La brillance, les lumières de la métropole attisent les rêves. Quand ceux-ci sont déçus la chute est vertigineuse. Car la société en a décidé autrement, un tunnel sombre se profile devant une jeune femme à l’orée de sa vie.
« Il a suffi d’une fois. Une seule mauvaise décision, partir, suivre un homme à Paris. Moe n’avait que vingt ans. Six ans après, hagarde, épuisée, avec pour unique trésor un nourrisson qui l’accroche à la vie, elle est amenée de force dans un centre d’accueil pour déshérités, surnommé «la Casse».
La Casse, c’est une ville de miséreux logés dans des carcasses de voitures brisées et posées sur cales, des rues entières bordées d’automobiles embouties. Chaque épave est attribuée à une personne. Pour Moe, ce sera une 306 grise. Plus de sièges arrière, deux couvertures, et voilà leur logement, à elle et au petit. Un désespoir.
Et puis, au milieu de l’effondrement de sa vie, un coup de chance, enfin : dans sa ruelle, cinq femmes s’épaulent pour affronter ensemble la noirceur du quartier. Elles vont adopter Moe et son fils. Il y a là Ada, la vieille, puissante parce qu’elle sait les secrets des herbes, Jaja la guerrière, Poule la survivante, Marie-Thé la douce, et Nini, celle qui veut quand même être jolie et danser.
Leur force, c’est leur cohésion, leur entraide, leur lucidité. Si une seule y croit encore, alors il leur reste à toutes une chance de s’en sortir. Mais à quel prix? »
Moe de son île imagine sa destinée sous les meilleurs auspices mais le désenchantement sera brutal et rapide. Entre déshérence, errance et voie sans issue elle aboutit dans une cité qui n’en est pas une, la casse, où sont concentrés une frange de la société qui n’a plus voix au chapitre.
Une société qui refoule, qui sélectionne son peuple et les produits d’une décrépitude politique, morale, éthique où parqués dans la périphérie du cœur citadin, les marqués de la vie sont effacés, ont le mépris tatoués sur leur ceinture scapulaire. Cette société qui fait l’économie d’une réflexion moraliste, qui fait l’économie du soutien à autrui par l’insertion mais qui reste dispendieuse dans sa volonté de gentrification assumée et jusqu’auboutiste est une société qui abandonne l’essence même des préceptes, des piliers de la cité. On est aux antipodes des actions, de la volonté d’une association telle que Les Enfants de Don Quichotte et les êtres qui peuplent La Casse vivent d’expédients, de rêves ou de tristes lucidités.
A l’inverse du Car de Harry Crews où des hommes ingèrent des carcasses automobiles, on est aux prises, comme une parabole, à des voitures vouées à la casse qui sont les sarcophages des existences d’êtres humains. De cette descente inexorable, hélicoïdale, d’une génération réprouvée, un régime politique balisé par le repli sur soi, la crainte d’autrui dans ses différences, ses singularités n’octroie plus d’échappatoires, de portes ouvertes.
Sandrine Collette franchit, à mes yeux, une étape dans sa vie de littérateur. Celle de la maturité d’écriture qui magnifie un texte noir, aride et émouvant. J’ai été touché, très touché par son discours sur nos problématiques actuelles et lance une réflexion personnelle de son lectorat face à nos enjeux de société et par quelle politique veut-on les cadrer. L’auteur présente dans la majorité de ses livres une thématique commune qu’est l’enfermement. Dans cet opus, il est oppressant paradoxalement dans cette communauté moribonde, furibonde.
Puissant, émouvant, hypnotique pour sa lecture et le niveau d’écriture !
Chouchou.
Si c’est à lire avec Tom Waits et une bouteille de whisky, je signerai presque. Presque, parce que je sors d’une expérience Collette pour le moins décevante où je ne suis jamais rentré dans l’histoire, ou c’est l’histoire qui n’est jamais parvenue jusqu’à moi. Bref, je n’ai pas été emballé.
Mais apparemment, celui-là a l’air d’une autre puissance…
Je ne sais pas auquel tu fais référence, car effectivement il y’a certain de ses efforts qui sont mitigés, mais celui-ci est un réel coup de coeur, peut-être le bon moment, l’état d’esprit ad hoc, et oui un coup de coeur ça ne s’explique pas, ou partiellement. Il pourrait y avoir des invraisemblances ou incohérences dans cet écrit pour certains néanmoins le « saignement » d’un livre n’est pas l’oeuvre d’une dissection! Pour moi…
Il y a quelques années j’avais lu « Des nœuds d’acier » (son premier, je crois). Sans être transpercé, il m’avait donné envie d’en découvrir plus. Le mois dernier, je m’essaie à « Un vent de cendres » mais là, je n’ai jamais réussi à accrocher à l’histoire…
Effectivement « un Vent de cendres » reste moins direct, moins actuel dans les sujets traités. Ce dernier m’a pris dès le début et a enchainé sur des problématiques que l’on vit, ou dont on parle, actuellement. La force de ses personnages féminins et leur esprit de groupe est un aussi un axe essentiel dans la qualité de son bouquin. A voir si les thématiques t’inspirent et en ayant connaissance qu’on est loin de la Patagonie, de l’époque décrite.