Australie 1962, Johnson, petite frappe fait un casse dans une bijouterie armé d’un démonte pneu. Pas de chance, en sortant avec son copieux butin il se retrouve face à face avec un flic qu’il tue avec son outil. Repéré par des témoins qui ont alerté la police, il fuit dans les quartiers mal famés qu’il connaît bien, les flics à ses trousses. Au moment où il semble être pris, se pissant dessus, chialant, il réussit à s’échapper dans la campagne, l’outback, le bush et une chasse à l’homme va commencer entre le pauvre naze, cogneur de femmes et les flics particulièrement remontés par la mort de leur jeune collègue.
Parallèlement, Davidson, reporter ambitieux et premier journaliste sur les lieux du casse va couvrir l’affaire et l’ hallali pour le journal télévisé de sa chaîne financé par un gros ponte de l’industrie pharmaceutique qui ne veut pas que l’on mette n’importe quoi dans son journal TV, pas de sujets sur le cancer par exemple vu qu’il ne vend pas les produits pouvant le guérir.
Nul doute que le voyou et le journaliste vont se retrouver au milieu des mallees et des geckos. Sorti en 1964 à la Série Noire sous le titre “téléviré” à une époque où l’éditeur produisait des titres français qui sentaient parfois trop l’humour alcoolisé, “Outback” n’est pourtant pas une série B se résumant à une traque ordinaire. Le roman est assez loin d’une littérature de gare purement récréative et montre en revanche les dérives et les limites de l’information, l’indépendance de la presse à une époque télévisuelle préhistorique à des années lumière de la réalité actuelle montrée dans des films comme “night call” ou dans la série hallucinante “Shot in the dark” sur le quotidien de reporters de nuit de L.A..
“Outback” est un bon bouquin comme tous ceux de Kenneth Cook grand auteur regretté qui auscultait la société australienne des années 60 et 70 tout en nous réjouissant aussi avec des recueils de nouvelles animalières désopilants comme “ Le Koala tueur et autres histoires du bush” ou “ La Vengeance du wombat et autres histoires du bush”. Toute l’oeuvre du grand écrivain des antipodes est éditée aux éditions Autrement.
Tant que vous n’aurez pas lu ce roman sauvage et beau, vous continuerez à ignorer ce qu’est la littérature noire et vous n’aurez aucune excuse puisqu’il est sorti également en poche. C’est donc le second roman de William Giraldi , son premier en France et il est adoubé, même si cela ne veut pas dire grand-chose, par Dennis Lehane. Adaptation cinématographique en cours.
« Le premier enfant disparut alors qu’il tirait sa luge sur les hauteurs du village. Sans un bruit – nul cri, d’homme ou de loup, pour témoin. » Quand Russell Core arrive dans le village de Keelut, la lettre de Medora Slone soigneusement pliée dans la poche de sa veste, il se sent épié. Dans la cabane des Slone, il écoute l’histoire de Medora : les loups descendus des collines, la disparition de son fils unique, la rage et l’impuissance. Aux premières lueurs de l’aube, Core s’enfonce dans la toundra glacée à la poursuite de la meute. Aucun homme ni dieu nous entraîne aux confins de l’Alaska, dans cette immensité blanche. »
En regardant la couverture et en lisant la présentation, vous vous attendez forcément à un roman de « nature writing » et vous êtes dans l’erreur. On ne peut nier qu’on se trouve dans un exercice où l’humain est confronté à la puissance de la nature dans des contrées aux conditions de vie, de survie extrêmes. Quand Russell Core, spécialiste des loups, désespéré, au bord du suicide, décide de s’aventurer dans le no man’s land imaginaire de Keelut, il sait très bien que les loups ne sont pas responsables des disparitions des enfants mais il veut aider cette jeune femme Medora, impuissante, seule, son mari Vernon Stone se battant sauvagement avec l’armée yankee en Irak ou en Afghanistan. Ce qu’il va découvrir va le laisser pantois, désemparé dans un monde où il est considéré comme un étranger car dans cette partie de l’Alaska, les habitants d’un village forment une famille et tous ceux qui ne vivent pas sur place (y compris les gens des baraquements voisins) sont des intrus. L’administration de la justice se fait ou donne l’impression de se faire sans les services fédéraux, tant l’approche des gens et des villages semble délicate pour les représentants de l’Etat.
Notre « étranger » s’aperçoit vite aussi qu’il existe une loi du silence dans le village et que ce qui se passe dans la famille ne doit rester que dans la famille. C’est un monde frigorifié, battu par des vents monstrueux que va nous faire découvrir Giraldi, une société vivant en autarcie où on tente d’exister face aux éléments déchaînés dans le plus grand dénuement et le plus terrible des isolements. La nature est hostile mais respectée parce que c’est elle qui mène la cadence. De belles pages viendront décrire la beauté sauvage des paysages. Sauvage est le terme qui convient d’ailleurs le mieux pour ce grand roman, je le répète d’une force terrible à partir du moment où Vernon le père, à la faveur d’une blessure contractée sur le terrain, rentre à Keelut et apprend la mort de son fils.
Là, le roman prend une tournure grave, terrible, apocalyptique. Après, nous avoir décrit de bien belle manière le décor du drame, Giraldi va nous le faire vivre et cela va secouer gravement car les idées, la morale, les consensus nés de siècles de civilisation n’ont pas cours ici et vous allez rencontrer un animal doué de raison, uniquement meurtrière, pour pouvoir poursuivre son idéal, son but. Mes propos peuvent paraître fumeux, obscurs mais je ne peux en dire plus tellement vous devez, vous aussi, connaître le choc de cette révélation qui fait que le comportement des loups parait finalement bien plus civilisé que celui de certains autochtones que vous allez rencontrer.
Roman très dérangeant parce qu’il peut ébranler nos jugements, nos certitudes. Vernon poursuit un but, mène une traque meurtrière dans un enfer blanc redoutable qui n’a aucune prise sur lui. La terreur est présente, les codes de la civilisation absents.
Magnifique thriller, roman très original tranchant admirablement avec le plan-plan, un peu routinier de certains romans sur le grand Nord, un peu inertes, immobiles. On a parlé de Cormac McCarthy, et même si on le met un peu à toutes les sauces en ce moment, on connaitra un effroi identique à la lecture de « No country for old men ».
Thriller sauvage, éclairage magnifique sur ces damnés de la terre et leur monde en marge et réflexion philosophique sur « l’amour », ce roman ne laissera personne indifférent. Ouvrage ambitieux et franchement original et à l’issue sidérante qui risque de vous hanter longtemps, un gros coup de cœur.
Travis Mulhauser est né, a grandi dans le Michigan. Désormais, il vit et enseigne en Caroline du nord mais c’est dans l’état du nord qu’il puise son inspiration. Il y situe Cutler, petite ville imaginaire, théâtre de ce roman et des nouvelles qu’il a écrites. Ce territoire aux hivers plus que rudes est ravagé par la meth qui est apparemment un des plus grands fléaux aux Etats-Unis. Dans cette petite ville, le trafiquant de marijuana et de cocaïne fait figure de notable, c’est dire !
Percy, 16 ans, est obligée de veiller sur sa mère, accro à la meth. Elle a dû renoncer au lycée et malgré ses incessantes promesses, sa mère disparaît régulièrement pour aller se défoncer la tête. En pleine tempête de neige, Percy, inquiète, part récupérer sa mère chez son dealer au fin fond des collines enneigées du nord et découvre un bébé à l’abandon…
« Quand j’ai senti sa petite main qui m’agrippait, mon cœur s’est arrêté de battre. Il était posé là, dans le courant d’air glacial, le visage déjà couvert de flocons. Un bébé. Minuscule sous l’ampoule nue de cette chambre poussiéreuse. Je le voyais pleurer, ses cris se perdaient dans le vent. Je n’ai pas réfléchi : je l’ai pris dans mes bras et je me suis enfuie. Je m’appelle Percy. J’ai seize ans. Voici mon histoire. »
On pense évidemment à « Un hiver de glace » de Daniel Woodrell : Percy, à l’instar de Ree, est une ado qui doit tout assumer. Elle a la même force, le même courage résigné. Le monde des adultes qu’elle côtoie est glauque, elle le sait mais par loyauté et avec une étincelle d’espoir qu’elle ne peut se résoudre à éteindre malgré la triste réalité, elle couvre sa mère et fait face aux catastrophes qui arrivent les unes après les autres. Percy est un personnage magnifique.
C’est elle la narratrice la plupart du temps. Elle connaît le côté sombre de la nature humaine et n’a pas froid aux yeux, elle pose sur le monde un regard fataliste et ironique qui lui donne un ton qui amène parfois un sourire et permet au lecteur de souffler car elle, Percy, n’en a pas beaucoup le temps…
Quand Percy n’est pas narratrice, Travis Mulhauser présente l’équipe des dealers qui vont organiser la traque, enfin organiser est un bien grand mot pour cette bande de tarés furieux complètement ravagés par la drogue qui ont du mal à suivre une idée plus de quelques minutes mais n’en sont pas moins dangereux. Ce ne sont pourtant pas des monstres, peu de gens le sont selon l’auteur, mais la meth fait vraiment disjoncter…
J’ai rarement été happée si rapidement par un bouquin : unité de temps, de lieu, d’espace… Travis Mulhauser capte le lecteur dès les premières pages et ne le lâche plus. Percy va trouver de l’aide chez un de ses ex-beaux-pères qui a décroché de la meth et se contente désormais de l’alcool, un mec clean pour la région, quoi ! On les suit dans leur fuite en sachant que forcément des choses vont foirer dans ce comté où « le plus dur, ce n’est pas tant le froid, mais le fait qu’à un moment ou à un autre, on morfle tellement qu’on finit par se sentir visé. » et on tremble.
Travis Mulhauser écrit avec un style simplissime, épuré et parvient pourtant à nous faire tout ressentir : la vie sordide des junkies, leurs pensées hallucinées et aléatoires, le froid mordant de l’hiver, la peur mêlée de colère de Percy, l’amour instantané qu’elle porte à ce bébé inconnu, son besoin irréfléchi de le sauver… Les personnages, leurs émotions sont vraisemblables, terriblement humains. Un immense talent de conteur!
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