Traduction : Laura Derajinski.
David Vann raconte dans ce roman l’histoire de Médée, héroïne tragique et meurtrière de la mythologie grecque. Pas étonnant qu’il choisisse ce mythe quand on connaît ses autres romans qui explorent profondément les dysfonctionnements familiaux et ont des allures de tragédies.
« “Née pour détruire les rois, née pour remodeler le monde, née pour horrifier et briser et recréer, née pour endurer et n’être jamais effacée. Hécate-Médée, plus qu’une déesse et plus qu’une femme, désormais vivante, aux temps des origines”. Ainsi est Médée, femme libre et enchanteresse, qui bravera tous les interdits pour maîtriser son destin. Magicienne impitoyable assoiffée de pouvoir ou princesse amoureuse trahie par son mari Jason ? Animée par un insatiable désir de vengeance, Médée est l’incarnation même, dans la littérature occidentale, de la prise de conscience de soi, de ses actes et de sa responsabilité. »
Le roman commence à bord de l’Argo : Jason et Médée sont poursuivis par son père après le vol de la Toison d’or et le meurtre de son frère. David Vann est un marin et avec des archéologues, il a participé à la construction d’une reconstitution de navire égyptien d’il y a 3500 ans et l’a fait naviguer. Il utilise cette expérience pour décrire l’Argo : les grincements dans les cordages, les calmes plats où le navire n’avance qu’à la force des rames, les courants à affronter… on y est vraiment.
Le style est singulier avec une bonne moitié de phrases sans verbes et je dois avouer qu’il m’a fallu une bonne cinquantaine de pages pour m’y faire. L’action s’enlise et c’est d’abord de l’ennui que j’ai ressenti, mais j’ai persévéré parce ce que c’est David Vann et que j’ai adoré tout ce que j’ai lu de lui qui me touche avec une profondeur rare. Et j’ai bien fait ! L’ennui se mue peu à peu en pesanteur, c’est celle qui règne à bord de l’Argo où tous ont conscience de jouer leur vie et qui pèse encore davantage sur les épaules de Médée car c’est grâce à elle qu’ils ont pu voler la toison d’or et fuir. J’ai embarqué alors sur l’Argo dans une torpeur mêlée d’angoisse, comme dans le calme avant la tempête et j’ai été passionnée par Médée, par sa révolte et sa rage.
Médée mène une bataille désespérée pour être libre, elle refuse d’être l’esclave d’un homme ou d’un roi. Ce désir, monstrueux pour une femme, est la première transgression de Médée, féministe des temps anciens… Pour ne pas être soumise, elle se doit d’être reine ou déesse et pour cela d’inspirer la frayeur. Elle assume tout, toutes les transgressions de tous les interdits. Elle a choisi Jason pour échapper à son père mais sans illusion, il est faible, lâche, opportuniste et j’en passe, il n’a rien d’un héros. Médée est d’une lucidité rare : elle doute des dieux, refuse les tyrans et connaît les faiblesses des hommes.
« Voilà ce que Médée croit : qu’il n’y a pas de dieux. Il n’y a que le pouvoir, et afin de détenir le pouvoir, il faut être issu d’un dieu. En fin de compte, c’est la même chose. Quand on détient le pouvoir, on devient véritablement un dieu. Comme Hatshepsout et tous les pharaons avant elle. Massacrer son frère, détruire son père. Ce sont les actes d’un dieu, des actes qui inspirent la peur et qui forgent le mythe. Les dieux accomplissent ce qui ne peut être accompli. Et une femme peut aisément devenir un dieu puisqu’elle n’a rien le droit de faire. Elle peut devenir une source de terreur. »
David Vann profite de l’histoire pour nous interroger sur le pouvoir, la culpabilité, la religion… C’est une histoire pleine de rage, de trahison, de souffrance, de vengeance, une histoire qui dérange car on comprend Médée, monstrueuse et pourtant terriblement humaine.
Un roman brillant et passionnant.
Raccoon
C’est bien la première fois qu’un roman de Vann ne me tente pas! La mythologie n’est pas ma tasse de thé (avec Vann ou non)!
Et pourtant… Ces histoires n’ont pas traversé les siècles pour rien. Et avec David Vann c’est encore mieux ! Un peu dur de s’y plonger, mais après, c’est très fort!
J’y connais rien en mytho… Par contre un David Vann, forcément… J’hésite quand même, mais j’y viendrai probablement. C’est Vann quand même !!
Ben oui, c’est Vann ! Ça vaut le coup de s’y plonger, c’est un livre puissant.
Je n’y connais pas grand-chose en mythologie non plus, je me suis renseignée un peu sur Médée et Hécate avant de le lire et ça m’a suffi. C’est du vrai Vann.
même avis que le Bison, parce que c’est David Vann!
Même réponse qu’au Bison. Si tu aimes vraiment Vann, tu ne seras pas déçu.