Chroniques noires et partisanes

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JUSTE UNE BALLE PERDUE de Joseph D’Anvers / Rivages.

La trajectoire, la diagonale, d’un jeune homme en devenir investi par le noble art se voit infléchie par la rencontre d’une jeune femme diaphane qui colorisera son existence. C’est une diagonale de vie car elle se joue sur trois bandes. Son passé qu’il tente de dompter, de comprendre, cette « première » vie qui l’aura lacéré aussi bien physiquement que dans sa psyché. Il tente de composer avec ses fêlures, ses questions sans réponses. Mais c’est aussi sur celles-ci qu’il trouve un biais émancipateur. La boxe où il va lutter avec ses poings au centre de ce carré afin d’expurger ce passé douloureux. C’est son présent. La troisième bande de ce triangle rectangle est l’émanation d’une rencontre fulgurante, obsessionnelle, passionnelle pour laquelle son cap va virer. Passé, présent, avenir se confondent dans de tourments lumineux, soufflant le chaud et le froid. S’embarquer dans ce roman est juste un pur moment de Rock’n’Roll maudit.

«Roman veut devenir boxeur. Il se rêve déjà professionnel lorsqu’il intègre une prestigieuse académie qui fera de lui un champion. Un soir, il rencontre Ana, une jeune fille qui va changer sa vie. Entre drogues, sexe, alcool, amour et délinquance, ces deux écorchés vont s’offrir une parenthèse enchantée. Mais tout tourne très vite au cauchemar. Comme s’il était impossible d’échapper à son destin. Juste une balle perdue raconte cette saison entre paradis et enfer. »

L’auteur reste probablement plus connu pour ses productions musicales or il n’en est pas à son coup d’essai dans la littérature après son roman La Nuit Ne Viendra Jamais. D’une histoire et d’un parcours qui conjuguent allègrement le cinéma en passant par la FEMIS, la musique, évidemment, avec ses débuts comme guitariste et chanteur du groupe Post-rock Polagirl puis résolument Rock avec Super 8. Il n’en oublie pourtant pas de se passionner et de pratiquer, outre le noble art, le jeu à 15 avec ce ballon capricieux. Si l’on se penche sur l’écriture de ses albums successifs on tend à remarquer sa propension pour le texte léché, pour sa volonté sous jacente d’y parsemer un peu de surréalisme. (D’où consciemment son attachement et ses collaborations avec Bashung…)

Pour ce roman il est bien dans une réalité brute. Brute dans toutes les dimensions du terme. La vie de Roman n’est pas celle d’un roman de gare mais elle met bien au ban les scarifications d’un passé qui le hante. C’est dans cet amour, en suivant une autre voie, qu’il va tenter d’essarter celui-ci. Il se fixe d’autres objectifs tout en se livrant corps et âme pour cette passion dévorante. Dans sa capacité à conter cette flamme intérieure l’auteur nous donne la lecture d’un tempo non linéaire. Tantôt purement Rock, il la ponctue  avec à-propos par des passages lyriques empreints d’une naturalité assumée et apaisante. Le romancier aurait-il lu Gracq ou Maupassant? Confronté à ces changements de rythme on tourne les pages avec avidité délesté de toute satiété. On prend du plaisir avec Roman et Ana, on tachycarde avec eux, on compatit à leurs doutes, on jouit du temps présent. La balistique de ces deux vies obéit-elle à des lois physiques? 

De ce récit pyrétique, on en ressort fier de les avoir accompagnés, mélancolique de les abandonner. Sous cette plume dotée de crochets déroutants, de raffuts dévastateurs, la lumière est bien présente. Une lumière de contre-jour entre nuances de gris et rouge clinquants.

Juste une Balle Perdue un roman majuscule!

Chouchou



PAZ de Caryl Ferey / Série Noire / Gallimard.

Cette fois Caryl Férey nous entraîne en Amérique du sud et plus particulièrement en Colombie. Alors, bien sur, nous viennent des images, on se réfère à une histoire récente constellée de poncifs « poudriers »…Or, l’auteur nous embarque dans un roman qui convie une famille et des protagonistes englués dans des existences pour lesquelles la plénitude, la satisfaction ne sont pas au rendez-vous. En s’attachant à poser le prisme sur ces personnages, il convoque aussi les problématiques familiales lestées d’un passé granuleux. Car, il faut bien le reconnaître, elle, la famille, n’est pas toujours comme on le souhaite, il coexiste souvent un idéal avec un renégat. Au travers cette illustration nucléaire gravite une journaliste pugnace qui tente de trouver son équilibre par son travail car, elle aussi, n’a pas trouvé tous les ingrédients d’une vie épanouie. Caryl Férey nous transporte, de nouveau, dans son univers avec sa verve, avec sa plume et en filigrane sa bienveillance pour ses personnages. 

«Un vieux requin de la politique. 

Un ancien officier des forces spéciales désormais chef de la police de Bogotá. 

Un combattant des FARC qui a déposé les armes. 

Un père, deux fils, une tragédie familiale sur fond de guérilla colombienne. »

Derrière cette lapidaire quatrième de couverture se cache un ouvrage dense, avec un profond enracinement dans cette nation bouleversée par des années de plomb. Les reliquats restent bien présents dans la construction politique de cet état qui, bien souvent, navigue en eaux troubles. C’est, aussi, sur ce point que le romancier déploie son identité de littérateur. Car emporté par la plume, on est de même éclairé par un roman documentaire qui nous plonge dans les entrailles d’une société exsangue de corruption, de copinage et de déterminisme. Ceci n’est pas une carte postale propre à la Colombie, c’est bien plus universel. C’est aussi en ce sens que Caryl Férey est doué, dans cette faculté de transposition de scories universelles à un contexte particulier. 

L’envergure du récit repose sur quatre personnages cardinaux qui ont, donc, ce point commun du non-accomplissement d’une vie rongée par le remords, obscurcie par les non-dits, éreintée par l’individualisme. Il croque ses personnages avec force persuasion. Il documente sa trame avec pléthore de détails tout en évitant l’écueil aisé de la centrer sur la figure tutélaire du natif de Rio Negro. Il a donc choisi le parti de s’intéresser au volet révolutionnaire des FARC et, encore, de manière plutôt indirecte. C’est tout le charme de l’auteur, de ne pas tomber dans le panneau de la facilité et de construire un roman qui harponne, qui bastonne, qui tatoue! Mais si je devais comparer sa villégiature sud-américaine avec celles du long nuage blanc ou le sol de Mandela , je dirais qu’il n’y a pas cette odeur putride, cet écoulement d’un abcès mis à plat. J’ai trouvé l’écrit plus équilibré, noir certes, mais plus immersif dans un peuple meurtri qui tente la reconstruction au forceps. 

Fabuleux roman noir qui brouille les images d’Epinal de ce pays, finalement, méconnu. Un nouvelle fois, on apprend d’un pays par l’entremise d’un récit sombre mais empreint de sensibilité. 

  Du grand Férey! (allez j’ose c’est extra.)

Chouchou…


L’HORIZON QUI NOUS MANQUE de Pascal Dessaint / Rivages Noir.

Un trio se forme par les aléas de la vie. Des personnalités bigarrées s’assemblent par leur attirance respective à vivre à la marge. Ce ne sont pas des marginaux mais ils refusent les conventions, ils abhorrent les strictes règles d’une société vissée sur les normes, rongée par la standardisation placée sous un joug panurgien. Ils composeront sur les plages pas-de-calaisiennes pour se serrer les coudes, créer leur monde propre et tenter de « laver » certaines scories de leur passé.  Leurs existences coulent au fil de l’eau et les couleurs entrent dans celles-ci. Garderont-elles leur éclat?

«Entre Gravelines et Calais, dans un espace resté sauvage en dépit de la présence industrielle, trois personnages sont réunis par les circonstances : Anatole, le retraité qui rêve d’une chasse mythique, Lucille, l’institutrice qui s’est dévouée pour les migrants de la jungle et se retrouve désabusée depuis le démantèlement, et Loïk, être imprévisible mais déterminé, qui n’a pas toujours été du bon côté de la loi, peut-être parce que dans son ascenseur social, il n’y avait qu’un bouton pour le sous-sol. Laissés pour compte ? Pas tout à fait. En marge ? C’est sûr. En tout cas, trop cabossés pour éviter le drame. 

Pascal Dessaint nous ramène dans le Nord avec ce trio de personnages qui aiment Jean Gabin, mais qu’on verrait bien chez Bruno Dumont. »

En ouvrant le roman, on laisse derrière soi une couverture nous invitant à l’abandon; L’abandon dans une plénitude bercée par l’insouciance et la liberté. Et les trois protagonistes au départ se jaugent, tout en ayant conscience que leur apparaît concrètement ce qu’ils étaient venus chercher. On s’insère, aussi, dans un tableau naturaliste en croisant cette faune côtière nordiste riche  qui ne laisse pas de marbre. 

Pascal Dessaint possède cette écriture suintant l’humanité et la bienveillance spontanée. Il la met en exergue pour affirmer ses convictions et scander ses valeurs cardinales. Si l’avenir lui décerne des prix, je lui décernerai le Prix de la Page 111 dont l’extrait montre les aspirations et les motivations d’écriture d’un écrivain attachant:

« Thibaut s’est demandé à quoi ça rimait, si on se moquait de lui. Il ne se l’est pas demandé longtemps.Un grand coup de pied dans la chaise sur laquelle il était assis l’a fait basculer en-avant. A peine le temps de réaliser et Loïk l’attrapait par la ceinture du pantalon et le col de sa veste. Il l’a soulevé haut. Thibaut ne pouvait pas être plus pantelant, tel un scarabée à agiter les pattes dans le vide. Loîk ne m’avait jamais paru aussi affreux, avec son nez rongé et ses traits creusés, par la vilaine vie, l’ignoble labeur. Ses muscles étaient durs et luisants comme les anneaux d’une ancre de cargo. Il a trainé Thibaut sur vingt mètres sans qu’il touche le sol. Et Thibaut gueulait comme le cochon qu’on suspend et éventre, et bientôt les boyaux coulent dans la poussière….. »

Or sur ces plages les grains de sable sont légions et ils marchent au pas cadencé. Et, nos trois larrons, se remettent alors en question car l’accomplissement de leur rêve libertaire s’effrite. (comme la baraque de Loïk!) Entre chouettes, phoques et libellules le tableau vivifiant s’assombrit telles des pénalités tombant irrémédiablement sur un découvert non autorisé. 

En y croisant Gabin, Pascal Dessaint instille, de même, une couleur sépia au tout et une nostalgie érigée comme un code de valeurs et de sens. Un livre, plus une fable, que l’on aimerait narrer au coin du feu avec de dives bouteilles réconfortantes. 

« Ah ! Nous y voilà ! Ma bonne Suzanne, tu viens de commettre ton premier faux pas ! Y a des femmes qui révèlent à leur mari toute une vie d’infidélité, mais toi, tu viens de m’avouer 15 années de soupçon. C’est pire ! Eh bien que t’as peut-être raison : qui a bu boira ! Ça faut reconnaître qu’on a le proverbe contre nous » Jean Gabin dans « Un singe en hiver ».

Roman dont l’horizon nous éclaire et nous berce d’une langue simple, imagée et “magnificent”. 

Le zénith nous manque mais l’auteur nous sert un bel opus rassérénant!

Chouchou

L’ÉTÉ MEURT JEUNE de Mirko Sabatino / éditions Denoël

L’Estate Muore Giovane

Traduction: Lise Caillat

La botte transalpine, et plus particulièrement les Pouilles, ce sont des saveurs, des goûts, des odeurs, des images ancrés dans notre imaginaire et nos représentations…La période estivale reste propice aux histoires d’enfance ou d’adolescence qui resteront gravées dans les mémoires. Et, l’on va suivre un trio lié par un pacte, relié par une amitié indéfectible qui frise l’amour confraternel. Ces trois jeunes garçons, complémentaires sur des caractères façonnés par des histoires familiales loin d’être aisées à assimiler, construisent leur vie et tentent de profiter de leur enfance soudée tel un triangle équilatéral. Ils assument leur rôle au sein de leur famille respective et s’abreuvent les uns aux autres pour s’affirmer dans le passage compliqué de la préadolescence. Et puis, l’été c’est la liberté, les jours qui s’étirent, les amitiés qui se transforment, des idylles naissantes mais c’est aussi des caps qui se franchissent, des isthmes que l’on laisse derrière soi.

«Été 1963, dans un village des Pouilles. 

Primo, Mimmo et Damiano, trois garçons de douze ans, passent le temps comme ils le peuvent dans les ruelles écrasées de soleil de leur quartier. La vie n’est pas simple, pour ces amis inséparables : le père de Primo est mort, celui de Mimmo est à l’asile, celui de Damiano interdit à sa femme de quitter la maison. Et lorsqu’ils quittent leurs foyers, c’est pour se trouver confrontés à une bande d’ados qui s’amuse à les tourmenter et à les humilier… 

Seulement, cet été-là, les trois garçons décident de ne plus se laisser faire. Ni par ces imbéciles d’ados ni par personne d’autre. Ils font un pacte, un pacte de sang, mais ignorent alors qu’un terrible engrenage vient de s’enclencher, qui précipitera la fin de l’été et de leur enfance. »

L’insouciance de l’âge rime avec la période saisonnière. On s’érige comme pourfendeur de la justice, lutteur des injustices. Et les trois jeunes compères n’ont pas peur des conséquences, ils combattent, ils s’escriment à faire face à la fatalité, à la fatuité de leurs aînés. Ils tentent, pour autant, de tracer leur ligne de vie sur des valeurs cardinales en démontrant une maturité confondante. Le tableau pourrait paraître esthétique à plus d’un titre or il va s’entacher. Là, leurs existences vont définitivement s’infléchir et les couleurs chaudes de l’été s’assombriront.

Mimmo et Primo font une confiance absolu en leur phare Damiano et c’est lié par ce fameux pacte qu’ils agiront en leur âme et conscience. Chamboulée, la rationalité s’oppose à un devoir implicite de vengeance. C’est ce devoir qui les fait entrer de plain-pied dans le monde des adultes qui eux-mêmes ont perdu le sens manichéen. La tourmente et la plongée en enfer sont imparables mais ils assument. Le trio s’en relèvera t-il? Le monde des adultes est une fatalité pavée de bonnes intentions? Peut-on entrevoir une reconstruction ou une résilience salvatrice? 

L’auteur transalpin, doué d’un style de conteur, se complaît à transformer une histoire de potes en un récit qui brise des destinées, qui noircit une fresque dont les couleurs chatoyantes s’estompent au fil des pages.

Pur et dur!

Chouchou


L’ Artiste d’ Antonin Varenne / La Manufacture de livres.

Allez, je ne vais pas y aller par quatre chemins ce texte est poignant. L’auteur nous a habitués à la qualité dans ses précédents romans et en se plongeant dans un polar au sens littéral du terme, il ne se perd pas. D’ailleurs y’a t-il un consensus pour la définition du terme polar? En tous les cas, Antonin en connaît les codes, il maîtrise le rythme et façonne des personnages qui permettent de cadrer son noir récit. L’apanage des grands auteurs, c’est aussi maîtriser un style sans y paraître, se l’approprier sans que le lecteur n’est conscience des efforts consentis. A n’en pas douter, l’auteur domine son sujet et nous ravit d’une lecture qui accapare, où le plaisir reste si fort qu’on la fait traîner en longueur. Car il faut dire, aussi, que les protagonistes croqués permettent inévitablement à s’identifier ou à ressentir une réelle bienveillance, compassion.

« 2001. Les nuits parisiennes voient naître un nouveau monstre. Un serial killer s’en prend aux artistes, transformant chacune de ses scènes de crime en oeuvre mêlant esthétisme et barbarie. L’inspecteur Heckmann, flic vedette du moment, se retrouve en charge de cette très médiatique affaire et se lance dans la traque. Mais bientôt il lui semble que tous ces crimes ne sont qu’un moyen pour le tueur de jouer avec lui… Avec ce roman policier, Antonin Varenne révèle une fois de plus son incroyable talent à nous entraîner dans une course infernale où ses personnages doivent lutter contre leurs propres démons autant que contre le fracas du monde. »

On est à Paris en 2001 et le premier de la classe de la Police Judiciaire est aux prises avec une série de meurtres dans le milieu de l’Art. L’esthétique se mêle au sordide et à l’innommable. Or l’homme de loi présente ses anfractuosités, ses fêlures et dans son isolement, quasi pathologique, il trouvera des alliés de circonstances pour le moins surprenants et contrastés. L’auteur prend le temps de décrire les différents profils et leur associer leur propre histoire sans, pour autant, nuire au rythme romanesque. Et, cette petite musique nous envahit sans prévenir avec force, persuasion et finesse. Elle nous trotte dans la tête et ne nous lâche pas. Addictive, on est perpétuellement poussé à rouvrir le livre pour connaître la suite. Mais, comme précisé ultérieurement, on laisse infuser et on se plaît à disséquer les pages afin de prolonger le contentement. Antonin Varenne manie la plume avec aisance et peut se targuer d’y inclure une dose poétique. Qui peut aborder les écrits de Saint Augustin tout en faisant sens à la trame criminelle? 

Mais il aborde, plus prosaïquement, des thèmes du quotidien tel l’héritage, la parentalité, l’amitié, le couple pour se fondre dans un tableau noir et sang. De part ce parti pris, il humanise avec sincérité et sensibilité le paradoxe d’une série d’homicides qui graviront les marches une à une de l’horreur à l’état brut. Sans déflorer la chute du roman, je peux me poser résolument la question si Antonin Varenne apprécie le cinéma américain de base adepte des happy-end? Quoique…

C’est ragaillardi et rasséréné que je referme ce livre en ayant pleinement conscience d’avoir lu un ouvrage de qualité par un auteur brillant qui sait mêler sa belle plume aux desseins pourtant sombres.

Antonin Varenne est un artiste!

Chouchou.


TOP 2018/CHOUCHOU.

Présentation des livres qui auront compté en cette année. L’intransigeance et nos avis pour le site sont ceux de lecteurs et non de critiques et je n’ai, nous n’avons, pas de diktats éditoriaux. Le filigrane laissé par cette sélection en est un témoin. Les ouvrages qui suivront n’obéissent pas un classement mais à un ordre chronologique.

Simple Mortelle de Lilian Bathelot/ La Manufacture de Livres

Le roman a eu retentissement particulier à sa lecture de part sa sensibilité et la plume maîtrisée par l’auteur. Une histoire parsemée de pleins et de déliés laissant libre cours à la justesse des sentiments dans un déni de justice.

Jaune Soufre de Jacques Bablon/ Jigal Polar

Le littérateur dégrade ses écrits dans sa série chromatique et le moins qu’on puisse concéder est qu’il a eu le nez fin en cette année 2018! Il tricote, de nouveau, un récit puissant qui fait mouche.

Power de Michaël Mention/ Stéphane Marsan

Comme précisé dans ma chronique à la sortie du livre, Michaël Mention sait et tente perpétuellement de se renouveler. Là, il enfile un gant de cuir noir pour nous conter les histoires de symboles de cette (r)évolution. Percutant!

Salut à toi ô mon frère de Marin Ledun/ Série Noire

L’auteur de critique sociale a eu besoin de souffler et de se fixer un objectif nouveau. Il y est parvenu haut la main en s’inscrivant dans la lignée de ses pairs issus de la collection. Vivifiant!

Le Salon de Beauté de Melba Escobar/ Denoël

L’écrivain colombienne a tissé une fresque sociale et sociétale de son pays. L’écriture soignée nous conte le désespoir et les rêves déçus.

Mamie Luger de Benoit Philippon/ EquiNox


Sous couvert d’une satire l’auteur nous a aussi présenté un biais relationnel. Dans ce face à face les positions et les rôles s’érodent pour laisser place à une profonde empathie pour les protagonistes.

Tout Cela je te le Donnerai de Dolorès Redondo/ Fleuve

L’auteur basque espagnole possède le don de captation. Son roman, à l’instar de son triptyque, fait mouche avec ce style fluide bien à elle.

Deux Femmes de Denis Soula/ Joëlle Losfeld

Pourquoi faire long quand on a cette capacité à exprimer de beaux sentiments qui vous transportent? Denis Soula nous le prouve dans ce condensé de vérités et de désespérance. Bijou!

Darktown de Thomas Mullen/ Rivages Noir

On est à l’aune d’une série qui promet par la force de son liminaire. Documenté et agencé d’intelligente manière, on attend le prochain!

Chouchou


DARKTOWN de Thomas Mullen / Rivages Noir

Traduction: Anne-Marie Carrière

On est en Georgie dans la ville la plus peuplée de l’état suivant la seconde guerre mondiale. Pour la première fois des agents du département de police sont recrutés parmi la communauté noire. Dans cette atmosphère électrique, où malgré une volonté politique de poser les fondements d’une concorde et d’une égalité de façade, on assistera à la coexistence de deux unités policières distinctes. Et justement, l’équité de traitement, de mission, de statut restent loin d’atteindre son but. Le plafond de verre est toujours solide mais des hommes tentent de faire évoluer les lignes en se battant avec leurs armes.

«Atlanta, 1948. Sous le mandat présidentiel de Harry S. Truman, le département de police de la ville est contraint de recruter ses premiers officiers noirs. Parmi eux, les vétérans de guerre Lucius Boggs et Tommy Smith. Mais dans l’Amérique de Jim Crow, un flic noir n’a le droit ni d’arrêter un suspect, ni de conduire une voiture, ni de mettre les pieds dans les locaux de la vraie police. Quand le cadavre d’une femme métisse est retrouvé dans un dépotoir, Boggs et Smith décident de mener une enquête officieuse. Alors que leur tête est mise à prix, il leur faudra dénouer un écheveau d’intrigues mêlant trafic d’alcool, prostitution, Ku Klux Klan et corruption. »

En se lançant dans cette saga, Thomas Mullen, nous offre une vision, sa vision, d’une Amérique amputée de ses forces vives en n’octroyant pas les mêmes chances à ses différentes communautés. C’est de cette période trouble et charnière de la fin des années 40, début des années 50, que se situe son propos. Il nous permet alors de suivre deux binômes policiers, l’un blanc, l’autre noir. Et leur combat se détermine par leur histoire, leur passé. Entre courage d’affronter l’injustice ou abnégation de conserver des acquis raciaux, les frictions seront légions et conduiront à une désinhibition de valeurs opposées.

Thomas Mullen transpose avec maestria son propos dans ce sud U.S où règne ambivalence, discrimination et violences raciales. Il dépeint avec justesse et documentation une période qui sera un des points de départ d’un volonté émancipatrice de ce peuple opprimé. En mettant en scène un duo d’agents noirs face à leur « pendant » blanc, il s’éloigne de l’écueil du manichéisme. Chaque tentative de créer de la liberté, de l’égalité fait face à des actes contraires aux vertus de fraternité. Et c’est bien en cela que le roman est moins binaire qu’il n’y parait. L’enquête en toile de fond est révélatrice de ce que le politique refuse de voir. Il l’entraperçoit, il le distingue plus ou moins clairement mais se refuse à l’avouer.

Cette série policière sera adaptée à l’écran et l’on peut se ravir à l’idée qu’elle soit partie sur des bases solides teintées de noir lumineux. L’auteur dessine un tableau romanesque, qui contrairement à la quatrième de couverture, m’évoque les peintures sans concession de Pelecanos.

Ville noire, ville blanche saisissante!

Chouchou.

DEUX FEMMES de Denis Soula / Joëlle Losfeld

Deux courbes, deux arcs de vie. Deux destinées, deux passés. Le duo féminin est sur une ligne de départ aux couloirs parallèles. Pour l’une c’est une épreuve de vie, pour l’autre, un choix. Le ciel annonce le tumulte et la grisaille, la collision la noirceur…

«Quelque part en France, deux femmes qui ne se connaissent pas vont se rencontrer le temps d’une nuit. Ensemble, elles vont lutter pour résister à l’assaut d’un commando terroriste. La première endure depuis plusieurs mois le deuil de la plus jeune de ses filles. Elle raconte la douleur, les nuits sans sommeil et les mille gestes du quotidien. La seconde est une tireuse d’élite chargée d’éliminer des criminels de guerre. Entrée dans les services secrets en 1981, elle raconte la fièvre et l’enthousiasme des premiers jours de l’alternance politique puis la lente et cruelle perte des idéaux de sa jeunesse. Sa mission la ramène sur les terres de son enfance à la poursuite de l’auteur d’un attentat. »

Denis Soula, romancier originaire du Lot, vivant en la capitale, est l’un des réalisateurs de Jazz à FIP. Il écrit aussi de temps à autre pour Rolling Stone ou Libération. Cet écrit est son troisième à être édité chez Joëlle Losfeld.

En brossant les esquisses de deux femmes aux parcours antagonistes, il nous soumet à deux couleurs, deux perspectives. Entre celle qui subit et qui observe sa vie et l’autre qui précocement a tenté le pari de l’émancipation violente. S’affrontent alors des philosophies opposées où se conjuguent l’avancée avec un but clair et la crainte du sur-place lestées par la perte de sa chair.

En s’attardant sur ce qui construit ces femmes, ce qui les motive, ce qui les anime, il apporte une profonde empathie pour ses personnages. Il semble creuser le sillon de ces existences avec une acuité émotionnelle, une compréhension non feinte de leurs idéaux. Ce sont pourtant deux femmes qui n’ont plus guère d’illusions mais, pour autant, ne se résolvent pas à l’abandon, au lâcher prise. Elles font montre d’un courage étincelant qui justement éclaire leurs voies respectives.

C’est sous une plume captive de raptus, d’affections, qui exaltent le propos, qu’il nous invite à nous laisser s’émouvoir par la contiguïté de ces deux êtres. Il nous laisse, sans crier gare, nous rendre compte que les parallèles deviennent sécantes.

L’économie du mot, des pages ne souffrent aucunement d’un sentiment d’inachevé bien au contraire, il extrait un substrat de souffle vital au travers SES deux femmes. Ces deux femmes étendards d’une modernité, d’une force viscérale, refusant le déterminisme et la permission de s’infliger un emprisonnement dicté par les accidents de la vie.

Concentré de force!

Chouchou.

 

Entretien avec Joe R. Lansdale pour la sortie de HONKY TONK SAMOURAI / Editions Denoël

L’auteur texan a le sens et le souci du divertissement. Mais il a plus d’une corde à son arc. C’est avec délectation et émotion que j’ai pu faire sa rencontre à l’occasion d’un court passage parisien, invité au salon Toulouse Polar du Sud. En voici le fruit de nos échanges.

Quelle est la genèse de la série Hap & Leonard?

Globalement je peux dire que Hap c’est moi et Leonard est un assemblage de personnages que j’ai rencontrés au cours de ma vie. Dans ma pratique des arts martiaux, j’ai remarqué qu’il y avait des gays mais qui ne montraient par leur appartenance et c’est donc sur cette base que j’ai créé le personnage de Leonard.

 Y avait-il un propos, un message, ou une volonté particulière pour cet opus?

Je n’aime pas trop la notion de message mais le principal c’est qu’il y ait toujours dans mes publications des idées politiques, ma vision de l’Amérique, mais je pense que dans celui-ci il y a un petit peu moins d’éclairage sur celle-ci. J’ai surtout voulu produire un divertissement, réunir les différents protagonistes et éléments des précédents ouvrages de la série.

Nous pouvons avoir une vision biaisée du Texas oriental, quelles en sont les valeurs et les scories de cet état du Dixieland?

Je viens de cette région et j’adore cet endroit, j’y ai rencontré les gens les plus gentils, solidaires, affectueux, évidemment il coexiste l’exact contraire mais je pense que c’est comme partout à dire vrai. Or il y a quelque chose de très indépendant dans la culture du Texas oriental, très particulière, telle une bénédiction et une malédiction concomitante. C’est très particulier le Texas oriental, c’est énorme comme la taille de la France et on imagine que c’est désertique, mais c’est le Sud complet. On dit que c’est derrière la barrière de pins, il n’y a pas de désert, de montagnes, il y a des arbres, des crocodiles. Du côté culturel et dans la musique en particulier, c’est tel un combo de musique mexicaines, afro américaines, très marquées.

Trouvez vous, justement, que Hap et Leonard sont là pour en gommer les aspérités ? ( ou les souligner)

Je pense qu’ils montrent les deux côtés, le bon et le mauvais, la complexité et la contradiction de cet état. Ils portent un rôle de « Morality plays » (une allégorie théâtrale du vice et de la vertu). J’écris du polar !
Ce ne sont pas du tout des héros mais je n’aime pas non plus le concept d’anti-héros, ils sont juste profondément humains. Ils tentent d’être meilleurs, ils essayent de correspondre à l’idéal qu’ils se sont fixé. Pourtant ils tuent, ils possèdent des armes, mais en fait ils sont un peu comme tout le monde et c’est cela qui me plait.

Deux aventures de Hap & Leonard sont en attente pour l’édition française, qu’en est de la série T.V. et quel regard portez-vous sur cette adaptation ?

J’en suis très satisfait en tant qu’auteur de la série. Je pourrais toujours dire que tel ou tel plan, telle ou telle scène aurait pu se tourner différemment. C’est trois saisons et il n’y aura pas de suite. James Purefoy est un homme bien, les acteurs sont les meilleurs amis à l’écran comme dans la vie.

Avez-vous définitivement abandonné l’épouvante ?

J’écris des histoires courtes tout le temps. J’ai remporté deux prix Bram Stoker en six ans. J’ai écrit un livre « Drive-in », j’estime qu’il n’y pas de genre, et en ce qui concerne l’horreur j’affectionne particulièrement la nouvelle. C’est classifié aux Etats Unis comme de la science-fiction. J’ai déjà pris des pseudos, plus pour m’amuser pour écrire des petits papiers plus jeunes ou dans un contexte de « ghostwriter ». Les éditeurs aiment bien les catégories mais vivant de mon écriture je suis très bien comme ça et je n’ai pas la nécessité de changer mon nom en fonction de « genres littéraires ».

Quels sont vos tuteurs littéraires ? Et lisez-vous de la littérature actuelle?

Mark Twain, Harper Lee « To kill a mockingbird », Elmore Leonard dans ses premières années, Flannery O’Connor, Carson McCullers, Fitzgerald, Steinbeck, Raymond Chandler, James Cain, Dashiell Hammet, Rob Dennis, James Ross, Charles Willeford. On pourrait en parler toute la journée !
Dans les actuelles, James Lee Burke est probablement le plus grand styliste du noir, Helen Gilchrist « In the land of dreamy dreams » un recueil de nouvelles.
En fait je lis surtout des classiques, je lis en ce moment Don Quichotte et une biographie de Bruce Lee ayant pratiqué des arts martiaux pendant 55 ans. C’est une personne très très importante à mes yeux.

Vos romans donnent l’impression d’avoir un rapport direct avec le cinéma, ou pourrait-on suggérer l’inverse, que le cinéma a nourri votre littérature ?

Le film noir, beaucoup de films noirs. John Ford, Howard Hawks, John Sayles, Roger Corman qui a énormément influencé « Drive-in ».
Je vais réaliser un film l’année prochaine dont le scénario a été écrit par mon fils, adapté d’une nouvelle que j’avais écrit dont le principe était que chaque auteur devait parler d’un tableau de Edward Hopper «New-York office ». On attend que le projet se finalise.
J’ai écrit pas mal de scénarios pour les Batman T.V. , Superman et le fils de Batman. Le réalisateur de Walking Dead va réaliser une adaptation d’un de mes écrits pour Netflix.
Il y avait un film culte très « américain » mettant en scène Elvis avec une momie qui est truffé de références sur sa vie et les studios Sun Records. La femme de mon frère est allée à l’école avec Elvis et était amie avec Johnny Cash, ma fille, Kasey, étant produite par John Carter Cash.

On a l’habitude, marque de fabrique, d’illustrer pour Nyctalopes, par un titre musical collant à l’ouvrage et/ou à l’auteur. Pourriez-vous illustrer notre entretien ? (en rapport avec l’opus ou un titre marquant ces derniers temps)

Je pense à ma fille Kasey Lansdale « Sorry Ain’t enough » dans une veine Country-Blues, qui joue dans la seconde saison de Hap & Leonard très 50’s.

Personnellement j’avais fait le choix d’un titre de Johnny Winter « Honky Tonk »

Je ne l’aime pas car j’étais en procès contre lui. Sur une brouille musicale, une satire d’un de ses titres, il nous a réclamé de l’argent. Pas d’humour bien que ce soit un artiste incroyable…accro à la Coke et scientologie.

Cette rencontre n’aurait pu se dérouler sans l’entregent de Joséphine Renard, attachée de presse -fée- des éditions Denoël, et Dana Burlac, éditrice de Lansdale, pour sa capacité d’interprète texane. Merci beaucoup pour cette mémorable rencontre!

Le 9 Octobre 2018 dans un bistrot parisien.

Chouchou.

AU COEUR DE LA FOLIE de Luca D’Andrea/ Denoël

Traduction: Anaïs Bouteille-Bokobza

Luca d’Andréa a une indéniable faculté de conteur. Il nous tend la main pour nous guider sur son sentier. Un sentier, pas une route, car l’homme est un homme de la terre, un homme des montagnes, un artisan. Il nous convie d’ailleurs de nouveau dans sa région natale, le Sud Tyrol. Et son roman tournera autour de quatre personnages cardinaux. Chacun possède un sens caractérisé de son existence, leur philosophie et leur construction divergent sur bien des points. Or ils se découvriront des bulles d’aspirations et des atomes qui auraient pu correspondre. Leurs lignes de vie resteront parallèles et s’insinueront dans des gouffres de désillusions et de funestes vertiges.

«Italie, hiver 1974. À bord d’une Mercedes crème, Marlene fuit à travers le Sud-Tyrol. Elle laisse derrière elle son mari, Herr Wegener, et emporte les saphirs qui lui avaient été confiés par la puissante mafia locale. Alors que, devenu fou, il retourne la région pour la retrouver, Marlene prend un mauvais virage et perd connaissance dans l’accident. Simon Keller, un Bau’r, un homme des montagnes, la recueille et la soigne. Marlene se remet petit à petit dans un chalet isolé, hors de portée de poursuivants pourtant infatigables, et fait un jour la connaissance de Lissy, le grand amour de Simon Keller. »

Le récit s’articule donc à travers quatre personnages qui défient leur passé dans l’espoir de se construire un avenir. L’un est à la tête d’une organisation délictueuse. En ayant la main mise sur différentes activités licencieuses, il possède une certaine aura et le respect, la déférence dans la population craintive. Sa jeune épouse a, pour elle, l’appréhension marquée de se perdre dans le tourbillon du péril marital. Un événement la poussera à s’en détacher afin de conserver son libre arbitre. Le troisième protagoniste est un pur montagnard dans la droite ligne d’une famille des monts enneigés. Il puise sa culture et sa force dans l’inflexible confiance en la nature et son enseignement rigoriste d’une vie d’alpage. Cette quadrature se lie par un homme entouré par un halo de mystères et d’effroi magnétique. Ils évolueront donc les uns autour des autres formant un cercle maléfique.

Ils s’attirent, se repoussent, se cherchent, s’évitent, mais auront tous d’âpres face à face. Dans le roman on ressent que le point de rupture peut apparaître à la prochaine page ou au prochain chapitre. De part ses qualités intrinsèques, l’auteur nous fait perdre haleine et construit une tension crescendo. De même en faisant appel à l’univers des contes noirs il instille une atmosphère qui vrille les sens, nos croyances. Il permet que s’installent des failles, des gouffres dans un trajet sans cesse sinueux. De plus en plus il crée le malaise. Nos sens sont déroutés mais surtout notre raison s’effrite, se lézarde.

Les trois quarts du roman possèdent ces capacités sans nul pareilles mais j’ai ressenti dans l’épilogue un délitement de la cohérence et quelques invraisemblances. La clôture aurait mérité, probablement, d’être plus mesurée pour rendre le tout crédible.

D’ Andréa, je me répète, a un talent hors pair de conteur, cette facilité pour raconter des histoires, flirtant avec la fable, néanmoins si son récit conservait son unité jusqu’au final il n’en aurait que plus de force.

Fable noir percutante!

Chouchou.

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