Traduction: Régis de Sá Moreira.

Quand “Terres d’ Amérique” pointure de la littérature nord américaine et anglophone s’en va au Brésil pour éditer un romancier  local auparavant dans le catalogue Gallimard, on ne peut qu’être circonspect et curieux.

“Dans un Porto Alegre accablé par la chaleur et paralysé par une grève des transports, trois amis se retrouvent plus de vingt ans après s’être perdus de vue. À la fin des années 1990, ils avaient lancé un célèbre fanzine numérique, et ce qui les réunit aujourd’hui, c’est la mort du quatrième membre de la bande, devenu entretemps un écrivain très en vue sur la scène brésilienne : Andrei Dukelsky, surnommé « Duc », assassiné en pleine rue pour un stupide vol de portable.
À l’occasion de ces retrouvailles, chacun des trois personnages raconte sa propre histoire à la façon d’un puzzle et se remémore le tournant du millénaire,  esquissant le portrait incertain de l’ami disparu et le roman d’une génération qui doit tout réinventer, à commencer par son rapport au monde à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux.”

Daniel Galera a vécu longtemps à Porto Alegre, a eu 20 ans à la fin des années 90 et a également collaboré à un webzine à cette époque avant de devenir un auteur considéré comme important et influent de la littérature brésilienne. De là à dire qu’il fait dans “Minuit 20” le récit de son parcours et la radioscopie de sa génération il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas tout en notant qu’il est particulièrement bien placé, d’expérience, à monter la photographie de ses presque quadras à un moment clé de leur existence: la mort violente et prématurée de l’un des leurs.

Les retrouvailles de ces amis ayant mené une vie les laissant finalement tous aigris et désillusionnés sur leur parcours  les dévoile dans leur intimité très loin de l’image publique qu’ils veulent donner avec un coloration assez blafarde. Même si le roman montre bien le marasme du Brésil quelques mois avant la coupe du monde de football 2014 organisée par le pays, l’histoire est aisément transférable à bien d’autres régions occidentales urbaines.

Daniel Galera, dans un roman hélas, beaucoup trop court, traite de nombreux sujets  souvent avec intelligence et parfois de manière très étonnante et hilarante (les sites pornos): les rats, Sade et l’écriture, l’uniformisation des goûts par les algorithmes imposés, l’homosexualité, la solitude, l’isolement, la maternité, l’avortement, le véganisme, les déviances sexuelles, le harcèlement… et beaucoup d’ autres états d’âme et problèmes de gens à l’abri du besoin, des soucis de « riches » avec des fantasmes de fin du monde et d’extinction de masse, le genre de pensées que le mec qui passe ses journées à juste survivre, déjà en enfer, n’envisage même pas dans son quotidien indécent. Même si ces thèmes si souvent dépeints ne souffrent pas de nouvelles illustrations, la modestie du volume ne permet pas de les traiter de manière suffisamment approfondie. Galera survole afin de monter toutes les pièces d’un puzzle culturel, existentiel de la première génération à subir les effets d’une société des réseaux sociaux, la première génération facebook.

“Minuit vingt” tire sa richesse du bilan des relations des quatre amis avec le web, le pouvoir des algorithmes, les conventions des réseaux sociaux, la fausseté des rapports qu’ils incluent, un  tableau accablant de leurs rapports avec le net dont ils ont contribué à l’essor à la fin des années 90 avec leur fanzine numérique  qui se heurte durement à la réalité des années 2010. La question de la trace individuelle de chacun sur le net est bien exposée, montrée par des exemples dont un très frappant, et met le doigt sur la liberté individuelle, le libre arbitre ainsi qu’une certaine immortalité des propos, des passages sur certains forums effectués bien des années auparavant que chacun peut fouiller à loisir après la disparition d’une personne. Tous ces matériaux qui permettent de créer une personne publique mais aussi de montrer certaines facettes d’une existence plus intime sont au cœur du roman et en sont le moteur. Mais hélas, le roman qui convie à bien des promesses et à de belles référence musicales Indie est hélas bien trop court pour créer une réelle empathie pour les personnages et embrasser concrètement tous les thèmes survolés.

Un peu court.

Wollanup.