Chroniques noires et partisanes

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LA FAUVE d’Yvan Robin / Lajouanie

Lionel Lagarde avait deux L, comme un oiseau de proie. C’est ainsi qu’il se présentait aux inconnus. De quoi atteindre le ciel en un rien de temps. Il visait la fonction suprême. Élu du peuple. Maire de Montclame, le village qui l’avait vu prendre son envol. Son physique d’enfant mal proportionné tenait plus du handicap que de la simple imperfection. Dégarni avant l’heure, il portait sa casquette de chasse en tous lieux, par tous temps. Il compensait son absence de charisme par une sorte d’agressivité préventive. La peur, entretenue grâce à une perfusion télévisuelle constante, orientait chacune de ses décisions. La peur de l’autre. La peur de manquer. La peur de l’abandon. De la maladie. De la mort. Du mauvais sort. Du mauvais coup.

 Après un chapitre inaugural qui ballotte entre gravité et mauvaise blague Yvan Robin nous emmène passer une nuit à Montcalme, village sans charme du Sud-Ouest. Lagarde et quelques autres mecs du cru forment le Comité de vigilance citoyenne, le fusil de chasse en bandoulière ; une bande de médiocres pieds-nickelés sans humour fantasmant à plein tube sur la violence, l’émigration, les impôts, etc.
Lagarde est marié à Blanche, on se demande comment d’ailleurs car c’est un vrai connard de collection qui ne mérite pas une once d’affection. La vie de Blanche est réglée par son mari, elle est comme anesthésiée, tout son emploi du temps est immuablement prévu par son mari du réveil au coucher. L’emprise est complète.
Parallèlement à l’excursion des branques locaux, on suit Blanche chez elle dans les tâches ménagères et maternelles, elle se prépare à en finir. Ce qu’on sentait venir insidieusement depuis le début est soudainement chamboulé au travers de quelques phrases et le roman prend une toute autre allure. La violence attrape le La fauve, le rythme s’accélère brutalement, les coups tombent comme à Gravelotte.

Un second coup de feu retentit, alors qu’elle venait de franchir le grillage de la propriété, en s’entaillant l’intérieur de la cuisse.  Elle courait dans le champ labouré, en se tordant les chevilles. Elle chutait, pleurait, se relevait pour chuter de nouveau une dizaine de mètres plus loin. L’air faisait du feu dans ses bronches. Elle n’était qu’un amas de nerfs, de colère, de douleur. Barbouillée de sang, qui poissait dans son cou et son décolleté. Qui traçait des fleuves et des affluents sur ses jambes.

L’écriture est extrêmement précise et nerveuse, chaque mot paraît méticuleusement choisi. C’est d’autant plus perturbant dans les scènes les plus féroces. Ça peut aussi servir quelques traits d’humour, l’utilisation de noms de marques connues, agaçante au début, se transforme rapidement en outil pour ridiculiser les personnages qui le méritent.
L’auteur cherche dans La fauve à venger les femmes que des hommes ont soumises, violentées, assassinées. Peu d’hommes ont grâce à ses yeux, ils ne le méritent pas ; les trois femmes du livre les ont subis, à divers degrés.

Tout comme avec  Après nous le déluge l’an dernier, Yvan Robin s’empare d’un sujet qui est tristement d’actualité et le fait exploser dans ce court roman.

NicoTag

BANLIEUE EST de Jean-Baptiste Ferrero /Lajouanie.

“Un détective venu aider un vieux copain en conflit avec un caïd local constate à son grand désespoir que la banlieue n’est décidément plus ce qu’elle était : on y viole, on y massacre, on y corrompt, on s’y drogue, on s’y radicalise et on s’y débauche comme jamais…Cynique mais pas blasé, idéaliste mais pas naïf, Thomas Fiera, enquêteur gouailleur et un poil expéditif, entreprend alors, aidé de sa fine équipe, de s’attaquer aux racines du mal.”

Chroniqueur fatigué mais qui ne fera pas de blagues pourries avec le nom de l’auteur.

Le roman commence lors d’un enterrement et qui ne connaît pas l’oeuvre de Jean-Baptiste peut s’imaginer, redouter ou espérer un roman débordant de pathos, usant de pessimisme et de spleen. Mais ceux qui ont déjà goûté aux aventures de Thomas Fiera, le sosie littéraire de l’auteur qui ose les outrance que les convenances interdisent à l’homme, savent très bien que la morosité va très vite faire place à beaucoup d’humour irrévérencieux.

Le style de l’auteur s’apparentait déjà à du Audiard, à du san Antonio, réminiscences certaines de ses univers littéraires et cinématographiques d’autrefois même si l’auteur n’est pas d’un âge canonique. Dans les précédentes enquêtes du détective irascible qu’il ne vaut pas mieux trop chatouiller, cela donnait un ton old school qui séduisait mais qui pouvait sembler bien obsolète ou étranger aux plus jeunes des lecteurs. Ici, avec cette dichotomie entre la banlieue qu’a connue Fiéra et ce qu’elle est devenue, cela devient un régal de voir débarquer dans le bronx le détective au volant d’une DS de 1976 et de le voir évoluer dans une “chienlit” que n’aurait pas désavoué le grand Charles. Le contraste, la confrontation de deux mondes est souvent jouissive.

Attention, ce n’est pas un roman pour gamins, la violence est à la hauteur du bordel ambiant, les répliques y sont assassines, Fiéra va y laisser de plumes aussi. La Jouanie appose sur ses couvertures “roman policier mais pas que”. Ici, merci Jean Baptiste Ferrero, le slogan prend tout son sens.

Décapant, méchamment irrévérencieux.

Wollanup.



L’ APPÉTIT DE LA DESTRUCTION d’ Yvan Robin / Lajouanie

« Travailler tue », le précédent roman, d’Yvan Robin avait eu un certain écho dans la presse et les blogs. Quatre ans plus tard, pour son retour, il quitte le milieu du travail et de l’ultra libéralisme pour nous parler Rock n’ Roll.

Dans ce roman à trois voix, l’auteur emprunte trois voies pour raconter le groupe fictif « Ame Less », quatuor né d’un amour ado commun de la zik et qui a gravi rapidement les marches vers le succès et la reconnaissance. L’histoire du groupe, l’ascension puis la gloire puis l’ennui puis la désolation jusqu’à la chute prévisible et annoncée dès le départ, est racontée sous trois volets bien distincts. L’un raconte la genèse et l’histoire auréolée d’une gloire aussi fulgurante qu’inattendue, le second conte les ultimes heures du groupe durant une tournée qui sera la dernière au grand dam des acteurs qui ignorent le drame qui va se jouer et le troisième recueille les pensées du leader tentant de guérir de ses multiples addictions.

Les connaisseurs reconnaîtront des éléments du destin d’Indochine et de Noir Désir (Yvan est bordelais) mais aussi celui de L’ Affaire Louis Trio ou de Girls in Hawaï comme celui de Nirvana ou des Stones entre autres. Les autres lecteurs, moins au fait du monde du rock que semble très bien connaître Yvan Robin, découvriront l’envers du décor, la réalité derrière les paillettes, les média, les réseaux sociaux.


« Et puis communiquer sur les réseaux sociaux, être là toujours. A la page. Inviter la mercatique jusque dans l’intime. J’ai faim, j’ai froid, j’ai soif. Le faire savoir, le crier haut et fort, le partager. J’ai mal, j’ai triste. J’arrive plus à bander.Il faut des followers, il faut des abonnés. Des selfies. Des hashtags. Des likes. Le sens de la formule, pour stimuler la publication. »

Tout sonne juste, la scène racontant le dernier concert est magnifique et nul doute que les aficionados seront à la fête mais il serait très réducteur de limiter ce roman très bien construit et écrit à juste l’histoire d’un groupe de rock qui s’est, un de plus, brûlé les ailes au contact des spotlights .

Yvan Robin a un regard très juste, à nouveau, sur le groupe, restant très nuancé dans les heures de gloire comme dans le bordel de la fin, sans compassion réelle mais sans condamnation non plus. « Ame less » connaîtra une trajectoire, somme toute, finalement, banale dans un milieu qui dégomme rapidement ses héros une fois que ceux-ci perdent pied avec la réalité dans des paradis artificiels.

Afin que le roman trouve un public large qu’il mérite, il est utile d’insister sur le fait que « L’appétit de la destruction » est avant tout un roman noir, et qu’il est particulièrement recommandable. Yvan Robin est un bel observateur de ses contemporains et sa plume s’avère très pointue, réaliste sans être manichéenne quand il parle de la triste réalité des gens qui ne vivent pas dans le grand cirque du Rock n’Roll et que le  « band » côtoie par instants avant de retourner dans son Eden doré : une laverie, les urgences d’un hôpital, des SDF dans la panade, une station-service… autant de tableaux ordinaires particulièrement bien peints et dépeints qui donnent au roman une dimension humaine et sociale de qualité.

Du groupe à ses débuts : « Seule Nina Mélina possède un réel bagage théorique. Les trois autres jouent à l’oreille en bons autodidactes, plus à cheval sur l’intention que sur la pulse ».

Que ce soit en littérature noire comme sur le rock, vraiment pas dans l’intention, loin de faire ses gammes, Yvan Robin connaît déjà parfaitement la musique.

Rock on !

Wollanup.

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