Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Chroniques (Page 1 of 150)

UN MONDE NOUVEAU de Jess Row / Terres d’Amérique / Albin Michel

The New Earth

Traduction: Stéphane Rocques

Jess Row est un Américain partageant sa vie entre New York où il travaille et le Vermont deux des multiples décors de ce roman. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages où nouvelles et romans se côtoient à parts égales. Curieusement, Jess Row, auteur reconnu sur ses terres n’avait jamais été traduit en français. Cet oubli est maintenant réparé et Un monde nouveau rejoint la très belle famille de la collection Terres d’Amérique de Francis Geffard.

 » Issue de la bourgeoisie juive new-yorkaise, la famille Wilcox n’a plus guère en partage que son nom. Membre d’un cabinet d’avocats huppé, Sandy, qui ne s’est jamais remis de son divorce, est la proie de pensées suicidaires. Son ex-femme, Naomi, géophysicienne de renom, vit recluse dans un laboratoire avec sa compagne. Patrick, le fils aîné, s’est installé au Népal où il est devenu moine bouddhiste. Sa soeur, Winter, avocate qui défend les sans-papiers, en veut à leur mère de leur avoir longtemps caché l’identité de son père biologique. Tous sont hantés par la disparition tragique de Bering, la cadette, militante pacifiste morte à vingt et un ans en Cisjordanie sous les balles d’un soldat israélien.
Comment les Wilcox ont-ils bien pu en arriver là ? Cette fracture entre eux tous est-elle irrémédiable ? »

Un monde nouveau est un grand roman qui affiche une parenté certaine avec d’autres oeuvres majeures américaines. Volumineux, comme beaucoup d’œuvres majeures ou considérées comme telles, on pense d’emblée à Les corrections de Jonathan Frantzen. On y retrouve certaines névroses familiales déjà décrites chez Frantzen mais Row les dévoile, les dissèque à l’aune d’un monde qui tourne de moins en moins bien. Remontant à la source, la rencontre de Sandy le père et de Naomi la mère dans les années 80, Jess Row raconte leur couple puis la famille qu’ils ont fondée jusqu’à 2018, au début du premier mandat de Trump. Le caractère juif de la famille nous approche aussi des mondes de Philip Roth de La tache particulièrement, Pastorale américaine, étant d’ailleurs cité au détour d’une page.

Un monde nouveau se mérite, s’aventure parfois dans des mondes parfois très éloignés de notre propre histoire mais en proposant toujours une vision radicale, sans langue de bois, avec des propos acerbes, durs vis à vis du monde mais aussi surtout vis à vis d’une famille composée de personnes aux parcours professionnels impressionnants. Un membre de la famille s’interroge d’ailleurs. Comment une famille formée de gens « intelligents » peut elle-en être arrivée là ?

Variant les histoires et les époques, revisitant les traumatismes vécus et en nous imposant d’autres restés enfouis, Row nous embarque brillamment dans un tourbillon de sentiments très contradictoires, montre parfois l’indicible, crée une certaine gêne mais montre aussi la vacuité d’une famille très aisée, bardée de gourous, de psys, si new-yorkaise, si américaine et terriblement égoïste dans le moindre de ses agissements. Derrière le masque des apparences de parcours professionnels accomplis, beaucoup de noirceur. Du lourd qu’il faudra parfois appréhender avec patience mais le voyage vaut vraiment le détour.

Clete

L’INCIDENT D’HELSINKI de Anna Pitoniak / Série Noire / Gallimard

The Helsinki Affair

Traduction: Jean Esch

Rome. Konstantin Nikolaievich Semonov a très chaud devant la guérite de l’ambassade américaine. Il veut absolument transmettre une information essentielle : Le sénateur de l’Etat de New York, Bob Vogel, actuellement en voyage en Egypte va être assassiné. Semonov travaille à Moscou, à la Direction Générale du Renseignement…enfin…il y fabrique passeports et visas.

C’est Amanda Cole, adjointe du chef de poste de la CIA qui va devoir traiter l’affaire, puisque son chef s’y refuse…et que le sénateur va effectivement mourir au Caire !

La suite pourrait être un classique roman d’espionnage, KGB contre CIA. Guerre foide, trahisonsAgents doubles ou triples en relation avec « les mauvais génies de la tech », viralité, business et géopolitique, « oligarques piliers de vastes entreprises de corruption soutenues par le Kremlin », des taupes que l’on retourne…

Sauf que la mort du sénateur va révéler un mystérieux dossier : une sorte de combine, voire de complot qui met en lumière un nom : Charlie Cole. C’est un ancien agent clandestin, actuellement au placard à la CIA. Il a été impliqué, il y a une trentaine d’années, dans L’Incident d’Helsinki…C’est aussi le père d’Amanda !

Elle ignore tout du passé de son père et devra donc éclaircir cet Incident d’Helsinki pour comprendre la mort du sénateur. 

«Le choix était le suivant : compromettre son père ou se compromettre elle-même. Ne voyait-il donc pas que cette position était intenable ? Ou bien il en était conscient et il n’en avait rien à foutre ? Ou bien il en était conscient et il misait sur l’obéissance filiale ?»

Et c’est ce choix qui va donner de l’épaisseur à ce roman. Lui permettre de démarrer vraiment et de nous lancer dans des montages assez complexes auxquels sont habitués les amateurs de romans d’espionnage. Il y a du suspens et la fin est riche en rebondissements.

L’écriture ne m’a pas séduite, même si « le petit auvent vert » peut nous émouvoir, les « orchidées sémillantes » me semblent un brin artificielles, comme d’autres descriptions un peu guimauve…Peut-être est-ce pour adoucir, voire féminiser, ce milieu habituellement riche en brutes sans états d’âme. Il faut d’ailleurs remarquer que les femmes ont un rôle assez fort dans cette intrigue, ce qui n’est pas si fréquent.

C’est le quatrième roman d’Anna Pitoniak, mais le premier roman d’espionnage et le premier relevé par Nyctalopes. Elle vient du monde de l’édition.

La presse anglo-saxonne a désigné son roman comme le meilleur thriller de l’année. Et ces encouragements (même si on ne les partage pas totalement) vont, on pourrait le parier, induire d’autres pérégrinations d’Amanda Cole puisqu’elle « se passionne pour le chaos du monde. »

Soaz.

UNE FAMILLE MODÈLE de Jennifer Trevelyan / Série Noire / Gallimard.

A Beautiful Family

Traduction : Karine Lalechère

Je m’appelle Alix, j’ai bientôt onze ans et je vais vous raconter mes vacances au bord de l’océan. Je sais, c’est ce que demande tous les instituteurs du monde lors de chaque rentrée scolaire. Mais cette fois j’ai beaucoup à dire sur ce séjour en compagnie de mes parents et de ma grande sœur Vanessa. Un séjour estival comme on dit chez vous en Europe. Mais chez nous, aux antipodes, les chaleurs de l’été et les bains de mer arrivent en même temps que le sapin et les cadeaux de Noël. Imaginez-vous un instant la tête à l’envers. Bref, il faudra plus de 300 pages à Jennifer Trevelyan pour relater tout ça. Ah, au fait, si vous ne connaissez pas Jennifer, c’est normal. Elle vit à Wellington comme moi, notre capitale située à la pointe sud de l’Île du Nord, vous me suivez, de la Nouvelle Zélande. Elle a longtemps travaillé dans l’édition et Une famille modèle qui retranscrit mon histoire est son premier roman. On me dit souvent que mon élocution est parfaite « pour mon âge », mais Jennifer y a apporté tout son talent pour arriver à conjuguer le sourire pétillant de mes mots d’enfant et la noirceur du monde des adultes. JD Salinger et pas mal d’autres ont réussi l’amalgame avant elle. Mais la narratrice que je suis patauge pour le coup dans de néfastes courants d’eau trouble inédits, rendus opaques par les dérapages de mon imagination et les mensonges toxiques des prétendus majeurs. J’admets volontiers ne pas tout décrypter de ce que je vois et entends. Mais c’est normal, ma perception des faits et des gens reste celle d’une petite fille. Je pense que Jennifer en profite pour manipuler ses lecteurs et les perdre dans le dédale de mes interprétations. C’est malin et parfaitement orchestré. Le jeu est certes dangereux : il va forcément y avoir des vaincus et des victimes.
Heureusement il y a Kahu, un Maori de douze ans rencontré sur la plage dès mon arrivée, presque un grand-frère, en mieux, en héros qui me remue le ventre rien qu’à le regarder, même si je ne comprends pas pourquoi : mon seul vrai pote, si je fais abstraction de mon walkman rouge vif et de mon unique cassette de Split Enz (Là c’est juste pour vous rappeler vos soirées eighties et situer l’époque, celle du livre et de vos déhanchements sous les boules à facettes). C’est une chance d’avoir croisé Kahu et d’avoir pu ainsi transformer le ronron littoral en une aventure. La nôtre d’aventure s’appelle Charlotte : une fille pas plus haute que moi et disparue quelques années plus tôt dans les mêmes dunes. C’est sûr, Kahu et moi retrouverons sa piste, ou tout du moins les indices qui mèneront à une éventuelle piste. J’en suis sûre. Et pourquoi puis-je l’affirmer ? Parce que Kahu et moi marchons toujours dans le même sens, sans jamais nous disputer. OK, je me chamaille parfois avec Vanessa, pour des bêtises la plupart du temps. Rien à voir avec les disputes de Papa et Maman, surtout depuis que le père de Lucy est revenu dans les parages. Je le trouve pourtant élégant et charmant le Papa de Lucy, bien plus avenant que cet étrange voisin dont la présence s’avèrera néanmoins cruciale au moment opportun. J’aurai au moins appris cette année-là qu’on ne juge pas les gens à leur faciès. Quoi que… Des zones d’ombre cacheront à jamais les réponses à mes questions. Qui est ma mère ? Qui est mon père ? Qu’est devenue Charlotte ? Qu’est-il arrivé à la Maman de Lucy ? Les jours défilent, la fin des vacances approche, l’ambiance se dégrade et des mots compliqués tels que meurtre, suicide ou suspect s’invitent. Je m’appelle Alix, j’aurai bientôt douze ans…

JLM

EN FINIR AVEC LES JOURS NOIRS d’Effie Black / Le Gospel

In Defence of the Act

Traduction: Adrien Durand

Quel est le point commun entre le rat-taupe, le bourdon et l’araignée money spider ? Ces espèces sont capables de se suicider pour protéger les leurs et garantir la transmission des gènes. Jessica Miller, une jeune Londonienne, chercheuse en psychobiologie, se passionne pour le sujet et décide d’étudier les possibles correspondances avec le monde humain. Quand se mêlent son intellect de scientifique, des réminiscences de traumatismes familiaux et un chaos imposé par sa cadette adorée, Jessica s’interroge sur sa capacité au bonheur et à échapper aux schémas destructeurs de ses ascendants.

Intitulé In defence of the Act dans sa langue originale, le premier roman de l’Anglaise Effie Black porte titre un peu plus ouvert à l’interprétation et donc éventuellement plus lumineux, En finir avec les jours sombres, mais le sujet n’en reste pas moins clivant et prête à débat. Cela sort chez Le Gospel et pour l’occasion, Adrien Durand, le taulier de la maison d’édition, prend également la casquette de traducteur.

Jessica Miller, protagoniste principale de ce livre, va connaître quelques drames dans sa vie qui l’amèneront à élaborer une théorie intéressante mais pas exactement répandue dans notre société. Jeune, elle vivra la tentative de suicide ratée de son propre père, personnage violent qui impactera durablement la cellule familiale. Plus tard, ce sera une autre tentative de suicide, réussie cette fois, qui va la marquer. Celle d’une personne qu’elle tenait en estime, dont elle se sentait proche, mais dont le suicide révèlera à Jessica que cette personne n’était pas celle qu’elle pensait connaître et que son geste a certainement permis d’éviter le pire et donc de préserver les premier(e)s concerné(e)s. Sa théorie est donc que le suicide, sujet encore relativement tabou et mal perçu en général, peut s’avérer être un geste altruiste et bénéfique pour la société. C’est dans sa vie professionnelle, au travers de recherches scientifiques sur certaines espèces animales, qu’elle tente de confirmer ou d’étayer cette théorie. Pour autant, plus tard dans sa vie, un autre drame viendra brutalement remettre en question ce qu’elle pensait jusqu’alors. Mais En finir avec les jours noirs est également l’histoire d’une jeune femme queer qui tente de se construire une vie, affective et sentimentale notamment, en essayant tant bien que mal de conjurer son passé plutôt que de le laisser complètement dicter son présent et son futur.

A mon sens, la théorie développée par Jessica Miller est particulièrement intéressante. Bien évidemment, c’est un sujet difficile, mais elle permet de voir les choses sous une autre perspective et d’ouvrir la discussion. Comme je l’ai écrit précédemment, cette théorie se trouve remise en question dans la dernière partie du livre, il n’y a donc pas ici une prise de position tranchée de la part de l’autrice. Mais aussi dur soit le sujet, le ton d’Effie Black qui ne manque pas de traits d’humour façon british et demeure toujours très rationnel, ne le rend pas pesant et évite que le livre sombre dans un pathos trop intense et potentiellement indigeste. Écrit à la première personne, En finir avec les jours noirs donne l’impression de lire un récit autobiographique, presque un essai ou des mémoires, ce qui laisse dire, une fois encore, que la fiction est parfois le meilleur moyen de raconter la vérité. La fin, un poil trop conventionnelle, est sans doute la seule chose qui vient un peu noircir le tableau. Au final, le livre d’Effie Black est peut-être plus une ode à la vie qu’il n’y paraît.

En finir avec les jours noirs est un premier roman honnête et touchant. Une approche singulière mais intelligente d’un sujet particulièrement sensible. Grâce à Effie Black, peut-être allez vous découvrir que vous êtes plutôt un grain de café, une carotte, un œuf ou encore un sachet de thé. Comprendra qui lira.

Brother Jo.

UNE SAISON DE COLERE de Sébastien Vidal / le mot et le reste.

Avec Une saison de colère Sébastien Vidal met un terme à son « cycle des saisons » aux éditions Le Mot et le Reste entamé par Ça restera comme une lumière poursuivi avec Où reposent nos ombres et De neige et de vent (prix Landerneau Polar 2024).

« De nos jours, à Lamonédat en Corrèze, cinq mille habitants. Le printemps s’annonce sur les bords de la Vézère. Deux événements bouleversent la quiétude de la bourgade. À l’usine VentureMétal, la grève générale a été votée pour lutter contre une délocalisation en Roumanie. En outre, un projet porté par le maire a fuité et fait scandale. Il vise à dynamiser le territoire mais il implique de raser la forêt municipale. Surnommée la Coulée verte, celle-ci est très appréciée des habitants qui, pour la défendre, se mobilisent et créent une ZAD. Dès lors, le climat se dégrade à Lamonédat et les clans se forment, opposant les pro aux anti. C’est dans ce contexte, que les chemins de Julius, un ancien gendarme démissionnaire, de Grégor, le porte-parole des ouvriers, d’Alba, une jeune ouvrière, de Jolène, une tueuse à gage en perdition et de Jarod, un zadiste surnommé l’Écureuil, vont se croiser. Tous sont alors en prise avec des sentiments contradictoires – peur, indignation, dépit, espoir – qui les mèneront pourtant ensemble à la révolte. »

Une saison de colère, c’est avant tout un roman noir social dans la France périphérique, poumon de la nation peu médiatisé, un roman de lutte pour le respect d’hommes et femmes bafoués, humiliés. Une délocalisation en Roumanie, la mondialisation dans toute son horreur… 400 emplois sur le carreau, 400 familles flinguées, une ville poignardée, les services de l’état vont se barrer, les classes vont fermer, des commerces vont baisser le rideau, le chômage… et ce sentiment d’injustice qu’il faut flatter pour ne pas sombrer dans la noirceur d’une vie qui semble s’arrêter, d’une existence qui mène toujours à l’échec. La colère gronde et elle sera libératrice.

« Ils étaient chez eux, ils vivaient ici, ils y avaient leurs souvenirs, beaucoup y avaient des racines, et toutes et tous éprouvaient au fond d’eux _ et c’était un sentiment émouvant_ que c’était ce territoire qui allait leur enseigner ce que cela faisait de se battre pour une juste cause. »

Une saison de colère, c’est aussi un polar. Parallèlement au conflit se glisse une magouille de certains édiles avides du fric de l’industrie du tourisme qui vendent leur âme au diable et tout cela finira dans le sang et dans une investigation policière.

Mais Une saison de colère, c’est aussi une grande tranche réjouissante d’Americana, Sébastien Vidal déplaçant la Corrèze dans l’Amérique rurale de James Lee Burke ou Larry Brown qui l’inspirent depuis toujours, au son d’une Amérique ouvrière chantée par Bruce Springsteen.

Et enfin, Une saison de colère est une belle leçon d’humanité. Julius, son personnage (son clone littéraire ?) et d’autres tentent d’apaiser les brûlures, d’aider. Sébastien Vidal, souvent, tente de désamorcer toute cette noirceur. Par une utopie de convergences des luttes, par une description forestière ou un moment plus contemplatif, il tente d’enrayer les spirales de la violence et de la douleur et comme sa plume est belle, le lecteur suit ces petits enchantements, ces instants de solidarité. Des petits moments qui font toute la beauté du roman, qui l’éclairent.

« La solidarité, ce mot épuisé par tant d’usages, allait être mis en pratique. »

C’est un beau roman, c’est une triste histoire.

Clete.

LES ETOILES ERRANTES de Tommy Orange. Terres d’Amérique / Albin Michel.

Wandering Stars

Traduction: Stéphane Rocques

«De l’intérieur du tipi, j’ai d’abord cru que c’était le tonnerre, ou un bison, puis j’ai vu la lueur violet et orangé de l’aube là où les balles avaient troué les parois de la tente. Dehors, tout le monde s’enfuyait ou tombait, fauché en pleine course. » Jude Star

Jude Star est l’ancêtre des Etoiles errantes. Survivant du massacre de Sand Creek. (1864).

Comme dans Ici n’est plus ici retenu en 2019, Tommy Orange propose un prologue efficace nous préparant à la lecture de ce magnifique roman. Son écriture dense et poétique (souvent humble aussi) va nous aider à surmonter le désespoir des personnages. Tommy Orange, on le rappelle, appartient à la tribu des Cheyennes du Sud de l’Oklahoma.

Jude Star (Bird, à l’origine) a douze ans et raconte sa fuite avec un autre adolescent, Bear Shield. C’est la première errance. Désolation, douleur.

«Tant de faim et de souffrance, mais à partir de ce moment-là est apparu quelque chose de nouveau. On frappait le tambour, on chantait, et il en sortait une espèce de beauté brutale.»

Les deux adolescents connaîtront tout de l’emprisonnement, de l’entraînement à « devenir des soldats, habillés comme ceux-là mêmes que nous avions vus décimer notre peuple », de l’humiliation à être offerts en spectacle, de la honte, de la violence.

Et Jude Star va avoir un fils : Charles Star : Nouvelle errance, famine, réclusion, déracinement, alcool, Laudanum, braquages… Et Charles va avoir une fille : Opal Viola Bear Shield…L’épopée se terminant en 2018 !

Là, on se dit qu’on est déjà perdu dans la généalogie et que d’ailleurs, on a déjà beaucoup lu autour de cette thématique dans de nombreux très beaux romans (Louise Erdrich, pour ne citer qu’elle)…

Mais ce qui fait, selon moi, la richesse du livre, c’est la manière dont Tommy Orange va tresser ces sept générations. Il nous propose une autre forme de pensée que la pensée stratigraphique ancrée dans nos sensibilités qui superpose les générations et les sédimente.

C’est Tim Ingold (Le Passé à venir. Repenser l’idée de génération, trad. Cyril Le Roy, Seuil, 2025) qui imagine, plutôt qu’un empilement, une corde que l’on fabriquerait en enroulant les générations, en les entortillant comme des brins d’herbe.

« La solidité de la corde vient de l’opposition entre les deux torsions, celle des torons devant être inverse à celle de leur enroulement. Le couple de torsion des torons, qui, laissés seuls, auraient tendance à se détendre, renforce la tension de leur enroulement qui, en retour, resserre les torons eux-mêmes. Ce sont ces forces opposées, associées à la friction sur leur longueur des brins d’herbe constituant les torons, qui permettent à la corde de ne pas s’effilocher et lui donnent sa capacité de résistance à la traction. » Et « en introduisant de nouveaux brins d’herbe dans l’enroulement, la corde elle-même peut se poursuivre indéfiniment »

Les vies humaines des Etoiles errantes sont ces brins d’herbe qui s’enroulent selon un rythme « qui naît du cycle des générations humaines.» Et Tommy Orange, en tressant cette histoire, aide peut-être à assurer une continuité, (ou « perdurance ») plus que jamais menacée…

« Mais survivre ne suffit pas. Traverser les épreuves ne faisait que renforcer nos capacités d’endurance. Le simple fait de durer, c’est bon pour une muraille, une forteresse, mais pas pour un être humain.» dira Opal Viola Victoria Bear Shield.

Soaz


ENFERMÉ. Mathurin Réto, pupille à Belle-Île de Julien Hillion (scénario) & Renan Coquin (dessin) / éditions Dargaud

Julien Hillion, résidant dans la région de Saint-Malo, est docteur en histoire contemporaine. Ses travaux de recherches portent sur la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer, dont il est aujourd’hui le spécialiste. Son ouvrage Le bataillon des « nuisibles » » (2022) est une référence sur la question. Il est également auteur et réalisateur du documentaire historique Théret n°487 (2024) et de plusieurs courts-métrages de fiction. Renan Coquin est lui l’un des fondateurs de la revue rennaise de bande dessinée La Vilaine. Dessinateur et aquarelliste autodidacte, il a publié en 2024 ses deux premiers albums en tant dessinateur : Le Sourire d’Auschwitz avec la journaliste Stéphanie Trouillard et Pillages avec Maxime De Lisle. L’histoire sinistre du bagne pour enfants de Belle-Île, quelque peu enfouie, s’est retrouvée récemment sous les projecteurs de l’actualité avec la publication (et le succès) du roman L’enragé de Sorj Chalandon. Enfermé revient sur un épisode antérieur de vingt ans à la révolte générale évoquée dans le roman.

À la mort de sa mère, Mathurin Réto embarque clandestinement à 13 ans sur un navire en partance pour Terre-Neuve. Il y connaît les brimades qui accompagnent la vie de mousse, mais se fait également un ami, Ernest. Les deux gamins vont faire les quatre cents coups… jusqu’à sombrer dans la petite délinquance, ce qui va les mener à la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer. Nous sommes en 1907, Mathurin a 14 ans, il doit être détenu jusqu’à ses 21 ans. Une autre vie commence, faite de coups et de discipline militaire. Mais Mathurin est une forte tête et refuse d’être brisé. Il tente de s’évader à plusieurs reprises… ce qui le conduit au cachot plus souvent qu’à son tour.

En ce début de XXe siècle, la vie est rude pour les travailleurs de la mer (elle ne l’est pas beaucoup moins aujourd’hui même si elle a évolué). Pour les mousses en particulier, elle est particulièrement accompagnée de bizutages, brimades, brutalités. Il faut être un peu fouine et un peu filou pour échapper aux dangers du métier, aux aléas météorologiques d’une campagne de pêche ou aux poings et lames des membres adultes de l’équipage. Parfois cela forge une amitié, comme celle qui rapproche Mathurin et Ernest.

Las. A cette terre, cette amitié sera funeste pour les deux jeunes marins. L’un entraîne l’autre, la vengeance de l’un devient l’affaire de l’autre. Elle se règle à coups de barre de fer. Et puis pourquoi ne pas améliorer l’ordinaire par le chapardage ? Un jour, voilà les deux adolescents devant la justice. Celle-ci est à l’époque radicale. Ce sera le bagne pour mineurs. Ernest et Mathurin doivent y passer toutes les années qui les séparent de leur majorité. Ils vont vite découvrir les conditions inhumaines et insalubres de leur détention, sous la houlette d’un directeur pénitentiaire adepte de la fermeté. Mathurin, fort caractère, ne veut pas se soumettre, rêve d’une évasion qu’il cherchera plusieurs fois à réussir. Il sera donc brisé. Si son sort fait à l’époque un petit scandale, déclenche les premières protestations nationales, le bagne de Belle-Île continuera à accueillir de nombreuses années encore des détenus mineurs. L’histoire (authentique) de Mathurin Rého, présentée sans jugement moral mais dans sa banalité triste, inéluctable, résonne aussi à notre époque où on débat d’une hypothétique faiblesse de la réponse judiciaire et sociale à la délinquance des jeunes gens, dans l’amnésie sans doute de ce qu’elle a pu être dans le passé : parfaitement horrible.

L’album respire de très belles atmosphères atlantiques, marines. Sur un bateau, dans un port ou sur une île, les flots et les cieux ne sont jamais bien loin et Renan Coquin ne le fait jamais oublier. Une teinte sépia diffuse amarre de surcroît l’ensemble aux années du tout jeune XXe siècle. On apprécie également le trait « griffé », « entaillé » des personnages comme pour signifier un peu plus que la vie ne les a pas préservés.

Un cruel récit historique sur une révolte juvénile écrasée, qui fait serrer les poings d’indignation.

Little Bic Man

L’ÉTENDARD SANGLANT EST LEVÉ de Benjamin Dierstein / Flammarion.

L’étendard sanglant est levé est le deuxième tome d’une trilogie racontant la cinquième république de 1978 à 1984. Du noir d’orfèvre, le plus pur depuis longtemps que l’on retrouvera une dernière fois en janvier prochain avec 14 juillet pour un épilogue que l’on imagine explosif. Dans l’entretien qu’il nous a accordé lundi, Benjamin Dierstein déclare avoir fait le maximum pour qu’on puisse aborder cet opus sans avoir lu la première partie, mais il considère aussi qu’il vaut mieux avoir lu Bleus, Blancs, Rouges avant d’entamer cette suite… Franchement comment pourrait-on se priver d’une histoire de très haut vol et particulièrement essentielle à la compréhension des faits et des gestes des quatre personnages principaux ?

Janvier 1980. Alors que la France s’enfonce dans la crise économique, les services de police sont déterminés à mettre un visage sur ceux qui importent le terrorisme révolutionnaire dans le pays.

Infiltré auprès d’Action directe, le brigadier Jean-Louis Gourvennec approche un marchand d’armes formé par les services libyens qui affole Beauvau et répond au surnom de Geronimo. Jacquie Lienard, son officier traitant aux RG, tout comme Marco Paolini, un jeune flic tourmenté de la BRI, sont prêts à tout pour localiser et identifier le trafiquant. Les deux inspecteurs concurrents vont rapidement faire face à Robert Vauthier, un mercenaire reconverti en proxénète qui enflamme les nuits de la jet-set parisienne et s’apprête à prendre le chemin du Tchad pour traquer Geronimo. La campagne présidentielle et le retour de Carlos sur le devant de la scène vont plonger ces quatre personnages dans un déchaînement de coups bas, de corruption et de violence dont personne ne sortira indemne.

Le deuxième tome d’une saga historique entre satire politique, roman noir et tragédie mondaine, dont les personnages secondaires ont pour nom Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Charles Pasqua, Tany Zampa, François de Grossouvre, Carlos ou Gaston Defferre.

Certains s’interrogeaient pour savoir si l’auteur aurait assez de souffle pour tenir les trois tomes, mais c’est le lecteur qui a rapidement le souffle coupé. Et il fallait s’y attendre vu que Benjamin Dierstein a tout écrit d’une traite avant d’en faire ensuite trois volumes au moment de l’édition. Aucune chute de tension. On s’en doutait, l’auteur a déjà à son actif une trilogie des années Sarkozy terminée par La cour des mirages et ça redémarre pied au plancher, après néanmoins un déstabilisant premier chapitre (un peu à la manière des Anglo-Saxons) qui nous expédie… au Congo en 1965. Après quelques pages pour atterrir, on retourne dans la France de 1980. Une autre France, paysage politique, traditions, styles de vie, mentalités, dangers intérieurs et extérieurs… tout est pointé, sans excès, mais avec une grande minutie pour une plus grande fidélité à l’histoire, se révélant parfois de l’ordre de l’intime pour certaines générations qui ont rêvé très fort un certain dimanche de mai 1981.

Et c’est un immense plaisir de retrouver les quatre personnages principaux qu’on a laissés avec quelques casseroles et qui vont s’empresser de replonger dans les eaux sales de la république. Tous veulent gagner mais ont beaucoup à perdre, plus proches du ravin que des cieux. Sur la lame du rasoir : Jacquie Lienard qui trempe à gauche, Paolini qui mouille à droite, Vauthier l’ex mercenaire aujourd’hui roi des nuits parisiennes qui s’impose dans le sang, et Gourv, « Il faut sauver le soldat Gourvennec ! », infiltré dans les réseaux d’extrême gauche. Ces quatre personnages vous attendent pour 900 pages de folie, traversant toutes les sales histoires intérieures et extérieures de la république, y laissant des plaies, payant de leur personne leur cupidité, leurs croyances, leur idéal, leur intérêt, leur folie, leurs erreurs… Des êtres de chair et de sang, parfois inhumains et si simplement humains finalement.

Comme dans Bleus, Blancs, Rouges, le rythme est halluciné, ne laissant aucun répit. Benjamin Dierstein, avec maestria, intègre la destinée de ses personnages dans le grand cercle des sales histoires de l’histoire de la fin du vingtième siècle. On corrompt, on tue, on élimine, on exfiltre, on possède, on prend, on vole, on se venge, on trahit, on renie.

« BLAM ! BLAM ! »

En empruntant au style de James Ellroy par cette utilisation de documents confidentiels comme les écoutes téléphoniques, les comptes rendus d’interrogatoires… Dierstein installe une proximité à l’histoire, complément intéressant à l’addiction créée par les destins des personnages. Tout en semblant jouer le témoin neutre, se « contentant » de raconter l’époque, il joue avec le lecteur en essayant de lui faire venir parfois une émotion qui déclenchera peut-être une larmichette. Il l’avait déjà tenté par le passé. Enfin, il finit de séduire avec un humour agréablement parsemé tout au long du roman aussi noir qu’inattendu comme ce duo de clowns grandiose ( Barril / Prouteau du GIGN ).

Aussi explosif que Bleus, Blancs, Rouges,  L’étendard sanglant est levé est encore plus furieux et explose dans de multiples directions que l’on n’attendait pas forcément, mais toujours avec un souci de présenter l’essentiel au lecteur parfois déboussolé dans ce marigot alimenté par les affaires françaises mais aussi par les irruptions étrangères, Paris étant devenu le terrain de jeu préféré des poseurs de bombes.

Remarquable !

Clete.

PS: entretien avec Benjamin Dierstein pour Bleus, Blancs, Rouges.

LE FARDEAU DU PASSÉ de Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt / Actes Noirs / Actes Sud

Skulden man bär

Traduction: Rémi Cassaigne

« Hjorth & Rosenfeldt frappent à nouveau avec ce dernier opus de leur série phénomène consacrée au profileur Sébastian Bergman. » (Actes Sud)

Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt sont deux scénaristes et producteurs suédois qui connaissent quelques succès dans les « polars nordiques » !
Il s’agit en effet du 8ème tome de la série Dark secrets, qui, au début, (2011), devait être une trilogie…

Je les ai tous lus …mais Nyctalopes n’en a retenu aucun…d’où une certaine inquiétude de ma part, FORCÉMENT ! et l’impression de me faire l’avocate du diable…

Le diable étant … Sébastian Bergman lui-même !

Sébastien Bergman est un psychologue et profileur expérimenté et ancien policier. Dès que la police, et plus précisément, la police criminelle suédoise, s’embourbe, elle fait appel à lui.
Il est brillant et imbattable dans son domaine…
MAIS : antipathique, égocentrique, cavaleur, arrogant, cynique. Il se fait détester de tout le monde sauf…de certains lecteurs assidus qui sont les seuls à connaître ses failles.
Il est devenu au fil du temps un grand-père que la petite Amanda adore. (l’espoir d’amélioration est donc permis !)

Au cours des enquêtes on s’est attaché à Torkel, Vanja, Carlos, Billy…

Et Billy, parlons-en : le collègue, le policier exemplaire, l’ami… vient d’être arrêté : c’est un tueur en série : « Il a tué huit personnes. Parce qu’il le voulait. Parce qu’il y prenait du plaisir. »
Et cette découverte sidérante met l’avenir de la section de la police criminelle (avec, en plus, ses intrigues et ses luttes de pouvoir proches du pouvoir politique) dans une mauvaise posture pour affronter la nouvelle enquête : celle d’un meurtrier qui semble vouloir se venger de Sébastien Bergman, et lui lancer un défi .Mais se venger de quoi ?

«La femme dans le coffre de la voiture était la première. Combien en faudrait-il d’autres, cela dépendrait de son adversaire : était-il aussi malin qu’il le prétendait ?
Ce salaud arrogant. Sébastian Bergman.»

Contrairement à certains auteurs habitués aux longues séries, Hjorth et Rosenfeldt  n’entravent pas l’intrigue avec de nombreux ressassements. Les allusions aux histoires précédentes sont concises et s’inscrivent juste dans la compréhension ponctuelle des éléments de l’enquête.

Bien sûr, comme d’habitude, la vie personnelle de Bergman s’imbrique dans sa vie professionnelle :
Le lecteur est dans le secret depuis longtemps : Sébastien a perdu sa femme et sa petite fille de trois ans dans un Tsunami , en 2004, en Thaïlande.  Mais « que s’est-il réellement passé ce Noël-là, il y a presque vingt ans ? »

Vingt ans de deuil pendant lesquels Bergman s’est peut-être fabriqué de toutes pièces ce rôle de dinosaure autodestructeur et insupportable?…
Ce rôle qu’il a joué si longtemps lui permettra-t-il d’en endosser un nouveau si un évènement bouleversant surgit ? En est-il capable ?

L’écriture est nette, précise, sans fioritures, elle va direct à l’essentiel …

Dans Le fardeau du passé  il y a un savoir-faire indéniable qui maintient le suspens constant… Pas beaucoup de nuances, ni de sensibilité, ni peut-être de subtilité mais seulement du travail bien fait, bien agencé. Peut-être avons-nous là, le reflet d’un système implacable, technique et froid, celui de la police suédoise ou…d’ailleurs.

Soaz.


SUR LE FIL DE LA VIOLENCE de Mark O’Connell / Stock

A Thread of Violence

Traduction: Charles Bonnot

En 1982, dans une Irlande secouée par les attentats, le chômage et les grèves de la faim, Malcolm Macarthur se retrouve, à l’âge de 37 ans, dans une impasse financière. Ce dandy intellectuel qui ne se sort jamais sans son noeud de papillon est pris de panique à l’idée de devoir travailler pour gagner sa vie. Il échafaude alors un plan improbable : braquer une banque. Pour ce faire, il a besoin d’une voiture et d’une arme. Pour se les procurer, il assassine sauvagement une infirmière et un jeune fermier.
Mark O’Connell a longtemps été hanté par l’histoire de ce double meurtre. Alors que Macarthur a purgé ses trente ans d’emprisonnement, le voilà libéré et de retour à Dublin. Afin de percer les mystères qui entourent encore ces crimes brutaux et inexplicables, Mark O’Connell décide de le rencontrer. L’auteur se retrouve ainsi confronté à son propre récit : que signifie écrire sur un meurtrier ?

La recommandation d’Emmanuel Carrère, « Dans le panthéon des écrivains fascinés par des criminels, Mark O’Connell se révèle un des plus brillants. », alliée à cette photo de Malcolm Macarthur en couverture de ce livre, avec un nœud papillon et un regard perçant, intriguent d’emblée. Nul doute que l’on va avoir à affaire à du true crime, tout en s’attendant néanmoins à quelque chose d’un peu différent de ce qui se fait habituellement dans le genre true crime. C’est avec cette intuition que je me suis plongé dans Sur le fil de la violence de l’écrivain irlandais Mark O’Connell, mais s’est elle avérée fondée ou est-ce là un énième livre sensationnaliste sur un tueur ?

Vous vous en rendrez vite compte en lisant Sur le fil de la violence, il y a deux histoires dans ce livre, et non pas une. Il y a bien évidemment celle du tueur Malcolm Macarthur, personnage atypique pour un tueur, puisque issu d’un milieu très favorisé qui lui aura longtemps permis de se soustraire à toute vie professionnelle en étant financièrement assez confortable pour consacrer son temps à se cultiver et à profiter d’une vie mondaine propres aux personnes de son rang. Mais le jour où Malcolm Macarthur réalise que l’état de ses finances n’est plus viable et qu’il lui faudrait travailler pour subvenir à ses besoins et ceux de sa famille, ce qui dans son esprit signifie perdre sa liberté de pouvoir jouir de son temps comme il le souhaite, il commet l’irréparable en tuant deux personnes dans la perspective de préparer un braquage de banque. Ses crimes défrayeront la chronique en Irlande de part leur brutalité, mais également suite au retentissement politique lié au fait que Malcolm Macarthur fut arrêté dans l’appartement de son ami Patrick Connolly alors procureur général de la république d’Irlande, au point de faire de lui aujourd’hui encore le tueur le plus célèbre du pays.
Pour ce qui est de la deuxième histoire, c’est bien celle de l’auteur Mark O’Connell dont il est question, qui écrit sur sa vie, son parcours et sa démarche, essayant ainsi d’expliquer et de légitimer le fait qu’il en vienne à écrire un livre sur ce tueur qui l’obsède depuis longtemps, et qui s’apprête à prendre une importance encore plus conséquente dans sa vie avec l’écriture de ce livre qui est rythmée par des rencontres et entretiens avec son sujet principal, Malcolm Macarthur.

Ce qui dénote dans Sur le fil de la violence, en comparaison de ce qui se fait habituellement dans le true crime, c’est la volonté de l’auteur de découvrir les motivations de Malcolm Macarthur derrière ses crimes, tout en questionnant perpétuellement sa propre démarche en écrivant ce livre et en espérant rester au plus proche de la vérité, tout en étant conscient d’être contraint par le fait qu’il construit quelque chose essentiellement sur la base des paroles du principal intéressé. Mark O’Connell ne se contente pas de relater des faits, il réfléchit à ce qu’il est en train de vivre et d’écrire et nous fait part de ses réflexions. Il tente d’éviter ainsi les écueils propres au true crime en étant plus dans l’analyse que le sensationnalisme. Bien que je ne pense pas que l’on puisse dire que Mark O’Connell arrive à éviter tous les écueils, d’ailleurs il n’arrive pas non plus à véritablement éclaircir les réels motivations de Malcolm Macarthur derrière ses crimes, il parvient tout de même à nous faire réfléchir sur un genre littéraire qui a toujours autant de succès et à nous tenir en haleine avec une écriture particulièrement efficace.

Mark O’Connell signe avec Sur le fil de la violence un ouvrage plutôt en marge des canons du true crime. Ici la démarche de l’auteur est autant le sujet que l’histoire de Malcolm Macarthur et les crimes qu’il a commis. Un livre qui n’apporte pas toutes les réponses désirées mais qui soulève son lot de questions pertinentes et pas assez souvent posées.

Brother Jo.

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