Lang (naturalisé OK), Sam Peckinpah, Frank Darabont, David Lynch, Oliver Stone, Robert Zemeckis, Tony Kaye, Bryan Singer, Francis Ford Coppola, Orson Welles, Hitchcock, et j’en oublie. Bon, j’en garde un seul : Sergio Leone, parce que se dégage de ses films une empathie pour ses personnages. Revoir la scène du gâteau dans Il était une fois en Amérique, ce gosse qui voudrait contre un gâteau découvrir la sexualité et qui finalement va le manger son gâteau plutôt qu’attendre qu’une pute lui ouvre la porte. Des deux gourmandises, il choisit celle qu’il connait déjà. Est-on jamais pressé de grandir ?
Un disque
« The Trinity Session » de Cowboys Junkies, pour les reprises de Sweet Jane de Lou Red et celle de Blue Moon de Elvis. Une voix envoûtante.
Un musicien ou un groupe
Tom Waits ou Tom Waits, au choix.
Un personnage de fiction
Croc-Blanc de Jack London, l’un des personnages les plus complexes de la littérature américaine.
Un personnage historique
Rosa Parks, là je ne vais pas m’étendre : respect ! Ah si, je vais m’étendre un peu, juste pour dire que souvent les hommes retiennent les hommes dans l’histoire et oublient aussi souvent que les femmes sont à l’origine des grands bouleversements de cette même histoire.
Une personnalité actuelle
Sam Shepard : auteur, poète, scénariste, acteur, réalisateur, tout ça et j’en oublie, avec beaucoup de talent, et, trop beau pour être vrai. (Salaud !)
Une ville, une région
Le Montana. Je n’ai jamais mis les pieds aux États Unis parce que j’ai préféré l’autre hémisphère pour bourlinguer, mais je garde de cette terre tous les auteurs qu’elle a mis au monde et tous semblent lui ressembler, à la fois durs et tendres, brutes et fleurs bleues à la fois, tout ce que j’aime.
Un souvenir, une anecdote
Cette fois où je me suis retrouvé à échanger quelques mots avec Robby Naish, Californien s’il en est, roi de la vague et de la glisse qui par l’entremise d’une traductrice — une hôtesse de l’air en l’occurrence sur le vol Sidney/Aukland — Robby donc, qui me confiait son amour pour Faulkner. « Comme les vagues », il disait en parlant du texte « Le bruit et la fureur ». Un peu comme le bruit des glaçons dans nos verres de Whisky. Je ne l’avais pas encore lu ce roman, un véliplanchiste m’a fait découvrir Faulkner, comme quoi, dans cette vie tout est possible. Ou comme disait l’autre « On nait d’une rencontre, on meurt du hasard » inversement c’est possible aussi.
Le meilleur de l’Amérique
Tous les immigrants qui l’ont fondée.
Le pire de l’Amérique
Tous ces immigrants qui l’ont fondée, mais qui oublient qu’ici, vivait un peuple libre et si proche de la terre qu’il y retourne sans les honneurs, dans l’indifférence, la douleur et sans prière.
Un vœu, une envie, une phrase.
Ben si t’avais quelques milliers d’Euros histoire que je m’informe davantage sur le sujet, voire que je m’informe tout court, dans le Montana par exemple, que je puisse y écrire un roman tout empreint du lieu et de ceux qui l’arpentent, je promets de faire de mon mieux. Il m’arrive d’écrire pas trop mal quand je m’y mets, ce serait une belle occasion, non ? Je n’accepte qu’à condition qu’on change le titre des élections, Hillary contre Donald, on dirait un Walt Disney, sauf que contrairement à Walt Disney, y’a peu de chance que survienne un Happy End.
Entretien réalisé par mail le mardi 10 mai.
Wollanup.
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