Chroniques noires et partisanes

PETITE SŒUR LA MORT de William Gay / le Seuil / CADRE NOIR.

Traduction: Jean-Paul Gratias.

C’est avec une référence affichée à Shining de Stephen King (William Gay et celui-là se portaient une admiration réciproque) que nous est présenté Petite Soeur La Mort. Binder, l’auteur d’un premier roman, succès de librairie, a trébuché sur la production de son deuxième manuscrit. Il décide d’emménager avec sa famille dans une demeure du Tennessee, célèbre pour son histoire tourmentée : elle serait hantée par une présence maléfique. Certain d’y trouvé l’inspiration (l’endroit et son histoire le fascinent), il s’attelle à l’écriture d’un roman de commande qui doit le relancer. Bien vite, il va se rendre compte que sa décision n’est pas sans conséquence sur sa vie et celle des siens tandis quelque chose de diabolique va affirmer son emprise sur les lieux.

Par ses romans La demeure éternelle et, surtout, La mort au crépuscule, William Gay s’est fait connaître comme un nom du Southern Gothic, ce genre où la rigueur, la morale, la religion sont minées par la dégénérescence, l’esprit du mal, le surnaturel, un processus de délitement accentué par ce qui caractérise le Sud en tant que milieu : la chaleur, la torpeur, la pauvreté, tout ce qui abîme le corps et l’âme.

Le terroir du Tennessee est rendu avec densité sous la plume de William Gay, une qualité du texte qu’il faut reconnaître. Il est apprivoisé depuis peu de temps au regard de l’Histoire, auparavant les sauvages libres l’occupaient depuis des siècles. Il suffit que l’homme baisse les bras ou connaisse un mauvais coup du sort pour que la plantation ou la ferme retourne à l’état de nature. Une nature pas spécialement douce, peuplée d’insectes agressifs, d’oiseaux au cri lugubre, de serpents mortels, de végétation rétive, soumise aux orages violents ou à la merci d’un incendie d’été.

 

 Je ne sais pas si l’auteur, l’écrivain fait un bon personnage de roman. J’ai des réticences personnelles à accompagner un héros qui travaille, hésite, avance, s’enfièvre face à sa machine à écrire. Je n’aime pas retrouver une certaine idée de l’écrivain, en fait. Et je n’ai aucune jubilation à lire un metalivre. Ayons l’honnêteté d’écrire ici que ce processus, ce projet sciemment décidé par Binder et dont le contrôle va lui échapper car la personnalité de la maison va se révéler et le transformer, se met difficilement en place. Les ingrédients d’une histoire d’horreur sont là, tout autour : bruits dans la maison, spectres canin ou féminin, atmosphère pesante… Un livre qui fout la peur au ventre ? C’est déjà trop annoncé pour que cela advienne vraiment. Seules les dernières pages, l’approche du dénouement, font légèrement monter la tension. Pas d’orgie de sang ni du spectaculaire, au final, mais quelque chose de plus psychologique et de trivial presque dans la forme. Binder s’est transformé en un personnage plus noir. Il souhaite la mort de son beau-frère et laisse un serpent le mordre. Le beau-frère détestable n’en mourra même pas.Des inserts ou chapitres historiques sont glissés dans le déroulé de l’histoire fixée à l’été 1982. 1785. 1933. C’est sombre, menaçant, rythmé. L’un d’entre eux ferait même une excellente nouvelle southern gothic si elle respirait seule. Quand on retrouve Binder et son récit, quelque chose piétine ou chancelle. Le livre se boucle par une sorte de justification écrite à la première personne. William Gay semble nous parler de son intérêt pour la légende de la sorcière du Tennessee qui a défrayé la chronique jusqu’au XXe siècle et qui est à l’origine de l’histoire.

Le roman de Willian Gay est une oeuvre publiée à titre posthume, un manuscrit « ressuscité ». Si les aficionados prendront plaisir peut-être à retrouver la voix et l’imaginaire de l’auteur aimé, à discerner là un hommage, je pense que d’autres lecteurs resteront comme moi en attente d’un texte plus abouti, décalaminé et mieux construit, d’un texte à frissons qui vous fait dresser les poils sur les avant-bras ou frémir par sa cruauté. L’auteur vivant aurait-il même de la sorte laissé partir son texte pour l’imprimerie ? La question se pose. Et si l’on peut se douter un peu plus désormais que l’art d’écrire est délicat et cruel, il est à nouveau la preuve que du Scotch et des accroches marketing ne font pas un roman même si William Gay – dont le talent a été autrement apprécié – en a fourni le matériau.

Paotrsaout.

 

2 Comments

  1. Simone

    Tiens ! Je ne connaissais pas cette collection chez Seuil !

    • clete

      C’est nouveau, elle remplace Seuil policiers.

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