Chroniques noires et partisanes

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HERVÉ LE CORRE, MÉLANCOLIE RÉVOLUTIONNAIRE de Yvan Robin /Playlist Society.

Après un passionnant DOA, rétablir le chaos consacré aux échanges entre le père des Citoyens clandestins ou Pukhtu et Élise Lépine, la collection Face B des éditions Playlist Society enfonce le clou avec le même à-propos en publiant un nouvel opus joliment charpenté autour des mots d’Hervé Le Corre recueillis par Yvan Robin. En incipit d’ailleurs, nous soulignerons la légitimité d’Yvan Robin pour mener à bien ce difficile exercice de l’interview fleuve. Il suffit de mentionner son remarquable roman Après nous le déluge (éditions IN8, 2021, réédition poche J’ai Lu, 2023) pour valider un indubitable lien entre ses écrits et certains élans dystopiques d’Hervé Le Corre. Leurs envolées se conjuguent donc en cette Mélancolie révolutionnaire pour raconter un auteur et son œuvre exceptionnelle. Selon une formule éprouvée, le livre se divise en deux parties : soit une longue introduction, entre hommages et repaires biographiques, suivie de 150 pages d’entretiens à cœur ouvert.
Dire que l’on en apprend beaucoup sur l’initiateur des munificents L’Homme aux lèvres de saphir, Après la guerre ou du récent et magistral Qui après nous vivrez est un doux euphémisme. S’il reste discret et sobre, peu enclin à trop se dévoiler, Hervé Le Corre laisse néanmoins filer au gré des questions quelques recettes et ingrédients de ses formules magiques. Aucun des protagonistes ne baisse totalement la garde, mais les évidentes connivences des deux Bordelais transforment le ping-pong en une chorégraphie du meilleur effet. Yvan Robin a chiadé ses questions : Hervé Le Corre le lui rend bien, sans esquives ni revers liftés. Affirmer que l’homme et son œuvre ne font qu’un est sans doute risible, mais rarement une telle lapalissade n’aura autant pris les traits de l’évidence. Né de parents modestes, engagé politiquement avant les vingt printemps chers à Charles Aznavour, professeur de lettres autant que passeur de mots, il n’aura de cesse d’insuffler aux réalités les plus sordides un lyrisme contrôlé et toujours coloré, « capable de concilier la brutalité littéraire de James Ellroy avec le naturalisme de Zola ».
De ce gamin renversé par une voiture à huit ans, puis peu après par des lectures dont il puisera l’essentiel de ses voyages intérieurs, nous suivons le chemin cohérent d’un jeune type droit, bientôt batteur au sein d’un anonyme groupe de rock’n’roll girondin, bientôt auteur novice mais déjà inscrit dans le sillage de Jean-Patrick Manchette ou Jean-Bernard Pouy (dont nous attendons avec impatience le retour prochain, à la tête d’une nouvelle collection goguenarde, intitulée La Fille du Poulpe, aux éditions Moby Dick), bientôt maître de l’uppercut majeur avec cet Homme aux lèvres de saphir qui nous laissera tous groggy. Hervé Le Corre parle aussi de ce changement de statut, de son réapprentissage de l’écriture, avec passion et pudeur à la fois, comme le constaterait surpris un sculpteur ou un pépiniériste. Parfois il se lâche, parfois se rebiffe, pour faire de cette Mélancolie révolutionnaire, non pas une dissection, mais plutôt une mise en lumière de sa riche palette. Violences faites aux faibles, rebuffades météorologiques infligées à la planète, fantômes, luttes et cicatrices sociales : tout y est. « Il y a là l’eau, le feu, le computer, Vivendi et la terre » comme le chantaient d’autres Bordelais.
JLM

LA FAUVE d’Yvan Robin / Lajouanie

Lionel Lagarde avait deux L, comme un oiseau de proie. C’est ainsi qu’il se présentait aux inconnus. De quoi atteindre le ciel en un rien de temps. Il visait la fonction suprême. Élu du peuple. Maire de Montclame, le village qui l’avait vu prendre son envol. Son physique d’enfant mal proportionné tenait plus du handicap que de la simple imperfection. Dégarni avant l’heure, il portait sa casquette de chasse en tous lieux, par tous temps. Il compensait son absence de charisme par une sorte d’agressivité préventive. La peur, entretenue grâce à une perfusion télévisuelle constante, orientait chacune de ses décisions. La peur de l’autre. La peur de manquer. La peur de l’abandon. De la maladie. De la mort. Du mauvais sort. Du mauvais coup.

 Après un chapitre inaugural qui ballotte entre gravité et mauvaise blague Yvan Robin nous emmène passer une nuit à Montcalme, village sans charme du Sud-Ouest. Lagarde et quelques autres mecs du cru forment le Comité de vigilance citoyenne, le fusil de chasse en bandoulière ; une bande de médiocres pieds-nickelés sans humour fantasmant à plein tube sur la violence, l’émigration, les impôts, etc.
Lagarde est marié à Blanche, on se demande comment d’ailleurs car c’est un vrai connard de collection qui ne mérite pas une once d’affection. La vie de Blanche est réglée par son mari, elle est comme anesthésiée, tout son emploi du temps est immuablement prévu par son mari du réveil au coucher. L’emprise est complète.
Parallèlement à l’excursion des branques locaux, on suit Blanche chez elle dans les tâches ménagères et maternelles, elle se prépare à en finir. Ce qu’on sentait venir insidieusement depuis le début est soudainement chamboulé au travers de quelques phrases et le roman prend une toute autre allure. La violence attrape le La fauve, le rythme s’accélère brutalement, les coups tombent comme à Gravelotte.

Un second coup de feu retentit, alors qu’elle venait de franchir le grillage de la propriété, en s’entaillant l’intérieur de la cuisse.  Elle courait dans le champ labouré, en se tordant les chevilles. Elle chutait, pleurait, se relevait pour chuter de nouveau une dizaine de mètres plus loin. L’air faisait du feu dans ses bronches. Elle n’était qu’un amas de nerfs, de colère, de douleur. Barbouillée de sang, qui poissait dans son cou et son décolleté. Qui traçait des fleuves et des affluents sur ses jambes.

L’écriture est extrêmement précise et nerveuse, chaque mot paraît méticuleusement choisi. C’est d’autant plus perturbant dans les scènes les plus féroces. Ça peut aussi servir quelques traits d’humour, l’utilisation de noms de marques connues, agaçante au début, se transforme rapidement en outil pour ridiculiser les personnages qui le méritent.
L’auteur cherche dans La fauve à venger les femmes que des hommes ont soumises, violentées, assassinées. Peu d’hommes ont grâce à ses yeux, ils ne le méritent pas ; les trois femmes du livre les ont subis, à divers degrés.

Tout comme avec  Après nous le déluge l’an dernier, Yvan Robin s’empare d’un sujet qui est tristement d’actualité et le fait exploser dans ce court roman.

NicoTag

APRÈS NOUS LE DÉLUGE de Yvan Robin / Editions IN8

“Nous cavalons entre les troncs couchés. L’air nous brûle la gorge. Nos muscles se raidissent. Nous parvenons à une route étroite, que nous longeons en direction du bourg. Je connais le chemin, emprunté pour aller faire les courses. À cent mètres de là, nous trouvons un local reconverti en abribus. Cachés derrière le mur couvert d’affiches déchirées du parti populiste écologique Campagne, nous nous dévisageons en pantelant. Nature au cœur dit le slogan.

Déjà nous ne sommes plus les mêmes. Dans le halo prodigué par l’unique lampadaire, nos traits sont plus durs. Comme si l’innocence s’érodait, qu’il n’en restait qu’un minuscule éclat au fond de nos pupilles.

   – Ça va ?”  

Il y a des périodes où la littérature s’empare d’un sujet. En ce moment, la crise écologique globale que nous vivons, semble en être devenu un. Tout le monde s’accorde pour dire que l’avenir de notre espèce est compromis, mais en même temps, et moi le premier, tout le monde s’en fout et continue à regarder des vidéos de chatons sur son smartphone. 

Ce roman d’Yvan Robin vient nous secouer, nous déciller. Sa vision d’un futur pas si éloigné est cauchemardesque. 

Un paysage ravagé par la pollution, un fleuve de boues et d’ordures, un suicidé dans le jardin. Voilà pour l’ouverture du roman, rien n’est à sauver de ce monde déjà bien saccagé. Et pourtant on y vit.
La catastrophe attendue se passe sous nos yeux, brutalement, sur les pages. Le résultat est simple et sombre, l’exposition des travers humains les plus vils : méchanceté, mépris, vilénie, trahison, violence, j’en passe. 


« Après nous le déluge » raconte ce qu’il reste de vie, d’humanité, chez un père, et son fils, Lazare et Feu-de-Bois. Tous deux sont bien incarnés, je me sens plus proche du père, question d’âge et de vécu peut-être, mais j’ai autant de compassion pour le fils. L’écriture dans laquelle ils sont balancés, enchevêtre le mythe du Déluge, l’Apocalypse, l’Odyssée, la poésie classique du XVIIème, met en exergue la Genèse, cite un traité philosophique plus ou moins anarchiste. 

Yvan Robin les sépare, les perd, et nous conte leurs mésaventures dans cet océan ténébreux qu’est devenu le monde. Le titre est vraiment à prendre au pied de la lettre.
C’est un roman typique de notre époque, qui décrit le cauchemar qui nous attend.

« Après nous le déluge » ne nous raconte ni plus ni moins que la disparition de la beauté, c’est, en somme, un texte effrayant, et probablement nécessaire.

NicoTag


Nous disparaîtrons sûrement, par contre le rock survivra. C’est Uncle Neil qui le dit, c’est donc vrai.

L’ APPÉTIT DE LA DESTRUCTION d’ Yvan Robin / Lajouanie

« Travailler tue », le précédent roman, d’Yvan Robin avait eu un certain écho dans la presse et les blogs. Quatre ans plus tard, pour son retour, il quitte le milieu du travail et de l’ultra libéralisme pour nous parler Rock n’ Roll.

Dans ce roman à trois voix, l’auteur emprunte trois voies pour raconter le groupe fictif « Ame Less », quatuor né d’un amour ado commun de la zik et qui a gravi rapidement les marches vers le succès et la reconnaissance. L’histoire du groupe, l’ascension puis la gloire puis l’ennui puis la désolation jusqu’à la chute prévisible et annoncée dès le départ, est racontée sous trois volets bien distincts. L’un raconte la genèse et l’histoire auréolée d’une gloire aussi fulgurante qu’inattendue, le second conte les ultimes heures du groupe durant une tournée qui sera la dernière au grand dam des acteurs qui ignorent le drame qui va se jouer et le troisième recueille les pensées du leader tentant de guérir de ses multiples addictions.

Les connaisseurs reconnaîtront des éléments du destin d’Indochine et de Noir Désir (Yvan est bordelais) mais aussi celui de L’ Affaire Louis Trio ou de Girls in Hawaï comme celui de Nirvana ou des Stones entre autres. Les autres lecteurs, moins au fait du monde du rock que semble très bien connaître Yvan Robin, découvriront l’envers du décor, la réalité derrière les paillettes, les média, les réseaux sociaux.


« Et puis communiquer sur les réseaux sociaux, être là toujours. A la page. Inviter la mercatique jusque dans l’intime. J’ai faim, j’ai froid, j’ai soif. Le faire savoir, le crier haut et fort, le partager. J’ai mal, j’ai triste. J’arrive plus à bander.Il faut des followers, il faut des abonnés. Des selfies. Des hashtags. Des likes. Le sens de la formule, pour stimuler la publication. »

Tout sonne juste, la scène racontant le dernier concert est magnifique et nul doute que les aficionados seront à la fête mais il serait très réducteur de limiter ce roman très bien construit et écrit à juste l’histoire d’un groupe de rock qui s’est, un de plus, brûlé les ailes au contact des spotlights .

Yvan Robin a un regard très juste, à nouveau, sur le groupe, restant très nuancé dans les heures de gloire comme dans le bordel de la fin, sans compassion réelle mais sans condamnation non plus. « Ame less » connaîtra une trajectoire, somme toute, finalement, banale dans un milieu qui dégomme rapidement ses héros une fois que ceux-ci perdent pied avec la réalité dans des paradis artificiels.

Afin que le roman trouve un public large qu’il mérite, il est utile d’insister sur le fait que « L’appétit de la destruction » est avant tout un roman noir, et qu’il est particulièrement recommandable. Yvan Robin est un bel observateur de ses contemporains et sa plume s’avère très pointue, réaliste sans être manichéenne quand il parle de la triste réalité des gens qui ne vivent pas dans le grand cirque du Rock n’Roll et que le  « band » côtoie par instants avant de retourner dans son Eden doré : une laverie, les urgences d’un hôpital, des SDF dans la panade, une station-service… autant de tableaux ordinaires particulièrement bien peints et dépeints qui donnent au roman une dimension humaine et sociale de qualité.

Du groupe à ses débuts : « Seule Nina Mélina possède un réel bagage théorique. Les trois autres jouent à l’oreille en bons autodidactes, plus à cheval sur l’intention que sur la pulse ».

Que ce soit en littérature noire comme sur le rock, vraiment pas dans l’intention, loin de faire ses gammes, Yvan Robin connaît déjà parfaitement la musique.

Rock on !

Wollanup.

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