“Anna vend des poulets rôtis sur les marchés pour assurer ­l’essentiel, pour que son fils Léo ne manque de rien. Ou de pas grand-chose. Anna aspire seulement à un peu de tranquillité dans leur mobile-home au bord de l’Atlantique, et Léo à surfer de belles vagues. À vivre libre, tout simplement. Mais quand elle perd son camion-rôtissoire dans un accident, le fragile équilibre est menacé, les dettes et les ennuis s’accumulent. Il faut trouver de l’argent.

Il y aurait bien ce « Jeu » dont on parle partout, à la télé, à la radio, auquel Léo incite sa mère à s’inscrire. Gagner les 50.000 euros signifierait la fin de leurs soucis. Pourtant Anna refuse, elle n’est pas prête à vendre son âme dans ce jeu absurde dont la seule règle consiste à toucher une voiture et à ne plus la lâcher.”

C’est la deuxième fois que Joseph Incardona s’inscrit dans l’univers du jeu médiatisé. La première, c’était avec Chaleur en 2017 mais c’était en Finlande, exotique, éloigné de nos préoccupations ordinaires et malgré le terrible impact de l’histoire, l’émotion n’était pas forcément au rendez-vous. Chaleur était inspiré d’une compétition qui existait réellement et aujourd’hui disparue depuis la mort d’un participant. Dans Les corps solides, titre très subtil, le jeu est une invention de l’auteur mais sa stupidité est d’un niveau que l’on voit souvent à des heures de grande audience sur de grandes chaînes, à peine plus inhumain. Et cette intrigue hexagonale nous parle, Incardona nous montre la France de 2020. Il nous montre, mais pas au meilleur de notre forme.

Dans La soustraction des possibles, Incardona dénonçait la finance qui gouverne le monde. Ici, il enfonce le pieu et cogne sur l’industrie qui dirige les états, écrase les gens. Pour l’illustrer, il nous raconte Anna, qui fait son entrée dans le camp des losers, des perdants même pas magnifiques, des “sans dents”. Mais Anna se bat seule pour Léo depuis longtemps et elle a la rage, une lionne qui ne va rien lâcher. C’est l’accumulation des emmerdes qui va la pousser à aller directement combattre la bête, à tenter de gagner cette putain de bagnole française dont on fait la promotion et être à l’antenne 24/24 jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un ou une. Le McCoy de “On achève bien les chevaux”, hante l’histoire.

Les corps solides est un roman magnifique, plus intime et beaucoup plus éprouvant, émouvant que le précédent. On retrouve la tendresse de l’auteur pour ses personnages abîmés par la vie, mais aussi sa colère contre le libéralisme. On prend pas mal de beignes et puis on ouvre les yeux. Certains aigris regretteront le final et pourtant, à bien y réfléchir, il n’y a pas plus belle issue au roman.

Le combat d’une mère et la guerre d’une femme. Incardona est grand !

Clete