Chroniques noires et partisanes

DÉBÂCLE de Lize Spit / Actes sud.

Traduction : Emmanuelle Tardif.

« Débâcle » premier roman de la Belge Lize Spit a fait un énorme carton dans sa zone linguistique flamande en Belgique et aux Pays Bas et c’est tout sauf une surprise. L’auteure, moins de la trentaine, scénariste de formation a réussi à montrer une impressionnante facette du roman rural. Dans le ton, le roman peut parfois ressembler à « L’été des charognes » de Simon Johannin mais l’œuvre est beaucoup plus aboutie, plus, plus… un grand roman, pas un coup de cœur, bien au-delà, pas une baffe plutôt un coup de batte. Ames sensibles et personnes fragiles, à tout prix s’abstenir.

Commencé à reculons, craignant un vulgaire thriller de vengeance, j’ai été rapidement ébloui. En fait, le ravissement démarre par la couverture très réussie, très dérangeante et correspondant parfaitement à une tonalité apparaissant souvent dans le roman. Quand un éditeur comprend que le visuel a parfois son importance, on a le droit à une couverture du niveau d’une pochette d’album rock glamour, photo de l’artiste belge Frieke Janssens extraite d’un série intitulée Smoking kids. En fait, la couverture française est bien plus réussie que l’originale qui sera vécue de manière éprouvante par ceux qui ont déjà lu le roman.

« À Bovenmeer, un petit village flamand, seuls trois bébés sont nés en 1988 : Laurens, Pim et Eva. Enfants, les “trois mous­quetaires” sont inséparables, mais à l’adolescence leurs rap­ports, insidieusement, se fissurent. Un été de canicule, les deux garçons conçoivent un plan : faire se déshabiller devant eux, et plus si possible, les plus jolies filles du village. Pour cela, ils imaginent un stratagème : la candidate devra résoudre une énigme en posant des questions ; à chaque erreur, il lui faudra enlever un vêtement. Eva doit fournir l’énigme et ser­vir d’arbitre si elle veut rester dans la bande. Elle accepte, sans savoir encore que cet “été meurtrier” la marquera à jamais. Treize ans plus tard, devenue adulte, Eva retourne pour la première fois dans son village natal. Cette fois, c’est elle qui a un plan… »

Conte cruel, fable macabre, « Débâcle » évolue sur deux époques, qui progressent conjointement, harmonieusement en entretenant diaboliquement le terrible suspense inhérent à chaque période. La première se situe en 2002, l’année de la naissance d’un désir sexuel un peu malsain des deux amis d’Eva, ses deux compagnons depuis les bancs de la maternelle, deux potes pour qui elle pense compter, elle, qui aimerait tant exister aux yeux de quelqu’un. Eva vit dans une famille, où le père comme la mère avec des symptômes très différents, se noient dans l’alcool entraînant des sommets de bêtise, d’aveuglement, de beaufitude, de détresse et de malheur. Le roman se situe en Belgique mais vous pouvez l’adapter à n’importe quel coin rural français. Ici, la campagne, ce n’est pas un paradis romantique comme on le lit trop souvent ou un espace rude où les autochtones se serrent les coudes. Cette campagne, sans être franchement sinistrée, semble néanmoins bien isolée, un peu arriérée et peu divertissante ou enrichissante pour des ados. Racontant le retour désenchanté d’Eva sur les terres qui l’ont vu grandir, son passage dans divers lieux, témoins de son malheur, de l’horreur vécue, la deuxième époque invite, elle aussi, à des sentiments puissants.

Ce roman se distingue par une qualité proche de la perfection. On a tout d’abord deux suspenses  et aucun ne souffre de la moindre faiblesse comme souvent dans pareils romans se situant sur deux époques. Dès les premières pages, on accroche, et dès les premières lignes, dans un style efficace, des détails, des indices permettent d’imaginer, de prévoir une issue, des issues dramatiques. C’est évident et on plonge avec Eva vers l’indicible en 2002 comme quinze ans plus tard. Ensuite, talentueusement et de manière très juste, Lize Spit décrit deux personnages absolument inoubliables au milieu du cloaque : Eva bien sûr et sa petite sœur Tessie qui devient un peu plus barge chaque jour, faisant naître une émotion justissime par des scènes à briser le cœur, à vous bloquer dans votre lecture. Beaucoup de pages révoltantes, noirissimes jusqu’aux deux ultimes sommets d’horreur. Lize Spit a le même âge que son héroïne et elle a fait montre d’un beau travail pour refaire naître cette époque en convoquant certainement beaucoup de souvenirs d’enfance avec autant d’authenticité palpable. Je n’ai pas lu beaucoup de romans du genre rural de ce niveau et vous n’en lirez sûrement pas d’autres d’une telle force émotionnelle cette année.

Noir exceptionnel.

Wollanup.

https://www.youtube.com/watch?v=pCfTCLmKia4

 

 

4 Comments

  1. Marie-Laure

    Quel commentaire! « une qualité proche de la perfection »: impossible de résister!

  2. CLETE

    Il ne faut pas résister!

  3. cachou

    Je viens de fermer le livre, j’ai les images dans la tête .
    Votre analyse est très juste.
    Un vrai coups de poing dans le ventre cette histoire . Je vais essayer de prendre un autre livre pour oublier un peu cette folie..

    • clete

      Merci pour ton passage Cachou.
      Ah oui, il faut trouver quelque chose de léger,d’humoristique après.Mais,j’ai le regret et le devoir de te dire que le livre reste très,très longtemps dans la tête.

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