Chroniques noires et partisanes

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RÉTIAIRE(S) de DOA / Série Noire / Gallimard

Il y a eu bien sûr l’épisode Lykaia sur le BDSM en 2018 mais on était nombreux à attendre le DOA de Citoyens clandestins et de Pukhtu. Les années noires COVID auront eu au moins un effet positif puisqu’elles auront bloqué l’auteur dans ses recherches sur l’histoire d’un officier nazi en France. En attendant, DOA est donc revenu vers le Noir, ses premières amours et des univers où depuis de longues années, il nous séduit par la puissance de sa plume, son art à nous montrer le côté obscur, l’underground sans filtre.

“Une enquêtrice de l’Office anti-stupéfiants, l’élite de la lutte anti-drogue, qui a tout à prouver.

Un policier des Stups borderline qui n’a plus rien à perdre.

Un clan manouche qui lutte pour son honneur et sa survie.”

Un roman de DOA est difficile à résumer et je ne m’y risquerai pas plus que la Série Noire très minimaliste dans sa quatrième de couverture. Disons que très globalement si Pukhtu parlait de la guerre en Afghanistan, Rétiaire(s), lui, parle de la drogue en France, une autre guerre. On connaît la rigueur de DOA, sa volonté que certains trouvent farouche de se montrer inattaquable sur ce qu’il montre, raconte et on retrouve tout cela dans une intrigue très riche sur le trafic de came en France à différents niveaux. Tout d’abord l’internationale de la came avec les nouvelles routes de transit, des états bandits comme la Bolivie, la Mauritanie, beaux pays où, même en rêve, on n’a pas envie de séjourner. Ensuite, le trafic sur le pays avec une famille de trafiquants manouches de la région parisienne qui a maille à partir avec la concurrence et les forces de police et de gendarmerie, soldats de l’ombre, qui luttent avec leurs moyens et leurs limites et enfin, les sentinelles et spadassins de bas étage de la Courneuve et du quartier des amandiers du XXème.

L’histoire fait intervenir de nombreux personnages avec qui il faudra se familiariser au départ, effort nécessaire, on n’est pas dans un énième thriller à deux balles. Heureusement, l’annexe en fin d’ouvrage, avec ses deux entrées la loi et le crime, permet de bien ancrer s’il le faut, les différentes factions, organisations qui gravitent en périphérie de cette histoire. Par ailleurs, un glossaire regroupant acronymes, abréviations, services de police et judiciaires préserve un liant, une certaine urgence à l’intrigue.

Côté personnages, certains offrent tellement de facettes et de possibilités qu’ils ne peuvent pas avoir été créés pour un simple “one shot”. On pense à la jeune Lola, côté crime et à Théo Lasbleiz le Finistérien (tueur de loups en breton) flic des stups qui a perdu femme et fille exécutées et occupant cette place de guerrier solitaire incontrôlable qu’on a déjà rencontré un peu chez DOA autrefois sous les traits de Lynx. Pas de réelle barrière entre le bien et le mal, des personnalités complexes animées par des désirs et des volontés antagonistes. 

L’intrigue est béton, le roman vous saute à la gueule dès le prologue, du DOA quoi, vous savez déjà … mais le plus effrayant, c’est peut-être ce qui apparaît en filigrane, au détour des pages, ce que vous découvrirez entre les lignes ou à travers une petite histoire comme celle d’Adama de la Banane…DOA a toujours déclaré n’émettre aucun avis, aucune opinion, néanmoins, il dresse parfois, mine de rien, un tableau assez inquiétant de la France de 2021.

Superbement construit avec des interludes qui permettent quelques respirations, Rétiaire(s) était à l’origine, en 2006, un projet de série refusée par France Télévisions. Dommage ! Avec cette loupe sur le travail de fourmi des flics, les filatures et les écoutes ainsi qu’une étude sociétale très forte comme on retrouve dans toutes les productions de David Simon, cela aurait pu devenir une sorte de The Wire à la française très crédible. Mais, de manière je le reconnais très égoïste, le malheur de DOA à l’époque fait notre bonheur aujourd’hui.

Last but not least, l’histoire est loin d’être bouclée…

DOA est de retour et cela fait un putain de bien.

Clete.

PS: entretien à venir.

CUPIDITÉ de Deon Meyer / Série Noire

Donkerdrif

Traduction: Georges Lory

“Benny Griessel et Vaughn Cupido, ravalés au rang d’enquêteurs de base pour avoir enfreint les ordres de leur hiérarchie, soupçonnent leur punition d’être liée au meurtre en plein jour d’un de leurs collègues et aux lettres anonymes qu’ils ont reçues récemment. Mais ils n’ont pas le loisir d’approfondir la question car on les charge d’élucider la disparition de Callie, brillant étudiant en informatique.

Dans le même temps, Jasper Boonstra, milliardaire et escroc notoire, confie à une agente immobilière accablée de dettes la vente de son prestigieux domaine viticole. Conscient que la commission de trois millions de rands réglerait tous les problèmes de la jeune femme, l’homme d’affaires exerce sur elle un chantage qui la met au pied du mur.

A priori, il n’y a aucun lien entre les deux affaires, sauf le lieu, Stellenbosch, au coeur des vignobles du Cap. Mais lorsqu’elles convergent, la cupidité se révèle être leur moteur commun.”

Je ne suis pas le plus grand fan de l’auteur sud-africain, je tiens à le souligner avant d’être taxé de subjectivité devant les éloges que je pourrais faire sur ce Cupidité qui est de très loin ce que j’ai lu de meilleur chez Deon Meyer. Ce peu d’appétence vient surtout de ces histoires lassantes d’anciens combattants de l’ANC de Mandela et aussi peut-être parce que j’avais deviné beaucoup trop rapidement le coupable dans un de ses premiers romans. C’était un très mauvais signe, étant souvent très crédule dans mes lectures.

Cupidité, par contre, est un excellent thriller combinant deux intrigues dans deux domaines du polar très différents. La première avance assez tranquillement après un départ digne d’un épisode de Fast and furious, technique d’écriture classique du thriller où on en met plein les yeux au lecteur, on le secoue d’emblée pour ensuite dérouler plus tranquillement en commençant par les problèmes professionnels et domestiques de Griessel et Cupido. Si vous êtes des fans de sa doublette de flics, vous pouvez être émus par leur destitution en flics lambda. Même si ces deux gars-là sont sympathiques, ils sont quand même loin affectivement, pour moi, d’un duo Robicheaux/Purcel. Leurs problèmes domestiques un peu plaqués pour montrer leur humanité permettent de reprendre un peu sa respiration: dans le précédent une attente d’accord de prêt pour un achat de bague pour la fiancée d’un des deux (je les confonds un peu), dans celui-ci le régime amaigrissant de l’autre et ne nuisent cependant pas à la qualité d’une superbe intrigue sur une disparition. L’investigation fouillée, minutieuse, patiente mais passionnante se révèle un vrai régal pour les amateurs.

La seconde intrigue s’inscrit dans un méchant jeu du chat et de la souris entre un homme d’affaires puissant, riche et ordure notoire et Sandra, une jeune agente immobilière surendettée et tout au bord du gouffre. On est là dans le polar psychologique mais de haut vol. On sent le piège, Sandra aussi, mais la belle se croit plus forte…

Meyer passe d’une intrigue à l’autre, au départ de manière très tranquille, puis le rythme s’affole vers la moitié du roman. Les intrigues rebondissent et se rejoignent de fort belle manière pour aller vers un final commun mais néanmoins avec un traitement différent pour chacune, l’une d’entre elles restant même sur des points de suspension.

Deux intrigues brillamment menées, pas de temps mort, du très bon polar.

Clete.

LA NOIRE ET LA SÉRIE NOIRE EN 2023 / Toutes les sorties françaises

Lundi 21 novembre à 10 heures, au 7 de la rue Gallimard à Paris, ont été présentés aux libraires parisiens, les percutants programmes de la Série Noire et de la Noire pour l’année 2023. Un bien bel endroit à l’ambiance feutrée, un haut-lieu de la littérature française.

Stéfanie Delestré et Marie Caroline Aubert, éditrices des collections étaient présentes : Stéfanie Delestré était accompagnée par tous les auteurs français qui ont dévoilé leurs nouveaux romans dans un exposé d’une dizaine de minutes chacun, l’éditrice ajoutant, par ailleurs ses propres commentaires. Marie-Caroline Aubert a introduit avec talent et humour les auteurs étrangers qui seront au catalogue, on salive déjà mais on en reparlera plus tard avec elle, elle a promis !

Concernant les auteurs français, en 2023, la SN sort l’artillerie lourde… que des quinquas expérimentés qui ont déjà montré leur valeur… Manquent peut-être quelques plumes féminines. Néanmoins, ça a méchamment de la gueule :

Thomas Cantaloube, Marin Ledun, Caryl Ferey, Antoine Chainas, DOA, Olivier Barde-Cabuçon, Jacques Moulins, Sébastien Gendron et Pierre Pelot (absent mais ayant laissé un message de présentation). 

Bien sûr, on vous reparlera de ces romans au moment de leur sortie, mais voici déjà quelques mots sur chacun d’entre eux, quelques notes griffonnées à partir des dires des auteurs. 

Par ordre de sortie dans l’année et sans commentaires partisans malgré l’envie qui tenaille.

 BOIS-AUX-RENARDS (contes, légendes et mythes) de Antoine Chainas

Roman situé dans la vallée de la Roya en 1986, aux débuts de la consommation de masse. Un couple tue des femmes pour ses loisirs mais une gamine est témoin d’un des meurtres. Un roman noir teinté de fantastique (mythes et contes). 

Par l’auteur de Empire des chimères

RÉTIAIRES de D.O.A.

Roman sur la lutte contre le trafic de stups et très proche d’un roman procédural avec une lutte entre les services de police. Roman familial, les liens du sang et les thèmes de la vengeance et de la responsabilité. 

Par l’auteur de Pukhtu.

MENACES ITALIENNES de Jacques Moulins.

A EUROPOL, un fonctionnaire cherche à faire reconnaître le terrorisme d’extrême-droite, inquiet sur ce qu’est en train de devenir l’Europe braquée sur la menace islamique, oubliant la lente et sûre montée de l’extrème droite. Dans le viseur, l’Italie.

Par l’auteur de Retour à Berlin.

HOLLYWOOD S’EN VA EN GUERRE de Olivier Barde-Cabuçon.

1941, Charles Lindbergh, l’engagement de Hollywood pour l’entrée en guerre des USA. Un hommage au cinéma noir et blanc et à Chandler avec une détective de choc Vicky Malone.

Par l’auteur de Le cercle des rêveurs éveillés.

FREE QUEENS de Marin Ledun

Roman proche des Visages écrasés sur les techniques de vente et de consommation mais dans le contexte nigérian. Par l’enquête sur l’assassinat de deux jeunes prostituées, on découvre le Nigéria et les expérimentations que peuvent se permettre les grandes firmes internationales pour vendre leurs produits, et en l’occurence ici, de la bière.

Par l’auteur de Leur âme au diable.

MAI 67 de Nicolas Cantaloube.

On retrouve les trois personnages de sa série sur les années 60 et on fait un bond de cinq ans dans le temps pour se rendre en Guadeloupe où le département d’outre mer ressemble plus à une colonie qu’à un territoire de la république. Une manifestation contre la vie chère est réprimée dans le sang.

Par l’auteur de Frakas.

OKAVANGO de Caryl Ferey

Entre Rwanda, Namibie et Angola, Caryl Ferey raconte une histoire sur une des plaies africaines : le trafic d’animaux.

Par l’auteur de Paz.

LOIN EN AMONT DU CIEL de Pierre Pelot.

L’auteur de plus de deux cents romans dont “l’été en pente douce” revient à ses premières amours, le western. 

A la fin de la guerre de sécession, quatre sœurs sont victimes d’une bande de hors-la-loi.L’une meurt et les trois autres vont arpenter l’Arkansas et le Missouri pour se venger. Roman très violent.

Par l’auteur de Les jardins d’Eden.

Chevreuil de Sébastien Gendron.

Un citoyen britannique s’installe en Charente Maritime orientale. Les relations avec les autochtones et notamment les chasseurs vont vite se détériorer.

Par l’auteur de Chez Paradis.

***

Fin de la réunion vers 13 heures.

Clete.

PS: De grands remerciements à Antoine Gallimard, Marie-Caroline Aubert, Stéfanie Delestré et Christelle Mata.

DE LA JALOUSIE de Jo Nesbo / Série Noire.

Traduction: Céline Romand-Monnier

Comme l’an dernier, la Série Noire devance la rentrée littéraire en offrant une nouveauté d’un grand auteur de leur catalogue, dès le 11 août quand la plupart des Français sont en vacances et donc tout à fait dispos pour un petit polar. Malin, une réussite sans doute puisque l’opération est réitérée.

L’an dernier, on n’a pas parlé de La femme au manteau bleu de Deon Meyer, sorti au milieu du mois d’août, qui était une grosse escroquerie de l’auteur sud africain, une pauvre nouvelle gonflée comme on peut avec problèmes avec la banque d’un des héros, une deuxième intrigue à laquelle on cesse de s’intéresser au bout de trois pages et un coupable très, très vite découvert.

Ici, point d’arnaque, Nesbo nous offre sept nouvelles autour du grand thème de la jalousie même si la vengeance, une des conséquences, est peut-être plus présente. Il ne semble pas que Nesbo nous fasse le fond de ses tiroirs. Certaines histoires sont tout simplement allées au bout de leur possible prolongement et d’autres illustrent une idée toute simple.

Nesbo, poids lourd mondial du polar, n’est pas célèbre pour ses nouvelles mais bien pour des polars copieux. Du coup, votre appréciation de ces courts écrits pourra varier selon le cadre. Moi, par exemple, je n’en pouvais plus de Phtonos et de ses pages sur l’escalade dans une histoire de gémellité bien trop prévisible. Vous verrez, vous mettrez dix ans de moins que le flic à comprendre l’affaire. Londres, par contre, démarrait très bien et méritait bien plus qu’une quasi anecdote. Mais, dans l’ensemble c’est du Nesbo, c’est pro, parfois surprenant. Le suspense est bien géré et on ne s’ennuie jamais ou presque.

« Aucun remède à la jalousie sinon le temps ou la vengeance, à chaud ou calculée.

Autour de Phtonos, longue nouvelle démoniaque dont l’ambiguïté perverse aurait ravi Patricia Highsmith, six récits illustrent la jalousie meurtrière : du raffinement de la bourgeoise hitchcockienne aux atermoiements de l’auteur à succès installé à l’étranger ; de la pulsion primaire de l’éboueur bafoué à la résignation blessée d’une petite vendeuse issue de l’immigration ; de la préméditation froide du photographe d’art raté à la ruse d’un chauffeur de taxi humilié par sa femme.”

Alors De la jalousie était parfait pour compléter le cahier de sudoku ou de mots fléchés des vacances d’août. Parfait pour la plage, parfait pour un séjour chez la belle-mère aussi et vital pour la plage avec la belle mère. On est en septembre je sais, vous voyez…

Clete

LES RANGERS DU CIEL de Horace McCoy / Série Noire

Traduction: France-Marie Watkins, révisée, complétée et préfacée par Benoît Tadié 

On connait bien sûr Horace McCoy pour son premier roman paru en 1935 et traduit ici en 1946,  On achève bien les chevaux .
Comme beaucoup d’auteurs américains de cette époque pionnière du roman noir et du polar, il a également publié un certain nombre de fictions courtes, notamment dans la revue  Black Mask . Dont celles qui nous intéressent dans ce beau volume.
Ce que l’on sait moins, c’est que McCoy a été dans l’aviation de chasse durant la Première Guerre mondiale. Cette période de sa vie est une partie du matériau de départ de ces pages.

Quelqu’un a un jour écrit qu’une enquête criminelle bien faite est composée d’un tiers de chance, d’un tiers de travail ardu et d’un tiers d’intuition. Les plus grands détectives mettent à égalité l’intuition et la chance, considérant l’une aussi importante que l’autre.

 Jerry Frost n’était pas un savant, ni un criminologue, et, au sens technique du terme, il n’était pas du tout un détective. Mais jusque-là il avait eu pas mal de chance, il était tout à fait disposé à travailler dur et il savait que son intuition l’avait tiré de plus d’un mauvais pas.

 Et il allait pouvoir s’en servir cette fois. Il s’en redit compte une heure après avoir quitté le chef de la police de Jamestown.

 Il vit quelque chose qui fit tilt dans son esprit ― sans doute possible. C’était le côté incroyable de l’idée qui l’avait convaincu.

Le premier texte, paru en 1929, est l’occasion de rencontrer Jerry Frost, capitaine des Air Rangers texans, ex-aviateur dans le ciel français de la première guerre au sein de l’escadrille La Fayette, puis présent sur d’autres ciels de guerre. Il se retrouve sur un aérodrome à enquêter au sujet de deux affaires de braquages spectaculaires. À cette enquête se mêlent ses souvenirs : une brusque possibilité de vengeance point au même moment. D’intuitions en rebondissements, de cascades en rafales de mitrailleuse, les criminels se retrouvent menottes au poignet, dans le meilleur des cas, le tout en une quarantaine de pages.
Dès la deuxième, s’ajoutent Les Fils de l’Enfer, quatre pilotes (américains, anglais et allemand) vétérans eux aussi, cascadeurs pour Hollywood. Ils s’engagent dans la Patrouille du Sud des Air Rangers de Jerry Frost afin de surveiller la frontière avec le Mexique et pour combattre le puissant et tentaculaire gang des avions noirs qui sévit de chaque côté du Rio Grande.


Dans ces histoires, pas de poursuites en bagnoles en plein Chicago ou de duels de cowboys dans une ville désertée, mais plutôt des loopings, des descentes en piqués, de véritables chasses dans le grand ciel texan. McCoy sait y faire pour rendre vivants, concrets, ces combats aériens, jusqu’à nous donner le vertige ou nous effrayer quand la toile des ailes se déchire, quand les mitrailleuses crépitent de tous côtés. Quelques incontournables de l’Ouest américain ne manquent pas à l’appel : attaque de train, braquage de poste, trafic de bétail, etc.

Plus on avance, plus l’ambiance générale s’assombrit, comme dans cette quatrième histoire,  Le petit carnet noir , dans laquelle Frost et sa troupe font le coup de poing et de flingue avec la pègre de Jamestown et des flics locaux bien corrompus. Histoire qui démarre par une bagarre dans un boîte de nuit pour se terminer par un atterrissage forcé en hydravion.

 La cinquième histoire,  Frost chevauche seul , marque un pas dans l’évolution du livre. D’une part Frost est mis à mal et se retrouve dans une posture fâcheuse, et d’autre part apparaissent les premières femmes des « Rangers du ciel ». Dont une certaine Helen Stevens, journaliste, qui disparaît alors qu’elle se trouve avec Frost dans un bistrot mexicain. Cette aventure fait basculer dans le polar ces histoires qui pour le moment relataient surtout les exploits des Fils de l’Enfer et de Jerry Frost. Les héros au grand cœur descendent subitement de leur piédestal et le récit prend une épaisseur jusqu’alors inédite, au plus grand bonheur de ma lecture.

 ― Ce soir, Eddie, on va faire une descente chez Singleton, dit Jerry. L’heure de la fermeture a sonné pour eux. Je leur ai dit, et ils n’ont même pas dit peut-être. Ils ont carrément dit non. Donc on va le faire pour eux.

 Ce soir-là, à dix heures et demie, les cinq hommes bouclèrent leur ceinture de pistolet, cinq hommes dont le maître était la loi ― au-dessus de la terre et sur terre.

 ― On n’y va pas pour rigoler, dit Frost. Si ça tourne mal, visez entre les deux yeux. Et restez ensemble. Andale !

 Le style d’écriture de Horace McCoy est offensif, comme ses confrères de l’époque il laisse la psychologie des personnages au vestiaire. De l’action à fond en permanence, rythmée par des dialogues dynamiques, dans un décor planté en deux phrases et pourtant d’une précision horlogère, voilà ce qu’on lit dans cette suite de quatorze histoires d’une cinquantaine de pages, pas vraiment des nouvelles ni un roman, plutôt des feuilletons relativement longs qui s’inscrivent dans la tradition de la littérature populaire américaine publiée dans les pulps magazines.


Contrairement à ses contemporains, je pense à  W.R. Burnett par exemple, H. McCoy conçoit ses personnages de façon très manichéenne. Jerry Frost et ses Fils de l’Enfer sont des héros sympathiques, très positifs, presque exemplaires, du genre qui s’arrêtent au passage clouté ou montent aux arbres pour redescendre le petit chat de mamie ; alors qu’il n’y a vraiment rien à récupérer des membres du gang des avions noirs.

 On peut aussi trouver quelques incongruités à ces personnages et grincer un peu des dents. La quasi absence des femmes bien que les clichés soient bien présents, l’inexistence des Afro-américains et le mépris avec lequel sont traités les Mexicains sont typiques de l’époque. Il faut bien garder en tête que ces textes ont été publiés il y a 90 ans et qu’on y trouve toute la matière nécessaire pour construire de bonnes aventures :  crime organisé et fausse monnaie,  contrebande et corruption, et bien sûr assassinats, avec enquêtes, indices, arrestations et condamnations.

 Les Rangers du ciel  n’est pas un chef-d’oeuvre, et telle n’était probablement pas l’ambition de l’auteur, par contre ce volumineux recueil se révèle être une lecture bien plus que plaisante, les histoires sont solides et on s’attache rapidement à certains personnages. C’est déjà beaucoup, et comme le dit la devise The Rangers always get their man !

NicoTag

MÉCANIQUE MORT de Sébastien Raizer / Série Noire

Nyctalopes suit Sébastien Raizer depuis longtemps à travers des chroniques et des entretiens et chaque nouvelle parution du plus japonais des auteurs de la Série Noire est un petit plaisir dont on apprécie la récurrence. 

“Après trois ans passés en Asie, Dimitri Gallois revient à Thionville, afin de se recueillir sur les tombes de son père et de son frère pour apaiser son âme tourmentée. Mais ce retour réveille de vieilles haines et provoque un regain de violence entre des clans ennemis qui avaient conclu une paix toute relative. Vengeance, trafic de drogue, opium de synthèse, banquier corrompu, mafia albanaise et ‘Ndrangheta, Dimitri va-t-il réussir à échapper à cette terrifiante mécanique de mort ?« 

Mécanique mort est la suite de Les nuits rouges paru en 2020 et c’est une première surprise tant le premier roman ne laissait pas poindre ce deuxième opus qui s’avère finalement très pertinent. Dans Les nuits rouges, Raizer, par le biais d’un cold case, s’intéressait surtout au démembrement industriel de la Lorraine à l’orée des années 80, de la panade qui s’ensuivit pour les populations sinistrées et oubliées par les institutions et par la quasi-totalité de la classe politique. S’y greffait aussi un peu du monde de la dope dans une ville de Thionville un peu zombie. 

Pour Mécanique mort, Raizer a juste modifié la focale, passant du local de Thionville à un territoire plus vaste : la Lorraine ainsi que la Sarre et le Haut Palatinat voisins, abandonnant sa vindicte sur les politiques pour mieux se concentrer sur la finance et sur une banque en particulier. Vous la reconnaîtrez aisément en apprenant ses comportements encore plus voyous que ses concurrents et ses accointances prouvées avec les mafias pour le blanchiment et autres opérations crapuleuses liées à l’apparition du fléau fentanyl sur la région. 

Dimitri Gallois débarque en fantôme à Thionville mais rapidement les liens anciens, les comptes à régler et le danger de son retour sur un équilibre local animent un récit percutant, dur, où la violence (et il vaut mieux en être averti) ouvre sur le cauchemar, la barbarie la plus sale. Parallèlement à l’intrigue, Raizer assène des propos forts sur la marche du monde, sur les banques, sur la face cachée du libéralisme. 

On est donc dans un roman aussi abouti que Les Nuits rouges, balançant entre résilience et colère, mais avec l’ajout non négligeable de passages humoristiques et de personnalités très solaires. Reste à savoir si ces éclaircies dans un tableau salement moche et sombre porteront, mais force est de constater qu’elles montrent une certaine tendresse totalement nouvelle chez le romancier. Ajoutez-y quelques passages dignes d’un tour operator et vous comprendrez l’amour de la Lorraine de Sébastien Raizer. Il est originaire de ce coin de France et parfois l’histoire de Dimitri Gallois, sa tendresse masquée, semblent ressembler à la catharsis de Sébastien Raizer. 

Il aura donc fallu qu’il s’installe à l’autre bout de la planète pour qu’il écrive avec insistance sur ses origines, son terroir. Alors, manier le sabre, vivre une pratique bouddhiste accomplie, couper le gazon au ciseau dans des temples, vivre au sushiland, c’est bien, mais rien ne vaut une petite mirabelle Sébastien, non ?

Pur et dur, tout ce qu’on espère toujours en ouvrant une Série Noire.

Clete.

PS: 2022 de feu à la SN, Raizer maintenant et à venir DOA et Chainas !!!

INFILTRÉE de Mike Nicol / Série Noire

Traduction: Jean Esch

« Le Cap. C’est ainsi que ça commence.

 Un samedi, aux aurores. Des cirrus teintés de rose flottent au-dessus de la péninsule. La douceur venue des montagnes contredit l’arrivée de l’hiver.

 Ça commence avec Fish Pescado. Qui se réveille en sentant l’odeur de Vicki.

 Ça commence avec la souffrance de Vicki Kahn.

 Ça commence avec Bill’n’Ben qui mangent des muffins aux myrtilles au petit déjeuner, dans leur voiture. Des gobelets de café posés sur le tableau de bord. Garés dans une rue paisible du port.

 Ça commence avec Mart Velaze dans le hall d’un hôtel, qui regarde Mace Bishop marcher vers lui : il a le regard mort d’un tueur.

  Ça commence avec Mira Yavari qui regarde la construction de pierre de l’autre côté du jardin en soufflant une fumée grise dans l’air sec.

 Ça commence avec ces paroles de Muhammad Ahmadi : Voilà ce qui va se passer, je te dis. Ils ne faut pas qu’ils puissent témoigner.« 


Cent chapitres en cinq parties, sur cinq cents soixante pages, « Infiltrée » est un roman bien charpenté qui démarre paisiblement, pas pour longtemps. Dès la troisième page un flic se suicide, c’est d’une brutalité effrayante, un direct au foie. Il hantera le roman jusqu’au bout.

Il y a beaucoup de personnages dans ce roman de Mike Nicol. 
Vicki Kahn d’abord, une avocate qui a quitté les services secrets quelques mois auparavant, elle a tout de la super héroïne, une sorte d’Emma Peel moderne. Contrairement à son mec, Fish Pescado, un détective privé genre Magnum, surfer un peu dealer qui a les dons d’être là où il ne devrait pas et d’énerver un peu tout le monde. Ces deux-là sont les moteurs du roman. On les suit ensemble ou séparément durant tout le livre, toujours au cœur de l’action, souvent violente l’action.
Caytlin Suarez est une femme puissante, américaine a priori, accusée du meurtre de son amant, un ministre sud-africain, elle vit et travaille dans les très hautes sphères. Quant à Robert Wainwright c’est un scientifique spécialisé dans le nucléaire, le pauvre ne comprend pas bien où il est tombé en acceptant un poste dans un cabinet ministériel. Eux deux servent de détonateurs à « Infiltrée ». Ils sont des enjeux, chacun pour des raisons et des personnes différentes. Là encore, la violence est de mise.
Et une dizaine d’autres encore, plus ou moins secondaires, dont un vieux barbouze amateur d’ « Alice au pays des merveilles » et une mystérieuse Voix sans visage. Sans oublier Mira Yavari, il n’y a pas que son nom qui rappelle une fort célèbre espionne du début du XXème siècle. 

 Très peu sont sympathiques.

Bien que l’écriture soit extrêmement dynamique, il faut être patient durant la lecture et accepter de ne pas forcément comprendre ce qu’on lit. Mike Nicol avance lentement, met en place son histoire calmement mais fermement. Il sait nous tenir en haleine, et nous mener dans son livre par un chemin que lui seul connaît, le problème en faisant ça est qu’il nous maintient à une certaine distance, comme s’il tendait son bras pour nous écarter, au point qu’il est parfois difficile de s’impliquer franchement dans la lecture pendant la première partie, une centaine de pages, car après…
Après c’est un tapis rouge bien tendu qui se déroule devant nous, un pur bonheur de lecture, les pages tournent en mode automatique à grande vitesse. On rentre de plain pied dans un roman qui joue à la fois dans le polar et dans l’espionnage de haut vol avec des Russes et des Iraniens, des Américains et l’État islamique, auxquels on peut ajouter les meilleurs codes du feuilleton classique. Une fois passée cette première partie, une course poursuite démarre et ne s’arrête qu’aux toutes dernières pages, c’est rempli de bagarres, de coups bien bas et bien tordus en tous genres, de personnages aussi intelligents que brutaux et sans merci. C’est très rythmé, les chapitres sont des séquences avec des plans ultra-rapides, comme dans certaines séries américaines. Mike Nicol est également doué d’un sens profond de l’intrigue, du secret, et d’une grande culture politique qui m’ont fait penser plusieurs fois au regretté Henning Mankell.
La dernière partie doit absolument être lue d’une traite, c’est un jeu de chaises musicales presque aussi hilarant que violent et explosif !

Bonne lecture, et comme dit la Voix : « Que les ancêtres vous accompagnent« .

NicoTag

J’ai bien apprécié Fish Pescado, alors pour lui faire plaisir, et parce qu’il l’a bien mérité, un petit weekend bien paisible avec un album qui fête ses cinquante ans.

CHEZ PARADIS  de Sébastien Gendron / Série Noire / Gallimard

Ça aurait pu s’intituler Les Hébétés meurtriers ou L’Eté en pente raide. Ça aurait pu s’intituler Vol au-dessus d’un nid de crétins aussi. Pas un personnage pour rattraper l’autre : tous bourrins, tous pourris. Tous sordides et de biais.

Au centre de l’affaire, des cicatrices et un contentieux inextinguible entre Thomas Bonyard et Max Dodman. Le premier a vu sa vie et sa tronche froissées par le second, qui tient aujourd’hui un garage-motel miteux où converge un essaim de tarés, au fin fond de nulle part. Ne cherchez pas trop à localiser Roquincourt-sur-Dizenne ni son causse désertique autant que déserté par les esprits sains. Sachez juste que si d’aventure vous pensez avoir franchi les frontières des trois dimensions usuelles et du monde civilisé, c’est que vous pourriez bien être arrivés à destination.
Tout part donc d’une sombre histoire de vengeance mitonnée à froid, avec une gueule ravagée et d’injustes lustres de mitard sur l’ardoise à apurer. En une sorte de huis-clos déjanté, Sébastien Gendron nous tire une nouvelle fois vers les bas-fonds de l’humanité, là où s’affrontent le moche et le encore plus moche. Avec son pessimisme souriant (« Il faut moins s’inquiéter du monde qu’on laisse à nos gosses que des gosses qu’on laisse à notre monde. ») et après son déjà sévèrement branque Fin de siècle, entre détraquement climatique et dérèglement des cervelles à l’unisson, il persiste à retourner la lie du monde en un dérapage provincial et incontrôlé.
Thomas retrouve donc Max, après des années de quête, mais une kyrielle de seconds couteaux grippe les soupapes de ses représailles. La mécanique s’enraie. Dans un garage, avouons que c’est con. Mais porté par des tournures aussi drôles qu’acides, tout finira par rentrer dans le désordre. Sans trop s’éloigner du sujet, on pense à un western de Sergio Leone tourné dans une clinique psychiatrique à l’abandon. De la poussière, une végétation rabougrie, des chevaux moteur, des vilains bas du front et Thomas dans le rôle d’un Clint Eastwood esquissé de travers, voire d’un Charles Bronson sans biceps pour certaines scènes rappelant Il était une fois dans l’Ouest, rebaptisé pour la circonstance Il était toutefois à l’Ouest. Il est d’ailleurs aussi question de cinéma ici, mais pas vraiment celui du tapis rouge cannois ou des salles d’art et essai, plutôt celui des julots casse-croûte et de l’exploitation de gamines de l’Est.

Véritable bestiaire du bipède tordu, ce Chez Paradis noir, goguenard et joliment rythmé, fait d’une station-service l’improbable cour des miracles où se fracasse un bon nombre de pathologies contre toutes leurs antinomies induites. Ça ne peut pas se conclure en douce, pas autrement qu’en un bouquet final tout feu tout plomb.

JLM

PETER PUNK AU PAYS DES MERVEILLES de Danü Danquigny / Série Noire / Gallimard

“À peine sorti de prison, Desmund Sasse est arrêté et placé en garde à vue pour complicité de meurtre. Le jeune suspect, qui semble le connaître, lui a laissé de longs messages. Mais rien ne tient dans l’accusation et Sasse est vite libéré.

Il sent pourtant que quelque chose de louche le relie à cette affaire et, bien que résolu à se tenir en dehors des ennuis, il va foncer dedans tête baissée.”

On a tous un pote comme Desmund Sasse, ce genre de type qui a un réel talent pour se mettre dans la mouise et vous en faire généreusement profiter avant de disparaitre momentanément de votre univers. Desmond revient dans une ville bretonne imaginaire où il a longtemps “sévi”, “la douce cité de Morclose”. Mais, la rue de la soif, le métro, le stade rennais, autant d’éléments qui montrent que nous sommes à Rennes où l’auteur, il me semble, a des attaches. 

La roue a tourné. Le temps a passé et ses anciens amis, ses compagnons de bamboche, ses pairs de ribotte ont avancé pendant que lui stagnait. L’un est flic, l’autre avocat, quant à son ex… Sortant de taule, Desmund a pris de bonnes résolutions, mais le passé se rappelle rapidement à lui tandis que le naturel, foncer tête baissée, revient au triple galop. Tout part rapidement en distribil… Desmund, alias Peter Punk, perdant magnifique et sympathique n’a pas grandi.

Deuxième polar de Danü Danquigny, Peter Punk au pays des merveilles”, montre dès le titre bien déjanté que nous ne sommes plus du tout dans le même registre que “Les aigles endormis”, son premier roman, qui contait l’histoire contemporaine douloureuse de l’Albanie. Le ton est bien plus léger, les situations frôlent souvent le burlesque, les dialogues cognent. Néanmoins ce roman poursuit parfaitement la logique d’une œuvre qui emprunte des chemins bien connus de l’auteur, son histoire personnelle. Danquigny a des origines albanaises et vit ou a vécu longtemps à Rennes. Certaines remarques, d’ailleurs, plairont en Ille et Vilaine et plus globalement en Bretagne sauf peut-être à Monfort sur Meu où on appréciera moins les évocations de l’animation nocturne du village. 

Roman gentiment addictif, “Peter Punk” vaut par son héros cabossé, très sympathique en chevalier blanc marginal et malchanceux. Les autres personnages performent aussi parfaitement que ce soit un flic comme une détective privée, métiers exercés par le passé par l’auteur.

Et puis, c’est important quand vous appréciez un cadre, une histoire ou tout simplement des personnages, “Peter Punk” est sûrement le premier d’une série. D’une part parce que beaucoup reste encore à éclaircir sous le ciel rennais et d’autre part parce qu’on ne termine pas une histoire par un insipide et frustrant “Le café est prêt” . Ça ne se fait pas môssieur, même à Monfort sur Meu, je pense !

Très sympa.

Clete

LA MEDIUM DE J.P. Smith / Série Noire/ Gallimard.

The Summoning

Traduction: Karine Lalechère

 Elle était en train de se rendormir, quand ça recommença : une note de piano.

 Avait-elle rêvé ? Elle s’assit, écouta. Une troisième note retentit.

 C’était ce qu’elle redoutait. Les monstres dans son esprit s’étaient échappés et maintenant ils pouvaient se promener, la narguer et la ridiculiser. Ce qui était à l’intérieur était à l’extérieur. Comme la voix de la femme en pleurs. La voix qui la mettait en garde.

 ― Qui est là ? 

Kit vit entourée de fantômes, certains plus réels que d’autres.
Son mari Peter est mort le 11 septembre 2001, dans la tour nord. Zoey, sa fille de 17 ans, née orpheline de père au printemps 2002, se trouve dans un semi-coma depuis trois ans après une crise de convulsions face à un accident dans le métro.
Kit voit Peter parfois, ils se parlent.
C’est une actrice sans trop de succès, qui court après les castings et les cachets. Pour boucler les fins de mois, rembouser son prêt et régler les notes d’hôpital de Zoey, elle parcourt les annonces nécrologiques puis contacte les survivants. Elle dit communiquer avec les morts, contre une éventuelle rétribution.
Elle se situe entre la personne de bonne volonté qui apporte un peu de réconfort et l’escroc de bas étages. Tout se joue dans cette ambiguïté.

On nage dans un surnaturel du quotidien, qui n’a jamais entrevu un proche disparu dans une foule ? Elle pousse le curseur plus loin, c’est tout.

 Il semblait que la membrane entre la vie et la mort était devenue légère, diaphane, avec des trous et des déchirures partout. Et que Kit passait maintenant librement d’un monde à l’autre.


La mort rôde en permanence, des morts qui parlent, des malades donnés pour morts qui ne meurent pas, des vivants qui simulent un dialogue avec des morts, des morts sans corps, etc.
C’est la rencontre entre l’art de persuader et l’envie de croire. On navigue entre l’arnaque et l’étrange, sans trop savoir où pencher. Le doute est extrêmement bien entretenu par l’auteur.

C’est aussi une chasse aux charlatans par les flics new yorkais de la répression des fraudes. Une véritable pantomime se met en place quand l’inspecteur David Brier en vient à rencontrer Kit. Là se met en place un formidable jeu de dupes qui tiendra jusqu’à la toute fin du livre.

 ― David ?

 Elle répéta son nom plusieurs fois, avant de se rendre compte qu’il avait raccroché. Elle avait l’impression d’être coincée dans le cauchemar de quelqu’un d’autre, une histoire pleine d’ambiguïtés et d’impasses. D’être enfermée dans une pièce dont elle n’avait pas la clé.

L’écriture est très classique, et le récit plutôt linéaire, rien de révolutionnaire dans tout ça, mais ça se lit presque magnétiquement tant il est difficile de refermer « La médium » pour reprendre le lendemain. On sent bien la patte du scénariste qu’est aussi J.P. Smith.

La toile de fond, qui se déploie dès le début, est réussie. Que reste-t-il de nos morts ? Encore plus, quand comme pour beaucoup de victimes des attentats du 11 septembre 2001, il n’y a pas de corps à inhumer. Ce qui peut arriver dans la vie courante aussi, malheureusement.

Je ne suis pas amateur de surnaturel, l’écueil de la fumisterie est ici facilement écarté en maintenant une tension permanente, toujours sur le fil entre réalité et folie. On ne sait jamais dans quelle dimension on se trouve, comme si plusieurs versions du roman se superposaient, s’imbriquaient.

Il y a bien une enquête policière, mais elle passe presque au second plan. L’histoire, ou plutôt les histoires, ne cessent d’aller et venir, de s’entremêler sans jamais nous perdre. L’auteur renfloue même un personnage de son roman précédent, comme un caméo, une auto-citation. Brouiller les pistes à un tel niveau, sans jamais embrouiller la lecture est une prouesse.

NicoTag

Mogwai ou l’art de perfectionner des ambiances troubles, le groupe joue avec nos émotions et crée le malaise.

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