Chroniques noires et partisanes

Étiquette : le seuil (Page 4 of 4)

LES PIÈGES DE L’ EXIL de Philip Kerr / le Seuil.

 

Riche, beau, savoureux, toujours prenant, et horrible ; du Grand Art.

« On peut dire que le genre de chance dont vous avez bénéficié ressemblait fortement à celle décrite par Sénèque. La rencontre de l’opportunité et de la préparation. »

Il faut avant tout dans cet admirable roman, après le talent de Philippe Kerr, féliciter la traduction de Philippe Bonnet. Cette phrase sort de la bouche de Somerset Maugham, vieil écrivain – dans le livre – anglais homosexuel, et, au delà de son apport spirituel, la simple manière dont elle est émise est un vrai plaisir de lecture. Philippe Kerr est un écrivain complet, il a décidé de nous conter une histoire d’espionnage, d’hommes déchus, de survivants, de femmes fatales, et, comme à son habitude, une histoire d’Histoire. C’est ce qui est le plus fascinant, au delà de son habileté d’écriture,  – les dialogues par exemple, lorsqu’il s’agit de faire parler ces sortes d’aristocrates anglais des années cinquante, un peu « pédérastes », « Suaves, reptilien, et suintant le dédain. ». « Incarnation du scélérat bien élevé et sardonique. » Les dialogues sont savoureux et précis, quelle réussite (il s’agissait tout de même de mettre en scène un des plus grands écrivains de son époque). Il y a tous ces personnages et toutes ces images d’une époque, une analyse sur le lien du secret entre espions anglais et homosexuels, tout aussi anglais, le genre d’attitude était alors réprimandé par la loi dans leur propre pays. Pays dont ils défendaient la cause, nous sommes en pleine guerre froide, et puis, il y a notre détective privé préféré, Bernie Gunther, survivant de guerre, de trahisons, d’histoires d’amour et d’amitié. Il officie en tant que concierge au Grand Hôtel. Dès le départ, cette simple allusion, rend hommage, et ce ne sera pas le seul, aux romans de John Le Carré. On pense au titre « The night manager », mais bien sur, sur toute la deuxième partie de l’histoire, il s’agit de « La Taupe », cette histoire d’espion infiltré durant des années dans les services secrets Britannique et travaillant pour les Russes. On retrouve les noms des protagonistes, à commencer par le fameux Philby !

Encore une fois, et même si vous ne connaissez pas ses romans, Philippe Kerr manie le roman policier avec art. On a beau aimer le roman noir, le polar, il n’en est pas moins qu’on a tous commencé par lire des Arsène Lupin, Sherlock Holmes et Agatha Christie, de grands classiques, et c’est ce genre de lectures, réactualisées au goût de l’Histoire avec un grand H, que nous livre l’auteur. Il y a du Hercule Poirot dans ces personnages millionnaires ou aristocrates profitant de la beauté et des charmes de la Côte d’azur. Cela débute simplement, une histoire de chantage contre un grand écrivain anglais homosexuel, on embauche le concierge de l’Hôtel, Bernie / Walter, qui se cache de son passé, de lui même aussi, c’est un personnage profond, couvert de blessures, d’amour propre et de dignité, témoin de ses propres erreurs, et, comme il le dit lui-même : survivant.

À partir de là, surgit le talent de Kerr, la Vérité, l’Histoire, il nous parle des drames de la deuxième guerre mondiale en Europe, mais, comme à chaque fois, vu par un Allemand lambda, ni nazi, ni guerrier, c’est nous montrer que la guerre est faite par les politique et des extrémistes pour ravager des populations, il y mêle mystères et rapport de forces, liés à la corruption et à l’inhumanité des dirigeants ou pire, profiteurs de ces situations, en parlant, par exemple de la légendaire Chambre d’Ambre, et déjà nous sommes dans les jeux d’espions, il raconte aussi le sort des homosexuels allemands sous le régime d’Adolf Hitler, et dès 1933, que ceux-ci soient des généraux, ou de simples citoyens, leur traitement était impitoyable.

Mais il s’agit avant tout d’un roman policier doublé d’un roman d’espionnage, le rythme est prenant, les rebondissements et révélations s’empilent, et de plus en plus dans la dernière partie, double-jeu, ancien ennemi avec qui l’on doit coopérer, bluff, soupçon, trahison, retournement, c’est tellement prenant, d’autant plus que cela sort directement d’une réalité vécue par les uns et les autres en ces années précises. Il nous décrit si bien la vie de cet écrivain passionné d’art et de peinture et de sa cour sous le soleil calme de la Riviera française (et si vous aimez le bridge, votre plaisir sera double, les analogie par rapport à ce jeu sont multiples), les senteurs de ses jardins, la beauté de ses petites villes, de Eze à la Turbie, il nous emmène même faire un tour dans la rue Obscure de Villefranche, pour ceux qui connaissent, un vrai régal. Il y aussi des clins d’œil à des « personnages » de l’époque (Pierre Brunneberg, le maître nageur de l’hôtel, « il avait appris à tout le monde, de Picasso à David Niven » – avec sa si particulière pédagogie que je vous laisse découvrir).

Mais la cerise, au-delà de l’Histoire dans l’histoire (Histoire passée et du moment, on est en plein conflit sur le Canal de Suez), des descriptions, des ambiances et des dialogues savoureux, passes d’armes ciselées, réparties désuètes et belles, la cerise c’est Bernie Gunther. Un vrai détective de roman noir ; désabusé, trahi, ballotté, castagné, et surtout, doté d’un humour ravageur et sombre ; «  On aurait dit que mes couilles avaient passé la nuit sur une table de billard de brasserie. » Comme d’habitude, nous autres Français, en prenons pour notre grade, mais, ça va, les Anglais et les Américains ne sont pas en reste, de même qu’il fustige ses propres compatriotes de l’époque, « Avec sa moustache en brosse à dent et son élégante tunique du parti, Koch ressemblait à l’effigie d’Adolf Hitler sur un carnet de rationnement. J’avais déjà vu des nazis plus petits, mais seulement dans les jeunesses hitlériennes. » Même si son enracinement à l’Allemagne et à Berlin, dont il nous narre le destin sous le rideau de fer, aussi bien que lors de son époque festive dans les années 20, reste plein de mélancolie. Et bien sûr, il n’omet pas les Russes, rappelant les outrages et la barbarie sans-nom qu’ont subie les femmes et filles des petites villes d’Allemagne lors de l’invasion des troupes de Staline.

Bien sur, à la fin, malgré les nouvelles cicatrices, malgré les petites victoires, les gnons et encore plus de secrets enfouis, l’Histoire continue, et, pour notre plus grand plaisir, celle de Bernie Gunther.

Du Philip Kerr, du Bernie Gunther tout craché, savoureux, violent et mélancolique, du Grand Art.

JOB.

EN MÉMOIRE DE FRED de Clayton Lindemuth / le Seuil.

Traduction: Patrice Carrer.

 

« En mémoire de Fred » est le second roman de Clayton Lindemuth qui avait commis en 2015 le très bon « une contrée paisible et froide ». Tous les lecteurs du premier roman doivent se réjouir du retour de celui qui avait été un peu abusivement comparé à Donald Ray Pollock à l’époque et qui montre ici qu’il n’écrit pas vraiment dans la même registre et qu’il n’évolue pas non plus tout à fait dans la même division.

« Baer Crichton est un cul-terreux fruste et macho obsédé par le Bien et le Mal. Depuis que, gamin, son grand frère Larry a essayé de l’électrocuter, il reçoit une décharge chaque fois que quelqu’un lui ment. Ou alors il voit une lueur rouge dans les yeux du menteur. Un don fort utile, mais est-ce suffisant maintenant qu’il faut venger Fred ? Le pitbull, son seul ami dans les bois de Caroline du Nord où il vit pas très loin des personnages de Ron Rash, a été kidnappé. On le lui a rendu en piteux état, victime d’un des impitoyables combats de chiens clandestins qu’organise l’abominable Joe Stipe, le caïd de la région. Quand il ne soigne pas Fred devenu quasi aveugle, Baer distille une gnôle si sublime que tout le monde lui en achète, le shérif compris. Ça lui donne du courage pour mûrir son plan. Non qu’il en manque, mais, en face, l’ennemi surarmé est en nombre et la lutte semble inégale. « Œil pour œil, dent pour dent », tel est le code de l’honneur hérité des pionniers. Baer l’appliquera jusqu’au bout. Voire plus loin. » Continue reading

RÉCIT D’UN AVOCAT d’Antoine Brea / Le Seuil / Cadre Noir + un entretien avec Antoine Brea.

Seuil Policiers, la collection polar du Seuil fait peau neuve. Rebaptisée « Cadre Noir », elle a été brillamment repensée sur la forme mais aussi et c’est plus intéressant pour le lecteur sur le fond. Pour l’inaugurer, on n’a pas lésiné sur la qualité et arrivent donc un inédit posthume du regretté William Gay dont on vous a déjà parlé et le deuxième roman de Clayton Lindemuth dont je vous causerai prochainement mais dont je peux dire d’ores et déjà que, dans un genre un peu différent de « une contrée paisible et froide », il ravira à nouveau tous ceux qui ont aimé le premier roman. Pour ma part, je me régale avec un personnage de Baer complexe, marginal, borné et inconscient mais particulièrement attachant. Mais Lindemuth comme Gay étaient déjà dans le catalogue du Seuil et la cerise sur le gâteau et véritable innovation c’est incontestablement l’arrivée d’auteurs français de Noir dans une collection dont le manque se faisait cruellement ressentir si on excepte Romain Slocombe. Et c’est Antoine Brea qui ouvre la voie. Tout de suite, la chronique et ensuite un petit entretien avec l’auteur. Continue reading

PETITE SŒUR LA MORT de William Gay / le Seuil / CADRE NOIR.

Traduction: Jean-Paul Gratias.

C’est avec une référence affichée à Shining de Stephen King (William Gay et celui-là se portaient une admiration réciproque) que nous est présenté Petite Soeur La Mort. Binder, l’auteur d’un premier roman, succès de librairie, a trébuché sur la production de son deuxième manuscrit. Il décide d’emménager avec sa famille dans une demeure du Tennessee, célèbre pour son histoire tourmentée : elle serait hantée par une présence maléfique. Certain d’y trouvé l’inspiration (l’endroit et son histoire le fascinent), il s’attelle à l’écriture d’un roman de commande qui doit le relancer. Bien vite, il va se rendre compte que sa décision n’est pas sans conséquence sur sa vie et celle des siens tandis quelque chose de diabolique va affirmer son emprise sur les lieux.

Par ses romans La demeure éternelle et, surtout, La mort au crépuscule, William Gay s’est fait connaître comme un nom du Southern Gothic, ce genre où la rigueur, la morale, la religion sont minées par la dégénérescence, l’esprit du mal, le surnaturel, un processus de délitement accentué par ce qui caractérise le Sud en tant que milieu : la chaleur, la torpeur, la pauvreté, tout ce qui abîme le corps et l’âme.

Le terroir du Tennessee est rendu avec densité sous la plume de William Gay, une qualité du texte qu’il faut reconnaître. Il est apprivoisé depuis peu de temps au regard de l’Histoire, auparavant les sauvages libres l’occupaient depuis des siècles. Il suffit que l’homme baisse les bras ou connaisse un mauvais coup du sort pour que la plantation ou la ferme retourne à l’état de nature. Une nature pas spécialement douce, peuplée d’insectes agressifs, d’oiseaux au cri lugubre, de serpents mortels, de végétation rétive, soumise aux orages violents ou à la merci d’un incendie d’été.

 

 Je ne sais pas si l’auteur, l’écrivain fait un bon personnage de roman. J’ai des réticences personnelles à accompagner un héros qui travaille, hésite, avance, s’enfièvre face à sa machine à écrire. Je n’aime pas retrouver une certaine idée de l’écrivain, en fait. Et je n’ai aucune jubilation à lire un metalivre. Ayons l’honnêteté d’écrire ici que ce processus, ce projet sciemment décidé par Binder et dont le contrôle va lui échapper car la personnalité de la maison va se révéler et le transformer, se met difficilement en place. Les ingrédients d’une histoire d’horreur sont là, tout autour : bruits dans la maison, spectres canin ou féminin, atmosphère pesante… Un livre qui fout la peur au ventre ? C’est déjà trop annoncé pour que cela advienne vraiment. Seules les dernières pages, l’approche du dénouement, font légèrement monter la tension. Pas d’orgie de sang ni du spectaculaire, au final, mais quelque chose de plus psychologique et de trivial presque dans la forme. Binder s’est transformé en un personnage plus noir. Il souhaite la mort de son beau-frère et laisse un serpent le mordre. Le beau-frère détestable n’en mourra même pas.Des inserts ou chapitres historiques sont glissés dans le déroulé de l’histoire fixée à l’été 1982. 1785. 1933. C’est sombre, menaçant, rythmé. L’un d’entre eux ferait même une excellente nouvelle southern gothic si elle respirait seule. Quand on retrouve Binder et son récit, quelque chose piétine ou chancelle. Le livre se boucle par une sorte de justification écrite à la première personne. William Gay semble nous parler de son intérêt pour la légende de la sorcière du Tennessee qui a défrayé la chronique jusqu’au XXe siècle et qui est à l’origine de l’histoire.

Le roman de Willian Gay est une oeuvre publiée à titre posthume, un manuscrit « ressuscité ». Si les aficionados prendront plaisir peut-être à retrouver la voix et l’imaginaire de l’auteur aimé, à discerner là un hommage, je pense que d’autres lecteurs resteront comme moi en attente d’un texte plus abouti, décalaminé et mieux construit, d’un texte à frissons qui vous fait dresser les poils sur les avant-bras ou frémir par sa cruauté. L’auteur vivant aurait-il même de la sorte laissé partir son texte pour l’imprimerie ? La question se pose. Et si l’on peut se douter un peu plus désormais que l’art d’écrire est délicat et cruel, il est à nouveau la preuve que du Scotch et des accroches marketing ne font pas un roman même si William Gay – dont le talent a été autrement apprécié – en a fourni le matériau.

Paotrsaout.

 

CARTEL de Don Winslow au Seuil

Traduction : Jean Esch.

Don Winslow, écrivain américain prolifique qu’on ne présente plus, écrit la suite de « la griffe du chien », livre devenu culte. C’est peu de dire que cette suite était attendue ! Dix ans après, il reprend son immense fresque sur le trafic de drogue au Mexique, un roman documenté (Don Winslow a fait des études de journalisme) dont déjà la dédicace fait froid dans le dos : une liste interminable et hélas non exhaustive de noms, ceux de journalistes assassinés ou disparus au Mexique pendant la période couverte par le roman, de 2004 à 2014. Le ton est donné.

« 2004. Adan Barrera, incarnation romanesque d’El Chapo, ronge son frein dans une prison fédérale de Californie, tandis qu’Art Keller, l’ex-agent de la DEA qui a causé sa chute, veille sur les abeilles dans un monastère.

Quand Barrera s’échappe, reprend les affaires en main et met la tête de Keller à prix, la CIA et les Mexicains sortent l’Américain de sa retraite : lui seul connaît intimement le fugitif.

La guerre de la drogue reprend de plus belle entre les différentes organisations, brillamment orchestrée par Barrera qui tire toutes les ficelles : la police, l’armée et jusqu’aux plus hauts fonctionnaires mexicains sont à sa solde. Alors que la lutte pour le contrôle de tous les cartels fait rage, avec une violence inouïe, Art Keller s’emploie à abattre son ennemi de toujours. »

L’absence d’Adan Barrera, emprisonné dans un premier temps aux Etats-Unis, a créé des vides dans son empire. Ils ont tous été occupés par de nouveaux chefs pas forcément prêts à redonner les clés. Pour rentrer au Mexique, où il a trouvé des conditions de détention bien plus confortables, il s’est mis à table et a livré son rival le plus puissant… il doit jouer serré pour récupérer le pouvoir.

La puissance des narcotrafiquants est telle que désormais, ils ne mènent plus eux-mêmes les assauts mais engagent des armées de professionnels : anciens militaires, combattants aguerris et formés à la torture. Winslow montre la lutte de tous ces narcotrafiquants et c’est une véritable guerre, une guerre qui va toucher plusieurs états du Mexique, l’ensemble du pays pratiquement, avec des points chauds au niveau des villes frontières dont l’importance stratégique est évidente pour inonder le marché américain.

Ce roman est une gigantesque fresque avec une multitude de lieux, de personnages, de dates, l’action s’étale sur dix ans. Forcément, il y a beaucoup de scènes d’action, et les personnages de « la griffe du chien » sont resitués : dans un premier temps, on se dit qu’on est dans un livre d’action genre Hollywood, Winslow présente des faits, il n’approfondit pas les personnages. En particulier Art Keller et Adan Barrera : mis à part la haine éternelle qu’ils se vouent et leur désir de vengeance, on ne les voit pas évoluer… on est un peu déçu… dix ans depuis « la griffe du chien », on se rappelle la claque prise en lisant ce bouquin, on attendait autre chose.

Puis Winslow s’attarde sur d’autres personnages, des figures de femmes notamment : Magda obligée d’Adan en prison qui va peu à peu devenir son égale, Marisol, médecin de Mexico qui retourne exercer dans la région de Juarez, sa terre natale, après une élection confisquée, des journalistes Ana, Jimena, Pablo, un enfant tueur avant ses douze ans… et une foule de personnages mêlés de près ou de loin au trafic mais qui vont tous en souffrir ou en mourir parce qu’en fait il n’y a pas beaucoup d’autres choix. Winslow grâce à son talent nous les présente en peu de mots, les rend vivants, humains, et l’empathie fonctionne, on ressent leur souffrance, leurs peurs et on comprend l’ampleur de cette tragédie. Tous ces gens entraînés dans cette guerre horrible parce qu’ils sont nés au mauvais endroit au mauvais moment… Alors l’accumulation de scènes violentes, d’horreur prend une autre tonalité, on se sent bien loin d’Hollywood !

Les narcos prennent des populations en otage, menacent des villes entières, tuent tous ceux qui ne collaborent pas, avec leur famille pour faire bonne mesure. Ils inspirent la terreur et des villes tombent dans le chaos, elles se retrouvent sans élus, sans police, sans justice car qui veut tenir ce rôle en étant sûr d’être abattu ? Winslow ne nous épargne pas et montre un pays où les exécutions sont monnaie courante dans la population, où la police et l’armée complètement corrompues ne font pas grand-chose pour arrêter le carnage parfois empêchent même les secours d’arriver à temps aux victimes.

Les armées des différents cartels ont quartier libre quand il s’agit de conquérir un territoire et elles s’en donnent à cœur joie, sans aucune limite à la cruauté : tortures, représailles, nul n’est épargné. Parmi les personnages les plus forts, se trouvent ceux qui résistent avec un incroyable courage car c’est leur vie qu’ils mettent en jeu, mais certains ne peuvent se résoudre à renoncer à la démocratie, à la liberté. C’est un roman bien sûr, et un très bon, mais il s’inspire de faits réels : rien qu’en 2010, plus de 15 000 personnes sont mortes au Mexique, on est plus dans des chiffres de guerre que de criminalité…

Les narcos se conduisent en terroristes. Une unité spéciale, totalement secrète est créée au Mexique, avec laquelle Art Keller travaille officieusement. Elle s’inspire des méthodes utilisées contre les terroristes islamistes. C’est vers eux que sont tournés les services secrets américains, la guerre contre la drogue est moins la priorité depuis 2001. Art Keller réussit à obtenir l’attention de ses chefs en leur montrant une connexion entre ces deux fléaux.

Par la construction de son roman multipliant les points de vue : les chefs des cartels qui nouent des alliances, soudoient les politiques, placent leurs pions tels des joueurs d’échecs, quelques résistants qui luttent avec des mots principalement et les pauvres gens ordinaires qui ne peuvent que subir, Winslow réussit à donner un aperçu global de la situation et c’est effrayant ! Ce trafic brasse de telles sommes, est si puissant qu’il y a peu de chances qu’il s’arrête un jour. La demande augmente encore et toujours dans les pays « riches » où le capitalisme triomphant laisse de côté de plus en plus de gens. Cette guerre contre la drogue est une guerre contre les pauvres. Les riches, les puissants s’en accommodent quand ils ne trempent pas dedans ! L’argent n’a pas d’odeur et l’argent de la drogue amène du cash dans l’économie légale.

En replongeant au cœur de cette guerre des cartels au Mexique, Winslow  montre que rien ne s’est arrangé en dix ans, au contraire ! On se rend compte du désastre avec toutes ces vies détruites mais on ne voit pas bien comment ça pourrait cesser tant que l’argent est roi… Les victimes qui le peuvent encore doivent panser leurs plaies seules, paix à l’âme des autres.

Très fort et effarant !

Raccoon

SUR LES HAUTEURS DU MONT CRÈVE-CŒUR de Thomas H. Cook au Seuil

Traduction : Philippe Loubat-Delranc

Thomas H. Cook est un grand du roman noir américain. Né dans l’Alabama en 1947. Il a enseigné l’histoire, été secrétaire de rédaction dans un magazine avant de se mettre à écrire. Il a écrit plus de vingt romans, à l’atmosphère sombre où se mêlent souvent des éléments d’histoire et toujours une psychologie très fine des personnages et un style magnifique. C’est le maître des lourds secrets qui, révélés, nous touchent énormément car ils viennent toujours des profondeurs de l’esprit humain les plus noires. « Sur les hauteurs du Mont Crève-Cœur » est un roman de 1995, inédit jusqu’alors en France et c’est un immense bonheur de retrouver cet auteur !

« « Qu’allait faire Kelli sur le mont Crève-Cœur ce jour-là ? Qu’allait-elle chercher, seule dans la profondeur de ces bois ? »

Trente ans après le drame, Ben demeure obsédé par l’image du corps de Kelli tel qu’il a été découvert sur la hauteur de ce mont où, jadis, l’on organisait une course de Noirs avant les enchères du marché aux esclaves.

Dans un de ces flash-back troublants que Thomas H. Cook maîtrise à merveille, le lecteur revisite avec Ben, ancien condisciple de la victime devenu médecin de campagne, les événements qui ont bouleversé la petite communauté blanche et conservatrice de Choctaw, Alabama, au mois de mai 1962.

Le meilleur ami de Ben le soupçonne toujours d’en savoir plus qu’il ne l’admet sur l’agression de la jeune beauté venue de Baltimore : Kelli a-t-elle été tuée parce que Todd, le bourreau des cœurs local, avait plaqué sa petite amie pour elle ou parce qu’elle soutenait la cause des Noirs dans le journal du lycée ? »

Le théâtre de ce roman est une petite ville d’Alabama, Choctaw, où tout le monde se connaît et d’où peu s’échappent. C’est pourtant ce que Ben, lycéen en 1962, rêve de faire. Thomas H. Cook décrit l’atmosphère étouffante de cette petite ville du Sud, calme mais où tout semble en suspens en cette période de lutte pour les droits civiques. La ville a d’ailleurs un passé très violent comme Ben le découvre grâce à Kelli qui arrive du Nord, se passionne pour l’histoire locale et n’a pas les tabous du Sud ancrés dans la tête.

C’est Ben le narrateur. Il est hanté par la mort de Kelli, il nous livre ses souvenirs, ses pensées, ses rêves même, sans repère chronologique. Tout à son obsession, son esprit tourbillonne. Il s’interroge sans cesse sur les origines du mal, il sait que celui-cil ne s’arrête jamais et il n’en finit pas de revivre le passé. On comprend vite qu’il a un secret inavouable, mais Thomas H. Cook construit son histoire avec une habileté époustouflante, non seulement il ne nous perd pas en route mais il ne dévoile rien avant la toute fin.

De surcroît il réussit à mêler à l’histoire de Kelli celle de la ville et d’autres destins individuels, tous poignants. Car il n’y a pas que Ben et Kelli dans cette histoire mais toute une série de personnages, habitants de cette petite ville  dont les vies sont mêlées au drame. Tous sont bien campés, terriblement humains. C’est ce qui rend le bouquin si puissant ; ce qui leur arrive nous atteint, nous bouleverse, on le comprend si bien ! « Chaque lieu renferme le monde entier… », dans ce petit coin d’Alabama se déroule la tragédie universelle des humains, impuissants face à la passion et au Mal…

 « Au-dessus de nos têtes, le ciel demeure inchangé, les étoiles comme autant de pinces à linge argentées fixées dans les ténèbres, les planètes tournant sur elles-mêmes dans les fers de leurs anneaux, pour elles le don de la fixité, pour nous celui du mouvement, elles sans volonté, nous sans direction. »

Et en plus le style est sublime !

Une belle histoire, sombre mais si humaine ! Magnifique !

Raccoon

En lien la chronique de Claude d’action suspense :

http://www.action-suspense.com/2016/08/thomas-h-cook-sur-les-hauteurs-du-mont-creve-coeur-ed-seuil-2016.html

 

DODGERS de Bill Beverly /Seuil policiers.

A nouveau un premier roman qui certainement accrochera beaucoup de lecteurs amateurs de polars ricains et qui en décevra sûrement beaucoup d’autres par le côté particulièrement classique de l’intrigue. L’auteur, Bill Beverly enseigne la littérature américaine à la Trinity Washington University et a bien assimilé les canons du roman américain.

« East, quinze ans, est chef des guetteurs devant la taule, une maison où l’on vend et consomme de la dope, dans un ghetto de Los Angeles.

On ne saura jamais pourquoi ni comment, car la petite bande n’a rien vu venir, mais un jour les flics débarquent.

La taule est fermée, East doit se racheter.

En allant dans le Wisconsin éliminer un juge, témoin compromettant. Accompagné de son frère Ty, douze ans et complètement fêlé, d’un pseudo-étudiant et d’un gros plutôt futé. Sans armes, avec de faux papiers et quelques dollars en poche.

À bord du monospace bleu pouilleux qui quitte le soleil californien pour le froid des Grands Lacs, l’ambiance est de plus en plus crispée. Et, à l’arrivée, rien ne se passera comme prévu. »

Dès les premières pages, lors d’un premier chapitre particulièrement explosif et brillamment inducteur, on entre dans un monde pas très loin du Richard Price de « Clockers » ou de « the wire » avec cette scène de la vie de ces guetteurs de « crack houses » à L.A. Mais ce n’est que le début et l’aspect polar urbain disparaît très vite pour faire place à un « road trip » particulièrement rural où ces ados qui n’ont jamais quitté leur ghetto black californien vont de surprise en surprise en traversant des états de plus en plus froids, dépaysants et franchement blancs, les faisant paraître pour des incongruités dans le paysage.

De nombreux passages beaucoup plus lents pourront déstabiliser certains lecteurs surpris par cette avancée dans le récit où le quotidien des gangs passe au second plan malgré les conflits entre les membres de cette équipée par rapport aux états d’âme du personnage principal East.

« Dodgers », malgré des passages violents particulièrement aboutis, n’est pas à proprement parler un polar mais plutôt un roman sur le passage à l’âge adulte, sur les choix que vont effectuer les quatre mômes face à l’adversité. Je reconnais qu’aucun personnage ne m’a véritablement conquis et même si j’ai bien aimé East, il n’a pas réussi à m’émouvoir suffisamment pour créer en moi une réelle empathie rendant le roman vraiment passionnant.

Alors, beaucoup y trouveront certainement leur compte, seront épatés par cette histoire mais cette recherche de rédemption si présente dans la littérature ricaine, j’en ai un peu ma claque et je pense qu’il m’en faut un peu plus que ce que Bill Beverly nous propose dans ce premier roman, encourageant pour la suite, pour le faire véritablement sortir du lot. « Dodgers » est donc une petite déception due à un scénario bien trop classique, trop américain.

Convenu.

Wollanup.

Un avis beaucoup plus enthousiaste de notre ami Claude dont la passion gangsta rap est souvent méconnue.

http://www.action-suspense.com/2016/05/bill-beverly-dodgers-ed-seuil-2016.html

EN VRILLE de Deon Meyer / Le seuil policier

Traduction de Georges Lory.

« Traumatisé par le suicide d’un collègue, Benny Griessel replonge dans l’alcool. Sa supérieure hiérarchique le protège en confiant à son adjoint Cupido l’enquête sur le meurtre d’Ernst Richter, créateur d’un site qui fournit en toute discrétion de faux alibis aux conjoints adultères. Richter faisait chanter ses clients. Est-ce là une piste ? L’analyse des relevés d’appels de son portable, l’épluchage des comptes de sa start-up, les interrogatoires de ses employés, les perquisitions ne donnent rien. Les soupçons se portent aussi sur François du Toit, un viticulteur en faillite. Rien de probant. Les Hawks sont dans l’impasse. La solution surgira, contre toute attente, de l’esprit embrumé d’un Griessel au bout du rouleau. »

 
J’ai toujours du mal à croire que mes auteurs favoris se plantent… et j’aime beaucoup Deon Meyer ! Ses romans, très bien construits au niveau de l’intrigue, du suspens, avec des personnages profondément humains (des failles, des défauts… mais sensibles, intelligents) vont bien au-delà du simple polar. Ses enquêtes prennent généralement en compte des faits de société et sont sacrément ancrées dans l’histoire de l’Afrique du sud dont on peut dire qu’elle a été sanglante et mouvementée. Il nous montre justement comment ce pays tente de se sortir du sous-développement et de retrouver la paix malgré les réticences et les grincements de dents de certains. Je lis Deon Meyer depuis longtemps, un nouveau Meyer était une fête mais avec ce livre, j’ai été franchement déçue !

 
L’histoire se tient, Deon Meyer sait toujours raconter une histoire et il nous amène à la résolution de l’enquête en bonne et due forme ! Un polar tout à fait correct mais pas époustouflant et lent.

 
Deon Meyer a perdu de sa profondeur, de son acuité, ses personnages sont plats (pourtant bon sang ! Benny se remet à boire !). Deon Meyer est dans l’action mais plus dans la psychologie, on ne les comprend plus… Il fait converger deux histoires, l’enquête et la vie d’un viticulteur sud-africain, il sait le faire, c’est intelligemment construit mais au lieu de renforcer le suspens, ce procédé l’atténue, on se perd, enfin je me suis perdue en route, l’intérêt parti en vrille…

 
J’ai ressenti un peu la même chose à la lecture des derniers Lehane ou Winslow… Et alors ? Est-ce un hasard ? Ces trois-là ont travaillé pour le cinéma. Comme si leur univers s’était formaté et tout ce qui faisait leur originalité, leur force, leur voix propre disparaissait. Meyer s’en est-il rendu compte ? Il fait faire la distribution du film par un de ses personnages, clin d’oeil ou promo ? Ce bouquin ressemble à un scénario qu’on aurait relooké en roman ou à un roman écrit à la manière d’un scénario sans réelle dimension sociologique, politique, psychologique…
En vrille…
Grosse déception
Raccoon

LE CHANT DE LA TAMASSEE de Ron Rash, le Seuil

Traduction Isabelle Reinharez.

« Le chant de la Tamassee » est le deuxième roman de Ron Rash, publié aux Etats-Unis en 2004. On ne présente plus Ron Rash, grand écrivain américain, il est né en Caroline du Sud et vit actuellement en Caroline du Nord. Il a reçu de nombreux prix dont le grand prix de littérature policière en 2014 pour « Une terre d’ombre ». Les livres de Rash sont toujours enracinés dans un territoire mais par son talent, son écriture où il mêle le noir et le tendre, il parvient toujours à leur donner une portée universelle. Ici encore, une fois de plus, il nous livre un magnifique roman, et j’ignore pourquoi il n’a pas été traduit plus tôt !

 
« La Tamassee, protégée par le Wild and Scenic Rivers Act, dessine une frontière entre la Caroline du Sud et la Géorgie. Ruth Kowalsky, 12 ans, venue pique-niquer en famille sur sa rive, fait le pari de poser un pied dans chaque État et se noie. Les plongeurs du cru ne parviennent pas à dégager son corps, coincé sous un rocher à proximité d’une chute. Inconscient des dangers encourus, son père décide de faire installer un barrage amovible qui permettra de détourner le cours de l’eau. Les environnementalistes locaux s’y opposent : l’opération perturbera l’état naturel de leur rivière, qui bénéficie du label « sauvage ». Les deux camps s’affrontent violemment tandis que le cirque médiatique se déchaîne de répugnante manière et que des enjeux plus importants que la digne sépulture d’une enfant apparaissent… »

 
Maggie Glenn, la narratrice est photographe de presse. Originaire du comté d’Oconee où s’est produit le drame, elle est chargée de couvrir cette affaire avec son collègue journaliste Allen Hemphill. Elle connaît parfaitement cette communauté de montagnards où elle a grandi et les deux mondes qui cohabitent autour de la Tamassee.

 
Les autochtones qui ne peuvent plus exploiter les ressources forestières autour de la rivière depuis qu’elle est classée : très religieux, soudés, ils prennent soin les uns des autres. Ils respectent la rivière, même s’ils l’exploitaient, ils en connaissent la puissance, craignent sa violence comme ils craignent Dieu, c’est d’ailleurs dans la rivière qu’ils se baptisent… Mais elle sait leur rigidité et leur brutalité quand on ne respecte pas leurs valeurs, elle a testé leur intolérance, notamment celle de son père (étouffant dans ces montagnes, elle est partie dès qu’elle a pu).

 
Les écolos, arrivés plus tard, qui se sont battus pour faire classer la rivière, menés par Luke leur leader charismatique, ancien amant de Maggie. Lui est mystique, la rivière est vivante, magique, passage entre la vie et la mort. Maggie a partagé son point de vue, partage encore ? Elle sait en tout cas que la rivière est fragile et que le moindre écart à cette protection, même provisoire créera un précédent qui permettra aux promoteurs et rapaces de tout poil qui guettent toujours, comme partout dans le monde la moindre occasion de se faire de l’argent.

 
Puis il y a les parents de la fillette noyée, effondrés de douleur, Allen, le reporter qui a perdu sa femme et sa fille et chez qui ce drame fait douloureusement écho, le constructeur du barrage, scientifique méprisant quelque peu les «culs-terreux » du coin et les politiques, puants, allant toujours dans le sens du vent !

 
Tout au long du roman, la tension monte. Rash réussit à créer une ambiance inextricable sans jamais tomber dans la facilité du manichéisme, tous ses personnages sont humains, vivants, crédibles, tous souffrent… mais la tension ne pourra retomber qu’après un déchainement de violence, forcément ! Maggie oscille entre toutes ses loyautés, position inconfortable s’il en est… Rash nous parle de culpabilité, de pardon…

 
Et ce n’est qu’un pan de l’histoire, s’y greffe également une histoire d’amour entre Maggie et Allen, l’histoire du père de Maggie… un roman très riche !

 
Avec bien sûr, cerise sur le gâteau, des pages magnifiques sur la rivière (attention : rivière aux Etats-Unis c’est quelque chose de bien plus grand et puissant que ce que ça évoque en France, voyez la couverture !). Et là, Rash est le roi ! Il décrit comme personne cette nature qui nous accueille et nous façonne !

 
Un roman magnifique et fort !

 
Raccoon

Une CONTREE PAISIBLE ET FROIDE de Clayton Lindemuth/Le Seuil.

« Hiver 1972. Bittersmith, bled perdu du Wyoming.Burt Haudesert gît dans sa grange, la gorge transpercée par une fourche.Pour le shérif, un seul coupable possible : Gale G’Wain, garçon de ferme orphelin venu d’ailleurs.Pour preuve, il a pris la fuite avec la fille de la victime, celle qui a de curieuses visions quand quelqu’un va mourir.Le shérif n’a que 24 heures pour les rattraper : demain, il sera à la retraite.Aussi mène-t-il la chasse au couple avec une férocité redoublée et l’aide d’une milice, la Loge, alors que la tempête de neige menace.Mais il apparaît vite que l’esprit de justice n’est pas le seul motif qui l’anime…Dans un décor hostile et lumineux, seuls le fracas des armes et les cris de haine des hommes troublent le silence.La traque prend une dimension poignante au fur et à mesure que l’insoupçonnable vérité se dessine. »

Entre tableau figuratif et réaliste, sans les couleurs. Cette dualité entre le blanc du manteau neigeux et le noir d’une journée tragique enfante un récit poignant qui nous confronte aux fils de vies souillés par l’oubli, l’indifférence, l’immoralité. D’une écriture racée directe mais où un lyrisme pointe, Lindemuth saisit les profils d’êtres meurtris, de despote sans foi ni loi. Comme une fourche propulsée en plein cœur, vivre est une chute horizontale…

Chouchou.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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