Traduction : Héloïse Esquié
Aux origines de ce livre, il y a un crime pédophile, celui commis par Ricky Langley en 1992 en Louisiane. Un jour de février, sous le coup d’une des pulsions qui l’ont précédemment amené à des actes très graves, il va plus loin encore et tue un petit voisin, Jeremy Guillory. Arrêté, jugé, un premier procès le condamne à mort. Aux origines de ce livre, il y a aussi l’histoire personnelle de l’auteur, lourde de secrets et de blessures, et qui, jeune adulte, décide de suivre les pas de ses parents dans la carrière d’avocat. En 2003, Alexandria Marzano-Lesnevich commence un stage dans un cabinet d’avocats en Louisiane dans le but de défendre des hommes accusés de meurtre. Elle est fermement, croit-elle, opposée à la peine de mort. C’est là que les hasards terribles de la vie font se croiser Ricky Langley et Alexandria Marzano-Lesnevich. La confession de Ricky, enregistrée, documentée, épouvante la jeune femme et ébranle toutes ses convictions. Elle est submergée par le sentiment de vouloir le punir, de le voir mourir. Choquée par sa propre réaction, elle creuse et va peu à peu comprendre le lien inattendu entre son propre passé et cette sordide affaire. Pendant 10 ans, elle n’aura de cesse d’enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre un crime épouvantable.
Pour ceux qui s’intéressent aux littératures du crime (il pourrait y en avoir un certain nombre parmi les visiteurs du blog Nyctalopes), « affronter » le récit d’affaires bien réelles peut constituer une expérience des plus éprouvantes car débarrassée du filtre de la fiction. Il faut se faire à l’idée que cela s’est réellement passé ou qu’une affaire comme Langley/Guillory est, hélas, aussi ignoble soit-elle, une tragédie parmi d’autres. Autour des déroulés judiciaires, Alexandra Marazano-Lesnevich exhume l’histoire de la famille Langley, de Ricky et ses parents. Telle qu’elle est présentée, elle serre le cœur tant le drame, la souffrance, le traumatisme l’imprègnent. La personnalité et la psychologie de Ricky, un nullard, dérangé finalement, en seront marquées à jamais. Il y a des victimes aussi, ne les oublions pas, en particulier un petit garçon et sa mère. Une vie qui s’arrête, une autre qui continue, avec quelle épouvantable tristesse.
L’enquête journalistique et le travail d’un auteur (forcément fait de spéculations et projections, ce que certains lui ont reproché) qui cherche à explorer parts d’ombre et zones de flou par l’imagination auraient pu suffire. Comme nous l’avons dit plus haut, ce dont nous parle aussi le texte d’Alexandra Marzano-Lesnevich ce sont les échos avec une expérience personnelle de violence sexuelle sur enfants. L’histoire familiale et le parcours de l’auteur sont ainsi racontés avec un luxe de détails intimes. Et il y a du moche. L’empreinte, parfois abruptement, se fait autobiographie, témoignage, interrogation sur la vérité et la justice. Le texte, qui s’est vu récompensé de nombreuses fois, est donc un objet littéraire très particulier, atypique dans le genre des littératures du crime.
C’est peut-être là où le bât blesse, à mon sens. Il n’y a pas de doute : le sujet de la pédophilie et des crimes pédophiles est très chargé et il faut reconnaître l’intensité de la démarche cathartique d’Alexandra Marzano-Lesnevich, la nécessité et le courage de celle-là. Mais ses efforts semblent parfois être ce qu’ils sont, des efforts pour mettre en relation deux histoires qui n’ont peut-être pas grand-chose en commun, même si elles s’intersectent.
Paotrsaout
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