Chroniques noires et partisanes

Étiquette : philipp meyer

AMERICAN RUST de Philipp Meyer / Albin Michel

American Rust

Traduction: Sarah Gurcel

« Une petite ville de Pennsylvanie, jadis haut lieu de la sidérurgie, désormais à l’agonie. Isaac, vingt ans, est désormais seul pour s’occuper de son père invalide, sans pour autant renoncer à son rêve d’étudier à Berkeley. Avec l’aide de son meilleur ami Billy, ancienne star de l’équipe de football locale, il se décide à prendre la route, direction la Californie. Mais un mauvais hasard, et le drame qui s’ensuit, va faire voler en éclats leur fragile avenir.« 

American rust, le premier roman de Philipp Meyer publié initialement en 2010 sous le titre Un arrière-goût de rouille, se voit aujourd’hui réédité chez Albin Michel dans un traduction révisée. Suite au succès de son second roman The son (2013), ainsi que son adaptation en série télé, c’est aujourd’hui American rust qui devient une série télé, légitimant ainsi sa réédition. 

Si vous aimez le noir, vous ne serez pas déçu. Philipp Meyer nous plonge ici dans une atmosphère noire, plus noire que la nuit, et nous fait goûter à un désespoir noir, noir de suie. A Buell, la ville fictive où vivent nos protagonistes, il y a aussi peu d’espoir que de perspectives d’avenir. La misère y colle à l’âme et aux pompes. Ses habitants y meurent plus qu’ils n’y vivent. Pour deux jeunes en déroute, tous les éléments sont réunis pour se planter dans le décor.

Ce roman a bien un défaut, à mon sens tout du moins. Meyer y pêche par excès de fatalisme, basculant facilement dans le trop larmoyant. Il aurait certainement gagné à être plus concis et subtil en ayant la main un peu moins lourde avec le noir. Sachant que c’est un premier roman, on peut difficilement lui en vouloir pour ça. On a même plutôt envie de saluer l’audace d’oser un tel roman, à l’heure où les feel-good books ont tristement bien trop le vent en poupe. On assiste avec American rust à l’émergence d’une nouvelle voix, au potentiel indéniable, assez solide pour compter. 

La dimension très cinématographique du roman – tout étant très visuel – permet au lecteur de se représenter aisément les lieux, les gens et même les émotions. Aussi étouffante soit leur vie à tous, aussi tragiques soient les destins dépeints, on y plonge facilement. Reste plus qu’à veiller à ne pas s’y noyer. 

American rust nous rappelle que la vie n’est pas rose pour tout le monde, la mort non plus. Que le temps semble parfois, tel une machine, se gripper, s’arrêter, qu’il ne guérit pas toutes les blessures et peut même en infecter certaines. Que la vie c’est souvent des tartines de merde. Joyeux programme, n’est-ce pas ? On ne va pas se mentir, c’est ce que l’on aime. 

Brother Jo.

LE FILS de Philipp Meyer /Albin Michel

LE_FILS_jaqu_Mise en page 1

S’il est un livre qui a sa place de façon plus que légitime dans la formidable collection « Terres d’Amérique », c’est bien ce roman fleuve de Philipp Meyer, déjà remarqué avec « Un arrière-goût de rouille » paru en 2009 chez Denoël. Si dans son premier roman, Meyer nous montrait le désenchantement, la fin du rêve américain dans une zone où la sidérurgie moribonde envoie tous ses anciens esclaves vers le quart-monde, ici, il nous dévoile, au contraire la genèse d’une civilisation dans une magnifique fresque familiale nous contant l’histoire du Texas de 1850 à nos jours. Sa situation géographique, son histoire tumultueuse et épique, ses protagonistes et ses ressources économiques font du « Lone Star State », une entité bien à part dans le paysage des Etats Unis que les vieux Texans, à la morgue nonchalante, irritante et condescendante, continuent de perpétuer comme s’ils descendaient tous directement des aventuriers qui ont conquis la région de haute lutte avec leurs flingues et leur absence de sentiments pour les vaincus.

Sans parler de la beauté de sa prose, Philipp Meyer a accompli un travail titanesque pour nous faire découvrir l’envers du décor de façon passionnante. Commencer la lecture du « Fils » vous condamne à vous isoler tant les événements, les choix, les aventures, les destinées, tout au long des 670 pages vont vous clouer à votre fauteuil.

Trois voix vont vous raconter l’histoire brute (dans les deux sens) du Texas sans tableau idyllique, sans allégorie, démystifiant les pionniers, les Indiens, les Mexicains, tous semblables finalement dans la sauvagerie pour la conquête d’un territoire qui aura été amérindien, espagnol puis français, à nouveau espagnol, mexicain, indépendant puis américain sécessionniste.

Nous allons suivre parallèlement ces trois personnages à trois époques clés de l’histoire du Texas.

Premier personnage et élément fondateur de la dynastie McCullough : Eli, en 1850, seul rescapé du massacre de sa famille d’origine écossaise installée en territoire comanche après avoir été expulsée d’une zone plus pacifique par des légistes crapuleux, va vivre chez les Comanches pendant plusieurs années avant, on le sait dès le début, de finir centenaire sous le nom guerrier et respectable de « Colonel ». On retrouve ici, avec le même réalisme, des pages magnifiques sur les Indiens comme chez Boyden du « Dans le grand cercle du monde ». C’est la période de la « conquête » d’un territoire où à la sauvagerie des Comanches répond la cruauté des Texans. Dans cette partie du roman, on trouve un chapitre admirable sur l’économie du bison nous montrant son importance primordiale et vraiment vitale pour les populations indiennes.

La deuxième voix est celle de Peter, qui par le biais de son journal débuté en 1915, nous fait vivre la période de l’élevage, des clôtures sur la prairie, sous le joug de son père « le colonel » tyrannique, et nous montre que les sentiments humanistes qui animent Peter n’avaient pas réellement cours à l’époque et prouve une fois de plus que les victimes d’antan, quand on leur donne des armes, deviennent de parfaits bourreaux.

Enfin, dans les années 1940, Jeanne Anne, arrière-petite-fille du colonel, par le fait des malheurs engendrés par la seconde guerre mondiale devient une héritière fortunée en se lançant, aventurière sans aucun scrupule, dans l’exploitation du pétrole à l’âge de 20 ans. Cette richesse du sous-sol texan permettra la réussite du débarquement en Normandie et garantira aux pétroliers une impunité dans leurs exactions et alliances futures avec des pays ou des organisations peu recommandables.

Tout en suivant ces trois personnages, on voit les transformations brutales d’un monde où seuls les vainqueurs ont droit au chapitre. Meyer montre sans juger, distillant juste des allusions sur les rapports entre pétroliers et Kennedy par exemple, le rôle ambigu dès ses débuts de Lyndon Johnson le Texan démocrate par opportunisme, vice-président puis président  suite à l’assassinat de Kennedy à Dallas, Texas…, démolissant la légende des Texas Rangers…

C’est donc à une histoire terrible, impitoyable, bien que certains personnages et agissements se révéleront estimables mais très marginaux, que nous convie Philipp Meyer avec une écriture fluide, convaincante, nécessitant néanmoins toute l’attention, empreinte du réalisme nécessaire à une mise en lumière de l’histoire de cowboys dont les imitations contemporaines originaires du Connecticut, Bush, père et fils, donneront avec leur politique de va-t’en guerre une image caricaturale mais tristement symptomatique de gens à part, originaires d’une région vraiment très différente du reste des USA.

Héroïque!

Wollanup.

© 2024 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑