Chroniques noires et partisanes

LA MAISON DU DIABLE de John Darnielle / Le Gospel.

Devil House

Traduction: Janique Jouin-de Laurens

Gage Chandler est un descendant des rois. C’est ce que sa mère lui a toujours raconté, durant une enfance tranquille dans une petite ville californienne. Devenu auteur à succès de récits de true crimes, il reçoit une nouvelle proposition de son éditeur, un sujet taillé pour lui. En 1986, dans la petite ville de Milpitas, des adolescents désœuvrés ont massacré deux personnes dans une ancienne boutique porno transformée en refuge par leurs soins. Si ce crime d’apparence rituelle est intervenu en pleine fièvre satanique, il est pourtant passé sous le radar médiatique et, étrangement, resté impuni. Les personnalités de ces jeunes en rupture, amateurs de comics, de cinéma d’horreur et de rock’n roll touchent l’écrivain qui achète la maison où a eu lieu le meurtre, désormais transformée en habitation banale. Alors qu’il commence son enquête et son immersion dans cette énigme policière, l’histoire qu’il espérait écrire se complexifie et il se heurte peu à peu à sa responsabilité d’auteur exploitant la violence du monde réel et à ses obsessions de créateur.

En tant qu’écrivain, le nom de John Darnielle ne vous dit probablement rien. Mais peut-être le connaissez-vous sous son autre casquette, celle de chanteur, multi-instrumentiste et leader du groupe américain The Mountain Goats. A ce jour, on lui doit trois romans qui ont eu une belle reconnaissance aux Etats-Unis. Le premier, Le loup dans le camion blanc, est sorti en 2015 chez Calmann-Levy, son deuxième n’est toujours pas arrivé jusqu’à chez nous, et son troisième, La Maison du diable, vient de paraître chez Le Gospel. Une superbe couverture et un titre un brin racoleur lui confèrent d’emblée une aura qui ne passe pas inaperçue. Mais soyez prévenus, ce roman n’est pas ce que l’on vous vend, et peut-être pas ce que vous lirez non plus. Comprendra qui s’y plongera…

Emballé, je le fus dès les premières pages. J’avais l’impression de tenir un page-turner qui allait me porter d’une traite jusqu’à sa fin. Je me disais encore naïvement que j’allais plonger dans les affres d’un crime sous couvert d’une simple enquête menée par un écrivain. Mais chez Le Gospel, une fois de plus, il faut être prêt à se laisser surprendre. John Darnielle nous embarque là où il veut, pas du tout là où vous espériez ou imaginiez aller, et ce d’une main de maître. 

La Maison du diable ne nous effraie pas, comme on pouvait le supposer, mais il nous envoûte. Découpé en plusieurs parties, ce sont autant de points de vue et de narrateurs qui nous conduisent dans une labyrinthique exploration fictionnelle du true crime, ici façon West Memphis Three, et de son lectorat. Le true crime, je le rappelle, ce sont ces livres documentaires qui reviennent sur des crimes et leurs perpétrateurs et qui connaissent un certain succès. John Darnielle, au travers de Gage Chandler, questionne un genre littéraire, son sensationnalisme, ses conséquences, le poids de la vérité, l’éthique des auteurs concernés, notre relation à ces faits divers souvent sordides, et cela tout en proposant une réflexion sur le récit et sa construction. Mais ce n’est pas tout ! D’autres questions posées ici sont: pourquoi faisons-nous ce que nous faisons et quelle est l’importance de l’adolescence dans notre construction et nos trajectoires de vie ? Vous cherchiez une lecture stimulante pour votre cerveau ? Vous l’avez trouvé !

Pour arriver à ses fins, John Darnielle prend des chemins sinueux avec plusieurs histoires en une et plusieurs strates de lecture. Il mélange passages du travail en cours de Gage Chandler, extraits d’un précédent livre de Chandler (La sorcière blanche), lettre d’une mère dont le fils est au coeur de La sorcière blanche, références régulières à un film sur un autre crime qui a eu lieu à Milpitas quelques années avant celui dont il est initialement question ici, ainsi qu’une partie plus étonnante encore mais que je vais vous laisser découvrir. Alors oui, on s’y perd un peu, jusqu’au très adroit final qui rassemble toutes les pièces de ce puzzle narratif. 

Ce roman de John Darnielle n’est rien de moins qu’une ambitieuse et passionnante métafiction. Une œuvre d’art minutieuse et une expérience littéraire unique en son genre qui ne peut que devenir culte. Puissant !

Brother Jo.


2 Comments

  1. Gilles

    « Mais soyez prévenus, ce roman n’est pas ce que l’on vous vend, et peut-être pas ce que vous lirez non plus. Comprendra qui s’y plongera… »

    roh* !
    (*ce n’est pas bien d’être élogieux et obscure, ça pousse méchamment à la lecture, j’espère que ce n’est pas une forfaiture ! En plus, nous convier à une intrigue qui mêle cinéma, musique et littérature ! Je conjecture que Le Diable est dans les détails, bien sûr. 🙂

    • Brother Jo

      Le Diable est bien dans les détails ! Et John Darnielle est malin, très malin…

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