Chroniques noires et partisanes

MON AMÉRIQUE À MOI / DOA

DOA est l’ acronyme d’un auteur français qui est devenu un grand écrivain avec « PUKHTU primo » et tous ceux qui l’ont lu ont senti la puissance qui émane d’un pavé qu’on aurait bien tort de cantonner à un roman sur la guerre tant il recèle des trésors pour le lecteur patient et attentif; la sensibilité, l’humanité et le chagrin masqués derrière la furie. Devenu l’égal des Ellroy et Winslow et se caractérisant par une modestie et un effacement derrière ses écrits, très soucieux de ses déclarations, DOA  se confie peu et c’est donc avec une joie non dissimulée et non feinte que Nyctalopes vous offre sa vision sans langue de bois de l’Amérique. Take shelter!

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique:

J’ai eu la chance de voyager tôt et j’ai connu New York avant mes dix ans. Je garde un souvenir très fort du gigantisme (j’étais tout petit au milieu des buildings), premier contact avec les Etats-Unis, et de ma montée en haut du World Trade Center. Forcément, à cet âge-là, la démesure m’avait impressionné. Tout semblait grandiose, possible là-bas. J’entretiens depuis un rapport plus compliqué avec ce pays. J’admire une partie de sa production intellectuelle que d’aucuns pourraient qualifier d’élitiste, et j’en rejette l’essentiel qui, pour moi, contribue à un grand affadissement artistique au profit du fric-roi, mètre-étalon de l’Amérique. Je respecte certaines réussites, mais je crains son développement technologique, et les bouleversements sociologiques et politiques globaux qu’il implique. Enfin, de sa politique étrangère, sur tous les plans, je perçois qu’elle nous mène au chaos total. Après avoir longtemps souscrit au mythe des Etats-Unis protecteurs du monde libre, je pense maintenant qu’ils se comportent comme la brute de la cour de récré, égoïste, aveugle, irrationnelle.

Une image:

 (Burt Reynolds, « Deliverance » – grosse claque ce film, je l’ai vu très jeune, sans tout saisir, sauf le tropisme sauvage du pays, à tous points de vue)

Un événement marquant:

Hiroshima. Les Etats-Unis sont le premier et le seul pays à avoir utilisé l’arme atomique contre un autre état souverain.

Un roman:

« Méridien de sang », de Cormac McCarthy (en fait il y en aurait beaucoup d’autres, difficile de choisir parmi tous les romans qui m’ont marqué. Celui-ci est le dernier).

Un auteur

Ernest Hemingway.

Un film:

« Blade Runner », de Ridley Scott (le réalisateur est anglais, mais le film est américain, se passe dans une Amérique futuriste et est tiré d’un roman écrit par un auteur américain). Vu à sa sortie en salles, puis devenu mon film de chevet lorsque j’étais étudiant. Et encore aujourd’hui. Celui avec lequel j’ai terminé le plus de nuits. J’ai dû le voir plus de trois cents fois, principalement dans sa version de 1982, avec la voix-off, longtemps la seule disponible.

Un réalisateur:

Sam Peckinpah, un personnage de roman noir, intransigeant, fidèle, violent comme ses films, un des premiers à déniaiser le western et à faire de soldats allemands de la Wehrmacht les héros d’un long-métrage.

Un disque:

« Ascenseur pour l’échafaud », de Miles Davis.

Un musicien ou un groupe:

Jimi Hendrix.

Un personnage de fiction:

Harry Callahan.

Un personnage historique:

George Armstrong Custer, la quintessence maudite de l’Amérique est tout entière contenue dans son destin tragique.

Une personnalité actuelle:

Donald Trump, le populiste américain, reflet de nos passions tristes européennes. Celui dont même le camp républicain ne veut pas. S’il est élu, la face du monde s’en trouvera sûrement changée, en pire.

Une ville, une région:

Martha’s Vineyard, la vieille Amérique civilisée et, d’un certain point de vue, l’Amérique primale, une île magnifique hors saison.

Un souvenir, une anecdote

House of Blues, Los Angeles, 1999. La boîte qui m’emploie édite un jeu dont David Bowie compose la musique avec Reeves Gabrels. Il sont là, avec d’autres pointures, dans cette salle de concert mythique qui, ce soir-là, reçoit le gratin du monde vidéoludique et où tout le monde se presse. Je suis le producteur de ce jeu, réalisé par une équipe brillante, ma place est en coulisses, mais du choix du Thin White Duke à la signature de son contrat et à sa présence ce soir-là, mon implication a été essentielle. Moi seul en suis le moteur, personne d’autre. Et ce moment, cette culmination-là, je me les suis offerts à moi-même. Le plaisir que j’ai ressenti tout au long de cette collaboration, intime, est bien plus important que les honneurs ou les avantages collatéraux qui vont ensuite en découler, parce que David Bowie est, ou a été – c’est dur de l’écrire comme ça – le musicien qui m’a initié au rock. Il m’a dépucelé, musicalement, à douze ans, lorsque j’ai découvert le clip de « Ashes to Ashes » et sa voix magnifique. J’ai commencé ensuite à acheter ses disques et je dois encore avoir un exemplaire de tous ses vinyles, y compris ceux de la période Manish Boys / Davy Jones & The Lower Third (de mémoire, deux singles). Mon plus grand souvenir américain, c’est celui-ci. A cette soirée, le monde m’appartenait. Juste après, je partais en virée « Fear and Loathing in Las Vegas », au Bellagio, hôtel aperçu ensuite dans « Ocean’s Eleven », inauguré six mois plus tôt. Une période de grand n’importe quoi.

Le meilleur de l’Amérique

Guns & ammo (les flingues et les munitions, les vrais – pas la revue du même nom).

Le pire de l’Amérique

Guns & ammo.

Un vœu, une envie, une phrase.

Une envie d’Alaska et de « Voyage au bout de la solitude », à la McCandless. On en revient toujours au mythe du territoire sauvage. A noter que la Russie peut aussi, d’un certain point de vue, offrir les mêmes horizons et les mêmes passions, un hasard ?

Entretien réalisé par mail le 6 mai 2016.

Wollanup.

4 Comments

  1. Hélène (et Jean-Christophe)

    Bonjour,
    Message à DOA qui se plaint de la difficulté de vendre un gros roman.
    Il s’agirait peut-être de s’interroger, ou plus encore d’interroger l’éditeur de la Noire de Gallimard. Pourquoi avoir choisi un grand format, lourd, épais, en un mot intransportable? Le format antérieur donnait envie de tout acheter. Le nouveau format est une plaie, une grande partie du lectorat a migré comme moi vers le Folio policier. Nos bibliothèques et nos appartements ne sont pas extensibles, l’époque est à la mobilité permanente, comment voulez-vous avoir le plaisir de lire un tel pavé en TGV? Tous nos DOA donc sont achetés en retard et volontairement en Folio. Dommage pour son auteur, ainsi privé du bénéfice immédiat de bonnes ventes. A méditer et surtout à transmettre à Gallimard qui pourrait éventuellement faire une étude de marché à ce sujet… Mais ces vieilles maisons du boulevard Saint-Germain imaginent toujours leurs lecteurs à leur image, vêtus de tweed-cachemire dans un appartement hausmannien de 150 m2… Il existe une solution alternative, aller vers de nouveaux éditeurs, plus conscients de l’importance du format poche dans la société. On a bien pris l’habitude de voyager avec une valise ryanair… C’est aussi à mon sens une condition essentielle de la survie du livre. On a gardé nos vieux Série Noire époque Duhamel, on chérit nos Daeninckx. DOA c’est en Folio policier et rien d’autre pour moi.

    • clete

      La nouvelle boss de la collection y pensera peut-être.

  2. TheBigBadWolf

    @ Hélène et Jean-Christophe:

    La Série Noire moyen format – ce n’était pas du poche – avait cessé de se vendre (moins de 2000 ex en moyenne par livre) et était en concurrence avec Folio Policiers à l’intérieur de la même maison. A mesure que les années passaient, les lecteurs de la SN petit format se raréfiaient. La croissance est repartie à la hausse avec le grand format. Par ailleurs, l’économie du livre pour les auteurs n’est pas la même en grand et en petit format. Faut-il que ceux-ci crèvent la dalle, et uniquement chez Gallimard, pour vous satisfaire?

    Je suis surpris en effet de ces remarques constantes adressées à la seule SN. Rivages Noir a commencé en poche et est ensuite passé au grand format et pourtant, à eux, on ne le fait pas remarquer constamment. Ni aux autres éditeurs.

    Enfin, pour prendre parfois le métro, je vois beaucoup de lecteurs avec des grands formats. Les Goncourt sont achetés en grand format. Les thrillers les plus vendeurs aussi. Cela ne gêne donc pas tant que ça la majorité des acheteurs de romans.

    D’un point de vue pratique, gain de place et gain de poids, à vous lire, je me demande pourquoi vous n’êtes pas directement passés à la liseuse, ce serait le plus logique.

    Joyeux Noël quand même. Avec plein de bons romans. Grands ou petits, on s’en fiche après tout, l’essentiel est à l’intérieur.

    • clete

      En voilà une belle réponse pertinente et visiblement bien informée.Cher TheBigBadWolf, il me semble bien vous reconnaître…si vous avez un mail, je suis preneur.

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