Chroniques noires et partisanes

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LA FERTILITE DU MAL d’Amara Lakhous / Actes Noirs / Actes Sud

Tair al-lail

Traduction: Lotfi Nia

Algérien de naissance, Amara Lakhous né en 70 , a vécu en Italie à partir de 1995 avant de s’exiler aux USA où il exerce la charge de professeur à l’université de Yale. Il a déjà écrit plusieurs comédies en italien, traduites par Actes Sud. « La fertilité du mal » marque son entrée dans le monde du polar et se trouve être le premier de ses romans écrits en arabe et mettant en scène l’Algérie, comme pour mieux se faire entendre de ses compatriotes.

« Oran, le 5 juillet 2018, fête de l’Indépendance en Algérie. Soltani, colonel spécialisé dans l’antiterrorisme, doit renoncer à profiter de ce jour férié : son supérieur l’a débusqué chez sa maîtresse, où il se pensait injoignable. Car l’affaire est grave. Un ancien combattant du FLN, membre des services de renseignement et magnat du pouvoir algérien, a été retrouvé mutilé et égorgé. »

Soltani, bon flic, marche sur des œufs dès le début de son investigation qui ne durera pas plus d’une journée, ce fameux 5 juillet où l’Algérie s’affranchit de la pression coloniale de la France. Egorger et trancher le nez d’un ancien héros de la révolution algérienne et notable oranais le jour de la fête nationale fait mauvais effet et Soltani est pressé par sa hiérarchie et par le pouvoir de réussir rapidement dans son entreprise. Très vite, trois directions se présentent : la voie historique, la victime a fait partie d’un petit groupe de résistants du FLN ayant connu la clandestinité suite à une trahison dans le groupe jamais élucidée. Une autre, beaucoup plus actuelle avec des soupçons de trafic d’armes avec la Libye et de cocaïne et autres activités coupables très familières à Miloud Sabri la victime. S’y ajoutera l’option familiale parce beaucoup de monde finalement avait très envie d’en finir avec ce salaud de Sabri, protégé par les dossiers qu’il a accumulé sur les gens de pouvoir depuis des décennies.

L’enquête, assez brève et très bien montée, est entrecoupée de retours dans le temps très efficaces : la guerre d’indépendance, la libération, la guerre civile, les diverses politiques mises en place, les luttes de pouvoir… qui permettent de connaître ou de rappeler l’histoire chaotique d’un pays qui n’a jamais réussi à connaître l’accalmie, la paix des braves. Classique dans la mesure où la corruption, les abus de pouvoir, les magouilles financières, ne sont pas l’apanage de cette seule Algérie, La fertilité du mal offre par contre un joli visuel surla particularité algérienne.

Didactique à souhait mais sans excès, avec un suspense tenu de bout en bout, la fertilité du mal s’avère au final un polar tout à fait recommandable surtout si vous désirez découvrir l’Algérie et Oran « la radieuse ».

Clete.

L’ANNEE DU COCHON de Carmen Mola / Actes noirs Actes Sud.

La nena

Traduction: Anne Proenza

Derrière le nom de Carmen Mola, se cachent trois auteurs espagnols. Si les deux premiers Jorge Díaz et Antonio Santos Mercero nous sont inconnus, il n’en est pas de même du troisième, Agustín Martínez dont nous avons énormément apprécié deux romans : La mauvaise herbe en 2017 et Monteperdido en 2020. Reconnaissons que c’est la présence de Martinez qui nous a incité à lire ce roman.

L’année du cochon est le troisième volet d’une série qui en compte pour l’instant cinq et met en scène une BAC (brigade d’analyse des cas) dont le personnage principal est l’inspectrice Elena Blanco dont nous avons pu déjà lire les précédentes enquêtes dans  La fiancée gitane  et Le réseau pourpre  également sortis aux Actes noirs d’Actes sud. Cette collection de polars fait d’ailleurs la part belle aux auteurs espagnols et à leur reconnaissance chez nous. Citons très rapidement les indispensables Victor del Arbol et Aro Sainz de la Maza dont le dernier roman Malart présente quelques similitudes, au début, avec « l’Année du cochon ».

« Après avoir fêté le nouvel an chinois, qui ouvre l’année du cochon, l’inspectrice Olmo disparaît dans des conditions inquiétantes. A son réveil d’un sommeil comateux, trois hommes gravitent autour de son lit, qui attendent de prendre part au festin.
Elena Blanco reprend du Service au sein de la Brigade d’analyse de cas pour mener une enquête qui les conduira dans une ferme sordide recelant des secrets inavouables. »

Ce nouvel opus, très dur, est plus centré sur l’unité policière que sur son héroïne Elena Blanco qui ne réapparait qu’une fois l’intrigue véritablement lancée. La quatrième de couverture parle pudiquement de famille dysfonctionnelle mais appelons un chat un chat, l’inspectrice Olmo se retrouve entre les mains d’une famille de gros malades. Si le roman ne plonge pas totalement dans le gore, les auteurs nous évitant les scènes les plus horribles, les plus dégueulasses (je n’ai pas d’autres mots), il vaut mieux néanmoins avoir le cœur bien accroché et être bien dans sa tête pour apprécier sans traumatisme l’histoire. On pourra regretter peut-être que les auteurs ne fournissent pas plus de raisons d’empathie pour les personnages et on peut très bien lire cette histoire sans éprouver de réels sentiments pour ce qui s’y passe. Néanmoins, reconnaissons que le roman s’avère addictif, les trois auteurs connaissent bien les recettes d’un thriller qui fonctionne : chapitres courts avec toujours un élément qui incite à aller plus profondément dans l’indicible, format assez léger de trois cents pages comme la plupart des romans qui marchent en ce moment et bien sûr une histoire très flippante si on entre vraiment dans ce pandémonium.

Intitulé « l’Année du Cochon », le roman pourrait aussi, tout simplement, s’appeler l’année du porc.

Clete.

LE DERNIER ROI DE CALIFORNIE de Jordan Harper / Actes noirs / Actes Sud.

The Last King of California

Traduction: Laure Manceau

Jordan Harper nous avait stupéfié en 2017 avec son recueil L’amour et autres blessures. Quinze histoires terribles où Harper vous balance au cœur du chaos, juste avant le drame ou l’irréparable, un régal de noir. Ce premier coup de poing sera confirmé par un passage au roman réussi avec La place du mort en  2019, belle histoire d’un père criminel et de sa fille dans un joli mix de suspense et de sentiments “nobles”, alliage qui semble guider l’oeuvre naissante d’un Jordan Harper à la très belle plume par ailleurs aiguisée par l’écriture des scénarios des séries telles que The Mentalist et Gotham.

Le dernier roi de Californie qui sort cette année chez nous a été en fait écrit avant La place du mort et serait donc le premier roman noir de Jordan Harper. Ce dernier a eu d’ailleurs du mal à le placer aux USA devant se contenter d’une diffusion britannique dans un premier temps. Les mystères de l’édition…

Devore, Californie. Luke aurait préféré ne jamais retourner sur les terres de son enfance – l’événement traumatisant dont il a été témoin à l’âge de sept ans l’a changé à tout jamais. Il est hanté par la honte de ne pas avoir su l’encaisser comme un homme, un vrai Crosswhite, en digne héritier de son père, Big Bobby, à la tête du redoutable Combine. Mais une guerre de clans éclate et le fils prodigue se retrouve confronté à ce qu’il a toujours cherché à fuir. La devise de la famille ne laisse aucune place au doute : “Sang et amour”.

Luke, 19 ans et déjà au bout de tout, souffrant du traumatisme de la vision de son père défonçant la tête d’un type à coups de bottes contre le bord du trottoir, décide de retourner dans sa famille, dans le gang criminel de son père là où s’est produit l’abomination douze ans auparavant.  Du haut de ses sept ans alors, il se considérait comme le petit prince puisque son père était sûrement le roi de Californie vu le nombre de gens à se prosterner devant lui. Le rêve s’est brisé ce jour-là. Son retour n’est pas vraiment souhaité mais il est accepté par la famille toujours dirigée par son père depuis Folsom où il est encore incarcéré. On est dans l’archétype, les stéréotypes d’un gang criminel américain où on traficote un peu de tout mais sans autre ambition que d’arriver à se faire de la thune pour la famille pour qui on doit  également donner son sang. Très rapidement, dès la première scène, on découvre la violence inhérente à ces histoires de guerres de gangs et qui imprégnera tout le roman. 

“Un meurtre, ça a quelque chose magique. Des pouvoirs qui font qu’une seule personne tuée exprès hantera bien plus le monde qu’un million de vies écourtées par un accident de voiture ou un cancer. Best Daniels le sait. C’est pour ça qu’avec ses hommes il a crucifié Troy au sol de cette caravane et l’a laissé brûler vif.”

Mais sous cette intrigue qui pue les incendies de forêts, l’adrénaline, la poudre, le graillon et la testostérone en marcel se tisse une toute autre histoire, une initiation, un passage à l’âge adulte pour quatre ados. C’est l’heure des choix pour Luke bien sûr mais aussi pour Callie et “Pretty Baby” aussi fous amoureux que dopés et qui veulent monter une arnaque pour fuir la famille et enfin pour Sam qui voudrait être un bon soldat mais qui ne peut nier ses faiblesses, sa gentillesse. C’est le moment de bascule pour eux, au milieu d’une guerre sans merci qui ne les regarde pas mais qui les frappera et guidera leur vie future. Cet aspect tragédie est le vrai et beau moteur d’un roman qu’on pourrait rapprocher du premier David Joy Là où les lumières se perdent ainsi qu’ à Le monde à l’endroit de Ron Rash.

Le dernier roi de Californie, cauchemar aux accents Thrash Metal hurlant prend aussi souvent aux tripes. Du bon noir.

Clete.

MISSION TIGRE de Mick Herron / Actes noirs / Actes sud.

Real Tigers

Traduction: Laure Manceau

Mission Tigre est le troisième volet de la série La maison des tocards qui en compte déjà huit outre Manche. En France, plus de nouvelles depuis 2017. Cet épisode date en fait de 2016, date à laquelle Mike Herron a repris les aventures de cette officine du MI5 pour ensuite annualiser sa livraison.

“La Maison des tocards” est la branche du mi5 où atterrissent les agents secrets en disgrâce qui ont tellement foiré qu’on ne peut plus leur confier de vraies missions de renseignement. Ces espions ratés, ces rebuts de la profession dénommés “tocards”, sont condamnés à passer le reste de leur “carrière” à végéter dans ce trou sous les ordres toujours aussi saugrenus de Jackson Lamb, enchaînant les missions sans intérêt, bouffant de la paperasse tout en rêvant de pouvoir un jour sortir du placard et retourner au coeur de l’action.”

Et les malheureux, les bannis pour des raisons variables et pas toujours valables vont reprendre du service puisqu’un de leurs membres est kidnappé. Eux qui avaient été dégagés se retrouvent soudain très engagés. En fait, et ils l’ignorent, leur service est victime d’une “mission tigre”, un exercice commandité par les plus hautes autorités britanniques afin de juger de leur réactivité et de leur utilité en situation brûlante. Parallèlement, on comprend que cette situation de crise est le résultat d’une guerre entre deux femmes qui commandent les services secrets britanniques.

On peut très bien aborder ce roman comme le premier d’une série, malgré le fait que l’auteur fasse beaucoup (trop ?) de rappels des aventures antérieures mais qui ne suffiront peut-être pas totalement à bien appréhender l’ensemble des nombreux personnages. Le roman, comme beaucoup de polars, débute par une scène choc pour ensuite revenir à un rythme plus calme, un peu bavard parfois mais surtout très humoristique dans les dialogues, enfin si on apprécie l’humour souvent scato de leur chef alcoolo complètement décomplexé Jackon Lamb. Pas d’ennui notable parce que Mick Herron sait tenir son lecteur avant le grand “Shoot em up” final.

On regrettera l’écart de sept ans entre deux tomes donnant l’impression que le roman comble un trou éditorial à moins qu’il ne soit le premier lancer d’une série qu’on retrouvera tous les ans. Dans ce cas, à l’avenir, il serait plus facile de s’approprier les multiples acteurs de “la maison des tocards”. Même si le roman est promu par l’éditeur dans la catégorie thriller d’espionnage, c’est son aspect humoristique qui retiendra le plus sûrement l’attention. Peu d’effroi ici et pas de réelle empathie pour les personnages. Enfin, La maison des tocards est aussi une série programmée sur Apple tv sous le nom de Slow horses interprétée par un Gary Oldman impeccable et une Kristin Scott Thomas bien fielleuse. Si vous avez vu les deux premières saisons plus de problèmes de compréhension, la toute nouvelle saison 3 reprenant Mission tigre. Roman plaisant et on espère une suite rapide.

Comme disent les Anglais: “Wait and see” !

Clete

LE CYGNE ET LA CHAUVE-SOURIS de Keigo Higashino / Actes Noirs / Actes Sud

Traduction Sophie Refle

Après Les sept divinités du bonheur en 2022, retour dans l’univers noir de Keigo Higashino, grand du polar japonais.

“La vie de Kazuma bascule lorsqu’il apprend que son père, Kuraki, vient d’avouer un double homicide, le premier en 1984 – prescrit – et celui d’un avocat qui fait la une des journaux.

Bien que l’enquête policière soit close et que le procès approche, la fille de la dernière victime, Mirei, et le fils de l’accusé ont l’intime conviction que Kuraki a menti. S’il est le véritable meurtrier, pourquoi n’arrivent-ils pas à corroborer ses aveux ?”

Cette quête entamée solitaire réunira rapidement les deux adultes, l’un issu de la famille de la victime et l’autre de l’assassin et permettra une double expression du drame vécu, de la douleur ressentie par les deux parties. Les codes d’honneur, la mentalité, le ressenti, la pensée… sont très différents de nos standards occidentaux. On est en Orient et c’est très dépaysant voire même déstabilisant. 

Une fois de plus, mais toujours dans une partition renouvelée, c’est dans le passé des personnages que l’auteur installe le cœur d’une intrigue tortueuse à souhait, un peu lente au début mais qui prend vite de l’ampleur, tout en finesse, en douceur autour de trois familles qui souffrent de la perte ou de la honte. Rapidement s’installe un suspense savamment entretenu racontant  le passé tourmenté de gens qui étaient connus comme sans histoires… On ne connaît jamais vraiment les gens, même les plus proches.

Alors bien sûr ce n’est pas très rockn’roll cette affaire. Higashino prend son temps, file patiemment sa toile mais le résultat est béton, du polar, du vrai, du bon. 

Clete.

AU FIN FOND DE DÉCEMBRE de Patrick Conrad / Actes Noirs / Actes Sud

Diep in december

Traduction: Noëlle Michel

Le Noir belge, c’est un peu comme leur rock et leur cinéma, au premier abord, on peut trouver que ça ressemble beaucoup à ce qu’on fait ici et puis on s’aperçoit, surtout chez les Flamands, qu’il y a quelque chose en plus ou de différent qui leur donne du charme, un supplément d’âme peut-être, une noirceur qui sonne vrai. Bon, c’est juste perso, basé sur mon expérience, ils ont aussi leurs daubes vraisemblablement mais, néanmoins… une nouvelle confirmation avec Patrick Conrad.

“Après avoir tué le mauvais suspect du viol et meurtre de sa fille, l’ancien inspecteur de police Theo Wolf sort de prison. Désormais devenu exterminateur de rats, il découvre le cadavre putride d’une femme lors de sa première mission.”

Un décor qui ressemble à un studio de cinéma porno abandonné, un sac en plastique qui recouvre la tête d’une femme d’une soixantaine d’années dont l’apparence vestimentaire détonne dans ce lieu désolé, un vinyle rayé qui émet en boucle une rengaine sucrée de Harry Belafonte. Victime d’une attirance morbide pour la mise en scène macabre, Theo se lance dans une enquête en solo pour montrer qu’il reste un enquêteur hors pair, peut-être sa dernière investigation.

Nous sommes à Anvers et vous avez certainement deviné qu’on ne va pas vraiment se marrer mais vous ignorez à quel point ce polar à l’ancienne est bon. Pas de fin du monde ici, pas d’arbres à honorer ou de forêts dévoreuses d’enfants ni d’IA déviantes, juste la possibilité d’un tueur en série. Toute la richesse vient ici d’une investigation fine dans un parcours rempli de désolation dans les endroits les plus tristes de la cité flamande, du désespoir d’êtres qui ont manqué une marche, n’ont pas su contrarier un destin bien néfaste et Theo n’en est qu’une première illustration, pas la plus regrettable.

Alors, il vaut mieux être en forme pour s’engager Au fin fond de décembre. Si le propos suinte les blessures, les parcours malheureux, les espoirs toujours déçus, il brille par contre d’une intrigue très réussie, d’un final imprévisible provoquant une émotion remarquable, laissant à sa suite une mélodie bien triste et si banalement humaine.

Clete

LE FILS DU PÈRE de Victor del Arbol / Actes Noirs Actes Sud

El hijo del padre

Traduction: Claude Bleton et Emilie Fernandez

“Diego enseigne à l’université, il est heureux en ménage et vit dans une belle villa face à la mer.

En amont de la lignée, pourtant, un père a quitté son village d’Estrémadure dans les années 1950 pour la périphérie de Barcelone et ses tripots clandestins, toujours un poing américain dans la poche, jusqu’à la rixe fatale qui le mène à la Légion étrangère du Sahara oriental. Et un grand-père a dû payer pour les exactions d’un parent anarchiste qui, aux premières heures de la guerre civile, s’en est pris aux caciques du petit village qui les a vus naître. S’en est suivie une rivalité ancestrale, scellée par un châtiment cruel : le front russe dans la division Azul de Franco.

Reclus dans une unité de soins, Diego raconte la malédiction qui poursuit sa famille. Car à l’instar de ses aïeux, et contre toute attente, il est devenu, lui aussi, un assassin.”

Dés le départ, on sait que Diego a commis le meurtre d’une personne qu’il connaissait et avec qui il aimait échanger. S’il se montre assez méprisable dans son comportement de mari et d’homme à femmes usant et abusant de son prestige et de son aura d’universitaire, on ne l’imagine pas assassin. Par le biais de notes qu’il rédige en attendant que la justice statue sur son sort, on va petit à petit comprendre les causes de cette violence meurtrière. Une évocation sanglante des hommes de la famille nous est contée, ancrée au départ dans des époques très noires de l’Espagne: la guerre civile puis la “Division Azul” unité franquiste combattant avec les nazis sur le front russe puis la légion étrangère espagnole dans le Sahara et enfin, plus intimement, les tragédies d’une histoire familiale ponctuée, rythmée de violences aveugles sur les proches. Diego est le fruit de toute cette malédiction et il va montrer son mauvais héritage, en devenant, hélas, bien “le fils du père”.

Actes Noirs d’Actes Sud, depuis plusieurs années, fait la part belle au polar espagnol, certainement un des plus intéressants actuellement. Citons Mikel Santiago, Carlos Salem, Agustin Martinez, Aro Sainz de la Maza, autant de belles lames ibères accompagnant celui qu’on peut décemment désigner comme leur chef de file Victor Del Arbol. Je ne vous ferai pas l’affront de le présenter. Brièvement, disons qu’il a gardé de ses études d’Histoire un goût prononcé pour les explorations du passé espagnol et que son vécu de deux décennies dans la police catalane offre certaines garanties et lui alloue un crédit non négligeable. 

Le résultat est une fois de plus magnifique. Alors c’est noir, c’est dur, c’est violent, souvent crû, parfois hautement dérangeant et, pour moi, méchamment flippant tout le long mais je pense que c’est un peu ce que vous venez chercher un peu en passant par Nyctalopes, non ? Tout en vous bousculant, en vous ébranlant, voire en vous dérangeant, Del Arbol, et c’est l’apanage des grands, vous interroge, vous interpelle, vous amène à une passionnante réflexion sur l’Histoire et sur la famille. Si la violence des hommes macule les pages du roman, l’émotion y est aussi souvent très présente et tout aussi assassine.

Une histoire passionnante qui interroge autant qu’elle émeut et terrifie. 

La grande classe, chapeau bas.

Clete

LE COUTEAU DES SABLES de Minos Efstathiadis / Actes noirs / Actes Sud

Traduction: Lucile Arnoux-Farnoux

“Le meurtre d’un inconnu dans les rues de Montmartre plonge les enquêteurs de la police française dans une impasse. De son côté, Théodore Richter, le jeune fils de la victime, tient à ce que les dernières volontés de son père soient respectées. Il engage le détective privé Chris Papas pour faire rapatrier le corps du défunt en Grèce, où il voulait être inhumé. C’est là, dans le cimetière d’un village grec, que Papas va mettre la main sur une vieille carte mystérieuse…”

On avait découvert Minos Efstathiadis avec son premier roman paru en France en 2020. Le plongeur  était un bon polar mais également un roman avec certains passages très durs relatant des pratiques odieuses des nazis en Grèce durant la seconde guerre mondiale. On avait d’ailleurs alors signalé le caractère glaçant de certaines scènes, un roman à ne surtout pas mettre entre toutes les mains. D’emblée, on peut dire que si ce roman n’est pas un long fleuve tranquille et heureusement d’ailleurs, la violence, bien présente, n’atteint jamais les sommets d’abomination connus dans le passé. Tout n’est pas parfait non plus. Commençons donc par ce qui fâche un peu.

Petite déception, alors qu’on envisage aisément le bleu de la mer Egée en ouvrant un polar grec, nous voilà propulsés d’entrée dans la grisaille parisienne à Montmartre plus précisément. Une grande partie de l’histoire se déroule d’ailleurs à Paname et pour l’exotisme, le soleil, la bouffe méditerranéenne, on repassera. Ceci dit, vous verrez que la vision de la capitale par un regard extérieur ne manque pas de piquant parfois. 

Deuxième regret, peut-être encore plus subjectif, le roman est très (trop) court tant certaines histoires, à forte coloration onirique ou magique, auraient mérité d’être beaucoup plus détaillées. On sent une sorte d’emballement, peut-être un peu regrettable, à en faire un thriller blindé qui décolle dès le départ et qui ne vous laissera souffler, et encore, qu’une fois la dernière ligne lue. 

C’est indéniablement du très bon dans le genre polar d’investigation avec un Chris Papas, tout simplement humain, aux prises avec une histoire qui le fascine peut-être autant que les soucis de son chien hospitalisé. Homme solitaire, discret, Chris se dévoile un peu plus que dans le précédent opus. L’histoire, lancée comme une enquête sur un banal fait divers part très vite sur les thèmes des trafics internationaux d’œuvres d’art et du commerce des humains…quelques belles ordures et de nombreuses vies brisées ou scarifiées. 

Le couteau des sables, deuxième enquête béton signée Chris Papas et la confirmation du talent de Minos Efstathiadis.

Clete.

L’OISEAU QUI BUVAIT DU LAIT de Jaroslav Melnik / Actes Noirs Actes Sud

Traduction: Michèle Kahn

Après un premier passage dans les bacs des librairies françaises en 1998, chez Robert Laffont, Jaroslav Melnik est revenu vingt ans après avec un récit de SF Horizon lointain paru chez Agullo. Une dystopie Macha ou le IVe Reich, en 2020, appréciée ici, scellera son arrivée chez Actes sud où il publie aujourd’hui son premier polar qui prend comme cadre la Lituanie et plus particulièrement Vilnius où vit l’auteur ukrainien depuis plusieurs années.

“Ce jour-là, Algimantas Butkus, commissaire à la police criminelle de Vilnius, la cinquantaine fatiguée, était assis sur un banc devant sa maison. Il toussait beaucoup, ses dents bougeaient et, comme on était samedi, il devait rendre visite à son vieux père. Bref, son humeur n’était pas au beau fixe.

Il se dirigeait vers sa voiture quand son portable sonna : on avait trouvé le cadavre dénudé d’une jeune femme sur le mont des Trois-Croix. Sur le front de la victime, un oiseau mort. Ses seins mutilés, souillés par un mélange de sang et de lait… Et voilà qu’en plus un aigle avait été aperçu planant au-dessus de la scène de crime. Tout ça ne lui disait rien qui vaille. Un meurtrier ordinaire ne joue pas avec la police. Il tue et disparaît.”

Bon, on ne va pas se mentir, une histoire de psychopathe, en Lituanie territoire déshérité et un peu méconnu de l’Europe et heureusement protégé des Russes comme les deux autres républiques baltes par son intégration  à l’Union européenne, a priori, ce n’est pas trop notre tasse de thé. Mais il en va des thrillers sur des tueurs en série comme avec d’autres genres romanesques moins goûtés, il suffit d’en apprécier un pour revenir, au moins provisoirement, sur son jugement. Peut-être, sûrement même, que l’écriture, le style, l’affectif créé emportent tous les préjugés. Des banalités bien sûr, juste une tentative d’explication de l’addiction née pour une histoire passionnante mais non exempte de défauts dans sa toute fin. 

Concernant le cadre, la Lituanie, patrie de Hannibal Lecter a tout d’un petit cauchemar éveillé, à portée de griffes de l’ogre russe. La situation économique est difficile, le pays est étouffé par des tarifs prohibitifs du gaz russe vendu beaucoup plus cher qu’aux Allemands par exemple. Les jeunes tentent tous de partir vers l’Angleterre ou les pays scandinaves.

L’ambiance est morne et  Algimantas Butkus, le flic chargé de l’enquête en est une belle illustration. Quinqua solitaire, abandonné par sa femme, les dents qui se déchaussent, une bronchite qui s’avère être finalement la tuberculose, un père qui se perd dans des histoires d’amour qui ne sont plus de son âge, sa fille qui doit avorter suite à un viol en Arable Saoudite où elle fait ses études… Beaucoup de clichés du flic cabossé bien sûr mais ça passe très bien parce que ce n’est pas appuyé trop lourdement d’une part mais aussi parce que le premier meurtre, particulièrement révoltant, glace et stupéfait d’emblée. Une deuxième victime, rapidement, achèvera bien sûr de créer la panique dans tout le pays et chez le lecteur, méchamment bousculé.

L’enquête est très délicate, toute l’équipe de flics de Algimantas Butkus subit une énorme pression des médias et du pouvoir, tâtonne, s’égare, doit plonger très loin dans l’ésotérisme,  dans un mysticisme qui tend vers le christianisme primitif avec une symbolique héritée de ses origines égyptiennes. C’est flippant et passionnant, Freud aurait adoré. On frôle juste le fantastique, l’intrigue est réellement fascinante, envoûtante et sa résolution nous entraîne très loin dans la psyché malade d’un tueur.

L’oiseau qui buvait du lait, roman passionnant, souffre néanmoins de quelques petites faiblesses vers la toute fin du livre. Si l’enquête est résolue de façon impeccable, on a néanmoins parfois le sentiment qu’elle se déroule un peu trop dans l’environnement proche de Butkus. Pareillement, une piste pourtant évidente, jamais suivie, a pour conséquence d’éliminer un gros suspect de nos cogitations embrumées. Les dernières révélations, probantes, sont peut-être aussi amenées de manière un peu précipitée et maladroite malgré leur pertinence. Enfin, si vous voulez garder en souvenir cette atmosphère très inquiétante, arrêtez vous avant le dernier chapitre où on semble débarquer chez Harlequin, incompréhensible dans le ton, totalement déplacé, bourré jusqu’à l’indigestion de “happy ends” aussi invraisemblables que parfaitement inutiles, dénaturant une ambiance générale pourtant délicieusement dérangeante. Ces menus tracas de fin de roman, néanmoins, ne ternissent pas vraiment un thriller tout à fait recommandable, une belle réussite. 

Clete.

PS: La couverture du roman ayant déjà été interdite par FB, nous craignons un peu pour la diffusion de cet avis sur les réseaux.

Et merci à Brother Jo pour cette illustration musicale parfaite, toute en délicatesse éclairée.

LA VOIX DU LAC de Laura Lippman / Actes Noirs-Actes Sud

Lady In The Lake

Traduction: Hélène Frappat

Laura Lipmann est une auteure forte d’une expérience littéraire d’une vingtaine de romans et signe ici, après Corps inflammables en 2019, son deuxième roman chez Actes Noirs d’Actes Sud. Situant ses intrigues sur la côte Est des Etats Unis, elle contribue à la connaissance de Baltimore tout comme son mari David Simon qui ,à travers l’ouvrage Baltimore édité par Sonatine et les séries impeccables The Wire et We Own This City qui vient de sortir, a rendu plus familière la cité sinistrée du Maryland.

La voix du Lac nous emporte dans le Baltimore des années 1960. Et qui dit années 60 dit lutte contre le racisme, lutte pour les droits des femmes, libération sexuelle…

Alors certes, La voix du Lac est un polar, mais pas que. Et j’oserais presque dire que l’enquête m’a semblé secondaire dans ce roman.

Nous sommes à Baltimore dans les années 60, Maddie est une femme juive de 37 ans. Elle a une jolie maison, un mari comme il faut et un fils adolescent. Mais Maddie n’est pas heureuse et une rencontre avec un ancien flirt devenu quelqu’un lui fait prendre conscience de l’étroitesse de son horizon. Jusque-là, rien d’exaltant et on se demande si l’on n’est pas tombé dans un remake de Desperate Housewives. C’est à ce moment du roman que je vous conseille de vous accrocher et d’avancer sans idées préconçues, bref ne faites pas comme moi qui ai failli l’abandonner ! Oubliez la quatrième de couverture, partez sans a priori et laissez vous emporter par l’histoire…

Du jour au lendemain, Maddie quitte son mari et son fils. Elle quitte aussi un confort matériel et s’installe, seule, dans un quartier peu recommandable. Elle va plus loin encore lorsqu’elle entame une relation torride avec un policier noir et utilise sa découverte d’un corps pour négocier un petit travail dans un journal. 

On se souvient qu’on lit un polar lorsque notre journaliste en herbe se lance dans une enquête sur Cléo, jeune femme noire qui avait disparu et dont tout le monde se moque, sa couleur de peau et sa beauté justifiant aux yeux de tous sa fin prématurée. Mais plus elle enquête, plus Maddie se sent proche de la victime, de son désir d’émancipation.

C’est là que l’auteur introduit dans son roman un regard politique, sociologique, féministe. Les femmes de ma génération trouveront peut-être dans leur jeunesse un écho à l’émancipation de l’héroïne.

Mais ce qui plait – ou pas – dans le roman, c’est sa forme. Laura Lippman alterne les points de vue tout au long du roman. La narration à la troisième personne est entrecoupée de chapitres qui nous plongent dans les pensées des autres personnages. Chaque témoin interrogé ou juste croisé nous fait part de ses impressions sur les événements qui entourent la mort de Cléo mais aussi sur L’attitude de Maddie. 

La juxtaposition de tous ces témoignages forme finalement un étourdissant kaléidoscope de personnages de l’Amérique des années 64-65 et nous donne à lire bien plus qu’un polar. Par bien des aspects, on retrouve l’ambiance de la série new-yorkaise Mad Men, induite un peu dès la couverture. Une vision passionnante de la société américaine de l’époque.

Adelaïde

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