Chroniques noires et partisanes

UN CIEL ROUGE LE MATIN de Paul Lynch / Albin Michel.

Traduction: Marina Boraso

L’Irlande regorge d’auteurs  de noir talentueux comme si le climat éprouvant et déprimant qui rend si belles les vallées et donne à la bière locale un goût incomparable déteignait vraiment sur les populations maudites d’une île si souvent blessée et dont  on se demande si elle a un jour connu un âge d’or sans domination étrangère parce que les Britanniques sont loin d’avoir été les seuls envahisseurs au cours de l’histoire, et ainsi créait une ambiance propice à l’écriture d’histoires souvent bien tristes mais un peu pénibles aussi parfois par une certaine pérennité des lamentations. Paul Lynch, à sa façon très originale, ajoute une pierre de taille, un mégalithe imprégné d’Histoire à l’édifice avec un roman extraordinaire, c’était son premier, ensuite suivront le glacial « la  neige noire » et en début d’année « Grace » qui raconte le destin d’une adolescente pendant la grande famine irlandaise et qui s’avère être la fille… du héros de ce premier roman.

Et ici, que ce soit l’histoire, les descriptions, les personnages, tout est réussi et tout s’enchaîne dans un déroulement somptueux de noblesse, d’humilité et de compassion pour ces pauvres gens, bannis sur leurs propres terres et partis vers l’inconnu, vers un destin qui ne pouvait être pire que celui qu’ils enduraient chez eux.

“Printemps 1832. Coll Coyle, jeune métayer au service d’un puissant propriétaire anglais, apprend qu’il est expulsé avec femme et enfants de la terre qu’il exploite. Ignorant la raison de sa disgrâce, il décide d’aller voir l’héritier de la famille, qui règne désormais en maître. Mais la confrontation tourne au drame : Coll Coyle n’a d’autre choix que de fuir. C’est le début d’une véritable chasse à l’homme, qui va le mener de la péninsule d’Inishowen à Londonderry puis aux États-Unis, en Pennsylvanie.”

Roman grandiose d’une chasse à l’homme sur deux continents avec un méchant, Faller, à qui on peut presque attribuer un côté magique tant il est une incarnation du Mal avec des facultés physiques et intellectuelles immenses et développées uniquement pour répandre l’horreur et le malheur autour de lui et guidé par une haine inhumaine vis-à-vis de Coll, simple paysan qui a fait le mauvais geste au mauvais moment. C’est un suspense continu et de grande qualité sur plus de 280 pages. C’est dur comme du Cormac McCarthy, c’est raconté comme du James Carlos Blake. C’est simplement passionnant et époustouflant de classe ! Pas un chapitre, pas un paragraphe, pas une ligne pour reprendre son souffle. Trois parties pour trois lieux; tout d’abord l’Irlande déshéritée terre de ce drame parmi tant d’autres et pourtant les années de la grande famine sont encore à venir puis une seconde partie à fond de cale sur l’Atlantique avec des pages bouleversantes tant par le malheur qui frappe des gens qui en ont eu pourtant leur dose depuis la naissance et tant par la beauté des sentiments et la noblesse de certains comportements et agissements quand l’humanité tend à disparaître au profit de l’instinct de survie. Enfin, une troisième partie qui montre aux acteurs que leur Nouveau Monde tend à fonctionner comme l’ancien monde qu’ils ont fui et où la peine remplace très vite le rêve. La Cour des Miracles à l’échelle d’un continent !

Que l’Irlande miséreuse est belle sous la plume de Paul Lynch. Une plume magnifique, une histoire écrite avec le sang de toutes les victimes de l’animalité des maîtres en Irlande et des balbutiements de l’histoire dans la terre promise de tant d’Irlandais, l’Amérique…si réelle et si virtuelle , aimée et tant haïe  et dont tant de mentalités et de comportements actuels sont l’héritage culturel de ses ancêtres européens et du souvenir des temps difficiles où la solidarité autour d’un clocher, d’une communauté ou d’un drapeau pouvait vous sauver la vie et vous protéger un peu de l’adversité.

Un  vibrant hommage aux migrants irlandais et de manière générale à ces populations européennes considérées comme la lie de la société et qui ont su créer un grand pays devenu la plus grande puissance mondiale du XXème siècle, juste revanche sur ceux qui les avaient bannis et persécutés. Et quand on pense à la tragédie de ces migrants que peut-on dire de l’horreur vécue par ces populations d’Afrique enlevées loin de leurs vies et réduites à l’esclavage et qui ont contribué bien malgré eux à l’élaboration de l’empire.

Violent, cruel, terrifiant et surtout quelle plume!

Wollanup


2 Comments

  1. Electra

    tant mieux, je l’ai découvert avec Grace et j’ai déniché celui-ci par hasard, j’ai failli ne pas le garder, mais j’ai bien fait

    • clete

      Si tu as aimé Grace, tu vas adorer l’histoire de son père en Amérique. Le style, l’histoire, un régal, une grande claque pour moi à sa sortie en 2014. Je tenterai de le lui exprimer ce weekend à Etonnants Voyageurs.

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