traduction: Pierre Demarty.

« À Jeanette, en Louisiane, on survit tant bien que mal grâce à la pêche, de génération en génération, mais depuis le passage de l’ouragan Katrina rien n’est plus pareil. Et quand la marée noire vient polluer les côtes, les habitants sont de nouveau confrontés au pire. »

On en parle beaucoup de ce bouquin dans les réseaux sociaux et je pense qu’on n’a pas fini d’en causer tant ce roman va plaire à un très large public arrivé là parfois par erreur. La Louisiane, des rednecks cajuns pur jus, le bayou, des arnaques minables… et certains, et bien à tort, vont rapprocher « les maraudeurs » de James Lee Burke. Quand bien même l’environnement, certains thèmes ou personnages pourraient effectivement faire penser un peu à « la nuit la plus longue » où Burke décrit le drame de Katrina au détriment finalement d’une intrigue solide ou à « vers une aube radieuse » où il raconte la difficile condition ouvrière mais dans les années 70, on est par ailleurs très loin des aventures de Robicheaux et Purcel contre les têtes d’huile de la mafia de la Nouvelle Orleans ou les grands propriétaires louisianais.

Au mieux, l’aspect polar du roman pourrait s’apparenter à certains passages de « la trilogie du bayou de Woodrell », à la verve et au talent d’Elmore Leonard mais « les maraudeurs » n’est pas un polar, pas un roman noir mais avant tout un ravagé et ravageur roman sociétal sur une communauté rendue misérable par la marée noire causée par l’explosion de “Deepwater horizon” la plate-forme pétrolière de BP dans le golfe du Mexique en 2010, prouvant ainsi que dans cette partie du globe Haïti n’est pas la seule terre maudite, abandonnée des dieux.

Les maraudeurs” est un formidable roman décrivant la vie sociale et l’économie dans la baie de Barataria après la marée noire quand les crevettes ne sont plus comme avant en nombre comme en qualité faisant la ruine des pêcheurs de la ville imaginaire de Jeanette dont toute la vie repose sur cette pêche depuis toujours. Mais Tom Cooper fait passer cette terrible épreuve, cette belle enculade d’une population par le gouvernement fédéral et le trust international avec beaucoup d’humour, de tendresse, de passion, de poésie, de rage et de compassion. Chacun pourra y trouver un peu ce qu’il aime lire, beaucoup de ce qui fait vibrer et pas de manière escamotée. Les amateurs d’analyses sociologiques locales s’y plairont, les fans de littérature du Deep South se délecteront, les cinglés de white trash vont bien se marrer, les plus sensibles seront certainement émus aussi.Difficile de classer ce roman et d’ailleurs quelle utilité tant la qualité explose à chaque page.

Epoustouflant premier roman choral selon le “héros” du chapitre, nous oscillerons vers la connerie et la méchanceté avec les frères Toup, la bouffonnerie avec les deux losers maginifiques Hanson et Cosgrove, l’amertume avec Grimes qui fait la pute pour BP, le malheur et la détresse avec Wes Trench et son père… Et puis,et puis Lindquist, formidable personnage, touchant dans sa folie, Don Quichotte moderne, le cerveau cramé par les medocs qu’il s’enfile, pêcheur de crevettes au bord du gouffre et obsédé depuis l’enfance par le trésor du pirate Laffite qu’il recherche dans le bayou de la Barataria qui est aussi, par ailleurs le nom d’une île de fiction dans l’oeuvre de Cervantes. Lindquist: le bras articulé qu’on lui a volé, son détecteur de métaux, ses blagues minables, son obsession du trésor pour lui permettre de quitter la région, ses regrets, son empathie.

Tous rêvent d’une autre destinée dans une autre vie, tous veulent partir mais dans une formidable coda , certains verront que les liens du sang et de la terre qui vous a accueillis et bercés sont les plus précieux.

Un somptueuse harmonie de rires, d’émotion, de tristesse et de sagesse.

Wollanup.

PS: en projet d’adaptation par l’équipe de “Breaking Bad”.