Traduction: Anatole Pons.
Pour l’état-civil, Beam, 19 ans, est un Sheetmire, On compte un paquet de Sheetmire dans ce coin perdu et figé du Kentucky, sur les rives de la Gasping. On y cultive le maïs et le soja, les familles nombreuses aussi. Chacune est souvent composée de douzaines de membres et c’est un passe-temps que de décortiquer les arbres généalogiques le soir au coin du feu. Enfin, les arbres. On a envie de dire les liserons généalogiques, tant ça foisonne et rampe, pas franchement noblement.
Mais il y a un truc qui cloche. Beam n’a pas le physique de ses pairs, oncles, cousins.
Une nuit alors qu’il remplace son père Clem – dont c’est le job – à faire le passeur sur la rivière, il charge sur le bac, un rouquin, éméché, hâbleur, qui tente de le dévaliser. On serait venimeux, on dirait que ça fait quatre bonnes raisons de corriger le bonhomme. Beam le tue et balance le corps à la rivière. A l’occasion, Clem lui-même, assomme et dépouille les ivrognes qui l’emmerdent pendant la traversée. Cette fois, il y a mort d’homme. Sur le conseil de son père, Beam s’enfuit. Il ne le sait pas mais sa victime est le fils de Loat Duncan, vieux méchant salopard local, puissant homme d’affaires pour ne pas dire trafiquant, psychopathe et assassin sans pitié. Il n’a de tendresse que pour ses Dobermann et son homme de main. Ce meurtre est une atteinte directe à ses principes : on ne touche pas à ses intérêts ni aux siens. Loat Duncan détient, en outre, un lourd secret concernant le passé de Beam et celui de Derna, sa mère, une femme à la beauté sulfureuse et ternie par l’âge, droite à sa manière et aimante. Loat Duncan et Elvis Dunne, le shériff, se lançent à la poursuite de Beam. Sur les bords de la Gasling, le silence lourd qui pèse sur les histoires de famille se déchire. Le bidon est renversé et le noir goudron qu’on y trouve va tâcher pas mal de salopettes…
On aborde ce roman avec la circonspection qu’inspirent les étiquettes avancées, « noir », « rural », « roman initiatique » ou « welcome chez les poor white trash ». On aura lu avec plaisir Daniel Woodrell, Chris Offut (Kentucky Straight) Frank Bill (Chiennes de vie, chroniques du Sud de l’Indiana) ou Brian Panowich (Bull Mountain) voire Cormac McCarthy (Un Enfant de Dieu). Que pourrait-il y avoir d’original encore une fois inspiré par la cambrousse américaine, souvent dans les Etats du Sud ? Dès les premières lignes, on croit savoir ce qu’Alex Taylor nous propose, sous l’influence des titres précédemment nommés (ce qui en soit suffirait à poser un roman de bonne facture). Peu à peu va s’imposer un attrait pour les personnages :
– Beam, un gars simple, pas vraiment doué, un peu lâche, avec un talent quand même : s’attirer les sanglants ennuis qui éclaboussent avant tout les autres
– Loat Duncan, remarquable ordure, dont la cruauté finirait pour nous rendre le jeune Beam presque attachant, lui
– Derna, la mère de Beam, superbe personnage féminin, avec ses rayures et ses blessures, et sa pâle mais stoïque lumière maternelle.
Le drame s’articule autour de ces trois-là mais Alex Taylor a pris soin de placer également dans le tableau, parfois pour quelques instants, un boisseau de personnages, gravés à l’eau-forte, emblématiques de cette Armericana kentuckyenne : shériff, petites gens et péquenauds, types louches ou bancals, avec le fumet du pays sous les aisselles et la poussière sur les manches. Il n’y a pas grand chose qui bouge chez eux mais quand quelque chose se déclenche, leur sort pour le pire est lié et il a été décidé il y a bien longtemps.
Alex Taylor, enfin, crée une ambiance particulière à cet endroit déclassé, abandonné des mythes – même si la rivière pourrait être une sorte de Styx peuplée de poissons-chats. C’est son sens du détail qui impressionne. Il y a une exigence lexicale pour décrire la banalité ou la rude réalité. Du noir, oui, mais qui n’est pas écrit avec de la crotte sous les ongles ou bien avec une sécheresse qu’on considère inhérente au genre. On ne cachera pas qu’il y a finalement une élégance dans tout cela, une poésie et qu’elle nous séduit diablement. Ce n’est pas la moindre qualité de ce texte. Alors bienvenue au Verger de Marbre, où poussent les pierres tombales et piaule l’oiseau Taylor. On entendra son chant et on se souviendra de sa plume. Car il en a.
Un premier roman au réalisme écorcheur qui laisse une persistante écharpe de tristesse.
Paotrsaout
Merci ça fait vraiment envie comme vous dites de
s’envelopper « dans une écharpe de tristesse » !
Je vous en prie. L’anthracite donne une certaine allure…
Ravi de savoir que tu l’as aimé !!! moi j’ai adoré !! 😉
Aimé, adoré… Sans entrer dans une compétition, je dirais que j’ai été emballé par le style, l’écriture, en premier lieu. Et je suis heureux de savoir que d’autres l’ont aimé, adoré, ont été emballés, pour des raisons qui leur appartiennent.
Je viens de mettre la main dessus. Ta chronique, au demeurant fort inspirante, me conforte dans mon choix. Lecture prévue en janvier!
Il semble qu’il y ait une certaine unanimité autour de ce roman.
Wollanup.
quel putain de bouquin ! je n’ai pas lu les auteurs que tu cites (à part Offut, super et Brian Panowich, déception) mais bien envie de m’y plonger. une fois encore merci Gallmeister !
Alors Daniel Woodrell devrait t’enchanter.
c’est noté ! merci
Je t’en prie, c’est partial comme indication car l’auteur est vraiment extraordinaire, sous côté.