S’il est un livre qui a sa place de façon plus que légitime dans la formidable collection « Terres d’Amérique », c’est bien ce roman fleuve de Philipp Meyer, déjà remarqué avec « Un arrière-goût de rouille » paru en 2009 chez Denoël. Si dans son premier roman, Meyer nous montrait le désenchantement, la fin du rêve américain dans une zone où la sidérurgie moribonde envoie tous ses anciens esclaves vers le quart-monde, ici, il nous dévoile, au contraire la genèse d’une civilisation dans une magnifique fresque familiale nous contant l’histoire du Texas de 1850 à nos jours. Sa situation géographique, son histoire tumultueuse et épique, ses protagonistes et ses ressources économiques font du « Lone Star State », une entité bien à part dans le paysage des Etats Unis que les vieux Texans, à la morgue nonchalante, irritante et condescendante, continuent de perpétuer comme s’ils descendaient tous directement des aventuriers qui ont conquis la région de haute lutte avec leurs flingues et leur absence de sentiments pour les vaincus.
Sans parler de la beauté de sa prose, Philipp Meyer a accompli un travail titanesque pour nous faire découvrir l’envers du décor de façon passionnante. Commencer la lecture du « Fils » vous condamne à vous isoler tant les événements, les choix, les aventures, les destinées, tout au long des 670 pages vont vous clouer à votre fauteuil.
Trois voix vont vous raconter l’histoire brute (dans les deux sens) du Texas sans tableau idyllique, sans allégorie, démystifiant les pionniers, les Indiens, les Mexicains, tous semblables finalement dans la sauvagerie pour la conquête d’un territoire qui aura été amérindien, espagnol puis français, à nouveau espagnol, mexicain, indépendant puis américain sécessionniste.
Nous allons suivre parallèlement ces trois personnages à trois époques clés de l’histoire du Texas.
Premier personnage et élément fondateur de la dynastie McCullough : Eli, en 1850, seul rescapé du massacre de sa famille d’origine écossaise installée en territoire comanche après avoir été expulsée d’une zone plus pacifique par des légistes crapuleux, va vivre chez les Comanches pendant plusieurs années avant, on le sait dès le début, de finir centenaire sous le nom guerrier et respectable de « Colonel ». On retrouve ici, avec le même réalisme, des pages magnifiques sur les Indiens comme chez Boyden du « Dans le grand cercle du monde ». C’est la période de la « conquête » d’un territoire où à la sauvagerie des Comanches répond la cruauté des Texans. Dans cette partie du roman, on trouve un chapitre admirable sur l’économie du bison nous montrant son importance primordiale et vraiment vitale pour les populations indiennes.
La deuxième voix est celle de Peter, qui par le biais de son journal débuté en 1915, nous fait vivre la période de l’élevage, des clôtures sur la prairie, sous le joug de son père « le colonel » tyrannique, et nous montre que les sentiments humanistes qui animent Peter n’avaient pas réellement cours à l’époque et prouve une fois de plus que les victimes d’antan, quand on leur donne des armes, deviennent de parfaits bourreaux.
Enfin, dans les années 1940, Jeanne Anne, arrière-petite-fille du colonel, par le fait des malheurs engendrés par la seconde guerre mondiale devient une héritière fortunée en se lançant, aventurière sans aucun scrupule, dans l’exploitation du pétrole à l’âge de 20 ans. Cette richesse du sous-sol texan permettra la réussite du débarquement en Normandie et garantira aux pétroliers une impunité dans leurs exactions et alliances futures avec des pays ou des organisations peu recommandables.
Tout en suivant ces trois personnages, on voit les transformations brutales d’un monde où seuls les vainqueurs ont droit au chapitre. Meyer montre sans juger, distillant juste des allusions sur les rapports entre pétroliers et Kennedy par exemple, le rôle ambigu dès ses débuts de Lyndon Johnson le Texan démocrate par opportunisme, vice-président puis président suite à l’assassinat de Kennedy à Dallas, Texas…, démolissant la légende des Texas Rangers…
C’est donc à une histoire terrible, impitoyable, bien que certains personnages et agissements se révéleront estimables mais très marginaux, que nous convie Philipp Meyer avec une écriture fluide, convaincante, nécessitant néanmoins toute l’attention, empreinte du réalisme nécessaire à une mise en lumière de l’histoire de cowboys dont les imitations contemporaines originaires du Connecticut, Bush, père et fils, donneront avec leur politique de va-t’en guerre une image caricaturale mais tristement symptomatique de gens à part, originaires d’une région vraiment très différente du reste des USA.
Héroïque!
Wollanup.
Quel excellent roman ! Voilà presque deux ans que je l’ai lu et certaines scènes me sont toujours très présentes à l’esprit, comme celle du massacre de la famille de Mexicains. C’est un peu une histoire de la violence ce roman, de la dépossession sans fin pour construire des familles, des fortunes. Je le relirai un jour, c’est certain.
La chronique date aussi de deux ans.Elle était sur Unwalkers et avait disparu quand le site avait eu un accident.Je l’ai remaniée un peu à la lumière d’une rencontre avec l’auteur abordé dans la rue à Vincennes lors d’ America, il y a deux ans. Pour lui , ce n’est pas une histoire du Texas mais une histoire de l’Amérique. Je l’ai remise,après avoir relu certains passages du roman, parce que je trouve aussi que c’est un roman qui reste en tête très longtemps,qui marque. En plus d’être une histoire inoubliable,c’est le genre de roman que tout « amoureux » des USA se doit de lire pour comprendre un peu qui sont ces Américains et d’où ils viennent,ce qu’ils ont dû endurer et faire subir.
j’ai longtemps espéré une adpatation cinématographique par le paul Thomas Anderson de « there will be blood » mais j’ attends aussi avec impatience la série qui est en cours de tournage.
Belle journée à toi Sandrine.