Traduction: Mathilde Bach.
Tant que vous n’aurez pas lu ce roman sauvage et beau, vous continuerez à ignorer ce qu’est la littérature noire et vous n’aurez aucune excuse puisqu’il est sorti également en poche. C’est donc le second roman de William Giraldi , son premier en France et il est adoubé, même si cela ne veut pas dire grand-chose, par Dennis Lehane. Adaptation cinématographique en cours.
« Le premier enfant disparut alors qu’il tirait sa luge sur les hauteurs du village. Sans un bruit – nul cri, d’homme ou de loup, pour témoin. »
Quand Russell Core arrive dans le village de Keelut, la lettre de Medora Slone soigneusement pliée dans la poche de sa veste, il se sent épié. Dans la cabane des Slone, il écoute l’histoire de Medora : les loups descendus des collines, la disparition de son fils unique, la rage et l’impuissance. Aux premières lueurs de l’aube, Core s’enfonce dans la toundra glacée à la poursuite de la meute.
Aucun homme ni dieu nous entraîne aux confins de l’Alaska, dans cette immensité blanche. »
En regardant la couverture et en lisant la présentation, vous vous attendez forcément à un roman de « nature writing » et vous êtes dans l’erreur. On ne peut nier qu’on se trouve dans un exercice où l’humain est confronté à la puissance de la nature dans des contrées aux conditions de vie, de survie extrêmes. Quand Russell Core, spécialiste des loups, désespéré, au bord du suicide, décide de s’aventurer dans le no man’s land imaginaire de Keelut, il sait très bien que les loups ne sont pas responsables des disparitions des enfants mais il veut aider cette jeune femme Medora, impuissante, seule, son mari Vernon Stone se battant sauvagement avec l’armée yankee en Irak ou en Afghanistan. Ce qu’il va découvrir va le laisser pantois, désemparé dans un monde où il est considéré comme un étranger car dans cette partie de l’Alaska, les habitants d’un village forment une famille et tous ceux qui ne vivent pas sur place (y compris les gens des baraquements voisins) sont des intrus. L’administration de la justice se fait ou donne l’impression de se faire sans les services fédéraux, tant l’approche des gens et des villages semble délicate pour les représentants de l’Etat.
Notre « étranger » s’aperçoit vite aussi qu’il existe une loi du silence dans le village et que ce qui se passe dans la famille ne doit rester que dans la famille. C’est un monde frigorifié, battu par des vents monstrueux que va nous faire découvrir Giraldi, une société vivant en autarcie où on tente d’exister face aux éléments déchaînés dans le plus grand dénuement et le plus terrible des isolements. La nature est hostile mais respectée parce que c’est elle qui mène la cadence. De belles pages viendront décrire la beauté sauvage des paysages. Sauvage est le terme qui convient d’ailleurs le mieux pour ce grand roman, je le répète d’une force terrible à partir du moment où Vernon le père, à la faveur d’une blessure contractée sur le terrain, rentre à Keelut et apprend la mort de son fils.
Là, le roman prend une tournure grave, terrible, apocalyptique. Après, nous avoir décrit de bien belle manière le décor du drame, Giraldi va nous le faire vivre et cela va secouer gravement car les idées, la morale, les consensus nés de siècles de civilisation n’ont pas cours ici et vous allez rencontrer un animal doué de raison, uniquement meurtrière, pour pouvoir poursuivre son idéal, son but. Mes propos peuvent paraître fumeux, obscurs mais je ne peux en dire plus tellement vous devez, vous aussi, connaître le choc de cette révélation qui fait que le comportement des loups parait finalement bien plus civilisé que celui de certains autochtones que vous allez rencontrer.
Roman très dérangeant parce qu’il peut ébranler nos jugements, nos certitudes. Vernon poursuit un but, mène une traque meurtrière dans un enfer blanc redoutable qui n’a aucune prise sur lui. La terreur est présente, les codes de la civilisation absents.
Magnifique thriller, roman très original tranchant admirablement avec le plan-plan, un peu routinier de certains romans sur le grand Nord, un peu inertes, immobiles. On a parlé de Cormac McCarthy, et même si on le met un peu à toutes les sauces en ce moment, on connaitra un effroi identique à la lecture de « No country for old men ».
Thriller sauvage, éclairage magnifique sur ces damnés de la terre et leur monde en marge et réflexion philosophique sur « l’amour », ce roman ne laissera personne indifférent. Ouvrage ambitieux et franchement original et à l’issue sidérante qui risque de vous hanter longtemps, un gros coup de cœur.
L’homme est un loup pour l’homme.
Wollanup.
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