Lionel Lagarde avait deux L, comme un oiseau de proie. C’est ainsi qu’il se présentait aux inconnus. De quoi atteindre le ciel en un rien de temps. Il visait la fonction suprême. Élu du peuple. Maire de Montclame, le village qui l’avait vu prendre son envol. Son physique d’enfant mal proportionné tenait plus du handicap que de la simple imperfection. Dégarni avant l’heure, il portait sa casquette de chasse en tous lieux, par tous temps. Il compensait son absence de charisme par une sorte d’agressivité préventive. La peur, entretenue grâce à une perfusion télévisuelle constante, orientait chacune de ses décisions. La peur de l’autre. La peur de manquer. La peur de l’abandon. De la maladie. De la mort. Du mauvais sort. Du mauvais coup.
Après un chapitre inaugural qui ballotte entre gravité et mauvaise blague Yvan Robin nous emmène passer une nuit à Montcalme, village sans charme du Sud-Ouest. Lagarde et quelques autres mecs du cru forment le Comité de vigilance citoyenne, le fusil de chasse en bandoulière ; une bande de médiocres pieds-nickelés sans humour fantasmant à plein tube sur la violence, l’émigration, les impôts, etc.
Lagarde est marié à Blanche, on se demande comment d’ailleurs car c’est un vrai connard de collection qui ne mérite pas une once d’affection. La vie de Blanche est réglée par son mari, elle est comme anesthésiée, tout son emploi du temps est immuablement prévu par son mari du réveil au coucher. L’emprise est complète.
Parallèlement à l’excursion des branques locaux, on suit Blanche chez elle dans les tâches ménagères et maternelles, elle se prépare à en finir. Ce qu’on sentait venir insidieusement depuis le début est soudainement chamboulé au travers de quelques phrases et le roman prend une toute autre allure. La violence attrape le La fauve, le rythme s’accélère brutalement, les coups tombent comme à Gravelotte.
Un second coup de feu retentit, alors qu’elle venait de franchir le grillage de la propriété, en s’entaillant l’intérieur de la cuisse. Elle courait dans le champ labouré, en se tordant les chevilles. Elle chutait, pleurait, se relevait pour chuter de nouveau une dizaine de mètres plus loin. L’air faisait du feu dans ses bronches. Elle n’était qu’un amas de nerfs, de colère, de douleur. Barbouillée de sang, qui poissait dans son cou et son décolleté. Qui traçait des fleuves et des affluents sur ses jambes.
L’écriture est extrêmement précise et nerveuse, chaque mot paraît méticuleusement choisi. C’est d’autant plus perturbant dans les scènes les plus féroces. Ça peut aussi servir quelques traits d’humour, l’utilisation de noms de marques connues, agaçante au début, se transforme rapidement en outil pour ridiculiser les personnages qui le méritent.
L’auteur cherche dans La fauve à venger les femmes que des hommes ont soumises, violentées, assassinées. Peu d’hommes ont grâce à ses yeux, ils ne le méritent pas ; les trois femmes du livre les ont subis, à divers degrés.
Tout comme avec Après nous le déluge l’an dernier, Yvan Robin s’empare d’un sujet qui est tristement d’actualité et le fait exploser dans ce court roman.
NicoTag
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