L’auteur lorrain Pierre Hanot après le récit romancé Gueule de fer (La Manufacture des livres, 2017) nous revient avec un roman noir et social inspiré de faits réels qui, tel un scopitone, projette des pastilles, instants de vie de ses personnages, pris dans la tourmente des événements de juillet 1961, au cœur de la ville de Metz.
En 1961, la guerre d’Algérie a profondément fracturé les sociétés française et algérienne. Après le Putsch des généraux avorté (avril), le 1er Régiment Chasseur Parachutiste qui s’est rangé du côté des mutins a été rapatrié d’Alger et encaserné en Lorraine. Les paras rongent leur frein et macèrent dans leur désir de revanche. La communauté nord-africaine, installée dans la vieille ville messine, essaie de faire profil bas. La plupart de ses membres a pour priorité de travailler et de joindre les deux bouts. En son sein, toutefois, les diverses factions politiques algériennes essaient de marquer des points, d’enrôler plus de soutiens et de prélever l’impôt révolutionnaire, quitte à tordre des bras. A ce jeu, le FLN est le plus puissant. Il n’entend pas non plus se laisser faire face aux brimades ou agressions racistes. Pour lui, la guerre se joue aussi sur le sol français. Les Messins s’inquiètent de la présence des Nord-Africains, la méfiance domine quand ce n’est pas la haine. Somme toute, Lorrains et Nord-Africains doivent vivre, travailler, se distraire côte à côte et, l’humain étant ainsi fait, ils y parviennent plus ou moins. Tout bascule la nuit du 23 juillet 1961, la « Nuit des paras ». Pendant quelques heures, Metz est à feu et à sang. Une escarmouche dans un bal, des représailles et les paras, tels des chiens lâchés, sortent des casernes pour ratisser la ville. Il y aura des morts.
Pierre Hanot raconte ainsi quelques jours en juillet à travers les instantanés d’anonymes, à la vie à jamais bouleversée par les « coups de l’Histoire ». Ils sont petit commerçant, militant FLN, journaliste stagiaire, jeune ouvrière d’usine, militaire ou employé de dancing… Pierre Hanot nous parle de leurs rêves, de leurs joies, de leurs doutes, de leurs déveines et de leurs blessures. Et puis ce qu’il restera abruptement d’une nuit barbare : amertume, honte, sang, trou noir de l’oubli…
L’écriture de Pierre Hanot a ce côté décharné et efficace que lui envierait tout songwriter à la recherche de lignes éloquentes. Comme l’auteur a choisi un texte mosaïque, les courts chapitres rappellent un travail photographique, en noir et blanc il va de soi, quelque part entre Raymond Depardon pour l’aspect documentaire et Robert Doisneau pour l’aspect humain. Vivant et authentique, le roman parvient, à partir d’événements locaux et de personnages ordinaires, à dézoomer pour offrir le portrait d’une France populaire, provinciale, à la fois crispée et désireuse de prospérer au tout début des années 1960. Pierre Hanot fait travail d’histoire en replaçant ses les violences de Metz dans la triste chronologie des ratonnades sur le sol français. Elles préfigurent celles qui, quelques mois plus tard, en octobre, se déchaîneront dans les rues de Paris et sur les berges de la Seine, sur commande cette fois et à plus grande échelle encore.
Un texte simple et juste mais c’est tout un travail de faire de la bonne littérature sociale sans tromperie.
Paotrsaout
Laisser un commentaire