Traduit en quarante langues, 18 millions de lecteurs, est-il nécessaire encore de présenter Arnaldur Indridason, l’auteur qui a créé la vague islandaise qui sévit sur la France depuis quelques années ? Nyctalopes a chroniqué l’auteur six fois en huit ans et nous ne voyons plus vraiment que dire ou ajouter sur ses romans. L’éditeur, lui-même, a compris que chaque roman d’Indridason trouvera son public. Alors à quoi bon se fouler pour une couverture ? Un paysage tourmenté qui évoque peut-être l’Islande et le tour est joué.
“Une veuve trouve un vieux pistolet dans les affaires de son mari et l’apporte à la police. Une vérification montre qu’il a été utilisé pour un meurtre non résolu depuis de nombreuses années. Konrad, un détective à la retraite, s’y intéresse car son père a eu une arme similaire…
Konrad nous apparaît ici dans toute son ambiguïté morale, aux prises avec les démons de son enfance auprès de ce père malhonnête, dangereux et assassiné par un inconnu. La soif de vengeance le domine, mais il résout les crimes restés sans réponses claires dans le passé. Il regrette un certain nombre de ses actes et essaye de s’amender.”
On a sûrement été nombreux à regretter la disparition d’Erlendur, il y a quelques années. L’apparition de Konrad, nouvel héros détective a eu un peu de mal à passer. Mais cette cinquième enquête prouve le talent d’Indridason à rendre aimable des personnages aussi imparfaits que ce flic bourru maintenant à la retraite et toujours méchamment hanté par le meurtre de son ordure de père.
Généralement, l’auteur aborde un problème de la société islandaise mais avec le temps et les volumes déjà parus, il lui est encore difficile d’être original et dans Les parias, il traite des thèmes déjà évoqués précédemment comme l’homophobie, la pédophilie et la maltraitance familiale. De sa formation d’historien, l’Islandais a gardé et cultivé le goût de fouiller dans le passé pour trouver les clés permettant de résoudre des affaires et une nouvelle fois, la violence actuelle fera écho à la souffrance et la douleur des années 60 et enfin, cerise sur le gâteau on connaîtra la vérité sur la mort de son père.
Alors, rien de bien nouveau mais toujours cette qualité d’écriture, des sentiments nobles, une empathie sans cesse renouvelée pour les faibles, les bannis. Du bon polar !
Doug Johnstone est un auteur écossais basé à Edimbourg fort d’une œuvre conséquente de treize romans dans son pays et que nous découvrons aujourd’hui en France avec Breakers daté de 2019.
“Tyler est un adolescent débrouillard qui vit avec sa petite sœur dans l’un des quartiers les plus malfamés d’Édimbourg. Sa mère est une junkie et son grand frère, aussi brutal que toxique, l’oblige à participer au cambriolage des maisons huppées de la ville. Au cours d’un vol, une femme est laissée pour morte, mais Tyler apprendra très vite à qui elle était mariée…”
Tyler est l’exemple type du bon môme né dans la mauvaise famille. Il est continuellement harcelé par son demi-frère, une ordure toxico particulièrement dépravée. Sa demi-sœur, mis à part la violence est de la même engeance, la pire d’un quartier délabré de la capitale écossaise. Qu’à cela ne tienne, Tyler fait contre mauvaise fortune bon coeur. Il tente de tenir à flot une mère alcoolo et toxico ne vivant que pour la dose ou la bouteille qui lui permettront de partir égoïstement dans des paradis artificiels. Mais il y a aussi Bean, sa petite sœur, adorable petite boule de tendresse qu’il tente de protéger de la laideur du monde, sa seule raison de ne pas fuir avec d’autres horizons forcément plus accueillants.
“Il fallait à peine dix minutes en voiture pour passer des quartiers les plus déshérités d’Edimbourg aux résidences des millionnaires.” Le terrain de chasse est donc très proche et le frère de Tyler peut ainsi pratiquer de pitoyables cambriolages, lui assurant l’argent nécessaire pour se farcir les narines de cocaïne. C’est aussi l’occasion d’extérioriser cette violence jusqu’au jour où ça dérape, le barbare poignardant la femme d’un des caïds de la ville.
Le roman qui avait mis un peu de temps à montrer le caniveau dans lequel se débat Tyler s’accélère et devient méchamment flippant, la tension rendue terrible par les agissements incontrôlables du frangin abruti qui met la vie de toute la famille en danger. L’histoire devient violente, effrénée et parfois apte à vous briser le cœur. On reprochera éventuellement à Doug Johnstone d’en faire beaucoup dans le pathos, dans la narration d’un univers noiricissime, mais on tient avant tout un bon roman noir, solide, dur et en même temps très émouvant, touchant.
Parfois, toujours, rétorqueront certains, il vaut mieux s’effacer devant les propos de l’auteur:
“Écrire ce livre ne m’a pas coûté. Cela a été un processus organique, comme vomir. Cela ne m’a pas coûté, ce qui ne veut pas dire que j’y ai pris plaisir, mais je suis content de l’avoir fait.
Dans les pages qui viennent vous trouverez une histoire centrale reliée à d’autres histoires secondaires. Toutes sont affligeantes dans les grandes lignes : j’en ai connu le fond. Le récit central va plus loin, il va au bout de l’échec, il s’enfonce de tout son poids aussi profond que possible, et est sans aucun doute susceptible de descendre plus bas que le niveau atteint par les lettres que je forme.
Il y a dans ce livre des vies qui se déroulent dans des profondeurs auxquelles on a du mal à croire qu’il est possible de s’habituer. J’ai moi-même du mal à y croire alors que je l’ai écrit pendant un an. Il n’y a pas de héros véritables ni de victimes revendiquées ; ce n’est pas une réalité à l’élégance “noire”, avec des bienfaiteurs à la morale douteuse, qui ont de la classe et du mystère, imparfaits et attirants ; il y a de la déformation, de la sauvagerie et de la cruauté.
Mais il n’y a pas non plus de méchants sans nuances. De fait, il n’y a pas de méchants, et pas de bons non plus, ni d’antipodes saillants. Il y a un autre monde avec d’autres règles, avec d’autres limites, et avec des principes, des certitudes, des haines et des amours qui ne correspondent pas aux canons acceptés par ceux d’entre nous qui acceptent les choses et les publient sur Internet, qui font des discours et donnent des conférences, qui boivent des verres à New York comme à Medellín…”
Ce propos qui cogne est le préambule de Les morts et le journaliste. Il est l’œuvre d’Oscar Martinez journaliste d’investigation et écrivain salvadorien qui travaille pour elfaro.net, journal en ligne spécialisé sur les sujets de violence, migration et crime organisé. Ses articles et enquêtes sont fréquemment relayés par El pais et le New York Times. On lui doit également El Niño de Hollywood, lecture affolante qui raconte la Mara Salvatrucha 13, gang de gamins crevant la dalle créé à L.A. dans les années 80 dont les membres les plus dangereux avaient été rapatriés par Reagan au Salvador au début des années 90 et qui est devenu un véritable fléau sur tout le continent américain avec des ramifications un peu partout dans le monde.
“C’est une mafia, oui, mais c’est toujours une mafia de pauvres. Le secret c’est que leur rêve n’est pas de devenir riche, mais d’être quelqu’un. Quelqu’un de différent de ce qu’ils étaient. Parce certains d’entre eux, comme Miguel Angel, étaient pauvres depuis toujours, mais aussi humiliés, frères de gamines violées, fils de parents alcooliques, nomades. Ils étaient le rebut. Personne dans cette vie ne veut être Miguel Angel Tobar.” extrait de El Niño de Hollywood.
Les morts et le journaliste s’intéresse à l’autre versant de la violence, celle qui est légitime , l’œuvre de la police salvadorienne dans “des affrontements” que Martinez traduit par des “massacres”. Il raconte avec une sincérité touchante ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, ce qu’il a subi, sa colère, sa rage, ses peurs, sa tristesse, ses regrets, ses larmes. Le Salvador est un des endroits les plus dangereux de la planète et pour beaucoup de mômes nés au mauvais endroit un seul choix: tuer ou être tué…Et Oscar Martinez est au milieu de la boucherie.
L’ouvrage est très douloureux et pourtant c’est une œuvre importante sur le journalisme, son éthique, la recherche de témoignages, la diffusion ou non d’informations très compromettantes pour les émetteurs. Parsement son discours d’anecdotes stupéfiantes, l’auteur se concentre surtout sur l’histoire de Rudi et de ses frères et sœurs qui ont accepté de témoigner. Rudi a quatorze, quinze ans ou seize ans, personne,lui compris, ne sait vraiment. Sa mère a eu quatorze enfants de douze pères différents… C’est un mara, un “bambilla” comme préfère le nommer Martinez, il est déjà impliqué dans sept meurtres et il est le seul témoin d’un massacre orchestré par la police qui veut donc sa peau. Il va tout raconter à Oscar Martinez tout en restant caché dans une auge à cochons pendant des mois.
“Si ce dimanche 16 avril 2017 au soir je ne m’étais pas pointé dans le village de Santa Teresa, peut-être que Herber n’aurait pas été assassiné à coups de machette au visage; peut-être que Wito n’aurait pas été décapité; peut-être que Jessica n’aurait pas été obligée de fuir. Rudi, lui, je crois qu’on l’aurait tué de toute façon”.
Plongez dans la souffrance et la douleur, Oscar Martinez vous attend au fond. Les cojones de ce monsieur, chapeau !
Je suis le châtiment est le premier volet d’une série mettant en scène le procureur Manrico Spinoli della Rocca, grand mélomane, vieil aristo amateur d’opéra lyrique et bien sûr de préférence italienne. On ne vous présentera pas Giancarlo De Cataldo, magistrat romain et auteur du cultissime Romanzo Criminale, qu’on suit avec régularité : Suburra ici et là, Rome brûle,L’agent du chaos, Alba nera.
“C’est un type étrange, le procureur Manrico Spinori della Rocca, un aristocrate de vieille souche, un peu coureur et fils d’une mère ludopathe qui a perdu toute la fortune de la famille au jeu. Mais si on consulte les statistiques, on ne peut que constater qu’il est très fort dans sa partie. Et il travaille avec les meilleurs, une équipe de femmes. De plus, il ne perd jamais son sang-froid, et il en faut quand on enquête sur la mort de Mèche d’or, un vieux beau, chanteur populaire, juré de la Nouvelle Star romaine et producteur de chanteuses débutantes. Les suspects ne manquent pas : une famille affreuse et rapace, un chauffeur silencieux et des jeunes filles naïves.”
Un roman de Giovanni de Cataldo est l’assurance de retrouver une Italie polardesque qui a vraiment du chien, une ville de Rome toujours aussi fascinante et un propos toujours moderne, “politique”, hautement sociétal. Mais nul n’est à l’abri de se planter de temps en temps. Loin de moi l’intention d’affirmer que ce roman est raté, disons qu’il restera peut-être moins longtemps en mémoire que certains de ses prédécesseurs.
Le cadre met un peu de temps à se mettre en place, il faut bien lancer la série et que les personnages principaux, Manrico et sa nouvelle équipe féminine, puissent être rapidement identifiables mais ensuite le suspense est constant, assez prévisible, hélas, mais ça roule, ça fonctionne, ça ronronne un peu, diront les lecteurs assidus de polars. On reprochera aussi quelques clichés, assez pour qu’ils puissent agacer les plus sensibles d’entre nous, des stéréotypes éprouvés, un déroulement assez convenu. Il est certain que la plume experte de De Cataldo et Rome aident à faire passer tout cela mais on reste un peu sur sa faim.
Allegro ma non troppo, Je suis le châtiment, un polar qu’on espérait porté par l’art lyrique et qui joue en fait une musique très classique.
L’islande semble être le nouvel Eldorado du polar pour les éditeurs français. Chacun y va de son auteur en -son ou en -dottir avec plus ou moins de réussite avec parfois un certain foutage de gueule totalement assumé. Un nom avec une fin en -son ou en -dottir et des accents ou des lettres inconnues sous nos latitudes, une histoire avec des souvenirs ensevelis, des gens taiseux, la sauvagerie des éléments, une couverture avec de la neige et une pauvre cabane en bois coincée dans l’immensité glacée ou cachée dans des bois bien noirs pour souligner l’hostilité de la nature et ça roule, le gogo en quête d’exotisme succombe. Après nous avoir longtemps saoulé avec les romans scandinaves jusqu’à l’écoeurement, l’Islande est vraiment la nouvelle aubaine des éditeurs. On en arrive à se demander si en Islande, moins peuplée que la Martinique, on ne naît pas tous avec un stylo pour raconter les malheurs et malédictions enfouis sous la glace. Et peu importe la valeur du polar, du moment que le décor tourmenté soit bien présent.
On ne peut faire ce procès à Métailié qui est en France l’éditeur qui nous a fait découvrir Arnaldur Indriðason, auteur prolifique et certainement à l’origine de la vague islandaise actuelle dans le polar. Dans la foulée, apparut sur le catalogue de l’éditeur, quelques années après, Árni Þórarinsson (Thorarinsson) avec une vue beaucoup plus moderne de l’île, confirmant la qualité notée chez son aîné. Puis, plus récemment, vint Lilja Sigurdardóttir auteure aussi chez Métailié d’une trilogie nommée Reykjavik noir. C’est elle qui nous intéresse aujourd’hui avec un roman au titre un peu désolant mais au contenu recommandable.
“Aurora vit en Angleterre et sa sœur Isafold en Islande, elles sont très différentes et ont des relations compliquées. Isafold disparaît et leur mère, ne faisant pas la différence entre enquêtrice financière et enquêtrice policière, supplie Aurora d’aller chercher sa sœur.
Aurora ne peut pas s’empêcher de pratiquer ce qu’elle fait de mieux, démasquer les fraudeurs et les faire payer. Elle va donc profiter de ce voyage pour examiner de près certains investissements financiers douteux, et analyser la corruption islandaise tout en testant ses capacités de séduction sur deux hommes.”
Ce qui fait avant tout la force du roman, c’est Aurora, son personnage principal tout sauf recommandable. Elle séduit un homme fortuné qui tombe amoureux d’elle et elle entreprend de l’espionner afin de fouiller ses finances tant elle est sûre qu’elle a affaire à un spécialiste du blanchiment d’argent, la fraude fiscale semblant être le sport national en Islande. Elle est tellement accaparée par sa tâche qui peut s’avérer très lucrative si elle arrive à coincer le type et à le dénoncer qu’elle en oublie un peu, beaucoup, l’objectif principal de son retour forcé en Islande, retrouver sa sœur disparue.
Le suspense, sans être fou, on se doute un peu de l’issue de l’enquête, donne néanmoins l’envie de poursuivre tant les pistes sont nombreuses et laissent planer pas mal de doutes. Les chapitres sont courts et donnent un bon rythme à un roman qu’on peut aisément lire d’une traite et poser ensuite sans avoir eu l’impression d’avoir été pris pour un pigeon. Couvrant intelligemment des thèmes comme les violences faites aux femmes, l’isolement, la solitude, la marginalisation, l’émigration forcée, les magouilles financières, “Froid comme l’enfer” est un roman très actuel, de son époque, brassant des thématiques très occidentales et pas seulement islandaises qui séduira un public très étendu, fatigué de certaines fadaises et niaiseries folkloriques proposées par certains éditeurs dont nous tairons le nom.
“Magdalena a quitté le Venezuela pour Madrid, elle est devenue une enquêtrice réputée, tout va bien pour elle, à l’exception d’un amant envahissant et indiscret. On lui propose une nouvelle affaire : un homme politique madrilène lui demande de retrouver sa fille et de la lui ramener, elle aurait été enlevée et retenue à Caracas.
Magdalena est sûre de ses compétences et elle a une arme secrète : des dons que lui a accordés María Lionza, la déesse guerrière vénézuélienne, bref elle est un peu sorcière et a des intuitions salvatrices. Mais rien ne va se passer comme prévu, sa magie est intermittente…”
On avait découvert Juan Carlos Méndez Guédez avec “Les valises” chez Métailié en 2018. Dans ce premier polar paru en France, l’auteur émigré à Madrid dressait un tableau terrible de son pays natal le Venezuela . Il enfonce méchamment le clou avec “la vague arrêtée” thriller de bonne tenue, dont il profite pour pointer la déliquescence d’un pays souvent considéré autrefois comme le paradis socialiste.
C’est aussi le récit du retour pour Magdalena qui a quitté Caracas il y a une quinzaine d’années. Elle redécouvre la corruption institutionnalisée, constate l’explosion de la violence urbaine et le marasme économique rythmé par les pénuries de produits essentiels.
Mais Magdalena n’a pas froid aux yeux et se croit protégée par des dons que lui a accordés María Lionza, la déesse guerrière vénézuélienne. Douée d’une forte personnalité, elle ne craint pas les machos sud-américains, mais va devoir mettre de côté son penchant spirituel pour revenir aux fondamentaux : coups de poings, coups de latte et flingues.
Outre une héroïne plutôt sympathique, le roman bénéficie de pas mal des ingrédients du polar: une détective tenace, une disparition mystérieuse, des fréquentations douteuses, des espions, tout cela à Caracas, la capitale, souvent considérée comme la ville la plus dangereuse du monde.
Adoptant d’emblée un bon rythme où fleure souvent l’humour, “La vague arrêtée” peut très bien se lire d’une traite et vous incitera sûrement à mettre cette destination sur une liste noire.
L’enfer de Caracas, le paradis socialiste de Mélenchon.
“Trois quinquagénaires se retrouvent lors d’une réunion d’anciens élèves d’un lycée de Buenos Aires. Wave, rocker fainéant, convainc deux de ses vieux camarades de partir en week-end sur une plage en Uruguay.
À bord d’une vieille Ford Taunus, Mario, Le Nerveux et Wave prennent la route. Au lieu de retrouver leur adolescence, c’est rapidement leur présent qui s’impose : l’un vit encore chez sa mère, l’autre risque de divorcer et le rocker vient d’apprendre que sa femme le trompe (avec un gars « qui passe son temps au gymnase et écoute Shakira. Shakira ! Tu y crois, toi ? »).
Accompagnés d’une jeune autostoppeuse très enceinte, entre moqueries et petites misères, tout bascule au moment où l’un d’entre eux transpire trop en passant la frontière… De gaffes en malentendus, ce road-trip se transforme vertigineusement en roman noir, mais les héros sont très fatigués.”
« Rien à perdre” est le premier roman de l’auteur uruguayen établi en Argentine Roberto Montana à paraître chez nous. Il est proposé par les éditions Métailié qui font la part belle aux romans sud-américains et spécialement argentins.
Commencé un peu comme le “very bad trip” d’un weekend de trois quinquas un peu dépassés par la vie, entre espoirs déçus et certitudes qui s’écroulent, ce roman provoque par ses dialogues décalés et ses situations souvent scabreuses une certaine hilarité pour peu qu’on aime quand même suffisamment l’humour en dessous de la ceinture.
Mais, très vite, par la trahison de l’un d’entre eux se servant des deux autres pour passer de la came à la douane, le roman prend un aspect beaucoup plus sombre pour tourner à la tragédie.
Roman court, “Rien à perdre” se lit très vite et ne laisse pas un souvenir impérissable tant on ignore où l’auteur veut nous entraîner. La lecture est, somme toute, agréable et s’il n’y a “rien à perdre”, il n’y a quand même pas beaucoup à gagner si ce n’est passer un moment exotique en compagnie de trois mecs dépassés par la vie mais très loin des standards habituels de la collection.
Voici le 4ème opus de la police des rennes, « Les chiens de Pasvik » d’Olivier Truc. L’auteur, spécialiste des pays scandinaves poursuit cette fois-ci l’immersion au cœur de la vallée de Pasvik, un territoire coincé et partagé entre la Russie et la Norvège, véritable réserve naturelle. C’est, entre autres, le lieu de pâturage des troupeaux de rennes, sous la garde des éleveurs Sami, peuple historique de la vallée.
Dans ce décor glacé et sauvage, on retrouve Klemet toujours dans la police des rennes et Nina qui travaille désormais pour le commissariat des gardes-frontières. Ils vont être de nouveau réunis pour éviter ce qui pourrait rapidement devenir un incident diplomatique d’envergure entre la Norvège et la Russie. En effet, une cinquantaine de rennes, appartenant à Piera Kyrö, ont passé la frontière en quête du précieux lichen alors qu’à l’inverse des meutes de chiens viennent semer le trouble du côté norvégien, voire propager la rage.
Il faut bien comprendre l’enjeu et la difficulté de maintenir la paix de part et d’autre de cette frontière, entre les rennes guidés par leur instinct ancestral et les Samis chassés d’une partie de leurs terres, suite au redécoupage de territoire post 2nde guerre mondiale.
Klemet doit donc retrouver et ramener ces rennes tandis que la chasse est ouverte et récompensée pour chaque chien russe abattu, le tout dans une nature glaciale et hostile du côté norvégien et terne, pauvre, désolante du côté russe. On découvre un lien très tendu dans les négociations entre les deux pays, la Russie restant très hermétique et paranoïaque.
En dehors de la trame principale, différentes histoires s’imbriquent, notamment celle d’un père qui doit absolument retrouver son chien disparu, Gagarine, comme forme de rédemption vis-à-vis de sa fille.
De nombreux thèmes sont présents dans ce roman, c’est très dense. Il y a Klemet et son problème d’identité, il est finalement à la recherche de lui-même dans cette enquête. Nina est présente mais nettement plus effacée que dans les tomes précédents (pour ceux qui les ont lus, ce qui est d’ailleurs conseillé pour ma part).
Piera Kyrö est quant à lui le parfait représentant du peuple Sami qui a survécu à toutes les ignominies et oppressions, devenu nostalgique du temps de ces aïeux qui avaient pour terrain de jeu l’immensité de la nature sans frontières.
Bien entendu, sont évoqués, la corruption, le trafic, la mafia du côté russe !
Je ne cite pas tous les personnages car ils sont clairement beaucoup trop nombreux et sans intérêt pour la plupart. Ce qui me laisse en partie très mitigé sur ce roman. Certains passages sont tout simplement remarquables mais trop de personnages, trop de détails, d’histoires annexes m’ont parfois perdu. Le fond est bon, la forme l’est moins, juste sauvée par la qualité de l’écriture. À chacun de trancher.
Intrigo italiano. Il retorno del commisario De Luca.
Traduction: Serge Quadrippani. (il maestro)
Carlo Luccarelli est un grand écrivain italien dont les romans traversent les Alpes pour offrir des histoires policières particulièrement réussies basées le plus souvent dans le passé italien, territorial comme colonial.
“Dans une Bologne sous la neige, quelques jours avant Noël 1953, la très belle épouse d’un professeur universitaire est retrouvée noyée dans une baignoire. Pour découvrir ce qui s’est passé, la police a besoin d’un vrai limier et fait appel au commissaire De Luca, policier de renom pendant la période fasciste et qui avait été mis sur la touche depuis cinq ans. Mais malgré les pistes, les traces et les indices qui s’offrent à De Luca, rien n’est ce qu’il paraît. Épaulé par un jeune policier censé l’aider (ou l’espionner), séduit par une très jeune chanteuse de jazz avec un passé de partisane, le commissaire se retrouve au milieu d’une affaire ambiguë et dangereuse…”
Le retour du commissaire De Luca qui connut ses heures de gloire sous le régime fasciste a sûrement été une grande nouvelle pour les amateurs italiens de l’auteur. De Luca, le jeune commissaire ombrageux, dans la trilogie commencée en 1990 créait un certain malaise. Comment admettre qu’un flic facho puisse être si sympathique? Ici, il revient masqué sur le devant de la scène , des années après ses exploits et pour les fidèles de Lucarelli, c’est certainement une très grande nouvelle. Le fait de ne pas connaître parfaitement le passé de De Luca provoque peut-être un léger manque pour comprendre le comportement du héros, c’est certain, mais ça ne nuit absolument pas à la lecture du néophyte.
Carlo Lucarelli est un grand conteur qui vous immerge dès les premières pages dans l’époque choisie, un théâtre toujours performant sans être abrutissant. La prose d’ailleurs dans cette “affaire italienne” semble d’époque, belle par son caractère désuet, obsolète. Si l’enquête policière, une investigation patiente est en tous points performante puisque rapidement, ce n’est plus un meurtre mais plusieurs qui sont à élucider, elle est aussi le beau moteur pour évoquer la vie, les mentalités, les maux et les peurs de la société ritale des années cinquante.
En à peine plus de deux cents pages, Lucarelli raconte l’arrivée du jazz en Italie, l’homosexualité, la drogue, le racisme, les rancœurs, les magouilles, la guerre froide et le tout d’une manière parfaite, suffisamment évocatrice mais laissant néanmoins une place royale à l’enquête avec son lot de surprises. Bref,”Une affaire italienne” est un bon petit polar, peut-être pas inoubliable mais une nouvelle preuve, s’il en fallait une encore, de l’incroyable richesse et de l’énorme qualité des productions transalpines, de loin les meilleures en Europe.
“la guitare de Bo Diddley”, “j’ai été Johnny Thunders”, “la jambe gauche de Joe strummer”… il est des bouquins dont le titre attire de suite l’amateur de musique et forcément “ l’amant de Janis Joplin” rejoint ce groupe de romans qui n’ont cure de la pile à lire de votre table de nuit.
“Dans le Triangle d’or de la marijuana, le Sinaloa, le jeune David, un peu attardé et naïf, est capable de tuer un lièvre d’un lancer de pierre. Ce qui en fait, malgré lui, un joueur de baseball convoité. À la fête du village, il danse avec une fille interdite, réservée au fils d’un trafiquant. Bagarre. David tue son agresseur. Son père passe un accord avec le trafiquant et l’éloigne. À Los Angeles, il est dragué par une fille qui l’emmène dans sa chambre, le déniaise puis le met à la porte en lui disant qu’elle s’appelle Janis Joplin. Il en tombe éperdument amoureux, se fait virer de son équipe de baseball pour alcoolisme et renvoyer au Mexique. David n’est pas armé pour faire face aux barons de la drogue du Sinaloa. Tout explose autour de lui, dealers, policiers corrompus, guérilleros au coeur pur, femmes fatales et même une voix intérieure. Sa vie devient une course d’obstacles, une fuite continuelle ponctuée de coups de chance. Il va de catastrophe en catastrophe, de situation dangereuse en menaces de mort. Mais il n’a qu’un seul objectif : retrouver son amour, Janis Joplin.”
Roman publié au Mexique en 2001, ce polar fait son apparition chez nous presque 20 ans plus tard et souffre bien malgré lui de la profusion actuelle de romans, séries et films traitant du sujet. La criminalité du narco-trafic supplante de nos jours la vieille maffia rital, le Sinaloa devenant l’effroyable nid de vipères du XXIème siècle au détriment de la Sicile.
Le roman commence comme une très sympathique farce où un pauvre neuneu fuit la vengeance du cartel. David, une espèce de Forrest Gump pour lui donner quelques lettres de noblesse, vit des aventures en tous points réjouissantes, animées par une plume addictive et par une voix intérieure guidant le héros. Mais le Mexique englué dans la corruption et la criminalité généralisée n’engendre pas longtemps le sourire et après une centaine de pages, on plonge dans le cauchemar des Mexicains. En situant son intrigue à la toute fin fin des années 60 et au début des années 70, Mendoza expose le mal à sa genèse et montre le malheur, la terreur et la tristesse des victimes innocentes du hold up d’une nation facilité par un état et sa police parfois plus cruels que les salopards.
Alors, peut-être pas grand chose de nouveau là-dedans mais Elmer Mendoza sait créer l’empathie, rythme intelligemment son histoire et puis il y a l’inaccessible étoile de David, Janis Joplin…
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