Lundi 21 novembre à 10 heures, au 7 de la rue Gallimard à Paris, ont été présentés aux libraires parisiens, les percutants programmes de la Série Noire et de la Noire pour l’année 2023. Un bien bel endroit à l’ambiance feutrée, un haut-lieu de la littérature française.
Stéfanie Delestré et Marie Caroline Aubert, éditrices des collections étaient présentes : Stéfanie Delestré était accompagnée par tous les auteurs français qui ont dévoilé leurs nouveaux romans dans un exposé d’une dizaine de minutes chacun, l’éditrice ajoutant, par ailleurs ses propres commentaires. Marie-Caroline Aubert a introduit avec talent et humour les auteurs étrangers qui seront au catalogue, on salive déjà mais on en reparlera plus tard avec elle, elle a promis !
Concernant les auteurs français, en 2023, la SN sort l’artillerie lourde… que des quinquas expérimentés qui ont déjà montré leur valeur… Manquent peut-être quelques plumes féminines. Néanmoins, ça a méchamment de la gueule :
Thomas Cantaloube, Marin Ledun, Caryl Ferey, Antoine Chainas, DOA, Olivier Barde-Cabuçon, Jacques Moulins, Sébastien Gendron et Pierre Pelot (absent mais ayant laissé un message de présentation).
Bien sûr, on vous reparlera de ces romans au moment de leur sortie, mais voici déjà quelques mots sur chacun d’entre eux, quelques notes griffonnées à partir des dires des auteurs.
Par ordre de sortie dans l’année et sans commentaires partisans malgré l’envie qui tenaille.
BOIS-AUX-RENARDS (contes, légendes et mythes) deAntoine Chainas
Roman situé dans la vallée de la Roya en 1986, aux débuts de la consommation de masse. Un couple tue des femmes pour ses loisirs mais une gamine est témoin d’un des meurtres. Un roman noir teinté de fantastique (mythes et contes).
Roman sur la lutte contre le trafic de stups et très proche d’un roman procédural avec une lutte entre les services de police. Roman familial, les liens du sang et les thèmes de la vengeance et de la responsabilité.
A EUROPOL, un fonctionnaire cherche à faire reconnaître le terrorisme d’extrême-droite, inquiet sur ce qu’est en train de devenir l’Europe braquée sur la menace islamique, oubliant la lente et sûre montée de l’extrème droite. Dans le viseur, l’Italie.
HOLLYWOOD S’EN VA EN GUERRE de Olivier Barde-Cabuçon.
1941, Charles Lindbergh, l’engagement de Hollywood pour l’entrée en guerre des USA. Un hommage au cinéma noir et blanc et à Chandler avec une détective de choc Vicky Malone.
Roman proche des Visages écrasés sur les techniques de vente et de consommation mais dans le contexte nigérian. Par l’enquête sur l’assassinat de deux jeunes prostituées, on découvre le Nigéria et les expérimentations que peuvent se permettre les grandes firmes internationales pour vendre leurs produits, et en l’occurence ici, de la bière.
On retrouve les trois personnages de sa série sur les années 60 et on fait un bond de cinq ans dans le temps pour se rendre en Guadeloupe où le département d’outre mer ressemble plus à une colonie qu’à un territoire de la république. Une manifestation contre la vie chère est réprimée dans le sang.
L’auteur de plus de deux cents romans dont “l’été en pente douce” revient à ses premières amours, le western.
A la fin de la guerre de sécession, quatre sœurs sont victimes d’une bande de hors-la-loi.L’une meurt et les trois autres vont arpenter l’Arkansas et le Missouri pour se venger. Roman très violent.
Un citoyen britannique s’installe en Charente Maritime orientale. Les relations avec les autochtones et notamment les chasseurs vont vite se détériorer.
Y’a du dossier et ça rigole pas ! Alors je respire un grand coup, j’écrase ma cigarette et je suis à vous…
Nouvel opus mastoc à la Série Noire donc pour Marin Ledun. Et changement de trajectoire aussi. Après les deux agréables épisodes à tendance socialo-foutraque de son Club des Cinq rhodanien, perché et bordé de sourires jaunes et noirs (Salut à toi ô mon frère et La Vie en Rose), le voici de retour dans le dur et le sérieux. Ce garçon sachant tout (bien) faire, capable de nous régaler d’un sprint (sa novella Aucunebête aux éditions In8) ou, comme ici, de nous faire haleter tout au long d’un marathon de 600 pages, Leur âme au Diable est une autre réussite, en équilibre entre enquête fouillée et galerie de personnages solidement charpentés.
Différence notoire : après nous avoir habitués à des unités de temps et de lieu quasi théâtrales, l’auteur monte pour le Diable un ring sur-mesure à 360 degrés, du Havre à Bagnolet, de Grenoble à Carquefou, de Podgorica à Brindisi, sur lequel les petits morflent et les gros prospèrent. Le sujet : l’industrie du tabac, ses coups tordus et ses connivences politiques, ses coups bas et sa communication tapageuse, ses trafics en tout genre, trafics de matières premières et d’influences concomitantes. Vingt ans (1986 à 2007) de bases nicotinées défilent en volutes plus ou moins troubles pour échafauder un habile roman noir au parfum de thriller façon american blend. Et on n’y meurt pas que du cancer lorsque les énarques sans scrupules et leurs hommes de main vous ont dans le collimateur. Pour un peu que vous mettiez en danger la courbe ascendante de leurs profits, voire leur propension à festoyer à l’unisson, il serait illusoire de donner cher de votre épiderme. Policiers, syndicalistes, s’y risquent. Pas bon ça ! Comme si les pouvoirs statutaires et établis pouvaient s’attaquer à ceux de l’argent sale et aisément gagné. Et puis quoi encore ? Manquerait plus que les larbins aient voix au chapitre. Qu’il s’agisse d’éplucher des comptes de sociétés ou de rendre une gamine à des parents éplorés, qu’ils soient OPJ ou petit lieutenant provincial, les flics de service enchaînent les impasses et les pistes muettes. Pour rester dans le thème : tous leurs efforts partent en fumée.
De corruptions encore plus nocives que les addictions, Marin Ledun tire un réquisitoire goudronné, sans éclaircie ni vague espoir de rédemption. Goliath reste Goliath et David reste un mythe. Un peu de brouillard azoté et bleuâtre se dissipe vers la fin, bien sûr. Quelques malfrats rejoignent les cieux, quelques comparses pataugent dans les embrouilles. Mais pas de quoi se refaire une virginité pulmonaire. Les métastases du système ont encore de beaux jours devant elles. La loi Evin n’y fera rien, ou si peu…
Malgré toutes les attentions du chien Dagobert, qui ici s’appelle Kill-Bill, le Club des Cinq frangins et frangines de Rose n’est pas une sinécure. À elle la garde des trois plus jeunes depuis que les parents, Charles et Adélaïde, ont décidé de s’octroyer une pause polynésienne aussi méritée qu’insoucieuse. Qu’à cela ne tienne, Rose est solide. Certes. Mais la flopée de nuages qui se donne rendez-vous sur ses jeunes épaules ne tarde pas à la faire chanceler. Entre le cambriolage du salon de coiffure de sa copine Vanessa, des meurtres opaques dans l’entourage de sa sœur Camille et un test de grossesse sournoisement positif, elle tangue. Mises à part quelques bulles d’air entre les bras bienveillants de Richard Personne, lieutenant de police aux yeux verts et futur papa perplexe, la vie de Rose n’a plus rien de rose et le tempo s’accélère dangereusement. Pourtant, dans la tourmente, elle garde cet indéfectible sens de la répartie réjouissante qui déjà éclairait les interlignes du précédent opus Salut à toi ô mon frère.
On l’aura compris, Marin Ledun revient sur ses terres de Tournon-sur-Rhône pour un nouveau tour de piste de la famille Mabille-Pons, ses Malaussène à lui, en plus carabinés serions-nous tentés de préciser pour enfoncer le clou. Vous l’avez déjà lu mille fois (même l’argumentaire de l’éditeur le mentionne) mais un parallèle avec les personnages de Daniel Pennac est inévitable. Nous y ajouterons volontiers un zeste d’Enid Blyton, l’impertinence en plus, le puritanisme en moins, pour souligner les franches aptitudes de l’auteur pour le roman d’aventure allègre et turbulent. Si ses thèmes sociaux de prédilection, habituellement plus noirs et appuyés (Les visages écrasés, Ils ont voulu nous civiliser…), restent la charpente d’une histoire de belle tenue, chaque situation (L’idée de ces strip-pokers en EHPAD, non mais sans dec’, Marin ! Ces chapitres 15 au commissariat ou 16 au collège…), chaque personnage, même furtivement de passage, donne lieu à de petites digressions scintillantes au gré des humeurs de Rose, souvent chafouines mais toujours sous-tendues d’un humour pétillant. Oui, on sourit beaucoup, à chaque page, d’un mot malin, d’une tournure pimpante. Bonne raison d’ailleurs pour ne rien divulguer, pour ne rien galvauder d’une citation hors contexte. « Sabotaaaage ! » hurlerait Rose en poussant le son des Beastie Boys.
Mais Camille disparaît et les commissures se figent. Le ciel se plombe aussi sûrement qu’un de ces albums de Heavy-Metal chers à Rose, voire se calamine comme un roman d’Harry Crews, plusieurs fois cité par notre narratrice et serial lectrice ardéchoise. L’humour se la met en veilleuse. Les phrases raccourcissent et le rythme court contre la montre. Et même si la brève mise en cellule de Rose a la cocasserie résistante, l’heure est grave. Alors, toutes les forces en présence, les Mabille-Pons en abscisse et la police en (forcément) ordonnée, se lancent dans la résolution d’une équation à pas mal d’inconnus.
En diluant le noir dans les couleurs de l’arc-en-ciel, en ouvrant sa palette aux pastels, Marin Ledun s’impose encore un peu plus parmi les valeurs sûres du polar français. Nous n’en sommes nullement surpris, juste une nouvelle fois conquis.
Entre deux pavés en Série Noire, l’entériné Salut à toi ô mon frère et l’attendu La vie enrose, Marin Ledun s’accorde une courte pause chez In8. Enfin, parler de pause frise d’emblée le hors sujet, tant l’écriture de l’auteur ignore les bâillements et les entractes grassouillets, tant son propos du jour surtout nous scotche dans les starting-blocks d’une course noire et asphyxiée.
Le sujet : le running de 24 heures, un truc de dingo, tel qu’on le célèbre bouche bée dans les clubs pour bobos en combis fluos, de loin, sans y participer, et gageure pour l’auteur de transformer en sprint un marathon puissance 5,8.
Accusée de dopage, huit ans auparavant à cause d’un médicament sensé soigner une méchante rhino-pharyngite, Vera Maillard revient dans le circuit pour reprendre à Michèle Colnago, sa rivale de toujours, sa place en haut de l’affiche et ses heures de gloire. Parlons-en d’ailleurs de la gloriole induite Nous ne sommes pas ici au Stade de France ou sur la scène du Madison Square Garden, mais sur une obscure piste provinciale. Là, les corps sans graisse ni grâce ne sont plus que des machines de fond, de fond que l’on touche aussi, lorsqu’il faut composer avec l’usine, la famille et les entraînements arrachés dans les interstices d’un quotidien gris.
« Courir n’avait aucun sens et c’est précisément cela qui en faisait toute la beauté. Courir était son œuvre d’art à elle. Un modèle de liberté et de résistance aux forces obscures du monde qu’elle laissait à ses filles en héritage. Un bras d’honneur magnifique brandi à la face de l’injustice de la vie des femmes comme elle. »
Telle une scorie de cette boîte de décolletage où trime Vera (Scorie ou talisman ? Nous n’en dirons pas plus…), Marin Ledun puise son titre d’un parallèle entre ces forçats du bitume, smicards de l’effort, et Henri Guillaumet, célèbre pilote d’avion naufragé en juin 1930 en pleine Cordillère des Andes, qui survivra juste à la force du mental et déclarera à Saint-Exupéry, venu le chercher, « Ce que j’ai fait, jamais aucune bête ne l’aurait fait ».
Alors, victoire ou défaite, le décor sent l’échec avant même que le top départ ne soit donné. Et bien sûr, il ne saurait en être autrement, même si tout le monde gagne, même si tout le monde perd. La compétition est omniprésente, à chaque page, mais le match se joue sur un autre ring, celui des rapports truqués (une autre pratique ponctuellement sportive) entre hommes et femmes.
Lui-même pratiquant d’ultrafond, Marin Ledun fait de cette seconde novella pour la collection Polaroid de Marc Villard (après No More Natalie en 2013) un habile alliage de l’une de ses passions et de ce terrain social où il excelle également, réussissant au passage une brute confrontation entre beauté du sport et laideur du sexisme primaire. Un texte sombre et magistral donc, d’une intemporelle actualité. Salut à toutes les mères qui gueulent…
C’est le retour de l’auteur dans cette grande maison d’édition et cette collection. Il y a une autre couleur dans ce roman mais il ne renie en rien ses interrogations, ses réflexions sur notre société au travers de cette tribu.
1/ Respiration ou envie compulsive? (dans le sens « exercice de style »)
Pour moi c’est différent sur le style , sur la forme mais en fait c’est dans la continuité. C’est à dire que cela reste du roman noir, roman de critique sociale, simplement ça fait 10, 11ans que je publie, je suis pas uniquement ce que l’on lit dans mes romans noirs, très noirs, j’ai aussi d’autres facettes en tant que personne mais aussi d’autres facettes en tant qu’écrivain et donc c’est un mélange des choses. Il y a à la fois des envies personnelles sur les thématiques qui sont abordées, sur le fait que j’avais envie de rire à ce moment là, peut-être plus que d’habitude, enfin je ris quand même dans la sphère privée. J’avais aussi envie d’explorer d’autres manière d’écrire, de me lâcher sur des dialogues, d’avoir des personnages hauts en couleur et pas forcément rongés en permanence mais de continuer mon travail de romancier dans la continuité. Il y a cette question que l’on me pose depuis une dizaine d’années, une question amusante, bien qu’au début je la prenais mal, « Quand est-ce que vous écrivez un vrai roman? », car il y a des gens qui sont complètement fermés au polar. Alors ce n’est pas pour m’adapter à ça, c’est simplement que j’écris des romans pour être lu sur des sujets qui me sont chers, sur des questions que je me pose et pour lesquelles je n’ai pas de réponses, pour essayer de poser ces questions dans un récit de fiction et donc je me suis demandé si ma seule manière d’explorer, dans « Salut à toi ô mon frère » comme dans « La Guerre des vanités », la condition pavillonnaire, la petite vie de province, ce qui se passe dans ces petits endroits, qui se passe à la campagne, pas tout à fait à la campagne mais pas dans le tout urbain, je me pose la même question mais différemment avec un mode narratif complètement différent et avec le temps l’aspect de me faire plaisir encore plus dans l’écriture. Car depuis 10 ou 11 ans, j’ai appris l’écriture et j’ai envie de voir des choses nouvelles tout en restant dans mes préoccupations, je ne pense que je vais changer du tout au tout là-dessus. Je n’écrirai pas un jour, sans jugement aucun, un gros thriller qui tâche avec des serial killers car ce n’est pas chez moi quelque chose qui m’attire, ce mode de questionnement sur la société la lutte du bien contre le mal ce n’est pas ce que je crois. Le roman noir ce n’est pas forcément que l’histoire est noire, vous pouvez avoir des formes amusées, amusantes comme les romans de Jean Bernard Pouy ou bien dans certains romans de Sébastien Gendron, d’une autre manière, mais on peut avoir des formes extrêmement sombres. Je prends souvent l’exemple de Willocks, c’est souvent du roman noir très noir, qui passe du thriller, tel « Green River », après à un versant historique avec sa série Tannhauser, à la fois il y a toujours le talent de conteur et en tant que lecteur cela ne me perturbe pas. Un autre exemple que je prends c’est Antonin Varenne, « Le Mur, le Kabyle, et le Marin » puis « Trois mille chevaux vapeur » qui passe d’une trame plutôt classique à un roman d’aventures .
2/ L’argumentaire éditorial assume la référence à Pennac, y en a t-il d’autres?
Moi je ne suis pas assez littéraire pour faire des références c’est à dire qu’en fait mes références s’arrêtent aux livres que j’ai lus, j’ai pas fait d’études littéraires, j’ai commencé à prendre conscience du champ des lectures possibles quand j’avais 18/20 ans, j’ai pas forcément baigné, bien qu’il y avait beaucoup de livres à la maison, faire des références je ne sais pas trop faire. Donc Pennac forcément car Pennac publié à la Série Noire, parce que déjanté, parce que Malaussène, le petit côté décalé. Il y a un plaisir à lire ce qu’a fait Pennac, mais j’ai lu il y a longtemps au moment de sa sortie. Le plaisir que j’ai eu à le lire c’est tout ce qui me reste, ce qui est plutôt bon signe. Je dirai tout de même que d’écrire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux c’est JB Pouy, qui est un amoureux de la langue, que j’admire. Et la deuxième, cela fait plusieurs années que j’ai la chance de participer à un formidable festival de roman noir qui s’appelle les Nuits Noires d’Aubusson qui a lieu chaque année au mois de mai, début juin, et qui organise, il a la particularité de ne pas être tourné vers les écrivains, des rencontres avec des élèves de fin de collège, début de lycée participant tous les deux à un prix de collégiens, lycéens, et nous on les aide à débattre, à réfléchir. L’une des particularités de ce festival, c’est que le vendredi soir ils organisent la soirée de auteurs, « Les Presque Papous dans la Tête », à l’origine j’imagine que Cécile Maugis devait être fan de JB Pouy, les auteurs doivent réaliser une sorte de jeu littéraire dont on nous donne les consignes deux semaines avant, la première fois que j’ai eu ça entre les mains, j’ai botté en touche. Sans mesurer l’importance que cela avait pour l’événement et j’ai écouté la prose formidable et je me suis régalé de les écouter. Donc je me suis pris au jeu l’année suivante et surtout j’ai appris à parler en public, à dire des choses qui ne me correspondent pas, une facette de moi qui n’est pas forcément la mienne que j’ose montrer. C’est à dire faire rire les gens autour de bons mots, encaissant l’ attention à ce que l’on écrit, à la langue, etc…Ce sont des jeux littéraires assez pointus, cela semble un peu foutraque mais il y a des gens, je pense à Laurence Biberfeld, qui démontrent tout leur talent à chaque fois qu’ils se lancent. Donc j’ai osé participer à ça et cela m’a aidé, je peux faire mon métier sérieusement mais j’ai le droit de rire, de faire rire.
3/Comment peut-on concilier dérision, décalage, et burlesque avec des thèmes sérieux?
Parler d’écriture, c’est parler d’artisanat. Surtout sur quelque chose de nouveau pour moi , il me faut une histoire, des personnages pour l’incarner et un style, c’est à dire un manière, un angle de vue, un ton pour raconter cette histoire là. Dans le cas présent, j’ai un ton différent, je vais avoir des personnages qui sont traités de manière totalement différente, on va rentrer dans des réflexions, des réactions que d’habitude je vais éluder, je vais mettre en avant plutôt le côté sympathique des personnages, donc c’est une manière de travailler complètement différente. Pour répondre à ta question franchement, j’ai du mal à prendre du recul là-dessus et à savoir comment je vais procéder, tout ce que je peux dire c’est que d’une part j’ai été soutenu par Stéphanie (Delestré, directrice de la Série Noire) qui me suit depuis le livre « Un Singe en Isère » pour le Poulpe, elle a toujours été l’une des premières lectrices de tous mes romans donc elle sait très bien ce que je fais. Quand j’ai décidé de m’engager dans cette voie là, elle m’a dit oui ça fait partie de toi, tu peux y aller. Je suis toujours attaché à ce qu’il y ait une tension narrative.
4/ Malgré les sourires, les rires étouffés à sa lecture, j’ai perçu le pan d’une société déprimée , de la douleur. Qu’en pensez vous?
C’est un roman contemporain, mes personnages sont chacun à leur manière, pour certains dans l’autodérision, en colère, vraiment en colère mais leur colère se transforme en joie de bouffer la vie et une joie de lutter. C’est à dire, l’idée c’est que la petite résistance quotidienne dans cette famille très soudée, cette famille idéale de gens qui se serrent les coudes, plus qu’une famille, une petite communauté qui sont prêts à accueillir plein de gens, il y en a d’ailleurs, ce flic nommé Personne, les petits amis, les petites copines, c’est l’idée que cette communauté est soudée dans une forme de résistance classique; La mère fait une grève de la faim. Et à la fois une résistance du pauvre, des vaincus, on sait bien que l’on ne va pas changer le monde mais une résistance par l’exemple, par la joie, par la fête, par le rire, par le plaisir, faire l’amour c’est une forme de résistance, allez contre les idées reçues c’est une forme de résistance, se questionner on a besoin de ça. C’est une famille nombreuse de six enfants mais ce n’est pas l’archétype de la famille nombreuse que l’on imagine très catholique ou très intégriste alors que là non, car on aime la vie!
5/Est-ce un « one Shot »?
Alors ce n’est pas un One Shot parce qu’il y en a un deuxième d’écrit avec les mêmes personnages. Il y en aura peut-être d’autres, je verrai comment celui-ci est reçu, si moi je continue à prendre du plaisir à en écrire un troisième. Un moment donné cela fait partie de ma progression, j’ai d’autres projets dont un roman noir sur l’industrie du tabac, pour l’instant je n’ai pas avancé. La comédie c’est aussi une manière de questionner.
6/ On revient, aussi, à vos racines, était-ce vital ou le lieu se prêtait au récit?
« La guerre des vanités » se passait à Tournon, qui n’est pas drôle, il y aussi « Luz » chez Syros qui doit se passer à 200m à vol d’oiseau où Rose vit avec sa famille et puis une novella « Gas-Oil » aux éditions In8 , ce sont des lieux qui me sont chers, que je connais bien. Le lieu est important car il n’y a pas d’individu sans culture et que la culture, encore quand on vit dans des zones rurales, la culture c’est aussi l’environnement immédiat, en l’occurrence c’est très agricole, peu industriel à l’endroit où ça se passe, un peu de tourisme dans la vallée du Rhône. Ce qui m’intéresse le plus c’est que Tournon est comme ces petites villes de province qui ont grandi, qui ont ce petit caractère universel.
7/ Beaucoup de références musicales et littéraires, on balaie votre univers mélodique et écrit?
Ce qui est sûr c’est que j’ai mis beaucoup de moi dans le personnage de Rose, en fait je suis très éclectique en littérature, peut-être un peu plus obtus dans ma culture musicale, Métal et Punk, donc Rose a beaucoup hérité de tout ça et à la fois quand on écoute du Métal, on peut être touché par des chansons que l’on renierait en public. Rose est un peu enfermé dans ces choses là, pleine d’énergie et à la fois elle peut rire et écouter d’autres choses.
8/ Roman récent, ou pas, qui vous a touché dernièrement.
« Ayacucho » de Alfredo Pita chez Métailié, journaliste péruvien, parlant les années 80, des années de terreur.
Et « My Absolut Darling » de Gabriel Tallent chez Gallmeister. A noter la très belle traduction de Laura Derajinski.
9/ Un titre musical pour illustrer votre ouvrage ou l’entretien. (hors Béruriers Noirs)
Les Béruriers Noirs m’ont donné l’accord pour ce titre. Je les en remercie beaucoup.
Entretien réalisé dans les locaux de Gallimard avec le concours professionnel et bienveillant de Christelle Mata, Stéphanie Delestré, ainsi que de l’équipe Folio. Je remercie l’attention portée à ce que cette entrevue se déroule dans des conditions confortables et que tout simplement elle ait lieu.
Marin nous a habitués aux écrits sociaux, politiques, ou purement et simplement sombres. On rentre là dans un exercice de style dont il ne nous avait pas habitués, bien qu’en interlignes de l’humour, du burlesque pointés. Comme précisé par l’éditeur, et donc assumé, l’auteur se livre, ouvert, à un effort de la trempe de Daniel Pennac, époque Malaussène. Sans « traîtrise », sans le goût de la resucée, il nous expose un roman tel une soupape de respiration, pour expulser un pan algique de son existence qu’il combat par la dérision mais pas que…
«Un père, une mère et leurs six enfants. Deux filles, quatre garçons. Une équipe mixte de volley-ball et deux remplaçants, ma famille au grand complet. Neuf en comptant le chien. Onze si l’on ajoute les deux chats.» La grouillante et fantasque tribu Mabille-Pons : Charles clerc de notaire pacifiste, Adélaïde infirmière anarchiste et excentrique. Les enfants libres et grands, trois adoptés. Le quotidien comme la bourrasque d’une fantaisie bien peu militaire.
Jusqu’à ce 20 mars 2017, premier jour du printemps, où le petit dernier manque à l’appel. Gus, l’incurable gentil, le bouc émissaire professionnel a disparu et se retrouve accusé du braquage d’un bureau de tabac, mettant Tournon en émoi.
Branle-bas de combat de la smala ! Il faut faire grappe, retrouver Gus, fourbir les armes des faibles, défaire le racisme ordinaire de la petite ville bien mal pensante, lutter pour le droit au désordre, mobiliser pour l’innocenter, lui ô notre frère. »
Chaque phrase, chaque paragraphe, chaque chapitre est l’occasion de se référer à des repères de culture musicale, littéraire, politique ou populaire. Toutes les virgules sont des sourires, tout point est le moment de reprendre une inspiration. L’inspiration, il en montre et contribue à nous immerger dans des souvenirs, des étincelles gravées sur du 8mm. Cette vie de tribu ardéchoise propose l’archétype d’une existence communautaire bardée de valeurs humanistes. (ce n’est peut-être pas le hasard que ce département en est le décor!…) car l’homme originaire de ce lieu bordant le Rhône, face au pays drômois, pourrait s’enorgueillir, dans son histoire contemporaine, d’avoir prôné des formes alternatives du vivre ensemble. L’empreinte radiculaire, de rien, est bel et bien affichée, or il n’est pas un partisan mais nous délivre en filigrane des messages sur la déliquescence de notre société et ses valeurs morales. En pointant son bic tel un baron, pas de l’écluse, sur l’amoralité, le racisme « ordinaire », l’emballement médiatico-populaire propre aux réseaux sociaux, ah ça me fait rire, ou à la conciergerie de petites communes.
De part ses esquisses appuyées de personnages hauts en couleurs, où les histoires singulières succèdent aux histoires singulières, de profils riches mais atypiques, l’auteur croque à pleines dents dans (son) un idéal du nucléaire, sans fission mais avec une énergie inextinguible, à la Sady Rebbot.
Quand le thermomètre engrange les degrés Celsius ce ton frais, sans être dans la conserverie Belle-îloise, permet de temporiser car les références sont multiples, sans monter la sauce, le travelling balaie nombre d’artistes de tout poil. Et il est dru, prurigineux, non! pas ferrugineux, le bulbe pileux en évitant le capillotracté. On reçoit, on exulte, on se rebiffe pour la félicité de Gus, en scandant la liturgie politique et chansonnière des Béru.
Marin Ledun a su parfaitement distiller ses influences en passant par Pennac, Jean Baptiste Pouy, Hervé Prudon et j’ai aussi ressenti par certains côtés une verve à la Boudard. Si la principal motivation de son roman fut l’expression d’une douleur calicielle et son expulsion grâce à JJ, force est de constater qu’elle ne m’a pas laissé de pierre.
Fraîcheur de vivre à Tournon-Tain à s’en taper les côtes!
Au décours d’une nuit, où les éléments naturels se déchaînent et que le dieu Eole trace son impitoyable sarabande, les existences de cinq hommes se trouveront mêlées dans des affrontement sans retour. La côte landaise en est le décor, les pinèdes formant un paysage reproductible à l’infini, et les haines, les colères couplées à cette apocalypse nous décriront un bal bien macabre.
« Thomas Ferrer n’est pas un truand. Pas vraiment. Les petits trafics lui permettent de sortir la tête de l’eau, même si la vie n’a pas été tendre avec lui. De petits larcins en détournements de ferraille, le voilà face à face avec un truand, un vrai cette fois. Celui-ci, laissé pour mort par Ferrer, embarque deux frères assoiffés de vengeance à la poursuite de son agresseur. La traque sera sans pitié, alors qu’une puissante tempête s’abat sur la région. Une histoire envoûtante où les éléments se déchaînent en même temps que les passions, au service d’une profonde humanité. »
Les petits boulots, un horizon flou ou masqué, des destins qui n’ont jamais pris leurs élans, des fréquentations délétères, pour les uns, le passé telle une chape de béton qui cloue le présent dans une gangue d’acrimonies, de remords, de sur place, de haines injustifiées envers autrui pour les autres. C’est dans cet assemblage surprenant que le réel violent s’entredéchire avec, comme bien trop communément, l’avidité, la cupidité en points d’orgue.
Si l’on devait admettre ou rechercher des points convergents avec son précédent écrit, « En Douce », ils se situeraient irrémédiablement dans ces face à face. Néanmoins les ressorts symptomatiques, qui amènent ces protagonistes à se combattre n’ont pas les mêmes étiologies. Là, le filigrane et l’agent causal n’est pas aussi évident de prime abord, mais le recul et la digestion se faisant, on prend conscience que l’on est encore face à une descente inexorable nous clouant à ce résultat. Descente favorisée par les cicatrices d’un passé, par des choix qui n’ont pu s’affirmer ou s’ouvrir tels des sas vers une chaleureuse lumière.
Marin Ledun garde son cap, affirme son message et réussit, avec une âpreté identitaire, la friction de personnalités dont le vernis ne permet pas la compatibilité. L’enjeu des émotions, dont la pudeur reste de mise, évolue dans une transcendance favorisée par un écrit ramassé qui sied à sa narration et au récit conté.
La civilisation a du bon mais l’imposer avec intransigeance est voué à l’échec.
Rugueux, me faisant évoquer à une référence littéraire : « Laissez bronzer les cadavres »
L’auteur a une place dans le monde littéraire du noir en possédant cette volonté d’afficher les problèmes sociaux, sociétaux contemporains. Je tiens à le remercier pour sa disponibilité et sa bienveillance.
Entretien réalisé par correspondance les 5 et 6 mars 2017.
Chouchou.
Les pictographistes.
/Vous faites partie d’une génération d’écrivains, de romanciers, à tendance noire tels que Pascal Dessaint, Michael Mention, Franck Bouysse, possédant une identité affirmée, des thématiques propres, peut-on dire que vos matières d’écritures électives se rangent dans une veine sociale, à l’instar de votre dernier effort en date « En Douce » alors que précédemment dans « L’Homme qui a vu l’Homme » ce critère n’était pas mis en avant?Continue reading
Marin Ledun est un auteur reconnu qu’on aime beaucoup chez Nyctalopes. L’auteur de « No more Natalie » a peu écrit sur l’Amérique mais sait très bien en parler. On retrouvera le Marin Ledun du roman social noir de « Les visages écrasés » et « En douce » prochainement dans un entretien avec Chouchou. Continue reading
Une revanche qui semble préméditée, muée par une logique implacable aspire Emilie à incarner des personnages sur des profils empreints du sceau du tourment. On navigue en eaux troubles dans cette descente en enfer. Ce face à face noir khôl permettra au lecteur de se faire sa propre analyse, son propre ressenti, sa propre histoire…
« Sud de la France. Un homme est enfermé dans un hangar isolé. Après l’avoir séduit, sa geôlière, Émilie, lui tire une balle à bout portant. Il peut hurler, elle vit seule dans son chenil, au milieu de nulle part. Elle lui apprend que, cinq ans plus tôt, alors jeune infirmière, elle a été victime d’un chauffard. L’accident lui a coûté une jambe. Le destin s’acharne. La colère d’Émilie devient aussi puissante que sa soif de vengeance.”
Entre alternance du présent et vision du passé, nous, lecteurs, sommes aux prises avec une vie fissurée, fracturée, « amputée »…Son tracé sinueux qui ne cesse de s’infléchir vers l’échec, les rêves brisés, le destin embrumé pousse sensiblement, mais variablement, à l’empathie alternative. (Tant pour l’agressé que pour l’agresseur). Leurs existences irrémédiablement liées et, surtout, leur duel présenteront les signes progressifs du syndrome de Stockholm.
Emile la noire, l’éclopée, pourrait être l’addition, la résultante, d’un système, d’une société qui brise les destinées, qui ne tend pas la main à ceux qui le nécessitent. Les problématiques soulevées telles que l’origine sociale, le handicap, l’épuisement professionnel en représentent bien des stigmates. Malgré la volonté, Emilie sombre, Emilie se noie dans sa conscience, dans son subconscient. Insidieusement, puis comme une évidence, sa psychose se matérialise derrière le personnage de Simon.
Sa cible, elle se la représente comme le mille, comme la solution, la réponse à ses maux. Et le discours, le prisme rhétorique choisis par l’auteur ouvre à l’oscillation ambiguë de personnalités confondues. Elle se cherche, ON la cherche dans ces échanges humains râpeux, abrasifs. De ce tourbillon de rancœurs s’opérera une inflexion surprenante et l’on découvrira un binôme inattendu symboles d’un miroir des âmes.
Déstabilisant, incisif sur un ressenti de lecture strictement personnel…
Lacéré, évidé le roman se veut une reconstruction par la vacuité de l’effacement d’un virage en épingle de vie.
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