Un roman d’ aujourd’hui, speedé comme une ligne de coke, politique, cultivé et bourré de monuments.
Un roman comme Rome, en somme !
Avec une écriture d’une vitalité jouissive, Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo vous proposent un voyage pour la planète Rome !
La Rome d’aujourd’hui, mais sans les touristes, la Rome capitale de l’Italie, siège du gouvernement, aux centaines de restaurants et de boutiques de luxes, des fanatiques de foot – du chef des carabiniers au dealer du bout de la ligne -, et surtout la grande citadine qui fait battre le cœur de ses habitants et de ses banlieusards.
Partant d’une intrigue basée sur la réalisation (ou non) d’un énorme chantier entre la ville et la mer, entre Rome et Ostie la balnéaire, nous entrons dans la peau, nous devenons le maillot de corps des personnages que font joyeusement vivre ( et mourir), de leur plume, les deux auteurs. Ils arrivent, avec cette écriture incisive et sublimée, à nous faire ressentir la sueur, mais aussi la respiration en temps réel non seulement des principaux acteurs du livre, et ils sont nombreux, du Prélat au politique en passant par la petite frappe, le restaurateur, l’artisan iranien, le Bobo des beaux quartiers, la racaille des banlieues, à travers leurs peurs, leurs angoisses, leurs espoirs d’amour, d’amitié, leurs trahisons et leurs volontés de s’enrichir, changer le monde, tirer un coup ou se droguer afin de tenir le rythme, mais aussi à nous faire ressentir la transpiration, la vitalité et la beauté, même miséreuse, de la ville elle-même : Rome !
Un voyage qui part de sous les aisselles de Rome jusqu’à ses ongles manucurés entre lesquels l’on décortique une gambas grillée accompagnée d’un vin d’Ostie.
En retranscrivant leurs pensées, leurs façons de parler nous les accompagnons au volant de leur moto, devant un plat de spaghetti aux fruits de mer, et même le nez planté sur une ligne de coke. Le cœur de la ville bat dans le cœur des personnages et inversement. Dans ce que l’on appelle le joyeux bordel Italien, on assiste à la construction implacable d’un château de cartes, au-delà des parties de sexe, de drogue et de bouffe, la mort rôde, l’honneur guette, la conviction des flics non corrompus se tend, alors que celle des activistes de gauche cherche en permanence à tout renverser, foutre le grand bordel, dans celui, établi, des mafias et des politiques en Italie.
Nous sommes à la fin d’un règne, vingt années de berlusconisme, – d’ailleurs, les pratiques décrites ( et qui avaient cours il y a encore trois ans) éclateront dans une opération main propre diligentée l’année dernière –, l’Italie est la sixième économie du monde, la quatrième d’Europe, et pourtant, ses députés sont les plus payés et les plus nombreux de la Communauté, le budget de l’état sans cesse au bord de l’explosion et le pays est sous la pression d’au moins quatre mafia. Imaginez, en France, une mafia bretonne, une marseillaise, une niçoise et une corse, toutes quatre tentant de dévorer la moindre parcelle de trafic, criminel ou immobilier, le moindre marché public, les mâchoires en permanence plantées dans les chevilles de ces députés, justement, juges et notables au nez blanchi par la poudre, et pourtant, la justice passe à Rome comme ailleurs, car les Italiens savent maintenant comment combattre et reconnaître ces mafia. À tel point que les criminels eux-mêmes se métamorphosent en hommes d’affaires et en politiques, jusqu’à ne plus savoir, à la fin, qui est qui. L’homme est fragile, la chair est faible, et seul l’honneur et la famille ( au sens large) permettent d’y voir clair.
C’est ce qui donne le ton jubilatoire du livre, nous sommes dans la survie, dans l’instant, et malgré cela, les dettes, les menaces de mort, l’Italien n’oublie pas l’amour, l’amitié, la famille, la bouffe, et ( surtout pas) la Roma – et dans une moindre mesure la Lazio.
Nous visitons la ville, traversons des pans d’histoire, du fascisme à la Rome antique, histoire qui semble obséder le Romain lambda.
Mais il faut, je le répète, parler de l’écriture, de sa virtuosité, un roman où l’on se retrouve au côté d’un député en train de pisser ( littéralement) sur sa ville de la fenêtre d’un bordel de luxe, à courir entre les balles la nuit dans les dunes d’Ostie, assis face à un homard dont la vie ébouillantée ne date que de quelques minutes, à parler cinéma et littérature dans une soirée de Bobo-intello de gauche, et enfin, recouvert par la fumée graisseuse de centaines de saucisses grillées dans une des plus grosses rôtisserie d’Italie planquée au fin-fond d’un entrepôt de banlieue.
Les auteurs n’oublient pas de rendre hommage aux anciens, comment parler de la plage d’Ostie sans évoquer Pasolini, comment, dans de nombreuses scènes, échanges et dialogues, ne pas penser, à Sergio Léone, à Ferreri dans la grande bouffe, et surtout à « Les nouveaux monstres » de Risi et Scola ( entre autres).
Un roman en 3D, un flash dans la tête sur une ville belle et sombre, décadente et somptueuse, comme un spectacle au Colisée, à l’époque des empereurs, où les sénateurs renégats, les gladiateurs et les croyants assuraient le show, avant de finir bouffés par les lions.
By JOB
Laisser un commentaire