“Telstar” est le deuxième roman de Stéphane Keller et si vous n’avez pas lu le premier “Rouge Parallèle” également sorti dans la collection “Toucan Noir”, l’an dernier, commencez donc par celui-ci qui se déroule 6 ans avant et nous fait découvrir certains personnages au centre de l’action du deuxième.
“ALGER, décembre 1956.
Des fillettes sont tuées dans le quartier européen de la ville. Deux flics, qui se haïssent de tout leur être, sont chargés de l’enquête. Pour l’inspecteur principal Brochard, l’assassin ne peut être qu’un arabe, un type du FLN. Mais son adjoint est d’un avis différent et bientôt, des témoins parlent d’un homme blond, de type caucasien.
Le capitaine Jourdan rentre de Suez avec la 10e Division Parachutiste. Une opération de grande envergure se prépare à Alger, quotidiennement touchée par des attentats. Une opération menée par l’armée, qui sera étudiée attentivement par des observateurs étrangers comme le colonel Hollyman, l’ancien patron des opérations spéciales à l’OSS.
Chaque jour, des appelés débarquent dans le port d’Alger et parmi eux, le seconde classe Norbert Lentz, déjà très apprécié de ses chefs pour son anticommunisme viscéral.”
Aux USA, en littérature comme au cinéma, on a très vite raconté le Vietnam. En France, l’histoire de cette guerre de 8 ans est restée longtemps quasiment sous silence. Pourtant les mêmes plaies, la même défaite, les mêmes conséquences sur les appelés envoyés sur place massacrer ou se faire massacrer ou revenir marqués à vie ou complètement dézingués. D’ailleurs, on ne parlait pas de guerre mais des “événements d’Algérie”, pas de combats mais de “pacification”. A Alger, en décembre 1956, plus de cent attentats perpétrés. On décide d’envoyer 8000 paras et légionnaires, pas le tout venant, l’élite dure. L’armée française a besoin de redorer son blason après la débâcle de 40, la défaite en Indochine contre des va-nu-pieds, l’issue frustrante de l’histoire du canal de Suez. On est prêt à en découdre chez les maîtres de guerre. La troupe exécutera les ordres et… « les indigènes » et l’armée respectera sa réputation de “ Grande Muette”.
La quatrième de couverture évoque en premier une intrigue policière mais déjà souvent lue de tueur de petites filles mais c’est ce cadre algérien et algérois qui donne à son roman tout son éclat, sa puissance. On n’est pas ici dans un petit polar à deux balles, on est confronté à un épisode peu glorieux de notre histoire nationale et parfois on peut très bien ressentir une certaine honte quand le drapeau légitimise ainsi l’innommable.
Stéphane Keller, scénariste pour la télévision, le cinéma et le théâtre s’attaque donc à cette bataille d’Alger dans le décor de cette province française en 1957, statut colonial particulier, Alger étant d’ailleurs considérée comme la deuxième ville française par sa dimension.
L’auteur adapte parfaitement ses compétences audiovisuelles à la littérature noire pour écrire une histoire particulièrement passionnante dans ses différentes dimensions humaines, socio-démographiques, politiques et historiques entraînées par une enquête policière mettant en scène deux flics représentants de deux France, celle d’Algérie et celle de la métropole.
Les 500 pages s’enfilent très vite, le roman a le souci d’être précis, pointilleux, parfois un peu trop même dans certains détails très superflus mais il y a le souci d’authenticité et ce n’est jamais blâmable, surtout quand on met les pieds dans un tel bordel. Stéphane Keller fait parfaitement conjuguer les histoires personnelles avec la grande Histoire. Les personnages sont parfaitement dessinés, révélant des mentalités parfois difficilement compréhensibles en 2019. On est dans un monde encore frappé par la barbarie de la deuxième guerre mondiale mais peu importe, l’armée va utiliser certaines méthodes des nazis, elles-même, adaptées des us et coutumes de Napoléon quand il avait occupé le territoire allemand au début du 19ème siècle.
Bien sûr, faut-il le dire, cette guérilla urbaine, cette guerre sans nom aux sales méthodes qui inspireront les Ricains ainsi que la gestion de pas mal de conflits sud-américains des années 60 et 70, ne vous offrira pas des heures confortables. Les deux clans, armée française et le FLN (parti toujours au pouvoir en Algérie et objet des manifs du vendredi à Alger depuis quelques mois), adoptent et améliorent la loi du talion dont les plus grandes victimes seront souvent les populations civiles innocentes, “européennes” et “indigènes” (selon les termes de l’époque). Tout le monde, à sa manière, revendique, la légitimité du combat, l’inéluctabilité de la loi martiale comme celle des massacres de fermiers dont le sang abreuvera leurs terres natales occupées certes mais aussi cultivées depuis des décennies. Pas de manichéisme chez Stéphane Keller, beaucoup d’intelligence par contre pour couvrir le chaos dans son universalité.
“Telstar” est un roman noir fort, puissant témoin d’un moment où la France de la IVème République, pays de la Révolution, de Voltaire, des Lumières est confrontée au “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”.
Wollanup.
J’ai bien apprécié le « premier » donc….
et puis ça ne fait pas de mal « de remettre l’église au centre du village ».
Merci Boss.
Merci Chouchou mais Boss maintenant ?
Par contre, pour l’anecdote, de 1961 à 1963, j’ai vécu en Algérie… fils de militaire. Avant et surtout après l’indépendance. Pas énormément de souvenirs mais c’est quand même là bas que j’ai fait mes premier pas.
Boss: abus de langage. Je me souviens de ton itinéraire.
Boss tel un maître des horloges, un conneXioneur…
Il se passe quelque chose d’inattendu, de nouveau dans la littérature , une nouvelle main, un nouvel auteur qui pourtant dans ses oeuvres cinématographiques , théâtrales, est tout sauf un novice. Il était déjà confirmé ailleurs dans le métier de cinéma et c’est une belle continuité que ses romans qu’il nous livre avec le même sérieux et la juste précision de l’homme honnête qu’il est profondément..
Soyons curieux
Soyez ceux qui l’auront lu en premier
Les moldus seront jaloux demain.
Un fan, quel enthousiasme!