Chroniques noires et partisanes

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LES CORPS SOLIDES de Joseph Incardona / Finitude

“Anna vend des poulets rôtis sur les marchés pour assurer ­l’essentiel, pour que son fils Léo ne manque de rien. Ou de pas grand-chose. Anna aspire seulement à un peu de tranquillité dans leur mobile-home au bord de l’Atlantique, et Léo à surfer de belles vagues. À vivre libre, tout simplement. Mais quand elle perd son camion-rôtissoire dans un accident, le fragile équilibre est menacé, les dettes et les ennuis s’accumulent. Il faut trouver de l’argent.

Il y aurait bien ce « Jeu » dont on parle partout, à la télé, à la radio, auquel Léo incite sa mère à s’inscrire. Gagner les 50.000 euros signifierait la fin de leurs soucis. Pourtant Anna refuse, elle n’est pas prête à vendre son âme dans ce jeu absurde dont la seule règle consiste à toucher une voiture et à ne plus la lâcher.”

C’est la deuxième fois que Joseph Incardona s’inscrit dans l’univers du jeu médiatisé. La première, c’était avec Chaleur en 2017 mais c’était en Finlande, exotique, éloigné de nos préoccupations ordinaires et malgré le terrible impact de l’histoire, l’émotion n’était pas forcément au rendez-vous. Chaleur était inspiré d’une compétition qui existait réellement et aujourd’hui disparue depuis la mort d’un participant. Dans Les corps solides, titre très subtil, le jeu est une invention de l’auteur mais sa stupidité est d’un niveau que l’on voit souvent à des heures de grande audience sur de grandes chaînes, à peine plus inhumain. Et cette intrigue hexagonale nous parle, Incardona nous montre la France de 2020. Il nous montre, mais pas au meilleur de notre forme.

Dans La soustraction des possibles, Incardona dénonçait la finance qui gouverne le monde. Ici, il enfonce le pieu et cogne sur l’industrie qui dirige les états, écrase les gens. Pour l’illustrer, il nous raconte Anna, qui fait son entrée dans le camp des losers, des perdants même pas magnifiques, des “sans dents”. Mais Anna se bat seule pour Léo depuis longtemps et elle a la rage, une lionne qui ne va rien lâcher. C’est l’accumulation des emmerdes qui va la pousser à aller directement combattre la bête, à tenter de gagner cette putain de bagnole française dont on fait la promotion et être à l’antenne 24/24 jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un ou une. Le McCoy de “On achève bien les chevaux”, hante l’histoire.

Les corps solides est un roman magnifique, plus intime et beaucoup plus éprouvant, émouvant que le précédent. On retrouve la tendresse de l’auteur pour ses personnages abîmés par la vie, mais aussi sa colère contre le libéralisme. On prend pas mal de beignes et puis on ouvre les yeux. Certains aigris regretteront le final et pourtant, à bien y réfléchir, il n’y a pas plus belle issue au roman.

Le combat d’une mère et la guerre d’une femme. Incardona est grand !

Clete

PEQUENOTS de Harry Crews / Finitude

Blood and Grits

Traduction : Nicolas Richard

Jusqu’ici, les chroniques écrites par Harry Crews pour le compte de Playboy et Esquire au milieu des années 197, en pleine vogue du genre redneck,  étaient soit méconnues des lecteurs français, soit inaccessibles car non traduites (à l’exception de Descente à Valdez, Allia, 2016).  C’est en tant qu’auteur à succès à la patte bien affirmée qu’il est envoyé aux quatre coins du pays pour en ramener un reportage ou mandaté pour raconter une aventure ou un souvenir de son Sud natal. Il y a ceci de certain avec Harry Crews : autant qu’un aimant attire la limaille de fer, il attire les freaks, les barjos, les personnages hors-normes ou révèle la part étrange de ceux qui, même s’ils affichent le succès, n’en possèdent pas moins des particularités physiques ou morales qui les font sortir de l’ordinaire. Harry a sa manière bien à lui de faire le boulot, il paie de sa personne. Il n’est jamais avare d’une bière, d’un verre de vodka, d’un joint, d’un faux pas, d’une gueule de bois ou d’écorchures. Voilà l’auteur, la boîte crânienne embrouillée et le corps douloureux, hanté par son passé de pauvre plouc de Bacon County, Géorgie, et par ses expériences humaines, sociales, sexuelles, face à des situations et des personnages de la vie réelle, dont beaucoup de Grits. Il semblerait qu’Harry Crews ait inventé, en tout cas, popularisé l’expression qui désigne un méchant péquenot du Sud, cradingue. Grits, à l’origine, c’est le gruau de maïs traditionnel qui se mange chaud et qui pourrait empâter la diction de ses consommateurs habituels.

Le recueil a été pensé comme un tout par Harry Crews. Il anticipe son autobiographie, Des mules et des hommes. Il est tout aussi brutal, choquant, férocement drôle et attendrissant. Il dresse un portrait noir et grotesque d’une Amérique tiraillée entre violence et respectabilité. Si j’étais bonimenteur à l’entrée d’un cirque miteux, d’une foire (aux serpents) ou bien encore d’un blog « noir et partisan », j’annoncerais dans un même souffle des péquenauds en pagaille, une éléphante exécutée par pendaison, un marchand de bottes de chasse au succès phénoménal, des filles obèses, des touristes imbéciles, un ancien du Vit Nam suicidaire, un jockey dans la dernière ligne droite, Cody, Jimbo et un poisson de 10, 12 ou 14 livres – allez savoir, Charles Bronson lui-même, une buse à queue rousse, des bagnoles cabossées, des forains retords, un arroseur de muguet, des chasseurs de renard, des routiers militants, et même des tueurs de masse, oui messieurs-dames. Cette simple énumération devrait mettre l’eau à la bouche. Quand on sait en plus que cette farandole d’histoires est saupoudrée des fulgurances de l’auteur, on ne résiste pas : « Jake avait l’air vraiment fou, ou je suppose que fou n’est pas le bon mot, majestueux, plutôt. » « Deux heures plus tard, un professeur d’université que je connais, tellement intello qu’il refuse de manger des oignons, a soupiré en regardant par la fenêtre de son bureau et a dit tristement : – Il doit bien avoir quelque chose qui cloche chez moi, j’adore Charles Bronson. » « Un des inconvénients de la randonnée dans le parc national de la Shenandoah, c’est les noms des campements. On dirait qu’ils ont tous été inventés par un créatif défoncé de Los Angeles. »

C’est également un autoportrait qui se dessine au fil des pages. Même dans le rôle d’un envoyé spécial (d’un genre quand même spécial), dans la peau d’un auteur reconnu, Harry Crews ne parvient jamais oublier ses racines misérables, son histoire de cul-terreux et les accidents de son parcours. Piètre interviewer, il s’épanche. Cette maladresse lui permet bien souvent de briser la glace et de se sentir proche de son interlocuteur, surtout si celui-ci a goûté au dur de la vie.

Histoires réelles ou assaisonnées par l’auteur, on se fout finalement de le savoir, on ingère la noirceur, l’alcool, les torgnoles, le gruau de la bêtise dans lequel craquent des graviers de diamant. Et on se régale. Il y a dans ce livre, une putain de phrase, une phrase qui fout les poils. Elle dit : « Nous faisons tous partie, nous tous, de la tribu sauvage des avaleurs de foutaises. » Si vous n’y compreniez rien, je serais bien triste pour vous. Non, en fait, je vous suggérerais de ne pas lire Harry Crews et d’abandonner l’idée même de lire de bonnes histoires. 

Paotrsaout


HONORER LA FUREUR de Rodolphe Barry / Editions Finitude.

Rodolphe Barry s’était déjà intéressé à un grand de la littérature américaine dans “Devenir Carver” en 2014, déjà chez Finitude. S’en était suivi un recueil de nouvelles “ Entre les rounds” dans la ligne directe des écrits du grand nouvelliste de l’Oregon. Bis repetita en 2019, il s’intéresse à un autre grand écrivain américain au destin tragique et dont l’oeuvre, moins importante que celle de Carver, semble progressivement tomber dans l’oubli avec les années.

“James se sent à l’étroit dans son petit bureau new-yorkais du Chrysler Building, à l’étroit dans son métier de journaliste comme dans sa vie. Il travaille pour Fortune, le magazine le plus libéral du pays. Tout ce qu’il hait. Alors quand son rédacteur en chef l’envoie dans son Sud natal pour une enquête sur la vie des métayers en Alabama, James se sent revivre. D’autant qu’on lui adjoint pour ce voyage un jeune photographe inconnu avec lequel il s’entend d’emblée. Le reportage deviendra un brûlot, un plaidoyer, un cri rageur face à la pauvreté des fermiers dans ces sinistres années trente. Puis un livre, un grand livre signé James Agee et Walker Evans, Louons maintenant les grands hommes.”


Quand les auteurs de Noir américains comme français parlent de leurs références quelques uns, mais ils ne sont pas légion, citent James Agee. En fait, le travail photographique de Walker Evans fait autour de ce roman/enquête dans le Sud déshérité a beaucoup plus atteint la postérité que l’écriture d’ Agee.

Walker Evans pour « Louons maintenant les grands hommes ».

Dans le titre choisi par l’auteur, on peut voir une allusion à Faulkner qui lui aussi a écrit sur les damnés du Sud, notamment dans “le bruit et la fureur”. Évitant une fois de plus le piège de la plate biographie, Rodolphe Barry recrée, fait vivre un homme passionné, exalté et c’est cette dimension humaine qui a sûrement guidé l’auteur et qui fait la grandeur du roman.

 “Tandis que j’agonise” aurait aussi pu résumer la vie de cet homme passionné, profondément altruiste, brûlant la vie par les deux bouts de la chandelle. Mort avant la cinquantaine comme Carver, il usera et abusera de l’alcool, du tabac, de la benzédrine et des passions amoureuse pour mourir d’une crise cardiaque à 45 ans. Triste fin d’un homme ami de Chaplin, ayant collaboré avec John Huston, ayant scénarisé un roman de Davis Grubb, participant ainsi à la naissance du chef d’oeuvre “La nuit du chasseur”, seul film en tant que réalisateur de Charles Laughton. Couronné à titre posthume du prix Pulitzer pour le roman “ Une mort dans la famille”, oeuvre d’une vie, il aura manqué peut-être une décennie à James Agee pour être “canonisé” comme tant d’icônes ricaines des années soixante au destin tragique.

Outre la riche idée de sortir du quasi oubli Agee, il faut souligner la plume de Rodolphe Barry dont la belle ouvrage rend le bouquin passionnant et permet de louer maintenant le grand homme que fut James.

Wollanup.

Texte de James Agee.

Sure on this shining night of star-made shadows round,
kindness must watch for me this side the ground,
on this shining night, this shining night
Sure on this shining night of star-made shadows round,
kindness must watch for me this side the ground,
on this shining night, this shining night
The late year lies down the north
All is healed, all is health
High summer holds the earth, hearts all whole
The late year lies down the north
All is healed, all is health
High summer holds the earth, hearts all whole
Sure on this shining night,
sure on this shining, shining night
Sure on this shining night
I weep for wonder wand’ring far alone
Of shadows on the stars
Sure on this shining night, this shining night
On this shining night, this shining night
Sure on this shining night


LA CITE DE LA SOIF de Phillip Quinn Morris / Editions Finitude.

Traduction: Fanny Wallendorf.


Le destin de certains auteurs et de leurs textes parfois nous fait nous interroger et nous émeut. Pourquoi ont-ils arrêté d’écrire ? Pourquoi n’ont-il pas été reconnus en leur temps ? En ont-ils souffert ? S’il n’est plus possible d’interroger John Kennedy Toole ou James Ross (Une poire pour la soif), il serait théoriquement possible de le faire avec Phillip Quinn Morris, installé aujourd’hui sur la côte ouest de la Floride. Il y exerce le métier de peintre en bâtiment. Originaire de l’Alabama, Phillip Quinn Morris a publié deux romans en 1989 et 1990 et on peut remercier les éditions Finitude de nous en livrer des traductions françaises, Mister Alabama (2016) et, cette année, La Cité de la Soif. Remercier, parce que tout autant que Mister Alabama, La Cité de la soif  a fait naître une puissante affection chez son chroniqueur attitré. Quelle bon dieu de comédie familiale, excessive, bouffonne et tendre à la fois, copieusement arrosée de gin-soda et de gnôle.

Eté 1970, Alabama, « le Cœur du Cœur de Dixie ». Le comté de Sumpter, à la frontière du Tennessee, est un dry county, comme il en existe d’autres dans le Sud. Il est interdit d’y vendre de l’alcool. Ce n’est pas un problème pour Bennie J. Reynolds qui, issu d’une lignée d’habitants des bois et des marais versés dans le trafic, la corruption et la démerde, est devenu l’homme le plus puissant du comté. [S]a femme est la plus belle, sa maison la plus grande et ses enfants les plus populaires de la région. Grâce à son formidable sens des affaires, il s’est débrouillé pour tenir au creux de sa main le cœur, l’âme et le portefeuille de ses concitoyens en devenant le seul pourvoyeur d’alcool de la ville, la Cité de la soif comme il se plaît à l’appeler. Mélange détonnant de gentillesse du Sud et de sans-gêne parvenu, la famille Reynolds est un peu clinquante, certes, mais qu’importe. Ici on est dans le Sud, et dans le Sud on aime la réussite et on s’arrange avec le reste, du moment qu’on respecte les traditions, les chiens, l’élection de Miss Coton et la Fête du Raton Laveur. Pourtant, cet été 1970 pourrait bien ébranler toutes les confortables certitudes de Bennie J. Des changements s’annoncent avec le départ pour l’université de ses enfants, sa fille Winn et surtout son fils, Wright.

Le roman de Morris ouvre les portes d’une galerie de portraits, tous plus pittoresques les uns que les autres. Evidemment le clan Reynolds y prend la plus large place : Bennie J. le père, travailleur acharné, viscéralement attaché à sa famille et sa terre, à certaines traditions, adepte aussi du « My way » (et tant pis pour la casse) ; Maman Cordelle, la mère, entre frivolité et autorité ; Winn et Wright, les enfants ; Hannah, la cousine ave laquelle Wright a une liaison ; Mae Emma l’employée de maison noire considérée comme la « cousine » (parce que les conventions chez les Reynolds, on s’assoit parfois dessus) ; Jerry Lee, l’homme de main de Bennie J. qui a fricoté par le passé avec Coleen, la sœur de Maman Cordelle et mère d’Hannah ; Mamma Dog Midnight, enfin, la chienne de race Coonhound (chien de chasse adapté pour le raton laveur, d’où son nom), fierté de son maître. Autour d’eux, en admiration pour leurs personnes et leurs gestes, la bonne société du comté, les riches héritiers, les petits notables et les ruraux, pas tous rusés, dont Morris se fait fort de souligner les qualités et surtout les défauts, trop humains, avec un effet hilarant certain.

Bennie J. prend la vie avec son éthique, sudiste mais aussi bien à lui. « Quoi que tu fasses en ce bas monde, fais-le avec dignité et élégance » inculque-t-il à son fils. Cela signifie bosser comme un forcené de l’aube au crépuscule, dans ses échoppes ou bien en organisant une expédition à la dernière minute dans le Tennessee voisin pour abreuver les participants de la Fête du Raton laveur, ramasser les biftons et confier à ses enfants de les apporter en sachets à la banque, envoyer balader ceux qui l’ennuient, quel que soit leur statut, enterrer son chien avec pompe quand celui-ci meurt. C’est un père inquiet pour l’avenir de sa famille et de tout ce qu’il a construit. L’immense tendresse que l’homme d’affaires matois a pour les siens est touchante.  Et sa philosophie de vie de redneck chauvin mal dessalé, tantôt bornée, tantôt easygoing, fait naître aisément le sourire :

  • Où est-ce que Kathy Lee va faire ses études déjà ? demanda-t-il en prenant le chiot sur ses genoux.
  • A Rutgers, dans le New Jersey répondit Wright.
  • J’sais pas pourquoi ils tiennent à envoyer leurs gamins dans une ribambelle d’écoles jusqu’à ce qu’ils aient trente ans. Envoyer Kathy Lee dans le Nord, merde alors.
  • B. J. , elle est allée au lycée de Sumpter. Et comme Lou Ann, elle continuera sans doute jusqu’à ce quelle obtienne un diplôme à Rutgers.
  • Rutgers ? On dirait le nom d’une école où on apprend à fabriquer des armes. J’sais pas pourquoi les Thomas se sentent obligés de fréquenter des écoles bizarres.  Ouais si Bennie J. était jeune, y ‘a qu’un endroit où il voudrait aller : l’Université d’Alabama à Tuscaloosa. Et j’ferais des études de karaté. C’est quelque chose que personne peut t’enlever.

Winn (le contraire de Lose) voyage en Europe pour les vacances. La vie universitaire va l’éloigner à nouveau du comté et elle est à l’heure des choix, cela serre le cœur de Bennie J. « Dès que cette chère Winn apparaît, c’est la fête » est un mantra chez les Reynolds. Wright (le contraire de Wrong), beau et charismatique, auquel tout le monde prédit une carrière politique nationale, s’angoisse de quitter son monde et d’assumer sa relation avec sa cousine, renâcle à l’idée de travailler aussi dur que son père, veut régler quelques comptes avec les membres de la riche micro-société locale. C’est un adulte désormais. Enfin, sous le même toit, Hannah sombre dans la mélancolie, persuadée de mourir bientôt. Si Bennie J. a tiré sa propre force et sa propre morale à patauger dans les eaux turbides du marécage et de la contrebande (il sait d’où il vient et ne cesse de conter ses propres aventures comme celles de ses aïeuls), ses enfants, dosés en douce au gin-soda et grisés par la vitesse et la vie facile, lui apportent bien des tracas.

Le texte de P. Q Morris révèle la fine connaissance de son sujet, le Sud avec ses traditions et coutumes et ses habitants, et la maîtrise d’un art, saisir le sens d’un lieu et d’un moment et donner une consistance à ses personnages. Mais peut-être devrais-je me contenter de dire que ce roman est une sacrée bonne histoire, qui pétille de vie, suinte de raide et de sensualité et frise le barjo, pour notre plus grand plaisir. Si quelqu’un pouvait dire à Phillip Queen Morris que nous n’en avons pas eu assez, il en serait remercié.

Paotrsaout


L’APPEL de Fanny Wallendorf / Editions Finitude.

Ce que Fanny Wallendorf fait de Richard Fosbury et de ses débuts dans la carrière sportive s’appelle un petit miracle : je m’entends, on pourrait facilement poser le livre après avoir lu distraitement la quatrième de couverture. Non pas qu’elle serait mal réalisée, cette quatrième, mais parce qu’on peut très bien se dire – et moi la première – une histoire de sportif, oui, pourquoi pas, finalement non.

Laissez-moi vous dire que ce serait une grossière erreur que de passer à côté de ce récit, tellement il est délicat, passionnant et, certainement, inoubliable. Parce qu’il y a une douceur, une tendresse dans l’écriture de Fanny Wallendorf qui a l’air de couver des yeux non seulement son personnage principal, Richard, mais aussi tous les autres, importants ou anecdotiques, qui est extrêmement touchante. Parce que une fois installés dans le récit vous y serez bien. Vous y serez sereins. Vous ne voudrez plus en sortir.

A quatorze ans Richard n’arrive pas à progresser au saut en hauteur. D’ailleurs, si cela ne tenait qu’à lui, il pourrait plafonner à 1,62 mètre éternellement. Ce qu’il préfère dans ses entraînements ce sont les copains et le trajet entre le gymnase et la maison. Le trajet qu’il appellera un jour Jack’s Path d’après le nom d’un labrador qu’il ne manquait jamais de saluer en passant.

« Le trajet entre le gymnase et chez lui, effectué chaque jour de la semaine dans un sens puis dans l’autre, est ce qu’il préfère dans l’entraînement. Il en aime tous les détails, inépuisables, il guette leurs variations dans les lumières des saisons. C’est comme une immense chasse au trésor, sans qu’il sache après quel butin il court. Il en ressort invariablement avec une sensation de récompense, de gratification, de confirmation d’une joie obscure en lui. »

Richard est une nature heureuse et contemplative. La compétition ne l’intéresse pas. La découverte si, la nouveauté, l’expérimentation. Son corps, dégingandé, qui paraissait l’empêcher de progresser dans sa discipline sportive, devient par un pur hasard son meilleur allié. Et tout change.

L’Appel n’est pas que l’histoire imaginée de Richard Fosbury, c’est aussi un superbe coming of age solaire, doux et touchant, une histoire d’amour belle comme les premiers amours savent l’être, le passage d’un jeune garçon à l’âge de l’homme.

La découverte du saut dorsal, faite en solitaire lors de ses entraînements, met Richard sur Sa voie : désormais il cherchera par tous les moyens d’améliorer ce saut, contre vents et marées, non pas tant pour prouver quelque chose aux autres mais pour mieux approfondir ces instants où il est littéralement habité par le saut. Son corps, son outil, il le fait plier à coups de concentration et travail.

J’ai refermé L’Appel un grand sourire aux lèvres : et je souris maintenant à chaque fois que j’y pense.

Monica.

CHALEUR de Joseph Incardona / Finitude.

« La Finlande : ses forêts, ses lacs, ses blondes sculpturales… et son Championnat du Monde de Sauna.

Chaque année, des concurrents viennent de l’Europe entière pour s’enfermer dans des cabines chauffées à 110°. Le dernier qui sort a gagné.

Les plus acclamés sont Niko et Igor : le multiple vainqueur et son perpétuel challenger, la star du porno finlandais et l’ancien militaire russe. Opposition de style, de caractère, mais la même volonté de vaincre. D’autant que pour l’un comme pour l’autre, ce championnat sera le dernier. Alors il faut se dépasser. Aller jusqu’au bout. » Continue reading

MISTER ALABAMA de Phillip Quinn Morris / Editions Finitude.

Traduction: Fanny Wallendorf.

Phillip Quinn Morris est né en 1954 dans l’Alabama et y a vécu une partie de sa vie, notamment comme  pêcheur de moules de rivière dans la Tennesse River comme les personnages de son premier roman daté de 1989 que les éditions Finitude nous offrent aujourd’hui à découvrir. Son second roman sera lui aussi édité et puis ensuite plus rien, malgré plusieurs tentatives qui s’avèreront infructueuses auprès des éditeurs américains. A sa sortie, « Mussells » que nous découvrons ici sous le titre de « Mister Alabama » a connu un franc succès dans les librairies indépendantes du pays et a été encensé par Harry Crews ce qui n’est pas rien.

« Mud Creek, Alabama, été 1979.
Alvin Lee Fuqua, ex Mister Alabama, a 28 ans et un rêve : devenir Mister America, pour passer à la télé dans un talk-show & se faire remarquer & devenir acteur & jouer dans des films avec Burt Reynolds. Un bien beau rêve, contrarié par un problème de hanche.
Alors Alvin a changé ses plans – adieu gloire et bodybuilding, cap sur la fortune grâce à la pêche aux moules. C’est bien plus sûr et lucratif que la contrebande de whisky. Alvin plonge dans la rivière et remonte des moules grosses comme le poing.
La vie des plongeurs est paisible à Mud Creek, jusqu’au jour où le meilleur d’entre eux, le plus âgé, le plus futé, le plus costaud, mais aussi le plus solide buveur de la Tennessee River, le mentor d’Alvin, le légendaire Johnny Ray, s’écroule, victime du mal des profondeurs. »

Une bande de potes entre 25 et 40 ans, des plongeurs qui pêchent dans les fonds boueux de la Tennessee River, des amis qui squattent chez Alvin pour quelques nuits, des soirées d’ivresse, des pauses dans la vie de couple, passent une énième soirée très arrosée et au matin, gueule de bois et surtout Johnny Ray, leur héros, leur mentor, leur grand frère raide mort laissant une veuve et deux orphelins et des amis effondrés. Plus rien ne sera pareil dans leur gentil bordel, tous ces grands gosses vont comprendre que leur ancienne vie faite d’insouciance, de secrets cachés, d’espoirs enfouis, oubliés dans l’alcool ou la marijuana est terminée. Leur baroud d’honneur particulièrement éthylique lors des obsèques marquera la fin d’une époque.

Chacun, à sa manière, va tenter de se reconstruire et c’est par l’intermédiaire d’Alvin, un mec bien, placide, bonne pâte quand il n’a pas bu que l’on va suivre le destin de ses amis qui ont perdu leur « guide ». Cliff, vétéran du Vietnam tombe amoureux de la soeur d’Alvin comédienne barrée anorexique, Freddy a des problèmes avec ses plants de marijuana, Donna, la veuve de Johnny Ray nymphomane, perd pied et confie ses deux enfants à Alvin avant de venir s’installer chez lui, de manière naturelle, pour elle. Alvin, quant à lui veut redevenir Mister Albama et même accéder au titre de Mister America et reprend le bodybuilding de manière forcenée en appliquant des méthodes d’entraînement farfelues combinées à un régime dangereux à base de stéroïdes.

« Mister Alabama » n’est pas un polar, juste la chronique d’une communauté rurale de l’Alabama à la fin des années 70 où les héros se nomment Burt Reynolds et les Rolling Stones. Commencé comme une grosse farce, le roman perd peu à peu de son outrance pour aller vers plus de gravité malgré les frasques des uns et des autres qui perdent pied chacun à leur manière. Une fois la lecture terminée, reste le souvenir très agréable d’un bon roman, original, prenant, touchant, sachant diversifier les situations, provoquant de multiples émotions sans avoir l’air d’y toucher.

Humain.

Wollanup.

DERRIÈRE LES PANNEAUX IL Y A DES HOMMES de Joseph Incardona / Editions Finitude.

Ce roman paru en 2015 aux éditions Finitude qui ont cartonné cette année avec « En attendant Bojantes » dont j’ai lu tellement de chroniques que j’ai l’impression d’avoir lu le roman.

Sorti peu de temps après « Aller simple à Nomad Island », ce « Derrière les panneaux, il y a des hommes » ne m’avait pas réellement tenté tant j’avais été peu séduit par ce précédent roman traitant lui-aussi en toile de fond du tourisme. Néanmoins, « Derrière… » a obtenu le grand prix de la littérature policière et cela m’est amplement suffisant pour profiter de cette période estivale pour m’y plonger me souvenant aussi d’un excellent « Trash Circus » paru en 2012.

« Pierre a tout abandonné, il vit dans sa voiture, sur l’autoroute. Là où sa vie a basculé il y a six mois. Il observe, il surveille, il est patient. Parmi tous ceux qu’il croise, serveurs de snack, routiers, prostituées, cantonniers, tout ce peuple qui s’agite dans un monde clos, quelqu’un sait, forcément. Week-end du 15 août, caniculaire, les vacanciers se pressent, s’agacent, se disputent. Sous l’asphalte, lisse et rassurant, la terre est chaude, comme les désirs des hommes. Soudain ça recommence, les sirènes, les uniformes. L’urgence. Pierre n’a jamais été aussi proche de celui qu’il cherche. »

Joseph Incardona a la critique acerbe, le verbe puissant et le regard pointu dans ses analyses de notre société et de ses contemporains. Jamais de demi-mesure, c’est cru, ça dégomme, l’hallali, un ennemi de la tiédeur en écriture que tous les lecteurs ne seront pas capables de supporter dans ce roman fort mais terriblement éprouvant. Un roman sur les vacances à ne pas lire pendant les vacances sous peine de plomber l’ambiance.

Les gares, les ports, les aéroports ont toujours été chargés d’émotions de voyages, de nouvelles vies, de promesses, de découvertes, d’aventures, de vacances… de fuite ou de perte aussi bien sûr, enfin autrefois car depuis le début du XXIème siècle, toutes ces bonnes impressions sont un peu voire très ternies par les fumiers qui les convertissent en aires de massacre. Mais avez-vous eu une seule fois ce beau sentiment d’aventures, d’évasion en vous arrêtant sur une aire d’autoroute ? Moi pas, juste une sale impression de triste copie de ce qui se fait en Amérique et surtout une sale impression de piège incontournable pour les cons que nous sommes, parfois contraints de nous y arrêter. Le premier supplice des vacances de masse, du tourisme bas de gamme avec des souvenirs à la con et nos contemporains qui friment dans leur nouvelles tenues estivales avec leurs gosses énervés qui braillent pour avoir des frites immangeables. Vous connaissez, bien sûr, et c’est là que dans ce néant de réalité qu’a créé le pire des drames un Joseph Incardona monstrueux de talent qui va raconter avec cruauté tout ce que vous avez seulement entraperçu.

« Derrière le pare-brise sale, le monde est toujours là : une aire de repos écrasée par la chaleur. Herbe jaune piétinée jusqu’à la trame. Poubelles débordant de déchets. Tables de pique-nique en ciment dont les angles révèlent des moignons de métal rouillé. Mouchoirs tachés de merde, recouvrant la merde elle-même, au gré des buissons longeant la clôture de l’autoroute. »

Ce n’est pas un grand mystère, on l’apprend très rapidement, Pierre cherche un salopard qui a enlevé sa fille de huit ans quelques mois plus tôt le détruisant lui et Ingrid sa femme. Il est démoli mais armé par la rage de la vengeance tandis que son épouse a fui dans l’alcool et le sexe dégueulasse. Une nouvelle disparition en ce weekend du 15 août va éveiller Pierre…

Tout est montré, crûment, outrageusement réaliste: les parents détruits, les flics démunis, les jouisseurs des malheurs d’autrui, les employés des relais routiers, les épaves perdues de ces faux îlots, les paparazzi, les psychologues impuissants, les gros cons, les pauvres beaufs et leur fausse compassion, tout ce monde interlope qui se retrouve tous les ans aux moment de ces tristes migrations et qui entre en surchauffe avec cette tragédie à gerber.

Le roman est méchant, particulièrement dur et éprouvant, cogne à chaque page, à chaque description mais reste d’une pudeur magnifique pour le calvaire de ces pauvres anges volés. Tout sauf un roman pour les vacances mais  un chef d’oeuvre.

Choquant!

Wollanup.

 

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