Marin nous a habitués aux écrits sociaux, politiques, ou purement et simplement sombres. On rentre là dans un exercice de style dont il ne nous avait pas habitués, bien qu’en interlignes de l’humour, du burlesque pointés. Comme précisé par l’éditeur, et donc assumé, l’auteur se livre, ouvert, à un effort de la trempe de Daniel Pennac, époque Malaussène. Sans « traîtrise », sans le goût de la resucée, il nous expose un roman tel une soupape de respiration, pour expulser un pan algique de son existence qu’il combat par la dérision mais pas que…

«Un père, une mère et leurs six enfants. Deux filles, quatre garçons. Une équipe mixte de volley-ball et deux remplaçants, ma famille au grand complet. Neuf en comptant le chien. Onze si l’on ajoute les deux chats.» La grouillante et fantasque tribu Mabille-Pons : Charles clerc de notaire pacifiste, Adélaïde infirmière anarchiste et excentrique. Les enfants libres et grands, trois adoptés. Le quotidien comme la bourrasque d’une fantaisie bien peu militaire.

Jusqu’à ce 20 mars 2017, premier jour du printemps, où le petit dernier manque à l’appel. Gus, l’incurable gentil, le bouc émissaire professionnel a disparu et se retrouve accusé du braquage d’un bureau de tabac, mettant Tournon en émoi.

Branle-bas de combat de la smala ! Il faut faire grappe, retrouver Gus, fourbir les armes des faibles, défaire le racisme ordinaire de la petite ville bien mal pensante, lutter pour le droit au désordre, mobiliser pour l’innocenter, lui ô notre frère. »

Chaque phrase, chaque paragraphe, chaque chapitre est l’occasion de se référer à des repères de culture musicale, littéraire, politique ou populaire. Toutes les virgules sont des sourires, tout point est le moment de reprendre une inspiration. L’inspiration, il en montre et contribue à nous immerger dans des souvenirs, des étincelles gravées sur du 8mm. Cette vie de tribu ardéchoise propose l’archétype d’une existence communautaire bardée de valeurs humanistes. (ce n’est peut-être pas le hasard que ce département en est le décor!…) car l’homme originaire de ce lieu bordant le Rhône, face au pays drômois, pourrait s’enorgueillir, dans son histoire contemporaine, d’avoir prôné des formes alternatives du vivre ensemble. L’empreinte radiculaire, de rien, est bel et bien affichée, or il n’est pas un partisan mais nous délivre en filigrane des messages sur la déliquescence de notre société et ses valeurs morales. En pointant son bic tel un baron, pas de l’écluse, sur l’amoralité, le racisme « ordinaire », l’emballement médiatico-populaire propre aux réseaux sociaux, ah ça me fait rire, ou à la conciergerie de petites communes.

De part ses esquisses appuyées de personnages hauts en couleurs, où les histoires singulières succèdent aux histoires singulières, de profils riches mais atypiques, l’auteur croque à pleines dents dans (son) un  idéal du nucléaire, sans fission mais avec une énergie inextinguible, à la Sady Rebbot.

Quand le thermomètre engrange les degrés Celsius ce ton frais, sans être dans la conserverie Belle-îloise, permet de temporiser car les références sont multiples, sans monter la sauce, le travelling balaie nombre d’artistes de tout poil. Et il est dru, prurigineux, non! pas ferrugineux,  le bulbe pileux en évitant le capillotracté. On reçoit, on exulte, on se rebiffe pour la félicité de Gus, en scandant la liturgie politique et chansonnière des Béru.

Marin Ledun a su parfaitement distiller ses influences en passant par Pennac, Jean Baptiste Pouy, Hervé Prudon et j’ai aussi ressenti par certains côtés une verve à la Boudard. Si la principal motivation de son roman fut l’expression d’une douleur calicielle et son expulsion grâce à JJ, force est de constater qu’elle ne m’a pas laissé de pierre.

Fraîcheur de vivre à Tournon-Tain à s’en taper les côtes!

Chouchou