Bon, novembre, et on ne vous apprendra rien, n’est pas le mois le plus fécond pour les sorties de polars et autres romans noirs. Les vitrines des librairies se parent déjà des couleurs de Noël, assez peu complémentaires avec la noirceur que nous privilégions. Moins qu’en décembre peut-être mais déjà le regard a tendance à se tourner vers l’avant, vers les promesses de janvier, février. Néanmoins, novembre est la bonne période aussi pour regarder un peu en arrière, vers les bouquins qu’on a négligés ou tout simplement pas vu passer et qui sont loués un peu partout mais surtout chez les signatures qui comptent pour nous. Terres promises nous a été proposé, à moi toujours, et je viens de le terminer, en PDF, avec trois mois de retard, bien après la furie de septembre.
Bon, d’emblée, ce premier roman entre dans mon top 3 de l’année et je vais m’employer à tenter de vous expliquer pourquoi un tel émoi pour un roman et d’ailleurs est-ce vraiment un roman ? Pas très bien vendu par l’éditeur, soit dit en passant, une couverture vierge pour une auteure inconnue, pas très attirant tout ça. Je ne veux pas excuser mon oubli, juste dire que l’ouvrage ne vous saute pas à la tronche quand vous entrez dans une boutique. Et pourtant…
« Entendez dans ce roman choral les voix oubliées de la conquête de l’Ouest : Eleanor, la prostituée qui attend l’heure de se faire justice ; Kinta, l’indigène qui s’émancipe de sa tribu ; Morgan, l’orpailleur fou défendant sa concession au péril de sa vie.
Par-delà les montagnes, arpentez les champs de bataille avec Mary ; suivez la traque de Bloody Horse, et rêvez de la liberté sauvage avec Rebecca.
Parmi les colons et les exilés, vous croiserez sûrement la route du Déserteur, et une fois imprégnés de la véritable histoire de l’Ouest, le Bonimenteur vous apportera votre consolation contre quelques pièces. »
Ce premier roman de Bénédicte Dupré la Tour est un sacré western sale, bien dégueulasse, dans une version dépoussiérée, déchiquetée de nos visions hollywoodiennes. Alors, c’est bien souvent très douloureux à lire, tous nos clichés sont salis mais surtout débités pour ne laisser que la pire version de ces existences en pleine nature dont on a des images plus ou moins poétiques, féériques. Ici y est montrée la plus grande des souffrances des personnes que nous allons rencontrer, leur combat terrible pour la survie. C’est un méchant mille-feuilles que nous propose l’auteure avec plusieurs couches de tourments pour ces pouilleux, dégénérés, misérables, boiteux malades, psychopathes, ratés qui peuplent ces terres nouvelles et qui contribueront à bâtir un pays qui deviendra le leader mondial au sortir de la première guerre mondiale. On le sait l’homme est un loup pour l’homme et le premier niveau du malheur proposé provient des tourments provoqués par les autres humains, ces compagnons d’infortune lancés eux aussi dans un rêve fou de possession d’or, d’une boucle de rivière, d’un bout de terre promise. Tous ces gens endurcis par une existence misérable en Europe connaissent la lutte quotidienne depuis leur enfance, comme présente dans leurs gènes et les plus violents, les plus rusés, seront les plus aptes à s’extirper de la fange. Souvent évoquée et décrite avec un lyrisme aussi enchanteur que tragique, la nature est, bien entendu, la deuxième cause de la souffrance de ces pionniers démunis devant son hostilité, ses obstacles infranchissables ou ses dédales dangereux. Toutes ces histoires de destins malheureux interpellent bien sûr notre imagerie populaire : la prostituée arnaqueuse, le patron de bar, l’orpailleur, le notable, le pasteur, le bonimenteur, les pionniers, les indiens… Tous dans des décors que l’on connait mais qu’on redécouvre uniquement dans leur côté sombre. Et par-dessus tout cet enfer perpétuel plane, pèse la pire des engeances pourtant portée en étendard : la religion, la foi qui salit, ment, pervertit, déforme, effraie, soumet, tue.
Ces histoires poisseuses, malheureuses, sont magnifiées par une écriture de tout premier ordre aussi dure et poignante dans la souffrance et la douleur que poétique dans des temps où il fait bon calmer un peu l’incendie, voiler un peu l’indicible. Dès la première page, j’ai « prié » pour que l’enchantement ne soit pas un simple embrasement de brindilles, mais pas une seule histoire, pas un seul paragraphe qui ne soit maîtrisé ou animé par la même fièvre fatale, létale. On peut penser, au premier regard, que Terres promises n’est qu’un recueil de nouvelles, terme qui effraie le lecteur français auquel on préfèrera toujours le terme plus appâteur de roman choral. Mais très vite, les liens entre les histoires apparaissent au lecteur curieux n’hésitant pas à retourner en arrière, toutes ses destinées sont liées et pas seulement par leur présence dans un même pandémonium. Il y aurait beaucoup de belles choses à dire sur l’écriture, sur la construction, le rythme mais nous nous contenterons juste d’évoquer Donald Ray Pollock l’auteur de Le diable tout le temps et de Une mort qui en vaut la peine à qui ce roman fait terriblement penser. Les fans de l’auteur de l’Ohio trouveront ici de quoi patienter agréablement pendant l’attente interminable de son nouveau livre ; un peu comme l’attente qu’a su créer chez nous Bénédicte Dupré la Tour avec ce premier roman phénoménal.
Clete.
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