« Le rock’n’roll comme un langage qui ne se soumet pas, que les adultes ne comprennent pas. Le rock’n’roll comme la fidélité à tes amis quand tu as 14 ans. »

Carlos Zanon est l’auteur du roman noir ROCK de l’année sinon plus« j’ai été Johnny Thunders » .Une petite merveille pour ceux qui aiment cette musique  et qui colle vraiment à l’atmosphère du roman. Attention du vrai rock qui colle vraiment aux basques du héros et sans les clichés actuels et particulièrement pénibles de redondance d’ AC/DC ou Motorhead. Par leur dévouement et par leur connaissance de la langue de Cervantès, Estelle Durand et Claire Duvivier des éditions Asphalte m’ont permis de poser quelques questions à l’auteur qui vit et respire le bon son depuis plus de trente ans.

1) Poète, scénariste, parolier, critique littéraire, vous avez plusieurs cordes à votre arc, qui êtes-vous vraiment Carlos Zanon?

Je ne sais pas. On écrit aussi pour ça, pour savoir qui on est. J’ai toujours été intéressé par tout ce qui pouvait exprimer quelque chose par des mots, que ce soit une chanson, un poème ou un roman.

2) Qu’est-ce qui fait qu’un jour, on décide de passer à l’écriture de romans et surtout du noir?

Je me souviens qu’enfant, je n’aimais pas lire, jusqu’à ce que mon père m’offre Les Trois Mousquetaires de Dumas. Cette lecture m’a donné envie d’écrire des histoires et, par la suite, la sensation que la fiction était le seul endroit où je ne me sentais pas bizarre, solitaire, étranger.

3) Vous êtes né à Barcelone et y vivez mais je n’ai pas senti réellement de l’empathie pour la ville, on est loin des lumières du camp Nou de la capitale méditerranéenne; pourquoi une ville de Barcelone anonyme, à la limite, très négative?

Je suis né dans un quartier de la banlieue de Barcelone. Barcelone m’a toujours semblé étrangère. Elle et moi, nous nous supportons. C’est plus que suffisant. Ma ville, ce sont les gens que j’aime, mes livres, mes disques, ma famille.

4) Quand on est originaire de Barcelone se sent-on catalan, espagnol, les deux ou on s’en fout?
Cela na pas beaucoup d’importance, Je suis catalan, de parents catalans et de grands-parents espagnols. Étant de Barcelone j’ai une identité linguistique, personnelle, nationale différente de si j’étais né à Bilbao ou à Gérone, mais ça n’a pas beaucoup de signification pour moi. Je suis de gauche. Et ça, c’est un camp, une patrie d’une certaine manière.

5) Je trouve la couverture française du roman absolument magnifique, résume-t-elle bien l’esprit du roman pour vous avec ce qui semble être le côté obscur du rock ?

Les couvertures d’Asphalte sont toujours les meilleures de toutes celles que j’ai eue pour mes romans dans les différents pays où ils ont été publiés. Je l’aime bien, cette solitude de l’artiste, du guitariste qui cherche intuitivement la beauté, l’arrogance de la vie intense, sans penser au jour suivant. Et en plus il est seul – le héros contre l’abime. 


 
6) Pourquoi ce titre avec Johnny Thunders? N’aurait-ton pas pu imaginer Sid Vicious, Kurt Cobain? Qu’est-ce qui vous séduisait, séduit dans le personnage de Johnny Thunders?

Il y a de nombreuses raisons à ça. Déjà, je vénère Thunders. Il était comme un ange déchu, victime et coupable. Tout le rêve, toute la merde idéalisée de la rock’n’roll way of life. Je l’ai choisi parce qu’il n’a jamais été aussi populaire et iconique que Vicious ou Cobain.  Ils portent le cliché en eux. Je voulais quelque chose qui fasse plus sincère, plus mélomane, plus chambre d’ado. Une dernière raison : l’anecdote que je raconte dans le premier chapitre du roman, qui met en scène Johnny Thunders. Elle est vraie. En plus, on dirait un nom de personnage inventé, non ? Thunders !

7) Venons-en aux titres des chapitres. Il y en a vraiment des savoureux pour l’amateur de rock comme « Ed is dead » et je voudrais savoir si le fantastique incipit de votre roman titré « start » est une référence au morceau du groupe the Jam et son message « And what you give is what you get? »?

La musique m’a sauvé la vie, à l’adolescence. Ce livre est un hommage viscéral à la musique non comme bande sonore mais comme quelque chose d’organique. Coeur, tête, tripes. Le rock’n’roll comme un langage qui ne se soumet pas, que les adultes ne comprennent pas. Le rock’n’roll comme la fidélité à tes amis quand tu as 14 ans. « Ed is dead », c’est les Pixies mais aussi David Lynch. « Start » est une référence aux Jam, un de mes groupes préférés. Le chapitre en soi n’en est pas un mais en fait si, une manière arrogante et pop de dire : je suis là, je me lève et tu vas écouter mon histoire, que tu le veuilles ou non.

8) Depuis la lecture de « High Fidelity » de Nick Hornby dans un style plus léger, je ne m’étais jamais trouvé autant au paradis des passionnés de rock et tant de sincérité, d’amour pour des chansons, pour des groupes incitent à penser qu’à travers l’histoire de Francis, on lit votre propre parcours musical, trente ans de votre histoire avec le rock, non?

Si, bien sûr. Le protagoniste va de l’avant dans la vie face à la perspective de revenir et de trouver le désir, la possibilité de redécouvrir de nouvelles chansons. La trajectoire de Francis est la mienne. Je ne pouvais pas mentir. Écrire pour moi est un acte sacré de sincérité et je pense qu’il devrait l’être pour la plupart des livres. 

9) Certaines scènes ayant trait avec le monde du rock ou de la nuit sonnent authentiques et incitent à penser qu’il y a beaucoup de vécu dans ce roman, quelle est la part du Carlos Zanon « rocker » dans ce roman?

Très grande. Mon livre est autobiographique, pas tant dans les anecdotes relatées que dans sa quintessence, les lieux, les nuits, les sensations. Vivre est un sport à risques. Il faut y aller, en revenir et l’expliquer.

10) Comment définiriez-vous exactement Francis? Est-il l’interprète parfait pour le morceau « Born to lose », un type à qui la chance n’a jamais souri ?

Francis est un personnage charismatique qui joue ses cartes. Un survivant. Il sait qui il est et il essaie d’obtenir ce qu’il veut. Il est faible et fort à la fois. Nous avons tous rencontré des gens qui créent des désastres autour d’eux, mais que tout le monde veut quand même fréquenter, aimer, détester.

11) Poète, parolier et auteur, quel est pour vous le meilleur moyen de faire passer votre message, l’émetteur le plus puissant ?

La fiction. Tu peux parvenir à la vérité en racontant des mensonges.

12) Sex, drugs and rockn’roll », est-ce le message d’une génération ou le cri de ralliement de personnes dans le milieu du rock qui n’ont pas su, voulu grandir, préférant une vie fantasmée à la réalité?

La distraction. Le renoncement à la santé, au travail, à la sécurité. Quelle est la réalité ? Travailler dans un bureau et devenir riche ? L’amour éternel ? Faire du sport et ne jamais mourir ? Être docile pour que les puissants prennent soin de toi ? Je n’ai pas de réponse mais je sais que quand je mourrai, je voudrais avoir beaucoup aimé, m’être beaucoup amusé et n’avoir fait de mal à personne.

13) Un roman noir,un auteur à lire?

David Peace, 1974.

14) Un album, un artiste?

Bon Iver: For Emma

Wollanup et surtout Carlos Zanon,Claire Duvivier et Estelle Durand.