Chroniques noires et partisanes

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JE SUIS LE CHÂTIMENT de Giancarlo De Cataldo / Métailié Noir

Io somo il castigo

Traduction: Anne Echenoz

Je suis le châtiment est le premier volet d’une série mettant en scène le procureur Manrico Spinoli della Rocca, grand mélomane, vieil aristo amateur d’opéra lyrique et bien sûr de préférence italienne. On ne vous présentera pas Giancarlo De Cataldo, magistrat romain et auteur du cultissime Romanzo Criminale, qu’on suit avec régularité : Suburra ici et , Rome brûle, L’agent du chaos, Alba nera.

“C’est un type étrange, le procureur Manrico Spinori della Rocca, un aristocrate de vieille souche, un peu coureur et fils d’une mère ludopathe qui a perdu toute la fortune de la famille au jeu. Mais si on consulte les statistiques, on ne peut que constater qu’il est très fort dans sa partie. Et il travaille avec les meilleurs, une équipe de femmes. De plus, il ne perd jamais son sang-froid, et il en faut quand on enquête sur la mort de Mèche d’or, un vieux beau, chanteur populaire, juré de la Nouvelle Star romaine et producteur de chanteuses débutantes. Les suspects ne manquent pas : une famille affreuse et rapace, un chauffeur silencieux et des jeunes filles naïves.”

Un roman de Giovanni de Cataldo est l’assurance de retrouver une Italie polardesque qui a vraiment du chien, une ville de Rome toujours aussi fascinante et un propos toujours moderne, “politique”, hautement sociétal. Mais nul n’est à l’abri de se planter de temps en temps. Loin de moi l’intention d’affirmer que ce roman est raté, disons qu’il restera peut-être moins longtemps en mémoire que certains de ses prédécesseurs.

Le cadre met un peu de temps à se mettre en place, il faut bien lancer la série et que les personnages principaux, Manrico et sa nouvelle équipe féminine, puissent être rapidement identifiables mais ensuite le suspense est constant, assez prévisible, hélas, mais ça roule, ça fonctionne, ça ronronne un peu, diront les lecteurs assidus de polars. On reprochera aussi quelques clichés, assez pour qu’ils puissent agacer les plus sensibles d’entre nous, des stéréotypes éprouvés, un déroulement assez convenu. Il est certain que la plume experte de De Cataldo et Rome aident à faire passer tout cela mais on reste un peu sur sa faim.

Allegro ma non troppo, Je suis le châtiment, un polar qu’on espérait porté par l’art lyrique et qui joue en fait une musique très classique.

Clete.

ALBA NERA de Giancarlo de Cataldo / Métailié.

Traduction: Serge Quadruppani

Giancarlo de Cataldo, magistrat italien a plusieurs cordes à son arc: romancier, dramaturge, essayiste et bien sûr auteur de polars, aspect qui nous intéresse avant tout. Il a connu une renommée internationale avec une grande fresque sur Rome à la fin du XXème siècle mettant en vedette une bande de malfrats qui sévit pendant plus d’une quinzaine d’années. Rapidement adapté au cinéma, Romanzo Criminale reste, vingt ans après sa sortie, le meilleur polar de l’Italien.

“À la sortie de l’école de police, ils étaient les meilleurs, ils ont échoué à résoudre un meurtre. Dix ans après, ils se retrouvent sur un meurtre semblable. Ils n’ont pas le droit d’échouer.

Alba, le Blond et Dr Sax : le trio se reforme après la découverte, dix ans après, d’un meurtre semblable à celui qu’ils avaient échoué à résoudre ensemble. La deuxième victime est aussi ligotée selon l’art japonais du shibari.

Alba, la femme puissante, fille de bonne famille, tireuse émérite, profileuse formée au FBI, souffre d’un trouble de la personnalité qu’elle nomme sa Triade obscure, mélange de narcissisme, de sociopathie et d’habileté manipulatrice. Un trouble qui peut inspirer les pires criminels ou porter les vainqueurs jusqu’au sommet de la pyramide. Néanmoins un esprit lucide peut tenir compte de toutes les variables. C’est ainsi que lorsque le meurtrier que tous croyaient mort frappe à nouveau, Alba doit affronter les secrets du passé. Surtout que resurgissent aussi le Blond, l’homme tourmenté et droit qui a été son compagnon et l’aime toujours, et le Docteur Sax, membre des Services et saxophoniste de jazz, bien marié à la fille de son chef, le général. Et prêt à beaucoup de choses pour faire oublier ses origines modestes.”

Au sortir de l’école, Alba, le Blond et Dr Sax étaient jeunes, beaux, forts et intelligents, amenés à devenir le futur et l’élite de la police. Mais dix ans plus tard, avec cette nouvelle affaire qui rappelle trop un précédent qu’ils croyaient avoir résolu à l’époque, pleins de fougue… C’est le retour à la dure réalité. Chacun a suivi son propre parcours professionnel et négocié sa vie mais doit renouer des liens devenus beaucoup plus lâches que ceux imposés aux victimes par le salopard recherché.

De Cataldo conserve une plume noire, dure, froide, sans fioriture, donnant toujours une couleur inquiétante à la belle Rome. Les amateurs du maître italien aimeront certainement ce retour tout en notant certainement une certaine indigence de l’histoire. Les personnages sont méchamment stéréotypés et même lorsque l’auteur nous invite à deux enquêtes, l’actuelle comme la ratée d’il y a dix ans, on frôle parfois l’ennui qui, si le roman n’était pas si court, deviendrait manifeste. 

Comme partout dans le monde, mais peut-être aussi plus qu’ailleurs, les liens entre criminalité et politique sont visibles en Italie, la justice et le pouvoir tâchant de masquer, de nier les pratiques douteuses des puissants. Du coup, parfois, on peut penser à une version italienne de La cour des mirages de Benjamin Dierstein, mais sans âme. La fin est franchement bâclée et on ne sauvera ce roman que s’il existe une suite.

Voilà, bof. Aussi insipide et décevant que la Squadra Azurra ces derniers temps.

Clete.

L’ AGENT DU CHAOS de Giancarlo De Cataldo / Métailié Noir.

Traduction: Serge Quadruppani.

Giancarlo De Cataldo, magistrat à la cour de Rome et auteur entre autres de “Romanzo Criminale”, de “Suburra “avec son compère Carlo Bonini est une pointure du polar et ses romans ont franchi les limites de l’Italie et contribuent à montrer un peu plus la qualité générale des polars venus d’ Italie. Ce nouvel opus sortant au moment du quarantième anniversaire de Métailié montre par ailleurs la grande place accordée par l’éditeur aux productions italiennes traduites par le grand spécialiste de la “botte” littéraire: Serge Quadruppani.

“Jay Dark a-t-il vraiment existé ? Deux hommes, un romancier et un avocat, se retrouvent dans des lieux insolites de la capitale romaine. Maître Flint prétend raconter la véritable histoire de Jay Dark, agent de la CIA chargé de répandre les nouvelles drogues des années 70 dans les mouvements de contestation étudiants…”

Pas de doute, la qualité est toujours là, seul le cadre change. Ce roman est avant tout une histoire américaine débutant dans le quartier new-yorkais de Williamsburg où sévit, en 1960, un jeune cambrioleur à la petite semaine nommé Jaroslav Darenski qui deviendra, au service de la Firme, le fameux agent du chaos nommé Jay Dark. Faisant siennes les multiples allégations des implications de la CIA dans la propagation et le trafic mondial de la drogue, De Cataldo va bien en deçà des années 80 et du financement des “contras” en Amérique centrale pour créer une genèse au début des années 60 pendant la grande vague du LSD.

L’auteur nous propose ainsi un impeccable voyage dans les milieux étudiants, musicaux, littéraires ricains adeptes de cette drogue du “bonheur”, nous faisant côtoyer certains mouvements sociaux: Harvard, les émeutes de Watts, les rassemblement, le mouvement hippie, le Vietnam dans un premier temps pour ensuite mondialiser son propos jusqu’ au Paris de mai 68. Après le LSD, viendra le temps de la drogue de la “mort”, l’héroïne, poison injecté originellement et principalement dans les ghettos noirs. Viendront les Blacks Panthers, les Weathermen… Jay Dark sait manœuvrer, s’enrichit, mène grand train, librement, côtoyant certaines élites intellectuelle avides de vertige, de paradis artificiels. De Cataldo se fait visiblement plaisir à décrire cette époque, rend hommage en passant à Leonard Cohen le musicien mais aussi le poète. Le ton, surprise, dans les deux premiers tiers du roman est souvent très proche de la comédie. Mais ne nous leurrons, De Cataldo a déjà décrit souvent et talentueusement la noirceur humaine et l’histoire sombre, dans son dernier tiers, dans la tragédie et le masque de Jay Dark tombe.

“L’agent du chaos” est un roman particulièrement prenant mais en aucune façon une enquête, une recherche d’une quelconque vérité. S’appuyant sur des théories du chaos tout à fait crédibles quand on connaît un peu les pratiques tordues de la CIA, De Cataldo tisse une histoire addictive et vive, ponctuée par de courts chapitres accrocheurs et magnifiée par un bien beau talent de conteur et une réflexion aboutie sur l’univers des drogues.

Wollanup.


ROME BRÛLE de Giancarlo De Cataldo et Carlo Bonini/ Métailié Noir

Traduction: Serge Quadruppani.

Samourai derrière les barreaux lègue ou plutôt délègue son empire à Sebastiano et la représentation n’est pas chose aisée. Entre questionnements politiques, économiques, mafieux sécantes et sensibilités individuelles la ville de la Louve ressasse son passé et son histoire.

« Rome.

Sebastiano, représentant du Samouraï, leader incarcéré des mafias locales, tente de pérenniser son empire.

Le prochain jubilé relance les travaux publics et aiguise l’appétit de Fabio, étoile montante du trafic de drogue.

Martin, le nouveau maire, Polimeni, sénateur intègre et Malgradi, représentant des constructeurs, veulent leur barrer la route.

Bientôt, c’est l’escalade de la violence. »

 

Les déliquescences de systèmes politiques à l’orée des systèmes mafieux marque une jauge dans nos mondes contemporains. Rome dans son  incandescence, sa proximité avec les édiles religieux du Vatican lui confère une place névralgique de trois pouvoirs. Le trident se jauge, s’évalue, se tourne autour. Malgré une évidente volonté vertueuse d’offrir à la cité un équilibre, un souci de la communauté, la gangrène est là et bien là mais elle ne présente plus macroscopiquement la même devanture.

On prend alors conscience que la pieuvre reste immarcescible. Les atours contemporains de celle-ci faits de charme, de « respectabilité », d’intelligence ne masquent pas sa substance visqueuse, imputrescible. Face à un maire volontaire mais crédule, les tentacules se déploient, s ‘enroulent et étouffent sa proie. Ce personnage à la Lucien de Rubempré des Illusions Perdues de Balzac tente, force, se défend, manœuvre, propose son énergie pour le bien collectif mais le pouvoir derrière les tentures est implacable.

Les barbares et les Papes, Rome, Hier, Aujourd’hui. Pour l’éternité.  La suite de Suburra semble sans fin, semble éternelle. Nous, lecteurs, sommes happés par les plumes acérées du duo d’écrivains et amateurs de roman noir nous rendons les armes en nous laissant guider dans ce dédale sans issue.

Quant en sera t-il du futur, serons nous les tristes spectateurs d’une ville divine au prise avec des entités telles que l’épigone d’une race typiquement italienne…

« Ce poignard s’appelle « Miséricorde ». C’était l’arme avec laquelle, au Moyen Age, on finissait sur le champ de bataille les blessés intransportables. Les hommes pour lesquels il n’y avait rien d’autre à faire que de les confier au jugement de Dieu. Normalement, au terme d’une bataille, l’évêque s’inclinait sur les malheureux, leur administrait l’extrême-onction et puis, d’un signe de tête, ordonnait de procéder. La lame s’enfonçait à la hauteur du sternum et perçait le cœur. Un seul coup. Une « Miséricorde », donc. »

Comme le proclamait le tristement célèbre révolutionnaire Saint just aux racines bourbonnaises : « Ce n’est pas avec l’innocence qu’on gouverne ! »

Noir cendré…

Chouchou.

 

 

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